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Comment la propagande française a caché les images de la guerre d'Algérie

 

image from lh3.googleusercontent.com

 

La guerre d'Algérie, longtemps niée et réduite par les autorités françaises à des «évènements», était aussi une guerre des images, celle où les images servaient d'armes. Comme les Français, les Algériens ont également commencé à développer leur propre série d'images à diffuser pendant la guerre. Il est désormais admis que «le cinéma est né de la guerre de libération et fait pour la servir», comme l'écrivait Hala Salmane dans Algerian Cinema, publié par le British Film Institute en 1976.

Comment a-t-il servi cette guerre de libération? En grande partie, la mission des premières années du cinéma algérien était de montrer qu'une guerre se déroulait et de contrer le récit français de la guerre. Il s'agissait d'un récit national, mais il est important de souligner qu'il a été influencé par des idées et des personnes venant de l'étranger, dont beaucoup avaient été inspirés par la lutte de libération de l'Algérie et avaient choisi d'y participer.

Cette solidarité, cet internationalisme et ce tiers-mondisme ont été à la base du cinéma algérien à ses débuts et ont contribué à façonner le cinéma du pays à venir. La naissance du cinéma algérien a donc été profondément transnationale. À ses débuts, il se caractérisait par un flux constant d'équipements, d'idées et de cinéastes entre l'Algérie et d'autres pays d'Afrique du Nord (principalement la Tunisie), ainsi qu'entre les deux rives de la mer Méditerranée et au-delà. Des cinéastes sont venus de France pour participer aux débuts du cinéma algérien. Un cinéaste en particulier, René Vautier, a joué un rôle fondamental dans ce processus; selon les mots de l'historien du cinéma Ahmed Bedjaoui, son nom est «à jamais lié à la naissance du cinéma algérien». Le rôle de Vautier ne peut pas et n'a pas été sous-estimé.

Né en 1928, il combat très jeune dans la Résistance contre le fascisme nazi en France avant de se tourner vers le cinéma. Ses premiers films - comme Afrique 50 (1950) - étaient ouvertement anticoloniaux. Après 1954, il ne se contente pas de se ranger du côté du FLN, mais aide l'Armée algérienne à développer ses propres capacités de tournage et de montage. Il tourne le moyen métrage Algérie en flammes (1958), l'un des tout premiers films produits pendant la guerre, monté et développé en Allemagne de l'Est, exemple clair de solidarité internationaliste et de soutien à la révolution algérienne. Avec l'intellectuel et militant franco-martiniquais, Frantz Fanon, il écrit le scénario de J'ai huit ans (1961), tourné en Tunisie et réalisé par l'ancien militaire français devenu anticolonialiste Yann Le Masson et la Franco-Yougoslave Olga Poliakoff.

Le scénario était basé sur les dessins d'enfants algériens réfugiés en Tunisie, collectés avec l'aide de l'Italien Giovanni Pirelli, figure clé du tiers-mondisme italien. Des images tournées par Vautier sont ensuite utilisées dans Djazaïrouna (Notre Algérie, 1960-1961), coréalisé par Pierre Chaulet, Djamel Chanderli et Mohamed Lakhdar-Hamina; Lakhdar-Hamina allait devenir l'un des cinéastes algériens les plus importants. À cette époque-là en Algérie, la notion d'auteur était plus fluide qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Les cinéastes ont travaillé collectivement sur plusieurs films consacrés à la cause algérienne, chacun partageant le crédit de réalisateur. La solidarité entre les Algériens et les cinéastes français radicaux était importante. Jacques Charby, membre du Réseau Jeanson (le Réseau Jeanson, qui a aidé la lutte algérienne depuis la France), a été actif en Algérie et en Tunisie et a réalisé le premier long métrage algérien.

 

 

Amira SOLTANE

15-06-2023

https://www.lexpressiondz.com/chroniques/l-ecran-libre/comment-la-propagande-francaise-a-cache-les-images-de-la-guerre-d-algerie-325771

 

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Rédigé le 18/06/2023 à 07:24 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

La Dernière Reine», l’oubliée d’Alger

 

Coréalisé par Damien Ounouri et Adila Bendimerad, ce film étonnant réconcilie grand spectacle historique et tragédie théâtrale. Une nouvelle forme de cinéma maghrébin à découvrir en salles et dans le cadre du Festival international du film oriental de Genève.

 

image from lh3.googleusercontent.com«La Dernière Reine» entend figurer la séparation entre le monde violent des hommes et celui, a priori protégé, des femmes. — © First Hand Films

On n’osait pas trop y croire, tant le projet tenait de la gageure et ses auteurs semblaient manquer d’expérience. Sortir de l’oubli une figure légendaire du bas Moyen Age, la princesse Zaphira, aujourd’hui tenue pour une invention romanesque du XVIIIe siècle, n’était pas à la portée de n’importe qui. Il faut aussi dire que le cinéma d’Afrique du Nord ne nous a guère habitués à ce genre de grand spectacle, du moins depuis la disparition de l’Egyptien Youssef Chahine. Pour leur premier long métrage de fiction, le cinéaste franco-algérien Damien Ounouri et la comédienne algérienne Adila Bendimerad ont donc visé haut. D’autant plus que quelques documentaires pour l’un, une poignée de rôles chez Merzak Allouache pour l’autre et un moyen métrage en commun (Kindil el Bahr, 2016) ne font pas encore un nouveau Cecil B. DeMille, ni même un Manoel de Oliveira – si l’on préfère ses évocations historiques minimalistes.

 

 

La surprise de ce film révélé à la dernière Mostra de Venise est d’autant plus belle. Avec un talent bluffant, les auteurs de La Dernière Reine brossent une fresque prenante, pleine de combats et d’intrigues de palais. Mais surtout avec comme cœur battant un destin de femme aussi fascinant que tragique, reine d’Alger un court instant avant de voir tous ses espoirs s’écrouler. Réelle ou imaginaire, peu importe au fond, tant leur Zaphira revisitée raconte avant tout la lutte pour le pouvoir des hommes et la place de la femme dans la société arabe d’hier et d’aujourd’hui.

Rivalité d’hommes, solidarité de femmes

Nous voici donc au début du XVIe siècle, période très agitée en Méditerranée. Depuis une dizaine d’années, les frères Barberousse, pirates d’origine grecque, écument les mers, se muant plus récemment en corsaires au service de divers sultans pour combattre les Espagnols. En 1516, Aroudj Barberousse libère Alger du joug ibère et prend le pouvoir sur le royaume de l’émir Salim al-Toumi, quant à lui plus fin diplomate que guerrier. Seconde épouse de ce dernier, Zaphira se sent délaissée dans son palais et veille sur l’éducation de leur fils, le jeune prince héritier Yahia. Lorsque son mari est assassiné, convoitée par Aroudj, elle tente de s’inventer un rôle de régente, s’alliant avec l’autre veuve, Chegga, et d’autres fidèles de Salim entrés en rébellion pour reprendre le pouvoir. Mal leur en prendra…

De ce matériau haut en couleur, il y avait de quoi tirer une œuvre feuilletonesque à la Dumas, ou alors une tragédie shakespearienne. Or, se refusant à choisir, les auteurs sont parvenus à faire cohabiter les deux! Et ce sont peut-être leurs limitations budgétaires qui les ont poussés à cette heureuse décision. Dans un pays où ne subsiste quasiment aucune trace architecturale de cette époque, il s’est en effet agi de styliser. Quelques criques encore sauvages et recoins montagneux accueillent ainsi les séquences de combat tandis que de splendides intérieurs abritent la vie de palais. Très tôt, on comprend aussi qu’Ounouri et Bendimerad entendent ainsi figurer la séparation entre le monde violent des hommes et celui, a priori protégé, des femmes.

Au terme d’une scène de combat introductive où gicle le sang, Aroudj Barberousse perd un avant-bras, qui sera bientôt remplacé par une terrible main de fer. Il est celui par qui le chaos arrive, qui va renverser l’ordre établi d’une sorte de photo de famille évidemment anachronique, mais surtout trop belle pour être vraiment crédible. Malgré ses rondeurs rassurantes et tout son art diplomatique, on se doute bien que Salim ne fera pas longtemps le poids. Mais comment réagira Zaphira, qui se dépérissait dans l’attente d’un mari accaparé par les affaires d’Etat et polygame? La libération d’Alger ne pourrait-elle pas devenir aussi la sienne? L’intelligence des auteurs est de faire fi d’une trop stricte historicité pour éveiller de telles questions, plus en phase avec notre temps.

Reine tragique

Il convient de préciser que Zaphira est aussi en bisbille avec sa propre famille, un père qui a déjà pris ombrage de son mariage et qui enverra ses frères la remettre dans le droit chemin de la soumission. De tous côtés, on devine son étroite marge de manœuvre, le piège qui risque de se refermer sur elle. Pour gérer cette complexité, une seule solution: recourir véritablement aux moyens de la mise en scène. Les cinéastes usent ainsi d’ellipses et de rêves prémonitoires, suggèrent le hors-champ et assument une part de théâtralité, osent des montages audacieux et font le meilleur usage de la musique (des précieux père et fils Galperine), le tout dans un mélange étonnamment harmonieux de cinéma classique et moderne.

Incarnée par Adila Bendimerad elle-même, Zaphira ne suscite pas d’emblée la sympathie dans son existence privilégiée mais la conquiert par sa lutte de femme pour sa liberté. A côté d’elle, toujours plus belle et émouvante, la seule actrice reconnaissable, la blonde Nadia Tereszkiewicz (Les Amandiers, Mon crime), ne pèse soudain plus très lourd dans le rôle d’Astrid la Scandinave, maîtresse jalouse de Barberousse. Zaphira finira-t-elle par céder à celui qu’elle soupçonne d’avoir fait assassiner son mari ou choisira-t-elle une issue plus digne? On pense à la Cléopâtre de Joseph Mankiewicz, à la reine Margot de Patrice Chéreau et à d’autres reines tragiques. Entre Histoire et légende, cette Dernière Reine séduit tel un somptueux livre d’images qui aurait pour finir trouvé des accents quasi shakespeariens.


La Dernière Reine , de Damien Ounouri et Adila Bendimerad (Algérie, France, 2022), avec Adila Bendimerad, Dali Benssalah, Mohamed Tahar Zaoui, Imen Noel, Nadia Tereszkiewicz, 1h52. Projection spéciale en présence du réalisateur et de l’actrice Imen Noel dans le cadre du Festival international du film oriental de Genève, vendredi 16 juin aux Cinémas du Grütli (20h30). Festival jusqu’au 18 juin.

 

 

Norbert Creutz

Publié le 13 juin 2023 16:19. Modifié le 13 juin 2023 21:39.

https://www.letemps.ch/culture/ecrans/la-derniere-reine-l-oubliee-d-alger

 

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Rédigé le 18/06/2023 à 06:40 dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)

Moscou et Alger: une histoire d’amour tourmentée

 

image from lh3.googleusercontent.com

 

La relation qu’entretiennent les militaires algériens avec les Russes depuis la guerre d’indépendance jusqu’au voyage du Président Tebhoune ces jours est forte et ancienne. Encore que, contrairement à un cliché facile, les rapports entre Alger et Moscou ne sont pas et n’ont pas été toujours cordiaux. Historiquement, l’Algérie s’était rapprochée des thèses non-alignées Yougoslaves et essayait de maintenir de bonnes relations avec les deux camps.​Ce qu’on ne sait pas par exemple, c’est à quel point le très socialiste Boumedienne, chef tout pusisant de l’Algérie jusqu’en 1979, a toujours soigné ses liens avec les États Unis. 

 

L’URSS n’avait soutenu la Révolution algérienne que tardivement. Krouchtcheven effet  voulait ménager le Général De Gaule et le conforter dans sa troisième voie. Ce ne fut que vers 1960 qu’il y a eu reconnaissance du Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA) par Moscou et un début de coopération, notamment dans les domaines militaires et du renseignement. Cela donnera la première génération de marins, d’aviateurs et d’officiers supérieurs de l’Armée Nationale Populaire et les premières promotions des services de renseignements de l’Algérie indépendante. Une promotion, appelée « Tapis Rouge », comprendra même l’encadrement de la « Sécurité militaire » qui perdurera jusqu’aux années 2000.

La clarification des années 1970-1980


Très tôt l’armée algérienne opte pour le modèle du Pacte de Varsovie pour se construire un système de défense sans risque de rupture des approvisionnements comme cela aurait pu être avec les USA. Lesquels ont fréquemment utilisé l’armement comme instrument de sanctions politiques envers ses alliés du tiers-monde.

À partir des années 70 et en particulier après la guerre du Kippour, la relation entre l’Algérie et l’URSS a connu une clarification. Trois grand axes sont apparus.

-l’excellence des relations entre les deux armées dans le domaine de la formation et de l’équipement

-le refus systématique de l’Algérie d’accueillir une base militaire soviétique sur ses terres, malgré l’insistance de Moscou.

–la poursuite des achats d’armes de l’ANP auprès du complexe militaro-industriel soviétique perdure après l’effondrement de l’URSS.


Il reste que les services de renseignement algériens ont pris leurs distances avec leurs homologues du KGB . Les intérêts de la Sécurité Militaire (SM) privilégiaient à l’époque les relations avec la France et la gestion de la nationalisation du pétrole.

L’irruption des services algériens durant les années 80 dans les conflits au Moyen-Orient et le conflit ouvert entre la SM et le Mossad, n’ont pas favorisé les liens entre les Algériens et les soviétiques. La guerre d’Afghanistan relance un peu la coopération. Les soviétiques étant très intéressés par l’infiltration des groupes de volontaires arabes qui ont rejoint le Pakistan afin de faire le coup de feu aux côtés des Mujahidines Afghans. Mais après les attentats du 11 septembre 2001, les services algériens font le pari d’un rapprochement avec la DST en France et la CIA après le 11 septembre 2001.

Une relance de la coopération en 1995

Face à de nouveaux défis après l’invasion de la Crimée et l’instauration de sanctions internationale contre la Russie, Poutine a saisi l’opportunité du départ en 1995 du puissant patron de l’ex Département du renseignement et de la sécurité (DRS) le général Mohamed Mediène ,alias Toufik, pour retisser des liens.

La visite en janvier 2018 en Algérie de Nikolai Patrushev, patron du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie et coordinateur de ses services de renseignements, a été le coup de départ d’un renouveau entre les services des deux pays. Coopération dans le domaine de la formations, mise en place d’une base de données commune, échange d’informations et unifications des procédures ont eu lieu suite à cette visite. La Russie étant à la recherches d’alliés sur les nombreux fronts qu’elle a ouverts, en Afrique à travers le travail de Wagner en Centrafrique, au Soudan, en Libye puis au Mali et d’appuyer sa présence en Syrie.


Patrushev jouera un rôle important avec d’autres leaders politiques russes pour une réconciliation entre les deux pays. On notera le rôle important joué par Valentina Matvienko, Présidente de l’assemblée fédérale Russie, qui avait effectuée deux visites en Algérie, Alexander Mikheev, cheville ouvrière de la vente d’armes à l’Algérie et grand facilitateur et défenseur de ses achats stratégiques et Dmitri Shugaev, Directeur du Service fédéral de coopération militaro-technique, qui a rang de Ministre et qui a joué le discrèt rôle d’intermédiaire entre Vladimir Poutine et les deux patrons successifs de l’ANP, Ahmed Gaid Salah et Saïd Chengriha. Cette intensification de la relation politique, voulue par Moscou atteindra son pic en 2020 avec l’invitation officielle et le programme spécial de feu Abdelkader Bensalah, alors Président par intérim aux cérémonies du 75 ème anniversaire de la victoire à Moscou. Bensalah n’avait pas pu s’y rendre à cause de son état de santé. La visite de Abdelmadjid Tebboune, prévue pour le mois de décembre à Moscou devrait, selon les indiscrétions d’officiels russes, marquer ce processus de rapprochement.

Le dossier épineux du gaz


Aux yeux des Russes, le dossier du gaz fait de l’Algérie un concurrent, voir un ennemi. L’Algérie a dès les années 70 fait irruption sur le marché du gaz et de manière prémonitoire a investi dans la liquéfaction ainsi que dans des gazoducs reliant l’Europe à l’Afrique. Cette stratégie avant-gardiste s’est révélée très menaçante pour les intérêts russes et l’utilisation par Moscou du gaz comme arme dans la poursuite de sa politique étrangère.

Dans cette compétition, l’Algérie a fait bande à part face à la Russie. Le récent rapprochement entre l’Algérie et l’Italie et les promesses algériennes d’augmentation des livraisons de gaz vers ce pays sont autant d’accords qui mettent à mal  la Russie dans son bras de fer avec l’Union Européenne. L’Algéri, bouée de sauvetage pour l’Union Européenne cet hiver.-, ne s’inscrit évidemment pas dans la guerre que mène aujourd’hui Vadimir Poutine 


La relation entre l’Algérie et la Russie connait quelques sérieux désaccords: la présence russe en Libye; le choix du Président Tebboune d’apporter un soutien à la Turquie dans le conflit libyen; la présence de la société Wagner sur l’ensemble du Mali.

 

image from lh3.googleusercontent.com

Les BRICS, qui représentent 40% de la population mondiale et qui regroupent notamment la Russie et la Chine, militent pour un monde multipolaire qui ne serait plus dominé par les puissances occidentales

Autre motif de tensions avec la Russie, l’Ukraine. L’Algérie qui n’a jamais reconnu la souveraineté russe sur la Crimée, continue à abriter une ambassade d’Ukraine et préférerait ne pas jouer les acrobates lors des votes de résolutions de l’ONU. Alger se retrouve devant le choix difficile de répondre aux appels du pied de la France, de l’Italie et des Etats-Unis, tout en  consolidant ses relations avec la Russie et en rejoignant une économie mondiale alternative autour des Brics (1).

Le président Abelmadjid tebboune devra trancher après sa visite à Moscou à la fin de l’année.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
By
 Nicolas Beau

17 juin 2023

https://mondafrique.com/moscou-et-alger-une-histoire-damour-tourmentee/

 

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Rédigé le 18/06/2023 à 05:34 dans Algérie, Russie-Ukraine | Lien permanent | Commentaires (0)

LES MARTYRS DE LA REVOLUTION ALGERIENNE : Mohamed Oudelha dit Ali Z'yeux bleus

 

image from lh3.googleusercontent.com


 

Bologhine, anciennement Saint-Eugène

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LES MARTYRS DE LA REVOLUTION ALGERIENNE : Mohamed Oudelha dit Ali Z'yeux bleus
Le 8 février 1958, à 3h30, a été exécuté Mohamed Oudelha dit Ali Z'yeux bleus. Il est tombé au champ d'honneur dans la sinistre enceinte de la prison de Serkadji (ex-Barberousse) à Alger.Mohamed Oudelha est né en 1930 dans la Haute-Casbah. Ses parents, originaires d'Ighil Boussouel Iflissène (Tigzirt sur mer), retourneront vivre dans leur village natal.


Il intégrera alors le groupe de choc organisé par Arbadji Abderrahmane et Othman, Hadji, dit Ramel, secondés entre autres par Hamzaoui Lounès et Hamadi Omar.Yacef Saâdi, responsable militaire, demandera à Arbadji de poursuivre la lutte armée dans la capitale pour faire pression sur l'armée d'occupation. Ali Z'yeux bleus aura pour mission d'abattre Marcel Galvanité, un des principaux membres actifs de la Main rouge. Mission achevée avec succès en janvier 1956. Ce qui lui valut les félicitations de Abderrahmane Arbadji, avec lequel il participera à d'autres actions de fidaï d'élite dans la Région 1 de la Zone autonome d'Alger.Grâce à son physique d'européen, Mohamed Oudelha fréquentera les pieds-noirs sans même qu'ils puissent douter qu'il était un vaillant fidaï. Il se mouvait aisément dans la communauté européenne, fréquentant Bab El Oued, Saint Eugène, la Pointe Pescade, sans mettre en danger sa vie et celle des fedayine. Par ailleurs, connaissant parfaitement bien le milieu pied-noir, il pouvait même apporter des renseignements sur trois clans engagés (Papalordo, Serroz et Dicrescesengo) ayant juré la soumission de La Casbah et du FLN. Le général Massu, Mme Gui, Mme Sidérat ainsi que les fameux centres Dugesclin dressaient des listes noires pour mettre un terme à la Bataille d'Alger.Ali Z'yeux bleus fut, à cette époque, chargé de diriger le groupe de choc de la Région 1 de la Zone autonome d'Alger. Il devait désintégrer le noyau de l'organisation criminelle de la Main rouge, parrainée par la DST et la PJ qui activaient par des attentats à la bombe déposée dans les quartiers musulmans. Le 10 août 1956, une bombe explosa à la rue des Thèbes, dans La Haute-Casbah où 15 familles algériennes périrent. En réponse à cette attaque, Ali Z'yeux bleus tendit un guet-apens à Di Crescesengo qui fut grièvement blessé à la tête. Un fait d'armes qui désamorça le réseau de la DST.Le général Massu et sa hiérarchie se mobiliseront pour mettre fin à cette guérilla en partant à la recherche de Mohamed Oudelha. Celui-ci fut arrêté lors d'une embuscade tendue par les paras et les territoriaux dans le quartier consulaire situé entre Saint Eugène et Zghara (côté Notre Dame d'Afrique jusqu'aux Bains romains). L'armée française aura pour renfort les Sénégalais pour mettre la main sur Ali Z'yeux bleus.Les hommes de la DST et la police judiciaire le voulaient vivant pour obtenir le maximum d'informations sur la résistance musulmane. Puisque la Bataille d'Alger venait de débuter, il était primordial de sauver les membres du FLN - parmi eux Ali la Pointe - qui avaient pour refuge le secteur de Notre Dame d'Afrique. C'est alors qu'Ali Z'yeux bleus, héroïquement, fut arrêté.La DST et la PJ useront de tous les moyens de torture pour soutirer des renseignements sur l'action armée des fedayine, en vain. Ali Z'yeux bleus passera devant le tribunal permanent des forces armées d'Alger pour assassinats, complicité, tentatives d'assassinat et affiliation à l'action armée. Ces chefs d'accusations seront rejetés en bloc par Mohamed Oudelha. Il reconnaîtra un seul et unique attentat, celui perpétré contre Vincent Di Crescesengo. Ce dernier qui avait été blessé à la tête accusera Ali Z'yeux bleus d'avoir attenté à sa vie. Le témoignage d'un membre de l'organisation de la Main rouge qui, de surcroît, connaissait depuis de longues années Mohamed Oudelha, a été accablant, et ce, malgré l'absence de preuves sur ses activités. Le commissaire du gouvernement prononcera le verdict, le 23 janvier 1957 : la peine de mort. Ali Z'yeux bleus sera incarcéré parmi d'autres détenus dans des conditions des plus inhumaines, sous la plus haute surveillance de l'administration coloniale.Le 8 février 1958, à l'aube, les gardiens de la prison pénétreront dans la cellule de Mohamed Oudelha pour l'amener à la guillotine. Malgré le fait qu'il allait mourir en martyr pour que l'Algérie soit libre, Ali Z'yeux bleus se battra férocement contre les gardiens qui feront appel à des renforts. C'était son ultime souffle à la vie, à cette vie libre à laquelle avait tant aspiré. Dans le couloir de la mort, il sera poignardé par l'un des gardiens.C'est à 3 h 30 que son bourreau actionna la guillotine. Il fut exécuté à 28 ans pour que vive l'Algérie libre.

Par Abdelhakim Oudelha Fils de Mohamed Oudelha

Rédigé le 18/06/2023 à 04:57 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

Les « enfants de Madame Massu ». Œuvre sociale, politique et citoyenneté pendant et après la guerre d’Algérie (1957-1980)

 

1La question sociale, notamment la situation de l’enfance et de la jeunesse, est une composante importante de la guerre de décolonisation de l’Algérie qui débute en 1954. L’État français mobilise la population de la métropole sur ce thème, faisant de l’enfance – très classiquement – un vecteur de l’aide aux déshérités d’Algérie, dans une configuration traditionnelle de rapports coloniaux inégalitaires. En 1958, revenu au pouvoir, de Gaulle lance le « plan de Constantine » qui doit rattraper les retards d’un siècle en termes de développement, de santé et d’éducation pour tous les habitants de l’Algérie, c’est-à-dire environ un million d’Européens et neuf millions de « Français musulmans ». Depuis le statut de 1947, ceux-ci sont des « Français formels », disposant d’une citoyenneté incomplète. Le double collège électoral est maintenu : la voix d’un électeur du premier collège (Français non-musulmans, citoyens de statut civil de droit commun) vaut huit voix d’électeurs du deuxième collège (Français musulmans, citoyens de statut civil de droit local) [1][1]Laure BLÉVIS, « Les avatars de la citoyenneté en Algérie…. D’où la difficulté de comprendre le sens des mots utilisés à l’époque et leur problématique réutilisation par les chercheurs aujourd’hui. Quand on parle de l’enfance en Algérie, doit-on utiliser les termes « enfance musulmane » ou « enfants de Français musulmans », qui étaient employés au temps de la colonisation ? Dans le sillage de Charles-Robert Ageron et d’autres, nous ne nous interdirons pas de parler d’« enfants algériens », c’est-à-dire habitant l’Algérie, sans être enfants de colons européens, ni de militaires français [2][2]Sur la difficulté de l’utilisation des termes : Raphaëlle….

2Pour les tenants de l’Algérie française – quelles qu’en soient les déclinaisons espérées ou possibles – l’avenir passe par une appréhension renouvelée des rapports entre « Français musulmans » et « Français non musulmans » et donc de la citoyenneté [3][3]Ce qui n’est pas sans rappeler les réflexions sur la place des…. Sur fond de populationnisme et de colonialisme, la question de la jeunesse produit une entreprise de type biopolitique jugée déterminante pour l’avenir de l’Algérie. Ainsi, par les processus d’intégration/assimilation poussés mis en œuvre, s’exerce un pouvoir sur les existences d’enfants et de jeunes [4][4]Renata BANDIMARTE et alii (éd.), Lexique de biopolitique. Les…. Les autorités françaises, civiles et militaires, voient dans la jeunesse algérienne un enjeu politique essentiel et la définissent comme une des principales cibles de la guerre psychologique sur le terrain. Au-delà de l’alphabétisation et de la prise en charge, l’objectif visé est de soustraire des enfants et des jeunes à l’influence des organisations indépendantistes, condition sine qua non de la réussite d’une Algérie nouvelle, comme l’écrit le général Salan en 1958 :

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« Nous ne pouvons qu’assister, sans avoir les moyens de nous y opposer, à la prise de possession grave et désolante du meilleur de la jeunesse musulmane par des mouvements subversifs, compromettant ainsi l’espoir d’une fusion rapide entre les deux communautés, à l’intérieur même du territoire algérien. Parmi ces problèmes, auxquels une solution, même onéreuse, doit être apportée, j’inscris en première urgence, celui de cette jeunesse, car tous les autres en dépendent » [5][5]Centre de documentation historique sur l’Algérie,….

4Le général Massu rapporte dans ses mémoires avoir partagé cette analyse, alors qu’il menait la « bataille d’Alger » (janvier-septembre 1957). Selon lui, il est nécessaire de s’occuper des garçons « qui traînent en essaims dans les rues de Bab El Oued et d’ailleurs, afin de les mettre au maximum à l’abri des explosions et autres mauvais coups » [6][6]Jacques MASSU, La vraie bataille d’Alger, Paris, Plon, 1971,….

5C’est justement le but que se donne l’Association pour la formation de la jeunesse (AFJ) créée en avril 1957 à Alger par Suzanne Massu (1907- 1977), l’épouse du général. Elle est née Suzanne Rosambert dans une famille bourgeoise, a été une étudiante progressiste engagée à gauche avant de s’occuper d’une galerie d’art d’avant-garde. À 23 ans elle se marie avec le célèbre avocat Henri Torrès (1891-1966). Dès 1940, elle s’engage dans les Sections sanitaires automobiles (SSA) de la France Libre. En 1944, elle est nommée commandant du groupe Rochambeau qui accompagne les FFL de Leclerc. Par la suite, elle est commandant des Forces féminines du Corps expéditionnaire en Indochine. Après avoir rencontré Jacques Massu (1908-2002) en 1947 – quand il lui demande de prendre la direction de la Maison de la 2e DB – elle l’épouse en 1948 et le suit en Algérie. Il est important de noter qu’elle a perdu en 1931 un enfant de quatre ans prénommé Patrice, car elle date de cet épisode très douloureux, de cette « mutilation », sa grande sensibilité à l’égard de l’enfance malheureuse, tout mauvais traitement vis-à-vis des enfants lui étant « horriblement pénible » [7][7]Émission radiophonique « Radioscopie », France Inter, avec…. En recueillant des enfants des rues à Alger, puis en s’occupant d’eux – et aussi de fils de harkis – en France à partir de 1962, son association conjugue prise en charge humaniste de l’enfance déshéritée, entreprise politique et fabrique d’une citoyenneté française, et ce encore bien après la fin de la guerre d’Algérie. Avec quelles motivations ? Dans quels objectifs ? Les dimensions politiques et idéologiques surpassent-elles la dimension sociale ?

6Si la question de l’enfance dans les deux guerres mondiales a été bien explorée depuis une vingtaine d’années, notamment dans le sillage de Stéphane Audoin-Rouzeau, il reste encore beaucoup à faire sur les enfants confrontés aux guerres du second XXe siècle, notamment celles de la décolonisation [8][8]Problématiques et pistes de recherche : Stéphane AUDOIN-ROUZEAU…. Pourtant l’enfance et la jeunesse se retrouvent au centre d’enjeux très importants pendant la guerre d’Algérie, dans tous les domaines et à tous les niveaux [9][9]Yves DENÉCHÈRE, « Politique et humanitaire à l’échelle locale…. Quelques ouvrages évoquent cette question, avec l’ambition affichée de réhabiliter l’action de l’armée en faveur de la population musulmane [10][10]Henry D’HUMIÈRES, L’armée française et la jeunesse musulmane.…. Trop souvent, ils n’offrent ni bibliographie, ni références précises, ne citent pas leurs sources ou très approximativement, et se répètent en s’appuyant les uns sur les autres. Ils contiennent néanmoins des récits intéressants, à croiser avec les autres sources disponibles – qui ne manquent pas – pour faire de l’histoire.

7Les archives inédites de l’AFJ sont conservées par l’association qui lui a succédé sous le nom d’Association jeunesse innovation réinsertion (AJIR) dont le siège est à Gelos (Pyrénées-Atlantiques). Les archives personnelles d’un des responsables de l’AFJ seront bientôt disponibles aux archives départementales de Pyrénées-Atlantiques (fonds Désaphy), un autre responsable a déposé ses archives au Centre de documentation historique sur l’Algérie (CDHA) à Aix-en-Provence (fonds Sangline). L’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD, Fort d’Ivry) conserve des photographies prises par l’armée. Les médias, qui se sont faits volontiers les relais des initiatives de Suzanne Massu et de son association, en Algérie comme en France, sont indispensables pour cerner les représentations de cette entreprise.

8Un corpus de sources orales a été constitué en plusieurs étapes. Tout d’abord, un entretien collectif à Pau en 2015 avec un des responsables de l’AFJ de l’époque, un moniteur, quatre anciens recueillis par l’association à Alger et trois fils de harkis pensionnaires des centres en Béarn dans les années 1960, a permis une intéressante expérience de participation observante et observation participante [11][11]Bastien SOULÉ, « Observation participante ou participation…. Des entretiens individuels avec trois des anciens responsables de l’association, deux directeurs de centre, deux moniteurs, huit anciens enfants pris en charge et le fils de Jacques et Suzanne Massu ont été réalisés, sans compter de multiples contacts téléphoniques. Les attentes des uns et des autres étaient diverses : un certain sentiment d’urgence du témoignage chez les responsables de l’association, alors âgés de 84 à 90 ans, la volonté de revenir sur leurs actions et leurs motivations dans le cadre de la guerre d’Algérie, voire de les revendiquer avec une certaine fierté. Du côté des « enfants de Madame Massu » comme ils aiment s’appeler, âgés de 68 à 75 ans, il y avait la volonté unanime et très forte de rendre hommage à Suzanne Massu, leur « mère », avec un regard plus ou moins critique sur les motivations et les modalités éducatives de leur prise en charge à l’époque [12][12]Les références des entretiens en notes de bas de page indiquent…. Ces entretiens ont également permis d’accéder à des papiers personnels, des photographies, des correspondances et même un manuscrit inédit [13][13]Guy-Marc SANGLINE, « Mes enfants des rues d’Alger », cahier…. On trouve, parmi les témoignages publiés d’enfants de la guerre, désormais assez nombreux, le récit d’un enfant recueilli par l’association [14][14]Daniel BELAFEKIR, Guerre d’Algérie. Le traumatisme de mon… qui insiste sur le fait que des enfants et des adolescents sont devenus des sujets d’une politique post-colonialiste : des parents – des mères surtout – ont été séparés de leurs enfants, des fratries ont été divisées, des enfants ont été déracinés.

9À partir de cet ample ensemble documentaire, l’ambition a été de reconstruire historiquement une expérience unique. Comme l’Algérie coloniale, la guerre d’Algérie et ses suites nécessitent des études variant les échelles d’analyse, les espaces et les temporalités, ainsi que d’interroger les expériences des protagonistes [15][15]Hélène BLAIS, Claire FREDJ, Sylvie THÉNAULT, « Introduction »,…. Ainsi a émergé un récit qui ne peut que suivre la chronologie des événements et de la vie des personnes concernées, les enfants de ces années-là étant devenus des adolescents puis des hommes, des maris, des pères, des citoyens.

L’ASSOCIATION POUR LA FORMATION DE LA JEUNESSE À ALGER (1957-1962)

Au secours des yaouleds

10En février 1957, plusieurs valises pleines de billets de banque arrivent au général Massu qui dispose de tous les pouvoirs depuis janvier 1957 pour assurer l’ordre dans le département d’Alger. L’origine de ces fonds ayant transité par l’archevêché d’Alger demeure inconnue [16][16]Épisode raconté dans plusieurs ouvrages, notamment : J. MASSU,…. Massu place cet argent (123 millions d’anciens francs) sur un compte intitulé « Général Massu, compte social » et destiné à être utilisé en faveur des jeunes et des femmes musulmans [17][17]Sous l’égide de l’armée, Massu crée les premiers centres de…. D’après Andrée Dore-Audibert (1923-2012), alors assistante sociale de la France d’Outre-mer, le 10 mars, soit quelques jours après l’épisode des valises, Massu signe un texte qui fixe comme objectif le démantèlement des centres sociaux de Germaine Tillion (1907-2008) et d’autres [18][18]« Donner à tous les enfants des deux populations des chances…. Massu veut « donner un coup de semonce à certains milieux européens qui ont fait de la charité une interprétation abusive et antinationale », car parmi eux on trouve « un type de progressiste, laïque, confessionnel, très répandu et très actif qui concrétise la collusion entre le FLN et certains milieux européens d’Algérie » [19][19]Andrée DORE-AUDIBERT, Des Françaises d’Algérie dans la guerre…. Mais si Massu veut détruire l’existant, il veut aussi le remplacer par une autre offre en direction des populations musulmanes. Il a maintenant les moyens d’agir différemment et plus efficacement pour contrôler la jeunesse qui est un enjeu si important de la guerre.

11Le général confie 21 millions à son épouse pour ses œuvres sociales : enfants, jeunes et femmes. Cela tombe bien, Suzanne Massu est sollicitée par Ernest Tonneau (1897-1963), juge des enfants au tribunal d’Alger, pour venir en aide aux enfants qui, sortant de l’école à quatorze ans, se retrouvent dans la rue, en attendant d’entrer, hypothétiquement, en apprentissage à seize ans [20][20]J. MASSU, La vraie bataille…, op. cit., p. 192. Massu écrit que…. Le 6 avril 1957, lors d’une soirée au profit du Secours catholique patronnée par Mgr Duval, archevêque d’Alger, le juge Tonneau prononce une conférence intitulée : « L’enfance dite coupable. Causes et conséquences ». Deux jours plus tard, Suzanne Massu, « puissamment appuyée par mon mari, profondément concerné par les drames individuels provoqués par cette lutte fratricide », raconte-t-elle, s’engage « au-delà de la politique, par-dessus les passions » [21][21]Témoignage de Suzanne Massu dans M. FAIVRE, L’action sociale…,…. Le 8 avril 1957, elle crée l’Association pour la formation de la jeunesse qui « a pour but général l’aide, la protection, la sauvegarde, l’éducation professionnelle et morale de la jeunesse ». Les autres fondateurs sont des personnes déjà engagées dans l’action sociale comme les responsables des Équipes sociales, liées à l’association Moissons nouvelles qui a vu le jour en Algérie en 1942, dans le sillage de la Jeunesse ouvrière chrétienne [22][22]AJIR, assemblée générale constitutive de l’AFJ, 8 avril 1957..

12Deux mois après sa création, l’AFJ ouvre un Centre de jeunesse, rue Koechlin à Bab El Oued (6 juin 1957). Il s’installe dans l’immeuble du journal communiste Alger Républicain, bâtiment réquisitionné et aménagé par l’état-major de Massu [23][23]J. MASSU, La vraie bataille…, op. cit., p. 193. Dirigé…. L’objectif du centre est la prise en charge d’enfants en détresse de la casbah d’Alger, qui vivent de petits métiers (cireurs, porteurs…), de mendicité ou de chaparde et dorment dans la rue ou dans les bains maures pour 100 francs la nuit. Ces yaouleds – de l’arabe ya (viens) et ouled (enfant, petit) –, aussi bien enfants errants (parfois orphelins) qu’enfants des rues (ayant un ou des parents), constituent un sous-prolétariat de petits commissionnaires issus de la pauvreté, de la déstructuration des sociétés traditionnelles et de l’exode rural accentués par la guerre [24][24]Christelle TARAUD, « Les yaouleds : entre marginalisation…. À Alger, leur nombre est estimé entre 6000 et 7000.

13Conçu comme un « centre d’accueil, de triage et de recasement », le Centre de jeunesse permet d’héberger 60 puis très vite 82 de ces enfants. L’encadrement est surtout militaire, dont toute la direction. Le sergent-chef parachutiste Marc Désaphy (né en 1932), rescapé de l’attentat du Milk Bar (30 septembre 1956), amputé d’une jambe, est affecté par le général Massu au service de l’association ; il en devient un cadre essentiel. Puis arrive le lieutenant (puis capitaine) Guy-Marc Sangline (né en 1927), médecin militaire de la base de transit, en tant que bénévole puis directeur pédagogique du centre. Après avoir découvert la situation des yaouleds grâce au juge Tonneau, il organise des sorties le soir pour récupérer des enfants dormant dans les bains maures ou les marchés [25][25]H. D’HUMIÈRES, L’armée française…, op. cit., p. 153-157,…. Grâce à l’armée qui en saisit toute la dimension psychologique, cette action sociale est très médiatisée en Algérie et en métropole par la presse écrite et même la télévision, ce qui a laissé d’assez nombreuses traces archivistiques [26][26]INA, reportage « Le nouveau chemin de la vie : les yaouleds »,….

14Selon G.-M. Sangline,

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« Madame Massu se dépensait sans compter. Elle ne manquait ni de volonté, ni de dynamisme, ni de goût. Elle savait se faire si pressante, si persuasive ; elle était si enthousiaste que personne n’eût songé, n’eût été à même de lui résister ou de la contrarier. Elle obtenait ce qu’elle voulait, veillait au moindre détail technique, savait s’entourer de conseils et choisissait elle-même les dessus-de-lit. Madame Massu, c’était le Centre de jeunesse et le centre, c’était Madame Massu. Jamais ces deux noms ne pourront être dissociés » [27][27]G.-M. SANGLINE, « Mes enfants… », doc. cit., p. 14..

16Le reste de l’encadrement du centre était composé d’appelés. Guy Vattier (né en 1939), Français vivant en Algérie, en formation d’éducateur à Moissons nouvelles, arrive à l’association en juin 1957. Il est alors l’un des seuls civils de l’encadrement. Il se rappelle que « l’organisation tenait à la fois du scoutisme, de la rigueur militaire et de l’hébertisme » et rapporte le même engagement de Suzanne Massu, « capable de colères homériques […] travailler pour elle pouvait être éprouvant mais c’était toujours passionnant, motivant, enrichissant » [28][28]Guy VATTIER, « Pendant la bataille d’Alger… une action…. Pour Roland Barthes, critique et ironique, « la générale Massu mène sur le front social une bataille sans répit », elle « a surtout du grand capitaine l’attribut souverain : le calme souriant. Dans ce tranquille sourire du Soldat, que de choses sont signifiées ! » [29][29]Roland BARTHES, « Tricots à domicile », Les Lettres Nouvelles,…

17Après l’épisode du 13 mai 1958 qui ramène le général de Gaulle au pouvoir et entretient l’espoir d’une Algérie française, les Massu s’engagent fortement dans le nouveau projet de société proclamé sur le forum d’Alger, basé sur la « fraternisation » entre les deux communautés [30][30]Suzanne Massu crée alors le Mouvement de solidarité féminine…. L’illustration la plus symbolique et la plus personnelle est le recueil par le couple puis l’adoption de deux enfants qui donnent une grande sœur et un petit frère à sa fille Véronique. Malika est une adolescente arabe de 15 ans qui a fait une proclamation de foi pour l’Algérie française en mai 1958 et qui se trouve pour cela en danger. Rodolphe est un petit garçon kabyle de six ans recueilli en 1958 par un appelé qui, lorsqu’il termine son service en 1959, le confie à l’association. Les Massu recueillent les deux enfants puis les adoptent selon la loi française une fois rentrés en métropole avec eux. Pour Jacques Massu, ces adoptions sont « un exemple de l’intégration telle que nous la concevions et pour laquelle nous combattions » [31][31]Les Massu voulaient montrer l’exemple, afin que se multiplient… ; « ils sont la preuve que l’intégration, celle pour laquelle je me suis toujours battu, était possible et n’était pas une chimère », affirme-t-il encore en 2000. Ces déclarations montrent bien qu’une dimension politique est présente dans l’œuvre sociale et humaniste des Massu : « l’intégration des âmes » des deux communautés dans une Algérie française nouvelle incarnée d’abord par les enfants. Rodolphe Massu confirme que ses parents voulaient donner l’exemple par ces adoptions et qu’ils souhaitaient que « tous les Algériens d’origine musulmane deviennent des Français, à 100 % » [32][32]« Radioscopie », Suzanne Massu, 1971, doc. cit. ; J. MASSU, Le…. C’est d’ailleurs bien le sens des ordonnances du 15 novembre 1958 qui suppriment les deux collèges électoraux et fusionnent les populations de l’Algérie en une seule catégorie de « Français à part entière » [33][33]Alexis SPIRE, « Semblables et pourtant différents. La….

18Le personnel des centres de l’association adhère également à l’exaltation de mai 1958. L’une des commissions mises en place dans le cadre du Comité de salut public (CSP) est consacrée à l’éducation et à la jeunesse, preuve de l’importance qui leur est donnée. Faisant le constat que « 50000 jeunes urbains, pratiquement tous musulmans, sont inemployés » en Algérie, elle propose de renforcer l’action psychologique et de créer un mouvement nommé « Jeunesses françaises » pour « entretenir vivace et maintenir le sentiment de patriotisme et de civisme dont l’ensemble de la jeunesse a fait preuve » lors du 13 mai [34][34]CDHA, fonds Sangline, réunion du groupe de travail…. Mais le docteur Sangline qui participe aux travaux de cette commission est plutôt critique :

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« Ce qu’il faut ce n’est pas une jeunesse qui marche au pas cadencé, c’est une jeunesse qui se stabilise et s’épanouisse, dans un climat de confiance et de fermeté […]. L’action du CSP ne peut prétendre résoudre en quinze jours un problème qui remonte à des dizaines d’années […]. Faire de l’action psychologique, c’est simplement faire vivre correctement. Le baratin n’est pas indispensable ».

20Aujourd’hui, soixante ans après, il affirme que son action n’était pas politique : « Je ne voyais rien sur le plan politique […] je sais que j’ai été plus ou moins exploité dans certains ouvrages parce que j’ai fait quelque chose pour les enfants musulmans ». « La politique m’a enserré de toutes parts, telle une pieuvre gigantesque […] je ne sais si je lui ai échappé entièrement, si l’œuvre que je servais ne l’a pas à son tour servie d’une façon ou d’une autre » [35][35]CDHA, fonds Sangline, comptes rendus des réunions des 3 juin….

21En fait, les dimensions politiques et sociales sont liées en permanence, ne serait-ce qu’en raison des événements. Jacques L. (né en 1932) entre à l’association en décembre 1959. Auparavant, il a été instituteur, étudié les sciences politiques à Bordeaux puis intégré l’école des officiers en Algérie, avant de servir comme sous-lieutenant du bureau départemental de la jeunesse et au cabinet de Massu. Commence alors « la période la plus intense de ma vie », dit-il aujourd’hui, avec « vraiment le sentiment de servir à quelque chose » [36][36]Témoignage de Jacques L., 6 juin 2016, Arcachon (33).. Il est vrai qu’il arrive à l’association au moment où Suzanne Massu doit quitter Alger, le général ayant été rappelé à Paris en janvier 1960 (ce qui constitue une des causes de la « semaine des barricades »). Selon des protagonistes, elle aurait compris très vite que le projet d’une Algérie française était définitivement dépassé, et elle aurait influencé le général pour qu’il prenne ses distances envers les jusqu’au-boutistes [37][37]Témoignage de Marc Désaphy, 7 juin 2016, Gelos (64).. Néanmoins il n’est pas question pour le couple d’abandonner les enfants du Centre de jeunesse : à partir de janvier 1960, c’est de métropole que la présidente de l’AFJ continue à agir. Au-delà de l’évolution de la politique gaullienne en Algérie entre 1958 et 1960 (de l’Algérie française à l’autodétermination), l’association poursuit ses activités.

Parcours d’enfants

22Qui sont les enfants accueillis au Centre de jeunesse ?

23Mohamed est né en 1942. Il va à l’école française en Kabylie mais après le décès de sa mère sa situation est difficile dans une région très troublée. La nuit, des maquisards du FLN viennent le chercher pour couper les routes, le jour, des soldats français l’enrôlent pour les réparer. Il part avec son père pour Alger, mais celui-ci disparaît. Livré à lui-même, il trouve refuge dans une usine qui fabrique des pâtes et en devient en quelque sorte la mascotte. Il fait quelques courses, dort à côté de la chaudière, on l’appelle Frédéric : « Je ne réalisais pas ma misère, pour moi j’étais heureux ». Ensuite, il devient manœuvre maçon. Son grand-père lui amène son petit frère Mokrane (né en 1948) car la vie en Kabylie est trop dangereuse. La nuit ils dorment dans des bains maures où il s’agit d’éviter au maximum la promiscuité avec les adultes : le plus petit dort contre le mur, puis Mohamed, puis un autre ami de leur village – pour se protéger. En janvier 1958, ils sont récupérés au cours d’une des premières maraudes de nuit du docteur Sangline. Mohamed pense tout d’abord que ces soldats vont les tuer, il pense à s’échapper mais il y a son petit frère… Ils sont tous les deux emmenés au Centre de jeunesse. Vu son âge (seize ans), Mohamed travaille pendant la journée, a une chambre indépendante mais va manger au centre où il paie une pension. Plus tard, il s’installe à la cité ouvrière de Maison Carrée. Mokrane, quant à lui, reste au centre : « l’infirmière nous prenait pour ses enfants », se souvient-il. Puis il intègre le nouveau centre de l’AFJ installé à Chéragas pour recevoir les plus jeunes pensionnaires. Il est scolarisé dans une école publique extérieure laïque, avec une heure d’arabe par semaine [38][38]Témoignages de Frédéric F., 22 juillet 2015 et 6 juin 2016, Pau….

24Djemoui, né en 1944, est un enfant touareg originaire du Sud et venu à Alger avec sa mère. À douze ans, il est au marché dès cinq heures du matin, monte les étals, porte les courses, ramasse des légumes pour nourrir la famille. C’est lui qui veut venir au Centre, surtout pour aller à l’école. Malgré la réticence de sa mère – et d’une partie de la population de la Casbah – face à ce centre tenu par des Français et des militaires, il y entre en 1957. Il apprend à lire et écrire, puis la menuiserie avec des appelés et chez deux artisans pieds-noirs. Il se plaît bien au centre car il s’y sent en sécurité, même si la discipline est stricte : le docteur avait un scoubidou, « quand ça n’allait pas, ça valsait ». Il fait entrer son petit frère à Chéragas [39][39]Témoignage de Djemoui D., 22 juillet 2015 et 7 juin 2016, Pau….

25Ahmed, né en 1944, est un des enfants d’une famille d’exploitants agricoles qui possède de la terre – et un tracteur – à Souma, des biens à Alger et à Boufarik. En mars 1959, une tentative de rançonnage par l’ALN se termine par l’assassinat de toute la famille sous les yeux d’Ahmed qui réussit à s’enfuir. Il est recueilli par des harkis et des militaires français pendant plusieurs mois. En septembre 1959, il arrive à « l’école du général Massu », très traumatisé. Il se souvient d’un très bon contact avec Suzanne Massu, de la disparition de son portefeuille avec 1500 francs – jamais retrouvés –, des camions de l’armée qui les emmenaient à la plage, au stade : « On était en vase clos, tout était très organisé » [40][40]Témoignage de Francis R., 22 juillet 2015 et 7 juin 2016, Pau….

26Moussa, né en 1945, fuit à treize ans l’exploitation agricole familiale, non sans emporter le livret de famille. Il travaille à Alger dans un restaurant. Un jour il demande à un tirailleur sénégalais qui garde l’entrée du Centre de jeunesse s’il peut entrer ; le Dr Sangline l’accepte comme pensionnaire. Consultés, ses parents sont d’accord. Il se souvient de Suzanne Massu déguisée en père Noël et distribuant oranges et chocolatines aux enfants du centre ; elle l’appelait : « mon petit animateur », car c’est lui qui faisait chanter l’assistance, notamment la chanson du centre écrite par Guy-Marc Sangline : « Centre de jeunesse sans tourner la tête – Droit sur l’avenir fixe ton regard – Au feu du soir où l’âme se repose – Mais quand l’effort comme un fardeau s’impose – pour le porter sourit sans peur » [41][41]Témoignage de Moussa A.-C., 28 novembre 2016, Pau,….

27Salah, né en 1947, vit en Kabylie, sans parents, tous les deux étant décédés. En 1958, il est recueilli par l’armée et reste un an et demi à vivre en garnison. Surnommé Pipo par les soldats, avec sur le dos une tenue militaire à sa taille, il est un peu la mascotte du régiment. Une assistante sociale le confie au Centre de jeunesse en février 1960 [42][42]Témoignage de Luc A., 22 juillet 2015, Gelos (64) ; « Pipo,….

28Abdelhamid, né en 1948, a une enfance heureuse jusqu’au remariage de sa mère avec un homme qui ne veut pas de lui. Après avoir connu plusieurs situations instables, il erre dans les rues d’Alger puis est amené au centre en octobre 1961. Son rapport à l’autorité est difficile et sa scolarité laborieuse, comme celle de la plupart des pensionnaires du centre [43][43]D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit. et témoignage,….

29Les parcours sont très divers, certains enfants sont orphelins ou sans famille, d’autres en rupture familiale ou délaissés, ils viennent de la Casbah, de Kabylie, du bled, ils font preuve d’une grande méfiance initiale vis-à-vis du centre ou au contraire y viennent dans une démarche volontaire, certains amenés par d’autres enfants ou par des adultes. Mais tous se retrouvent dans le même creuset de l’AFJ dont le but est de les éduquer, de leur donner un avenir, de changer leur vie. Le Centre de jeunesse est un internat complet habilité par l’Assistance publique. Le juge Tonneau y envoie également des enfants « en position d’observation », d’autres enfants y sont placés par la direction des Affaires sanitaires et sociales (DASS) comme pupilles, ce qui permet une prise en charge par les deniers publics. L’AFJ est donc habilitée pour assurer une mission de service public délégué par l’État. Le centre est doté d’une école primaire et de trois ateliers de préformation professionnelle (fer, bois, cuir).

Enjeux forts autour des yaouleds

30L’activité du centre s’inscrit clairement dans le renforcement de l’action sociale et psychologique de l’armée à partir de 1957, notamment par l’intermédiaire des SAS (sections administratives spécialisées) et des SAU (sections administratives urbaines). La formation professionnelle des jeunes est un enjeu décisif, tout comme l’encadrement par le sport, le travail et les loisirs. Il s’agit de ne pas laisser le FLN attirer des adolescents désœuvrés. Selon Christelle Taraud, les yaouleds d’Alger participent à la lutte anticoloniale contre l’armée française notamment en portant des messages du FLN, comme l’illustre le film La bataille d’Alger avec Petit Omar qui subit une véritable « mue du yaouled au contact d’un idéal patriotique » [44][44]C. TARAUD, « Les yaouleds… », art. cit., p. 71. La bataille…. Pour Guy Vattier, qui a fait un stage d’éducateur au centre d’observation de Tlemcen qui prenait en charge des enfants de moins de quinze ans impliqués dans les actions de l’ALN, cette dimension ne pouvait pas être absente des motivations de l’AFJ et de ses cadres.

31Effectivement, l’un des pensionnaires, Mouloud, enfant de la Casbah, arrive au centre à treize ans et demi, menotté, entre deux gendarmes, après avoir été retiré d’un camp de prisonniers de Kabylie. Son frère aîné, engagé dans l’ALN, a été tué les armes à la main. Mouloud quant à lui est l’un des porteurs de messages de Yacef Saâdi. Au Centre, il crache par terre chaque fois qu’il croise le capitaine Sangline en uniforme. Selon Jacques L., les enfants accueillis sont bien politisés, pro-Algérie algérienne, certains pro-FLN. Un discours de neutralité leur est tenu, s’appuyant sur la nécessité sociale de leur prise en charge. L’encadrement est exigeant sur la discipline, la politesse, la franchise. La religion est respectée : les jeunes peuvent prier, faire le ramadan mais ne doivent pas l’imposer aux autres [45][45]Témoignage de Guy-Marc Sangline ; Témoignage de Jacques L..

32Djemoui D. est sûr que des grands – dont il faisait partie – avaient des idées politiques pro-Algérie algérienne mais qu’il n’y a pas eu de passage à l’acte. Selon Daniel Belafekir, les enfants du centre, habillés de vestes bleues – style enfants de troupe – sont considérés comme des traîtres ou des mouchards par les autres enfants lors des sorties et essuient des insultes, des crachats, des jets de pierres [46][46]D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., et témoignage.. Les plus politisés, pro-FLN, acceptaient mal de se faire appeler « enfants de Massu » selon Jacques L. Francis R., pro-Algérie française, se rappelle qu’avec leurs tenues les pensionnaires pouvaient passer les barrages de l’armée et que l’un d’eux, pendant une permission, avait porté des mines pour le FLN. Mohamed est pour une Algérie indépendante ; arrivé au centre, il laisse couler les robinets pensant faire du sabotage. Des tensions existent entre certains pensionnaires, car « il y avait de tout dans ce centre » ; « il n’y avait pas que des moutons » [47][47]Témoignage de Guy-Marc Sangline..

33Selon Germaine Tillion, pendant la bataille d’Alger, « à partir de mai 1957, les enfants musulmans manifestaient ouvertement leur joie, dans la rue, au passage d’une ambulance ». Répondant à la question « Vous êtes invisible, que faites-vous ? », la majorité des 32 élèves d’une classe, garçons de dix à quatorze ans, manifestent massivement leur envie de prendre les armes et de tuer des militaires français [48][48]G. TILLION, Combats de guerre et de paix, Paris, Seuil, 2007,…. C’est une tout autre vision de l’engagement de ces enfants que reflète l’épisode de « la motion des yaouleds » présentée à Jacques Soustelle le 24 mai 1958 dans le contexte de l’exaltation de la « fraternisation ». Le texte a été rédigé par G.-M. Sangline, recopié par un enfant et signé par une cinquantaine d’entre eux. Après avoir rendu hommage à leurs bienfaiteurs, les yaouleds affirment : « Nous voulons être de bons Français dans une Algérie qui, au milieu de la joie, n’oublie pas ses misères » [49][49]CDHA, fonds Sangline. Motion des yaouleds.. Si le Dr Sangline ne fait pas de politique, cela y ressemble fort.

34Hormis le Centre de jeunesse de la rue Koechlin et celui de Chéragas, l’AFJ gère également, avec l’armée et une SAU, deux Foyers de jeunesse à Bab El Oued. Le premier ouvre en février 1958 dans une ancienne droguerie désaffectée. Conçu pour 36 jeunes de moins de seize ans et ouvert de sept heures du soir à sept heures du matin, il propose un hébergement de nuit, les « activités » des yaouleds restant libres pendant la journée. L’objectif affiché est de les « apprivoiser » petit à petit. Les photographies du foyer prises par l’armée montrent une grande salle avec des lits et une grande table, la distribution du repas pour une quarantaine d’enfants de six à treize ans dans des quarts et des gamelles de l’armée, un confort spartiate mais sécurisant [50][50]Établissement de communication et de production audiovisuelle…. Le foyer permet d’opérer un triage des enfants et de les orienter, s’ils le veulent, vers l’internat du Centre de jeunesse ou une autre forme de prise en charge.

35Selon ses promoteurs, le foyer fait la preuve que les 300 à 500 yaouleds en état de vagabondage « qui ne peuvent gouverner seuls leur existence […] peuvent être progressivement repris en main et recasés ». En effet, « le jeune arabe est impulsif et manque d’auto-frein. Son travail et son placement nécessitent d’être attentivement, constamment suivis avec patience et fermeté », mais « soumis à une discipline rudoyante et affectueuse, le jeune arabe s’y plie volontiers ». Certes les frais engagés sont importants (200 francs par jour et par enfant), mais bien moins élevés que les dégâts dus à l’alcoolisme ou à la rébellion [51][51]CDHA, fonds Sangline, rapport du 3 juin 1958, compte rendu,…. Un bilan établi en juillet 1959 fait état de 324 jeunes accueillis depuis l’ouverture. Si 120 d’entre eux ont disparu, 204 ont été réorientés ou placés. Il est constaté que

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« les exploiteurs, patrons de petits métiers divers, ont perdu leur clientèle juvénile […] les expéditions nocturnes dans les bains maures de la Casbah, dans les ruines, ont continué et il devient de plus en plus rare d’y trouver des enfants vagabonds, à la suite des nombreux avertissements donnés » [52][52]AJIR, CA et AG AFJ, 11 juillet 1959..

37De 1957 à 1962, les différents établissements de l’AFJ accueillent plus de 800 enfants, sans compter les séances de cinéma du jeudi qui en attirent ponctuellement d’autres encore. L’action de l’association est donc efficace, mais le soutien des militaires dont elle bénéficie pose la question du rôle social de l’armée et des motivations de l’encadrement.

38Andrée Dore-Audibert souligne « l’ambiguïté permanente de l’action sociale en temps de guerre [...] ambiguïté également du rôle joué par Mme Massu [et] ambiguïté d’un travail social animé par des non-professionnels » [53][53]A. DORE-AUDIBERT, Des Françaises d’Algérie…, op. cit., p. 74.. Roland Barthes, qui n’évoque que les actions en faveur des femmes, assène :

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« le Général et la Générale, par une saine division des fonctions, peuvent prendre en charge les aspects complémentaires du problème algérien : en tant qu’homme, le Général fait la guerre, il réduit le fellagha ; en tant que femme, la Générale reconstruit, rallie les populations féminines en les faisant tricoter » [54][54]R. BARTHES, « Tricots… », art. cit..

40Le Dr Sangline, qui se présente comme catholique, évoque les réserves de l’abbé Jean Scotto (1913-1993), curé de Bab El Oued et l’un des libéraux chrétiens progressistes opposés à l’Algérie française [55][55]Il sera évêque de Constantine et d’Hippone de 1970 à 1983 :…. Les pères blancs et des responsables du scoutisme d’Alger manifestent également leurs réticences face à l’étiquette « Massu » qui colle à l’AFJ. Un jeune vicaire de la Mission catholique de France assène au capitaine Sangline : « Après tout vous n’êtes qu’un militaire, vous êtes payé par l’armée pour faire le boulot de l’armée. On ne s’occupe pas de gosses quand on continue à tuer leurs parents derrière leur dos » [56][56]G.-M. SANGLINE, « Mes enfants… », doc. cit., p. 70-71.. Ce qui est paraphrasé par les acteurs d’Alger Républicain quand ils évoquent les Massu :

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« les méchantes langues pourront dire que le couple se répartit judicieusement le travail : au général le soin de fournir des orphelins en faisant disparaître les parents à coups de ratissages et de “corvées de bois” et à sa charitable épouse celui de les recueillir. Ainsi gagnent-ils l’un et l’autre leur part de gloire et de paradis » [57][57]B. KHALFA, H. ALLEG, A. BENZINE, La grande aventure…, op. cit.,….

42Jacques L. identifie bien une « ambivalence ». Il décrit une Suzanne Massu « très tournée vers les autres », « une femme de cœur, ayant une éthique et une spiritualité » ; mais elle est aussi mariée à un général, lui-même personnalité complexe, qui fait la guerre, est médiatisé, est dénoncé comme couvrant la torture, est catholique – et se présente comme tel – et soutient les œuvres sociales de son épouse. Pour Jacques L., le Centre de jeunesse, dépendant de l’armée, était bien à visée sociale. En tant qu’ancien directeur et ancien officier, il ne veut pas y voir d’enjeu militaire ou politique mais seulement une nécessité sociale, celle de prendre en charge « des enfants de demi-droit français, mais pas de seconde zone ». Ses motivations personnelles politico-philosophiques le poussent vers « une Algérie française équilibrée » dans la perspective d’une évolution positive et non pas pour perpétuer l’ordre établi. La guerre ayant été gagnée militairement, il estime qu’il y avait la possibilité de faire autrement que ce qui s’est passé [58][58]Témoignage de Jacques L..

ÉDUQUER DES JEUNES ET FORMER DES CITOYENS EN BÉARN

La translation en métropole des enfants et de l’association

43L’AFJ organise pour ses pensionnaires des colonies de vacances dans le sud-ouest de la France. Cette forme de découverte de la métropole, qui permet aux enfants musulmans d’Algérie de vivre une expérience unique, est alors très répandue, notamment dans le cadre des jumelages entre départements français et arrondissements d’Algérie [59][59]Y. DENÉCHÈRE, « Politique et humanitaire… », art. cit.. Ainsi, en 1958 et 1959, avec le concours de l’armée, l’association envoie en colonie une centaine d’enfants à Pau (caserne Bernadotte), puis en 1960 et 1961 à Moumour à côté d’Oloron-Sainte-Marie, également dans les Basses-Pyrénées (devenues Pyrénées-Atlantiques en 1969). Pour soutenir cette entreprise, un Comité palois pour l’enfance algérienne est créé en 1958 par Louis Sallenave, maire de Pau de 1947 à 1971 [60][60]Louis SALLENAVE, Souvenirs d’un maire de Béarn, Pau,…. « L’âme » de ce comité est le docteur Simian qui est d’origine kabyle [61][61]AJIR, CA AFJ, 28 octobre 1965.. L’association, qui rassemble des Palois de toutes sensibilités, organise avec les curés de la ville l’accueil des enfants dans des familles lors des fins de semaine. Pour Michel F., le but de ces colonies était sûrement de découvrir la France, d’apprendre le français, de s’habituer à la vie française. Une dizaine de familles le réclamaient car il était l’un des plus petits. Selon lui c’étaient des familles des classes moyennes, comme la famille A. qu’il choisit : « parrain A. était assureur, marraine à la maison ». Djemoui D. est accueilli par une famille qui tient un bar et est pro-Algérie française, lui est pro-FLN, ce qui n’empêche pas des relations de confiance et d’amitié avec les deux fils de la famille. Les comptes rendus de ces colonies, qui se terminent immanquablement par un méchoui [62][62]INA, « Madame Massu à Pau », 1958, 2 min., insistent tous sur les excellentes relations entre les enfants et la population locale.

44Les événements de l’année 1961 en Algérie (référendum sur l’autodétermination en janvier, putsch des généraux en avril, début du retrait des troupes françaises en juillet) font beaucoup réfléchir les responsables de l’AFJ car le projet d’une Algérie française est définitivement caduc. Jacques L., qui devient directeur général en mai 1961 à la suite du départ du capitaine Sangline, se souvient d’une année très difficile, la sécurité physique des enfants devenant la priorité absolue. Les déplacements sont interdits sauf ceux des apprentis pour aller chez leurs patrons, balisés et « sécurisés » en faisant passer des messages à l’OAS et au FLN. Mais cela n’empêche pas des bavures : n’ayant prévenu personne de leur sortie, un moniteur et un enfant sont tués par l’OAS à un poste à essence ; un moniteur est enlevé par le FLN et ne réapparaîtra jamais. Même si de part et d’autre existe une certaine reconnaissance du travail fait par l’association, celle-ci se retrouve au centre des affrontements et sa situation devient intenable.

45En septembre 1961, une décision grave est prise : « loin de l’incendie de leur Algérie, les plus petits, après la colonie de vacances de Moumour, ne sont pas repartis. Tout leur a été ainsi épargné », écrit Suzanne Massu. Ces enfants restent donc en métropole « dans l’illusion de vacances prolongées plutôt que l’exil » [63][63]AJIR, CA AFJ, 25 novembre 1962, déclaration de Suzanne Massu.. Mais il y a aussi des plus grands, Michel F. se souvient qu’ils avaient le choix entre rester ou retourner en Algérie. Un de ses copains repart car sa mère l’attend à Alger. La séparation est déchirante entre les enfants dont certains vivent depuis plusieurs années ensemble. Selon Moussa A.-C, il y avait beaucoup de pleurs et de cris. Dans les mois qui suivent, le groupe d’Alger et celui de Moumour s’échangent des cassettes de chants qu’ils enregistrent les uns pour les autres, afin de maintenir un lien. L’installation en Béarn est laborieuse malgré la mobilisation du comité palois. En décembre 1961, l’AFJ prend en charge 212 enfants dans ses différents centres : 35 à Moumour et 177 à Alger. Le conseil d’administration décide « qu’en cas d’événements graves, il faudra prévoir le repli du maximum d’enfants et de cadres. Le regroupement dans le Sud-Ouest, à Moumour même ou dans la région, est la solution la plus souhaitable » [64][64]AJIR, CA AFJ, 7 décembre 1961.. Cette décision peut être rapprochée de celle de la Fédération des œuvres de l’enfance française en Indochine (FOEFI) qui, à la fin de la guerre d’Indochine, a emmené en métropole des enfants métis, les a éduqués ensemble, afin qu’ils incarnent l’œuvre accomplie par la France en Indochine et qu’ils constituent un trait d’union entre les deux pays, au-delà de la colonisation [65][65]Y. DENÉCHÈRE, « Les “rapatriements” en France des enfants….

46À Alger, après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, Jacques L. organise en avril le transfert en Béarn des enfants avec l’accord du juge Tonneau. Il demande l’avis de leurs parents, en évoquant un fonctionnement en métropole identique à celui d’Alger. Ceux qui acceptent doivent signer une décharge. Selon lui, peu refusent car « ils avaient confiance » [66][66]Témoignage de Jacques L.. En réalité, sur les 177 enfants, « 66 ont été rapatriés, 110 ont été remis à leurs familles, un a été tué par l’OAS » [67][67]AJIR, CA AFJ, rapport moral…. Lorsqu’on lui demande s’il veut partir pour la France, Djemoui D. quitte le centre et ne revient pas, car il souhaite l’indépendance de l’Algérie et vivre dans son pays. Moussa A.-C. et d’autres sont emmenés sans qu’on les prévienne à l’avance, sans explication, sans pouvoir emporter toutes leurs affaires, sans revoir leurs parents et en se demandant si ceux-ci sont bien au courant. Daniel Belafekir, qui fait partie de ce convoi, écrit :

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« Nous n’étions pas obligés d’accepter cette proposition, mais les responsables nous ont tellement incités, tout en nous expliquant que c’était provisoire [...]. Le jour de notre départ, pour rejoindre le port discrètement, nous dûmes traverser la ville dans des camions militaires bâchés pour ne pas éveiller la curiosité des Algérois. Il est évident que cette manœuvre ressemblait plus à un enlèvement qu’à des enfants partant en vacances » [68][68]D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., p. 47-48..

48Les responsables de l’association assument ce transfert en métropole, qu’ils considèrent comme un sauvetage. Ils en sont fiers et vouent une grande reconnaissance au comité palois qui assura leur accueil [69][69]Un rapprochement peut être fait avec l’opération américaine…. En 1971, Suzanne Massu se souvient : « Quand j’ai vu que ça commençait à brûler pas mal en Algérie, les gosses, je les ai gardés, les plus vulnérables » et « un peu avant l’indépendance, j’ai ramené tous ceux que j’ai pu ramener » [70][70]« Radioscopie », Suzanne Massu, 1971, doc. cit..

Des orientations politiques nouvelles

49L’installation en Béarn marque un tournant dans le projet de l’AFJ. Daniel Belafekir a le sentiment que l’encadrement veut les insérer dans la société française, « voire nous franciser, et pourquoi pas nous convertir à la religion catholique ». Le premier film visionné à l’arrivée n’est-il pas Le roi des rois [71][71]Le roi des rois (King of Kings) est un film de Nicholas Ray,… ? Il se pose beaucoup de questions « sur [s]a présence en France, sur [s]on avenir, sur l’éloignement de [s]a famille ». Il est « strictement interdit de parler arabe », sinon c’est le cachot. Il est également interdit de parler de l’Algérie. Les contacts avec les familles des enfants sont dans un premier temps rompus. Selon lui, « le but c’était de faire des citoyens français, exactement ça » [72][72]D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., p. 47-53 et…. Moussa A.-C. se souvient que le directeur incitait quelques-uns à aller à la messe avec lui le dimanche matin. Frédéric F. ressent une ambiance différente à Moumour : « ils ont voulu nous franciser : nous faire boire un peu de vin, ne pas parler arabe ». Son frère Michel lui aussi se rappelle qu’il ne fallait pas parler arabe mais seulement français et « être de bons Français », apprendre la culture, la façon de vivre, « ce qui passait par l’oubli de ce que vous étiez avant [...] c’est dommage, c’était politique ». Pour les cadres, il s’agissait seulement de favoriser « l’intégration en métropole » [73][73]Témoignages de Marc Désaphy et de Jacques L.. Mais cet aller simple pour l’assimilation organisé par l’AFJ renforce nettement la propension biopolitique de la prise en charge des jeunes. On peut y voir une instrumentalisation des enfants dans une entreprise postcoloniale : les yaouleds deviennent les sujets d’un programme raisonné visant à faire d’eux des citoyens français et la preuve vivante qu’une autre voie était possible en Algérie [74][74]Roberto CICCARELLI, « Citoyenneté », in Renata BANDIMARTE et….

50Une autre question s’insère dans le projet de l’association en Béarn. Suzanne Massu rapporte :

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« Je n’ai pas besoin de souligner devant vous combien douloureux est pour nous ce repli, comme il est douloureux, atrocement, à tant de nos compatriotes et amis, de toutes origines ethniques, de toutes confessions. Les mots ne sauraient exprimer notre peine profonde et notre déception » [75][75]AJIR, CA AFJ, 25 novembre 1962..

52Elle fait bien évidemment référence aux pieds-noirs « rapatriés » et aux harkis. Pendant l’été 1962, Jacques L., qui considère l’abandon des supplétifs algériens de l’armée française comme « une forfaiture, un scandale, un crime », visite les camps de harkis – notamment le CARA (Centre d’accueil des rapatriés d’Algérie) de Bias en Lot-et-Garonne – dans lesquels s’entassent des familles dans des conditions très difficiles. Il propose aux parents que leurs enfants soient pris en charge par l’AFJ [76][76]Témoignage de Jacques L.. Ce sont ainsi cinquante nouveaux pensionnaires qui sont accueillis à la rentrée 1962. Ils constituent la deuxième « génération » des enfants dont s’occupe l’association. Les enfants de harkis considèrent généralement qu’ils ont eu de la chance de « sortir de Bias » et d’être pris en charge par l’association [77][77]Témoignages d’Alain F., Youssef M. et Idir S.,…. En novembre 1962, après de multiples mouvements d’enfants (retours dans des familles de harkis, retours à Alger) – car « il est expressément convenu de ne pas garder les enfants réclamés par leurs parents » – l’association s’occupe de 136 enfants et adolescents, élèves ou apprentis, avec un encadrement de 36 personnes dont 22 rapatriés [78][78]AJIR, CA AFJ, rapport moral…. Moussa A.-C. se souvient des enfants répartis en trois colonnes dans la cour du centre : ceux qui doivent rester à Moumour, ceux qui doivent repartir en Algérie et ceux qui ont le choix de faire l’un ou l’autre. Lui est dans le premier groupe, et c’est un drame car, pensant retourner à Alger, il avait acheté un petit cadeau pour sa mère.

53Jacques L. quitte l’association en 1963, Marc Désaphy prend la relève. Ces responsables de l’association indiquent aujourd’hui qu’il s’agissait de « conduire ces jeunes jusqu’à la majorité et puis après on ne savait pas ce qu’on allait faire, on allait se dissoudre ». Tony L. (né en 1942) entre au centre comme éducateur stagiaire en 1963, après son service militaire dans les paras, et s’occupe de ces jeunes venus d’Algérie. L’équipe a bien conscience de leur passé, mais il n’y a pas de prise en charge spécifique de ces enfants. Il se souvient des méthodes brutales d’un directeur venu d’Alger qui « abusait de l’usage du mitard et des gifles » [79][79]Témoignage de Tony L., 7 juin 2016, Pau (64).. Les témoins ont des souvenirs et des appréciations très divers sur les attitudes de l’encadrement des centres dont les deux tiers sont des rapatriés et vivent mal cette situation. Tel directeur de centre est considéré par l’un des anciens pensionnaires comme violent et raciste, un autre estime qu’il a trop poussé la francisation des jeunes, un troisième le considère presque comme un père et lui est très reconnaissant d’avoir fait de lui un homme. Daniel Belafekir estime que certaines punitions ou vexations n’étaient pas connues de Suzanne Massu et que, quelques jours avant ses venues, l’encadrement était soudainement plus aimable [80][80]D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., p. 52..

54Les enfants et adolescents sont hébergés dans trois centres, et d’abord à Moumour où le « château » Planterose est acheté en 1964 et devient le « premier centre permanent de l’Association jeunesse repliée en France » pour l’enseignement technique et professionnel. À Gelos, une villa est achetée en 1964 et à côté est construit un bâtiment inauguré en 1967 en tant que foyer de jeunes. À Montaut, le domaine Saint-Georges est acheté en 1963 mais le projet d’aménagement (300000 francs) se transforme en un gros projet de construction nouvelle (5 millions) dont les bâtiments sont inaugurés également en 1967 [81][81]Témoignage de Marc Désaphy.. Suzanne Massu résume : « En ce qui concerne nos trois centres, l’accouchement s’est bien passé [...]. Il s’agit pour nous maintenant d’élever les enfants ». C’est une autre œuvre qui commence, car en échange des financements publics (ministères des Rapatriés, de la Justice et de l’Éducation nationale), l’association est habilitée et s’engage à accueillir des enfants placés. Ceux-ci constituent le troisième groupe d’enfants pris en charge par l’association après les yaouleds d’Alger et les fils de harkis. Les relations entre les trois groupes sont ténues, en raison des différences d’âge et de parcours de vie ; leurs rapports à Suzanne Massu sont également d’une intensité qui va s’amenuisant. À la fin de 1967, 240 enfants sont pris en charge par l’AFJ [82][82]AJIR, CA AFJ, 10 novembre 1967..

55Ce tournant implique bien sûr une professionnalisation. Après sa formation d’éducateur spécialisé, Tony L. devient en 1966 chef de service à Gelos, directeur adjoint à Montaut, puis directeur à Moumour. Yvan F., éducateur spécialisé, arrive la même année en tant que directeur de Gelos. Il identifie bien un changement majeur à la rentrée 1967, quand arrivent les enfants placés par la DDASS ou sur décision de justice [83][83]Témoignage d’Yvan F., 28 novembre et 13 décembre 2016.. Les enfants de harkis s’interrogent encore aujourd’hui sur le fait d’avoir été mélangés avec les enfants placés [84][84]Témoignages d’Alain F., Youssef M. et Idir S.,…. Michel H. (né en 1957) n’a aucune mémoire de l’Algérie, il vit avec sa famille au camp pour harkis de Bias à partir de 1964. Il entre au centre d’apprentissage de Montaut en 1968 à onze ans ; aujourd’hui il estime qu’il aurait pu être orienté vers un autre établissement. Il a le souvenir « d’avoir quitté un camp pour un autre, plus vert, moins grillagé [...] avec les trois-quarts des autres garçons placés, avec des plaies ouvertes ». Il remarque qu’il y a peu de « petits gris ». Il obtient son certificat d’études puis un CAP de soudeur, car il veut partir loin, dans le pétrole [85][85]Témoignage de Michel H., 3 mai 2016, Paris..

56En 1969, le juge président du tribunal pour enfants de Pau remercie, au nom de tous ses collègues du Sud-Ouest, « les éducateurs et les directeurs pour le travail qu’ils accomplissent dans les trois centres de l’association et de l’aide qu’ils apportent ainsi à l’éducation surveillée ». Et de conclure à l’attention de Suzanne Massu : « Vous avez, Madame la Présidente, une œuvre admirable qui rend des services exceptionnels » [86][86]AJIR, CA AFJ, 14 juin 1969.. Cette œuvre n’a plus grand-chose à voir avec l’association d’Alger ; d’ailleurs, les anciens ne sont plus là et les enfants qui y entrent alors n’ont pas connaissance du passé de l’AFJ.

« Faire des Français », des citoyens comme les autres

57Les enfants recueillis à Alger par l’AFJ grandissent donc en Béarn. Daniel Belafekir rapporte l’étonnement et la méfiance de la part de la population locale regardant les jeunes traverser les villages en file indienne. Il se fait des copains et est accueilli dans leurs familles. Pour lui, les plus racistes étaient les enfants de paysans aisés, pas ceux d’ouvriers. Mokrane commence son apprentissage en plomberie-chauffage en 1962 (à quatorze ans) au CFA d’Oloron et chez un artisan qui l’emmène faire du ski le week-end. Il pratique le judo et ne rencontre pas de racisme, ni d’hostilité. Il quitte le centre de Moumour à vingt ans, pour aller travailler à Paris. Pipo apprend la boulangerie et quitte le centre en 1967, lui aussi à vingt ans. Moussa est placé en apprentissage dans une entreprise d’horticulture même s’il aurait préféré continuer l’école. Tous les apprentis déposent leur paie auprès du directeur du centre qui la place à la banque. Le plus âgé, Frédéric, trouve un travail à Oloron et dort au centre de Moumour où il paie sa pension jusqu’à son départ au service militaire en 1964. Dans des fêtes de village, il y a parfois un peu d’hostilité à cause des filles, l’alcool aidant. Mais les conscrits locaux et ceux du centre organisent des fêtes ensemble. Avant qu’ils aillent au cinéma le dimanche, en donnant aux apprentis l’argent nécessaire prélevé sur leur compte, le directeur du centre leur répète toujours les mêmes consignes : soyez polis, ne parlez pas arabe entre vous, pas de bagarre. Djemoui a un parcours différent. Resté dans l’Algérie indépendante, mais n’y trouvant pas de travail, il demande en 1963 à la famille paloise qu’il connaît s’il peut venir. Arrivé le 15 août, il est au travail chez un artisan menuisier dès le 25. À son arrivée les relations sont difficiles avec les anciens du centre de la rue Koechlin et l’AFJ. Il habite deux ans chez sa famille d’accueil.

58En 1969, face à de problématiques sorties de prise en charge de certains pensionnaires, l’association envisage la création d’un service de sortie à l’essai, pour faciliter intégration des jeunes « trop habitués à l’internat », qui vivent mal un passage dans la vie active sans transition [87][87]AJIR, CA AFJ, 28 novembre 1969.. En effet, après plusieurs années d’accueil dans les centres de l’association, un lien fort s’est créé, sans doute aussi une certaine dépendance qui explique cette difficulté à couper le cordon. Certains anciens viennent même passer leurs vacances dans les centres. D’autres sont plus indépendants. Moussa A.-C. largue les amarres plus tôt, à dix-huit ans. Lorsque le directeur lui dit un jour, comme il le faisait parfois, que s’il n’est pas content il peut partir, il le prend au mot. Ayant passé son permis de conduire en cachette et ayant une voiture, il part motorisé – à la surprise générale.

59En tant que personnes nées avant le 1er janvier 1963 donc relevant du statut civil de droit local au moment de l’indépendance de l’Algérie (3 juillet 1962) et résidant en France, les jeunes ont à faire un choix décisif : retourner en Algérie avec la nationalité algérienne ou continuer à vivre en France après avoir obtenu la nationalité française. La loi stipule qu’une déclaration de reconnaissance de la nationalité française doit être souscrite auprès des autorités avant le 22 mars 1967 [88][88]Simone MASSICOT, « Effets sur la nationalité française de…. Tous racontent une entrevue dans le bureau du directeur et une prise de décision évidente. L’intégration de ces jeunes dans la société française passe également par un certain effacement de leurs origines et de leur identité. Le changement de prénom est présenté par les cadres de l’AFJ comme une nécessité. Abdelhamid accepte Daniel sur sa carte d’identité, mais refuse de changer de nom [89][89]D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., p. 39-41 et…. À vingt-trois ans, Ahmed choisit Francis, pour « se noyer » dans la population. Mokrane devient Michel en 1966 ; selon lui, « presque tout le monde a changé de prénom, volontairement ». Quand il renouvelle sa carte d’identité, trouvant son prénom un peu discriminant, Mohamed (Frédéric) devient Marcel. Bien qu’incité à changer de prénom en prenant la nationalité française, Moussa refuse, « par instinct, parce que c’était le prénom donné par papa et maman, un souvenir d’eux ». Pour le garder, il se déclare même prêt à ne pas devenir Français. Djemoui, qui n’est pas dans le centre mais vit indépendamment à Pau depuis son arrivée, n’a jamais envisagé de changer de prénom. D’ailleurs, il estime que les cadres de l’association « ont fait beaucoup de dégâts de ce côté-là », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas respecté l’identité des jeunes. Il pense qu’un directeur de centre les a poussés à la francisation et les a détournés de lui, qui au contraire reste très attaché à sa langue, à sa culture et à sa religion.

60La mission de l’association, ou du moins de sa présidente, ne s’arrête pas avec la sortie des centres. Suivons Suzanne Massu : « J’ai d’autre part suivi de près ceux qui sont partis au service militaire. Vous savez que c’est là l’étape suivante qu’ils cherchent toujours à vivre le plus près de moi » [90][90]AJIR, CA AFJ, 9 juin 1966.. Ahmed refusait le service militaire, se considérant comme orphelin de guerre il estimait pouvoir en être dispensé, mais elle lui conseille de le faire. Daniel lui demande si elle peut le faire muter plus près de Pau, elle refuse. Frédéric tombe malade pendant son service militaire, et reste deux ou trois mois à l’hôpital. Il est ensuite pris en charge par Suzanne Massu et devient serveur chez le général, alors en poste à Metz, pour la suite de son service pendant seize mois. Michel fait son service militaire à Rastadt où il est réformé. Il reste chez les Massu à Baden-Baden pendant un mois ; il y voit le général de Gaulle le 29 mai 1968. Suzanne Massu écrit :

61

« Je suis fière de dire qu’il est extraordinaire de constater à quel point ces garçons réussissent dans la vie militaire et sont appréciés de leurs chefs. C’est pour nous une indication très intéressante. Ces garçons sont très bien notés. Je me suis efforcée et j’y ai réussi jusqu’ici, à les faire employer à l’armée dans leur métier, ce qui fait que le passage du service militaire n’est pas une interruption mais au contraire un progrès ».

62Et de citer deux électriciens, un maçon, et aussi « un sous-officier de carrière qui réussit bien ». En 1979 encore, le général Massu affirme que « la formation donnée dans les centres est de nature à former de bons soldats. Il n’y a certes pas que cela, mais il y a là un point très positif » [91][91]AJIR, CA AFJ, 21 juin 1979.. Michel H. fait son service militaire et s’engage dans l’armée où il gravit les échelons, il deviendra colonel [92][92]Témoignage de Michel H.. À leur libération, presque tous retrouvent un emploi grâce aux administrateurs de l’association et restent fidèles aux centres. Par exemple, revenu à Pau, Frédéric est engagé comme chauffeur par un chef d’entreprise grâce à Marc Désaphy.

63Et voici, selon Suzanne Massu, l’exemple d’une réussite complète en 1965 :

64

« C’est avec une profonde joie que nous avons assisté au mariage du jeune P. L. avec Mademoiselle G. P. Avant la cérémonie nuptiale, la veille en l’église de Jurançon, P. avait choisi la religion catholique. Mon filleul, puisque je dois l’appeler comme le veut notre très Sainte Mère l’Église, a bien sûr quitté le centre pour prendre un petit appartement non loin de celui de ses beaux-parents qui sont affables et hospitaliers. Dans leur maison, ils ne leur tardent plus que d’avoir bientôt le bonheur d’un heureux événement. C’est une belle réussite, pleine et entière sur le plan humain, pour notre association » [93][93]AJIR, CA AFJ, 28 octobre 1965..

65Suzanne Massu conduit plusieurs jeunes à l’autel, « ce qui prouve qu’ils s’étaient convertis et pourtant je n’ai jamais fait la moindre chose pour les y pousser » [94][94]Radioscopie Suzanne Massu, 1971, doc. cit., même si elle revendique et vit fortement sa foi catholique [95][95]Elle invite des militaires et leurs épouses à se rendre à…. En arrivant à Pau, Mohamed et Mokrane n’étaient pas musulmans pratiquants. La famille paloise A. qui les accueille pendant les colonies de vacances puis après 1961 est catholique fervente : le bénédicité est récité avant chaque repas. Frédéric explique : « Ça m’a tellement plu, je voulais faire catholique moi aussi ». Il se fait baptiser vers l’âge de vingt ans, le curé lui choisit le prénom de Noël car il est né le 24 décembre. D’une certaine manière la boucle est bouclée : Mohamed a été appelé Frédéric, sur sa carte d’identité son prénom officiel est Marcel et le curé le baptise Noël en raison d’une date de naissance arbitrairement choisie par le Dr Sangline lors de son admission à l’association à Alger ! Son frère Michel est quant à lui baptisé en 1970 avant son mariage, par le même curé de Pau, grand ami de Madame A. Il explique : « Je vous le dis franchement, je l’ai fait pour ma marraine et mon parrain ». Après être allé plusieurs fois à la messe, Moussa veut se marier à l’église. Il obtient une dispense puis reçoit le baptême ensuite. Ahmed veut aussi se faire baptiser, mais il considère que le curé est raciste et décide de renoncer.

66Suzanne Massu assiste autant qu’elle le peut aux mariages des anciens : deux à l’été 1967 dont celui de Moussa A.-C. [96][96]« Algérie : l’Oloronais Moussa Aït Chaouche se souvient »,…. Frédéric F. rencontre sa future épouse qui est éducatrice dans un foyer de jeunes filles tenu par des religieuses, dans un bal en 1969. Suzanne Massu vient à leur mariage de Baden-Baden, et offre une ménagère en argent. Sud-Ouest mentionne sa venue. Michel F. insiste : Madame Massu, « c’est notre mère à mon frère et à moi ». Elle vient aussi à son mariage en Vendée le 1er mai 1972, la mairie sera exceptionnellement ouverte ce jour-là car Suzanne Massu n’était pas libre un autre jour.

67Tous les premiers pensionnaires d’Alger considèrent Suzanne Massu comme leur mère adoptive et l’ont parfois suivie en Gâtinais. Luc vit trois ans non loin de Conflans-sur-Loing où demeurent les Massu après la retraite du général. Djemma S., recueilli rue Koechlin, est arrivé à Moumour en 1962. À partir de 1969, il travaille chez les Massu qui ont également trouvé un emploi à son épouse. Francis voulait partir en Australie, Suzanne Massu le retient et lui trouve aussi du travail. Il loge un temps chez eux, elle le présente comme son fils dans les magasins de Montargis. Un jour, le général Massu lui indique sans ambages que le projet de l’association était de faire des enfants recueillis « des Français, des citoyens comme les autres » [97][97]Témoignage de Francis R..

68La mort de Suzanne Massu à 70 ans, à la suite d’une maladie douloureuse, marque évidemment un tournant dans l’association. Le conseil d’administration de l’AFJ lui rend hommage :

69

« Elle a su approfondir, sans cesse, sa connaissance des besoins de ces jeunes musulmans, puis ensuite ceux d’une enfance abandonnée et d’une adolescence blessée moralement […]. Envers tous et peut-être particulièrement envers ces jeunes musulmans qui les premiers avaient éveillé sa générosité, Suzanne Massu ne s’est jamais départie d’une affectueuse sollicitude, les suivant et les épaulant dans la vie » [98][98]AJIR, CA AFJ, 12 janvier 1978..

70Tous ses « enfants » ressentent une grande tristesse et une grande perte. Ils sont présents aux Invalides, bien sûr, la plupart venus du Béarn en car. Plusieurs portent son cercueil avec son fils Rodolphe.

71Le général Massu – alors âgé de 70 ans – prend le relais de son épouse en tant que président d’honneur de l’association, titre décerné par une assemblée générale en 1963 pour des raisons rappelées en 1978 : « puisque c’est grâce à sa générosité et à son initiative que l’association avait été lancée ». Il participe aux assemblées générales et aux conseils d’administration au moins une fois par an. Il répond présent quand on a besoin de lui : signer un courrier ou un carton de remerciement, être en représentation lors d’une manifestation. Il s’engage réellement dans le développement de l’héritage de son épouse jusque dans les années 1990 [99][99]Témoignage de Marc Désaphy.. Pour Rodolphe Massu, Jacques et Suzanne Massu étaient animés du même humanisme, du même esprit de faire le bien, de venir en aide aux autres, dans une certaine discrétion.

72Michel F. résume un sentiment général des anciens : « Je ne sais pas ce qu’on serait devenu si Madame Massu n’avait pas ouvert ces centres ». Certes quelques-uns ont mal tourné, notamment à cause de l’alcool, mais les autres estiment le bilan positif et affirment s’être toujours sentis citoyens français, participant à la vie de la nation, votant aux élections. Pour Frédéric F., l’association a mené un projet humaniste doublé d’un projet politique, celui de montrer que l’Algérie française avait un sens. Ils se reconnaissent tous comme « enfants de Madame Massu » et regrettent que les débats sur la torture entachent la personnalité et l’action du général Massu et, par éclaboussure, l’œuvre sociale de son épouse dont ils ont été les bénéficiaires. Dépositaire de la mémoire de l’association, Marc Désaphy les a toujours accompagnés, eux et leurs familles, prolongeant ainsi l’engagement initial.

73La singularité de l’entreprise de l’Association pour la formation de la jeunesse, d’abord à Alger puis en France, doit évidemment beaucoup à la personnalité de sa fondatrice et présidente, à ses valeurs religieuses et philosophiques qui pourraient être rapprochées du personnalisme, et qui considèrent que l’humanisme n’est ni de droite, ni de gauche. Elle est déjà très connue lorsqu’elle se lance dans cette aventure et dispose d’un réseau très dense de relations, qui facilite beaucoup les choses. Critiquée pour ses actions en faveur des femmes musulmanes, elle l’est moins pour son œuvre en faveur des yaouleds. Bien sûr, elle a pu compter sur le soutien sans faille du général, sur tous les plans : financier, opérationnel et politique. Car l’œuvre de l’AFJ s’inscrit dans l’espérance d’une certaine Algérie française, puis après 1962 dans le devoir de poursuivre l’œuvre sociale en faveur de la première génération, celle des yaouleds, et de ne pas abandonner les enfants de harkis. Il s’agit aussi de faire la démonstration, avec ces enfants devenus Français comme autant de preuves incarnées, que cette voie était possible. La mise en pratique de ce projet s’est doublée d’aspects biopolitiques puisqu’il a eu des effets sur des dizaines d’enfants et a orienté de manière décisive leurs existences.

74Quel a été le résultat de cette entreprise ? L’échec de la dimension postcoloniale contraste avec une certaine réussite de l’éducation professionnelle et civique donnée à ces enfants et à ces jeunes. Bien qu’il soit impossible d’avancer des chiffres précis, la plupart d’entre eux sont devenus des « citoyens français comme les autres » ainsi qu’ils aiment se définir. En cela, leurs parcours signalent l’intérêt d’examiner la place et le rôle des jeunes dans les processus de décolonisation comme ils ont été étudiés pour éclairer la construction des empires coloniaux [100][100]David M. POMFRET, Youth and Empire. Trans-colonial Childhoods…. Beaucoup d’autres enfants pris en charge à Alger par l’association sont restés et ont grandi dans l’Algérie indépendante. Que sont-ils devenus ? Quel regard portent-ils sur leur prise en charge et celle de leurs camarades partis en France ? Si pour Francis R., « Madame Massu était la mère de tous ceux qui voulaient être ses enfants », voici une question qui invite à poursuivre la recherche avec l’ambition de tendre toujours davantage vers une histoire à parts égales et équilibrée.

Notes

  • [1]
    Laure BLÉVIS, « Les avatars de la citoyenneté en Algérie coloniale ou les paradoxes d’une catégorisation », Droit et société, 48, 2001, p. 557-580. Seuls les hommes ont le droit de vote.
  • [2]
    Sur la difficulté de l’utilisation des termes : Raphaëlle BRANCHE, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Paris, Seuil, 2005, p. 349-359 ; Benjamin STORA, Les mots de la guerre d’Algérie, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2005, p. 57 ; Aïssa KADRI, « Introduction », in ID. (éd.), Instituteurs et enseignants en Algérie 1945-1975. Histoire et mémoires, Paris, Karthala, 2014, p. 7-18, « Les mots de la colonisation », p. 15-18.
  • [3]
    Ce qui n’est pas sans rappeler les réflexions sur la place des métis en Indochine : Emmanuelle SAADA, Les enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007.
  • [4]
    Renata BANDIMARTE et alii (éd.), Lexique de biopolitique. Les pouvoirs sur la vie [2006], Toulouse, Érès, 2009, notamment Ottavio MARZOCCA, « Biopolitique », ibidem, p. 43-50.
  • [5]
    Centre de documentation historique sur l’Algérie, Aix-en-Provence (désormais CDHA), fonds Sangline, lettre du général Salan, délégué général du Gouvernement et commandant en chef les forces en Algérie aux généraux commandant les corps d’armée, 30 octobre 1958.
  • [6]
    Jacques MASSU, La vraie bataille d’Alger, Paris, Plon, 1971, p. 191.
  • [7]
    Émission radiophonique « Radioscopie », France Inter, avec Suzanne Massu, 1971. Elle avait eu cet enfant avec Jacques Bernheim-Darnetal avec qui elle s’était mariée très jeune. Aucune biographie de Suzanne Massu n’a été écrite. Elle a laissé deux ouvrages sur la Deuxième Guerre mondiale et la guerre d’Indochine : Suzanne MASSU, Quand j’étais Rochambelle, Paris, Grasset, 1969 ; EAD., Un commandant pas comme les autres, Paris, Fayard, 1971.
  • [8]
    Problématiques et pistes de recherche : Stéphane AUDOIN-ROUZEAU (éd.), « Enfances en guerre », numéro spécial de Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, 89, 2006 ; Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », dossiers « Enfances déplacées (I) En situation coloniale », 14, 2012 et « Enfances déplacées (II) En temps de guerre », 15, 2013.
  • [9]
    Yves DENÉCHÈRE, « Politique et humanitaire à l’échelle locale pendant la guerre d’Algérie : jumelages et colonies de vacances dans l’ouest de la France », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 124-2, 2017, p. 145-169.
  • [10]
    Henry D’HUMIÈRES, L’armée française et la jeunesse musulmane. Algérie 1956-1961, Paris, Godefroy de Bouillon, 2002 (l’auteur a été officier en Indochine. Blessé, il a participé à l’action psychologique en Algérie) ; Maurice FAIVRE, L’action sociale de l’armée en faveur des musulmans (1830-2006), Paris, L’Harmattan, 2007 (ce général se défi nit comme « historien de la politique algérienne. Attaché à l’objectivité historique ») ; Marc DÉSAPHY, L’aventure algérienne dans l’ombre du général Massu, Vaux-le-Pénil, Éditéal, 2012 (l’auteur a été un collaborateur de Suzanne Massu et a œuvré au sein de l’AFJ pendant de nombreuses années).
  • [11]
    Bastien SOULÉ, « Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales », Recherches Qualitatives, 27-1, 2007, p. 127-140.
  • [12]
    Les références des entretiens en notes de bas de page indiquent les prénoms actuels des témoins, qui ne sont souvent pas les prénoms de naissance qui eux figurent dans le texte. Pour ne pas alourdir l’appareil critique, ces références ne sont présentées qu’une seule fois, à la première occurrence. L’anonymat des personnes n’ayant pas écrit de livre ou ne figurant pas dans la presse a été respecté.
  • [13]
    Guy-Marc SANGLINE, « Mes enfants des rues d’Alger », cahier manuscrit, 86 p., écrit en 1967 avec cette dédicace : « À Madame Massu, je dédie ce livre, pour le bien qu’elle a fait aux enfants d’Algérie et à la poignée de camarades, hommes et femmes, civils et militaires, Européens et musulmans, avec lesquels nous avons, ensemble, fondus en un seul creuset, réalisé cette œuvre d’amour et de paix ».
  • [14]
    Daniel BELAFEKIR, Guerre d’Algérie. Le traumatisme de mon enfance, Nice, Bénévent, 2009.
  • [15]
    Hélène BLAIS, Claire FREDJ, Sylvie THÉNAULT, « Introduction », in EAED. (éd.), « Désenclaver l’histoire de l’Algérie à la période coloniale », dossier de la Revue d’histoire moderne & contemporaine, 63-2, 2016, p. 7-13 ; R. BRANCHE, S. THÉNAULT (éd.), La France en guerre 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Autrement, 2008.
  • [16]
    Épisode raconté dans plusieurs ouvrages, notamment : J. MASSU, La vraie bataille…, op. cit., p. 192 ; Pierre PELLISSIER, Massu, Paris, Perrin, 2003, p. 234-235.
  • [17]
    Sous l’égide de l’armée, Massu crée les premiers centres de formation de la jeunesse algérienne (CFJA) ; le Service de formation des jeunes en Algérie (SFJA) est lancé en décembre 1958.
  • [18]
    « Donner à tous les enfants des deux populations des chances équivalentes, telle fut l’ambition de base des centres sociaux », écrit en 1992 G. Tillion : Germaine TILLION, À la recherche du vrai et du juste. À propos rompus avec le siècle, éd. Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 2001, p. 249-250. Voir également Fabien SACRISTE, Germaine Tillion, Jacques Berque, Jean Servier et Pierre Bourdieu. Des ethnologues dans la guerre d’indépendance algérienne, Paris, L’Harmattan, 2011.
  • [19]
    Andrée DORE-AUDIBERT, Des Françaises d’Algérie dans la guerre de libération : des oubliées de l’histoire, Paris, Karthala, 1995, p. 65-66.
  • [20]
    J. MASSU, La vraie bataille…, op. cit., p. 192. Massu écrit que le juge Tonneau lui rappelle « le style d’un des héros de Cesbron [dans] Chien perdu sans collier ». Son rôle est rappelé lors de sa mort en 1963 : « C’est lui qui a poussé la présidente à réaliser cette œuvre au début de l’année 1957 », archives de l’Association jeunesse innovation réinsertion, Gelos (désormais AJIR), CA AFJ, 8 juin 1963.
  • [21]
    Témoignage de Suzanne Massu dans M. FAIVRE, L’action sociale…, op. cit., p. 87-88.
  • [22]
    AJIR, assemblée générale constitutive de l’AFJ, 8 avril 1957.
  • [23]
    J. MASSU, La vraie bataille…, op. cit., p. 193. Dirigé depuis 1951 par Henri Alleg (1921-2013), le journal a été interdit en septembre 1955 ; Alleg est arrêté le 12 juin 1957, son livre La question contribue à faire émerger la question de la torture en Algérie pendant la bataille d’Alger. Boualem KHALFA, Henri ALLEG, Abdelhamid BENZINE, La grande aventure d’« Alger républicain », Paris, Messidor, 1987, p. 20.
  • [24]
    Christelle TARAUD, « Les yaouleds : entre marginalisation sociale et sédition politique », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 10, 2008, p. 59-74.
  • [25]
    H. D’HUMIÈRES, L’armée française…, op. cit., p. 153-157, témoignage du Dr Sangline ; M. FAIVRE, L’action sociale…, op. cit., p. 77-85, s’appuie sur des articles de journaux de l’époque ; un récit plus critique dans M. DÉSAPHY, L’aventure algérienne…, op. cit., p. 77-79.
  • [26]
    INA, reportage « Le nouveau chemin de la vie : les yaouleds », Cinq Colonnes à la Une, 8 mai 1959, 11 min. avec les témoignages du Dr Sangline et d’enfants ; « 3000 enfants en marge de la société », Messages d’Algérie, février 1959 ; René Balbaud, journaliste canadien, directeur de l’United Press pour l’Afrique du Nord, accompagne le Dr Sangline et écrit un article publié par Le Figaro : « La Casbah des enfants perdus », 15 juin 1959. Photographies sur le site du CDHA (www.cdha.fr/la-recherche-des-enfants-perdus).
  • [27]
    G.-M. SANGLINE, « Mes enfants… », doc. cit., p. 14.
  • [28]
    Guy VATTIER, « Pendant la bataille d’Alger… une action humanitaire. Hommage à Suzanne Massu, commandeur de la Légion d’honneur », La Cohorte. Revue de la société d’entraide des membres de la Légion d’honneur, 189, août 2007 ; témoignage de Guy Vattier, 31 janvier 2017.
  • [29]
    Roland BARTHES, « Tricots à domicile », Les Lettres Nouvelles, rubrique « Mythologies », 1er avril 1959. Barthes s’appuie sur un article de l’hebdomadaire pro-Algérie française Aux Écoutes daté du 13 mars 1959.
  • [30]
    Suzanne Massu crée alors le Mouvement de solidarité féminine qui structure des actions antérieures. Sur cet engagement, dont l’histoire reste à faire, les critiques d’intellectuels ont été nombreuses, très tôt : R. BARTHES, « Tricots… », art. cit. ; voir également Donald REID, « The worlds of Frantz Fanon’s “L’Algérie se dévoile” », French Studies, 61-4, 2007, p. 460-475.
  • [31]
    Les Massu voulaient montrer l’exemple, afin que se multiplient ces adoptions, ce qui ne se produira pas. Mais le colonel Godard et le commandant Navarro – sous les ordres de Massu – adopteront également un enfant. Certains voient dans ces adoptions la preuve que ces militaires étaient malgré tout animés d’un certain humanisme : « Il est exact que le général Massu et le colonel Godard aient adopté des orphelins musulmans. Imagine-t-on Himmler se faisant le père de deux enfants israélites ? », Gilles PERRAULT, Les parachutistes, Paris, Seuil, 1961, p. 183.
  • [32]
    « Radioscopie », Suzanne Massu, 1971, doc. cit. ; J. MASSU, Le torrent et la digue, Paris, Plon, 1972, p. 117 ; « Entretien avec Jacques Massu », Le Monde, 23 juin 2000 ; témoignage de Rodolphe Massu, 6 juin 2016, Billère (64) ; archives privées.
  • [33]
    Alexis SPIRE, « Semblables et pourtant différents. La citoyenneté paradoxale des “Français musulmans d’Algérie” en métropole », Genèses, 53, 2003, p. 48-68.
  • [34]
    CDHA, fonds Sangline, réunion du groupe de travail « jeunesse », 6 juin 1958.
  • [35]
    CDHA, fonds Sangline, comptes rendus des réunions des 3 juin et 14 novembre 1958 ; témoignage de Guy-Marc Sangline, 22 juin 2016, Cabriès (13) ; G.-M. SANGLINE, « Mes enfants… », doc. cit., p. 57.
  • [36]
    Témoignage de Jacques L., 6 juin 2016, Arcachon (33).
  • [37]
    Témoignage de Marc Désaphy, 7 juin 2016, Gelos (64).
  • [38]
    Témoignages de Frédéric F., 22 juillet 2015 et 6 juin 2016, Pau (64) et de Michel F., 19 avril 2016, Boufféré (85).
  • [39]
    Témoignage de Djemoui D., 22 juillet 2015 et 7 juin 2016, Pau (64).
  • [40]
    Témoignage de Francis R., 22 juillet 2015 et 7 juin 2016, Pau (64).
  • [41]
    Témoignage de Moussa A.-C., 28 novembre 2016, Pau, et 19 décembre 2016.
  • [42]
    Témoignage de Luc A., 22 juillet 2015, Gelos (64) ; « Pipo, l’enfant adopté par les Rapaces », La Dépêche, 6 octobre 2005 ; « Pipo chez les Verts. Une belle histoire », Bulletin de l’Amicale des anciens du 1er RCP, 2005.
  • [43]
    D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit. et témoignage, 3 mai 2016, Colombes (92).
  • [44]
    C. TARAUD, « Les yaouleds… », art. cit., p. 71. La bataille d’Alger, fi lm de Gillo Pontecorvo, 1966, interdit en France à sa sortie. Sur l’engagement des yaouleds marocains : Bruno DE ROTALIER, « Les yaouleds (enfants des rues) de Casablanca et leur participation aux émeutes de décembre 1952 », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 4, 2002, p. 207-222.
  • [45]
    Témoignage de Guy-Marc Sangline ; Témoignage de Jacques L.
  • [46]
    D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., et témoignage.
  • [47]
    Témoignage de Guy-Marc Sangline.
  • [48]
    G. TILLION, Combats de guerre et de paix, Paris, Seuil, 2007, p. 548 et 651-659.
  • [49]
    CDHA, fonds Sangline. Motion des yaouleds.
  • [50]
    Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD, Fort d’Ivry), ALG 58-124, reportage photos du 12 mars 1958, 27 photographies noir et blanc.
  • [51]
    CDHA, fonds Sangline, rapport du 3 juin 1958, compte rendu, sans date, et notes du 14 novembre 1958.
  • [52]
    AJIR, CA et AG AFJ, 11 juillet 1959.
  • [53]
    A. DORE-AUDIBERT, Des Françaises d’Algérie…, op. cit., p. 74.
  • [54]
    R. BARTHES, « Tricots… », art. cit.
  • [55]
    Il sera évêque de Constantine et d’Hippone de 1970 à 1983 : Jean SCOTTO (souvenirs recueillis par Charles Ehlinger), Curé pied-noir, évêque algérien, Paris, Desclée de Brouwer, 1991. Il oriente G.-M. Sangline, qui lui propose ses services, vers le Centre de jeunesse de Suzanne Massu dont il dit : « C’est gentil, c’est plein de bonne volonté ».
  • [56]
    G.-M. SANGLINE, « Mes enfants… », doc. cit., p. 70-71.
  • [57]
    B. KHALFA, H. ALLEG, A. BENZINE, La grande aventure…, op. cit., p. 20.
  • [58]
    Témoignage de Jacques L.
  • [59]
    Y. DENÉCHÈRE, « Politique et humanitaire… », art. cit.
  • [60]
    Louis SALLENAVE, Souvenirs d’un maire de Béarn, Pau, Marrinpouey, 1973. Aucune mention de l’association, ni des colonies, mais un passage sur l’accueil de rapatriés d’Algérie.
  • [61]
    AJIR, CA AFJ, 28 octobre 1965.
  • [62]
    INA, « Madame Massu à Pau », 1958, 2 min.
  • [63]
    AJIR, CA AFJ, 25 novembre 1962, déclaration de Suzanne Massu.
  • [64]
    AJIR, CA AFJ, 7 décembre 1961.
  • [65]
    Y. DENÉCHÈRE, « Les “rapatriements” en France des enfants eurasiens de l’ex-Indochine », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 14, 2012, p. 123-141 ; ID., « Fin d’empire colonial, prise en charge de l’enfance et fabrique de citoyens français. Indochine, Algérie, France (1947-1980) », colloque international « Question sociale et citoyenneté », septembre 2016, Montréal (actes à paraître).
  • [66]
    Témoignage de Jacques L.
  • [67]
    AJIR, CA AFJ, rapport moral du 7 décembre 1961 au 16 novembre 1962.
  • [68]
    D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., p. 47-48.
  • [69]
    Un rapprochement peut être fait avec l’opération américaine babylift qui en 1975 convoya 2000 enfants vietnamiens vers les États-Unis : Y. DENÉCHÈRE, « Babylift (avril 1975) : une opération militaro-humanitaire américaine pour finir la guerre du Viêtnam », Guerres mondiales et conflits contemporains, 252, 2013, p. 131-143.
  • [70]
    « Radioscopie », Suzanne Massu, 1971, doc. cit.
  • [71]
    Le roi des rois (King of Kings) est un film de Nicholas Ray, réalisé en 1961, péplum retraçant la vie de Jésus de Nazareth (170 min.).
  • [72]
    D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., p. 47-53 et témoignage.
  • [73]
    Témoignages de Marc Désaphy et de Jacques L.
  • [74]
    Roberto CICCARELLI, « Citoyenneté », in Renata BANDIMARTE et alii (éd.), Lexique…, op. cit., p. 83-88 ; Anna SIMONE, « Migrations », ibidem, p. 202-206.
  • [75]
    AJIR, CA AFJ, 25 novembre 1962.
  • [76]
    Témoignage de Jacques L.
  • [77]
    Témoignages d’Alain F., Youssef M. et Idir S., 22 juillet 2015 et 28 novembre 2016, Pau.
  • [78]
    AJIR, CA AFJ, rapport moral du 7 décembre 1961 au 16 novembre 1962.
  • [79]
    Témoignage de Tony L., 7 juin 2016, Pau (64).
  • [80]
    D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., p. 52.
  • [81]
    Témoignage de Marc Désaphy.
  • [82]
    AJIR, CA AFJ, 10 novembre 1967.
  • [83]
    Témoignage d’Yvan F., 28 novembre et 13 décembre 2016.
  • [84]
    Témoignages d’Alain F., Youssef M. et Idir S., 22 juillet 2015 et 28 novembre 2016, Pau.
  • [85]
    Témoignage de Michel H., 3 mai 2016, Paris.
  • [86]
    AJIR, CA AFJ, 14 juin 1969.
  • [87]
    AJIR, CA AFJ, 28 novembre 1969.
  • [88]
    Simone MASSICOT, « Effets sur la nationalité française de l’accession à l’indépendance de territoires ayant été sous la souveraineté française », Population, 41-3, 1986, p. 533-546.
  • [89]
    D. BELAFEKIR, Guerre d’Algérie…, op. cit., p. 39-41 et témoignage.
  • [90]
    AJIR, CA AFJ, 9 juin 1966.
  • [91]
    AJIR, CA AFJ, 21 juin 1979.
  • [92]
    Témoignage de Michel H.
  • [93]
    AJIR, CA AFJ, 28 octobre 1965.
  • [94]
    Radioscopie Suzanne Massu, 1971, doc. cit.
  • [95]
    Elle invite des militaires et leurs épouses à se rendre à Lourdes avec elle, en tant que « petite cousine de la sainte-Vierge », témoignage écrit du colonel M., 2002.
  • [96]
    « Algérie : l’Oloronais Moussa Aït Chaouche se souvient », Sud-Ouest, 13 mai 2014.
  • [97]
    Témoignage de Francis R.
  • [98]
    AJIR, CA AFJ, 12 janvier 1978.
  • [99]
    Témoignage de Marc Désaphy.
  • [100]
    David M. POMFRET, Youth and Empire. Trans-colonial Childhoods in British and French Asia, Stanford, Stanford University Press, 2016.
 
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/10/2017
https://doi.org/10.3917/rhmc.643.0125

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Rédigé le 18/06/2023 à 04:41 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

JE ME SOUVIENS

 

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Mahmoud, Halima, Little Omar, and Ali La Pointe in the hideout

 

 

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Description
العربية: إعتقال العربي بن مهيدي (الجزائر, الجزائر) (25 فبراير 1957 ).
English: Arrest of Larbi Ben M'hidi (Algiers, Algeria) (February 25, 1957).
Français : Arrestation de Larbi Ben M'Hidi (Alger, Algérie) (25 février 1957).

 

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« Groupe des six », chefs du FLN. Photo prise juste avant le déclenchement de la Guerre d'Algérie, le 1er novembre 1954 (debout, de gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohamed Boudiaf. Assis : Krim Belkacem à gauche, et Larbi Ben M'Hidi à droite).

 

 

 

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Rédigé le 17/06/2023 à 20:27 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

"LE DÉBUT D'UNE NOUVELLE ÉTAPE": VLADIMIR POUTINE ANNONCE UN RENFORCEMENT DES LIENS AVEC L'ALGÉRIE

 

 

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Le chef d'Etat russe Vladimir Poutine a reçu ce jeudi Abdelmadjid Tebboune, son homologue algérien, pour renforcer leurs relations "stratégiques".
 

L'Algérie reçue en grande pompe à Moscou. Le président russe Vladimir Poutine a exprimé jeudi son souhait de renforcer le "partenariat stratégique" entre Moscou et Alger, en recevant au Kremlin son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune.

"Les relations avec l'Algérie revêtent une importance particulière pour notre pays et sont d'une nature stratégique", a déclaré Vladimir Poutine au début de leur entretien qui était retransmis à la télévision.

 
"A l'issue de nos négociations, nous signerons une déclaration sur l'approfondissement de notre partenariat stratégique, qui marquera le début d'une nouvelle étape dans nos relations", a-t-il ajouté.

RELATIONS PRIVILÉGIÉES DEPUIS LA GUERRE D'ALGÉRIE

Peu avant, le chef de l'Etat russe avait accueilli Abdelmadjid Tebboune en grande pompe sous les ors de la salle de réception Saint-Georges, au Grand palais du Kremlin.

Alger et Moscou entretiennent des relations privilégiées depuis que l'Union soviétique a appuyé les indépendantistes algériens lors de la guerre contre l'ancienne puissance coloniale française (1954-1962).

Aujourd'hui, les échanges commerciaux entre l'Algérie et la Russie avoisinent les trois milliards de dollars et la coopération militaire est active, Moscou étant un important fournisseur d'armement du plus grand pays d'Afrique par sa superficie.

UN PAS DE PLUS POUR LA RUSSIE EN AFRIQUE, AU DÉTRIMENT DE LA FRANCE

Ces deux puissances gazières coopèrent également sur le plan énergétique, Vladimir Poutine affirmant jeudi que la coordination entre les deux pays "contribue à la stabilisation" des prix mondiaux. Depuis le début du conflit en Ukraine, la Russie, désormais isolée en Occident, s'efforce de renforcer ses relations en Asie, en Amérique latine et en Afrique.

La Russie cherche à s'imposer comme le partenaire privilégié de plusieurs Etats en Afrique, parfois au détriment de la France, pays qu'elle renvoie régulièrement à son statut d'ex-puissance coloniale.

Abdelmadjid Tebboune devait également effectuer une visite d'Etat en France en juin mais selon des informations de presse, ce déplacement, initialement prévu en mai, risque d'être de nouveau reporté.

 

 

J.A. avec AFP
Le 15/06/2023 à 15:07
https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/le-debut-d-une-nouvelle-etape-vladimir-poutine-annonce-un-renforcement-des-liens-avec-l-algerie_AN-202306150528.html
 
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ALGÉRIE: AMIRA BOURAOUI, FIGURE DE L’OPPOSITION, EST ARRIVÉE EN FRANCE APRÈS AVOIR FUI LE PAYS

 

Dans "Apolline Matin" ce mercredi sur RMC et RMC Story, Nicolas Poincaré revient sur l’accueil en France d’Amira Bouraoui, opposante au régime algérien, qui a fui le pays via la Tunisie, où elle avait été arrêtée.
 

Amira Bouraoui vient d'être accueillie en France à l’issue d’un parcours qui ressemble à une évasion. C’est l’une des figures de l’opposition au régime algérien. Cette femme de 46 ans, une grande gueule qui n’a pas peur de grand-chose, dit connaître tous les commissariats d’Alger tellement elle a souvent été arrêtée.

Elle était au départ médecin gynécologue, mais elle a été interdite d’exercer à cause de ses activités politiques. Elle s’est alors reconvertie dans le journalisme et tenait une chronique sur Radio M, une web radio très critique envers le pouvoir. Elle a ouvertement critiqué, il y a quelques années, le vieux président Bouteflika, qui voulait se représenter une cinquième fois alors qu’il était mourant.

 

En 2020, Amira Bouraoui a été brièvement emprisonnée et condamnée pour offense à l’islam et atteinte à la personne du président de la République. Surveillée 24 heures sur 24, elle a senti la semaine dernière que cela sentait le roussi pour elle. Et elle a décidé de quitter le pays au plus vite en passant vendredi par la frontière avec la Tunisie.

GROS BRAS DE FER DIPLOMATIQUE

C’est là que les choses ont mal tourné, parce qu’elle n’avait pas le droit de quitter le territoire. Elle a donc utilisé à la frontière son passeport français, puisqu’elle a la double nationalité.

Mais les Tunisiens l’ont arrêtée, pour entrée illégale sur le territoire. Elle a été présentée à un juge qui l’a libérée et qui lui a rendu son passeport. Pourtant, la police tunisienne est passée outre et l'a enlevée à la sortie du bureau du juge et l’a conduite à l’aéroport pour l’extrader vers l’Algérie, où elle risquait gros.

 

 

Nicolas  Poincaré

Le 08/02/2023 à 10:52
 
https://rmc.bfmtv.com/actualites/politique/algerie-amira-bouraoui-figure-de-l-opposition-est-arrivee-en-france-apres-avoir-fui-le-pays_AV-202302080301.html
 
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Rédigé le 17/06/2023 à 16:49 dans Algérie, France, Russie-Ukraine | Lien permanent | Commentaires (0)

Le pari contrarié d'Emmanuel Macron sur l'Algérie

 

Alors que la visite en France du président Tebboune ne cesse d'être reportée, le chef d'Etat algérien est apparu jeudi en Russie pour signer en grande pompe plusieurs accords de «partenariat stratégique».

Emmanuel Macron snobé pour Poutine ? En choisissant d'aller en visite d'État à Moscou plutôt qu'à Paris, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a rappelé combien le pari d'Emmanuel Macron d'un rapprochement avec Alger restait incertain et risqué.

 

La séquence s'annonçait grandiose : le chef de l'État algérien escorté des Invalides à l'Élysée par la Garde Républicaine à cheval, tout un symbole pour un pays en quête de reconnaissance internationale, de surcroît dans l'ex-puissance coloniale.

La visite, programmée d'abord début mai, avait été repoussée à juin, les Algériens craignant que la fête ne soit gâchée par les manifestations du 1er mai contre la réforme des retraites, selon des sources concordantes. Mais Abdelmadjid Tebboune n'a jamais confirmé sa venue, qui devait consacrer l'embellie entre les deux pays après nombre de crises diplomatiques. Les deux parties sont «en discussion pour trouver une date qui puisse convenir», se borne à dire l'Élysée, confirmant ainsi indirectement un nouveau report de la visite.

À lire aussiAlgérie: Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune se réconcilient à nouveau

«C'est le énième épisode des relations tumultueuses et complexes qu'entretiennent Paris et Alger», résume Brahim Oumansour, directeur de l'Observatoire du Maghreb à l'Institut de Relations internationales et Stratégiques (Iris) de Paris. Le président algérien est au final apparu jeudi au Kremlin, signant en grande pompe avec son homologue Vladimir Poutine plusieurs accords visant à approfondir le «partenariat stratégique» bilatéral.

Rente mémorielle

Au-delà de l'amitié affichée par les deux présidents, la relation entre la France et l'Algérie reste empreinte de méfiance, malentendus et non-dits. «Tout cela est quand même très incertain, très aléatoire, très contradictoire», concède une source diplomatique française.

À Alger, le sentiment antifrançais remonte régulièrement à la surface au gré des tensions. Le débat en France sur une éventuelle remise en cause de l'accord migratoire conclu en 1968 avec l'Algérie n'a rien arrangé non plus.

À 18 mois de la présidentielle algérienne, une visite du président Tebboune en France pouvait jouer en sa défaveur, esquisse Brahim Oumansour. Le passif colonial pèse encore très lourd entre les deux pays. Le pouvoir algérien issu de la guerre d'indépendance y puise sa légitimité. Une véritable «rente mémorielle», avait lancé Emmanuel Macron en 2021, suscitant alors l'ire d'Alger.

L'Algérie, candidate à l'entrée dans le club des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), préfère peut-être aussi «éviter toute fausse note avec une visite à Paris», poursuit l'expert de l'IRIS.

Les Brics veulent se positionner comme une alternative à l'ordre mondial dirigé par l'Occident. Puissance régionale rivale du Maroc, Alger ambitionne ainsi de jouer dans la cour des grands.

«Chemin de crête»

La visite à Moscou n'est pas forcément vue d'un mauvais œil à Paris. «L'Algérie est un médiateur, quelqu'un qui peut parler à d'autres auxquels on ne parle pas. Le fait qu'elle parle aux Russes, à la limite c'est tant mieux», estime la source diplomatique. Emmanuel Macron reste en revanche loin de son objectif de réconciliation des mémoires et de relance de la relation franco-algérienne, notamment au plan économique.

En redoublant d'attention pour Alger, il a en outre plombé une relation déjà difficile avec le Maroc. «Le jeu d'équilibre de la France entre les deux pays est plutôt vu comme un double jeu», relève Brahim Oumansour. Rabat et Paris sont en froid depuis des mois, un gel des relations qui s'ancre et perdure (il n'y a toujours pas d'ambassadeur du Maroc en France). À l’origine de cette grave brouille, les restrictions d'octroi des visas visant les ressortissants marocains, une mesure officiellement levée en décembre.

Mais au-delà le Maroc reproche surtout à la France ne pas s'aligner sur les États-Unis et l'Espagne qui ont reconnu la marocanité du territoire disputé du Sahara occidental, considérée comme cause nationale à Rabat. La visite d'État d'Emmanuel Macron au Maroc, promise plusieurs fois, ne cesse aussi d'être reportée. «Il faut trouver le chemin de crête, ce n'est pas facile, mais c'est vraiment la préoccupation du moment, parvenir à relancer nos relations et les remettre sur des bons rails», concède-t-on à Paris.

 
 
 
https://www.lefigaro.fr/international/le-pari-contrarie-d-emmanuel-macron-sur-l-algerie-20230617
 
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Rédigé le 17/06/2023 à 16:11 dans Algérie, France | Lien permanent | Commentaires (0)

Algérie-France, retrouver une mémoire saccagée

 

« Le trauma colonial », de Karima Lazali · Le trauma colonial de la psychanalyste Karima Lazali analyse les effets au présent de la colonisation française en Algérie. Une enquête singulière, publiée à La Découverte en France et aux éditions Koukou en Algérie, qui s’attaque à l’impensé colonial et ses effets psychiques et politiques, plaçant au cœur de son analyse pluridisciplinaire la notion d’effacement.

 

image from orientxxi.infoOpération militaire française en Algérie, 1955.

© Michel Desjardin/Gamma-Rapho (couv. de Le trauma colonial, La Découverte)
 
 
 
Karima Lazali, Le trauma colonial. Une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l’oppression coloniale en Algérie.

 
 

Grâce aux travaux d’historiens ou encore d’écrivains algériens comme Kateb Yacine, Mohammed Dib ou Jean El Mouhoub Amrouche, la psychanalyste Karima Lazali a pu enrichir son analyse débutée en cabinet avec ses patients à Paris et Alger et mettre des mots sur cet « impossible à refouler » colonial qui ne cesse de ressurgir sans être nommé dans les sociétés française et algérienne. Depuis les écrits fondateurs de l’intellectuel et psychiatre anticolonialiste Frantz Fanon, peu de livres ont offert une telle analyse de la colonisation et de ses traces mnésiques et politiques. Son ouvrage, qui s’inscrit dans la filiation des travaux d’Alice Cherki, psychiatre et psychanalyste proche de Fanon, est certainement appelé à devenir une référence.

DANS LES BLANCS DE L’HISTOIRE

Dans la première partie de son livre, Lazali analyse le projet colonial français en Algérie en termes d’« effacement » : elle revient notamment sur l’histoire de la conquête coloniale et la volonté d’annihilation systématique des langues et de l’histoire algériennes.

« L’Algérie était un territoire considéré vierge, sans histoire ni culture. La colonisation s’est employé à détruire l’ordre social et symbolique qui était présent sous couvert de le franciser », résume-t-elle au cours d’un entretien avec Orient XXI. Cette « atteinte coloniale » a été profonde et irréversible : disparition d’un tiers de la population, destruction des généalogies, élimination des tribus, expropriations des terres. C’est cet effacement qui a coexisté avec un extrême marquage des corps et des esprits par le colonial qui a subsisté à la colonisation et reste tu. Karima Lazali préfère utiliser le mot « colonialité » : un état du colonial qui persiste, car il est demeuré impensé.

La colonisation a produit des effacements mémoriels qui ont profondément affecté la psyché des deux populations, française et algérienne, qui se débattent jusqu’à ce jour dans « des blancs de mémoire et de parole ». En Algérie, il est plus difficile qu’en France d’avoir accès aux subjectivités, du fait des nombreuses censures familiales, religieuses et politiques en place. L’analyse de la littérature algérienne, expression d’une sensibilité et intimité profondément atteinte par le colonial, lui permet de déjouer ces censures et de saisir les effets de la colonialité sur les esprits. Mais l’auteure a compris, lors de ses consultations à Paris, que le trauma colonial n’affecte pas que les anciens colonisés.

En France, j’ai réalisé avec le temps que nombre de mes patients avaient de près ou de loin un rapport avec l’Algérie. Ils étaient eux aussi pris dans un “blanc” absolument terrible, et ce sont eux qui m’ont aidé à comprendre que, finalement, il y avait un problème de réception de la colonisation par le politique. Tout est mis en place pour que l’on pense que cette histoire coloniale ne s’adresse qu’aux minorités, anciennement colonisées.

En France, c’est le déni de l’histoire coloniale par le politique qui a produit de l’effacement. Le déni est un « effacement des traces de l’effacement », dit-elle pour montrer le processus de suppression à l’œuvre et l’abîme ainsi créé pour les personnes qui cherchent à comprendre les causes politiques et transgénérationnelles de leur souffrance psychique.

Commentant l’actualité récente au cours de l’entretien, Lazali reconnait l’importance de la reconnaissance historique par le président Emmanuel Macron de l’assassinat de Maurice Audin et le caractère systématique de l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie.

C’est un premier pas vers le fait de reconnaître que les deux populations, européenne et indigène, ont été prises, pas de la même manière, pas avec les mêmes moyens, dans ce système destructeur. Remarquons que les Européens pro-indépendance étaient eux traités comme les Algériens : tortures, exécutions, rejet, silenciation.

Cette reconnaissance est importante pour libérer la parole des personnes prises dans « des blancs de mémoire et de parole ». Cependant, elle souligne le problème du désaveu qui suit souvent la reconnaissance politique, créant ainsi une difficulté à lire l’histoire et à se positionner.

On reconnaît en 1999 que lesdits événements en Algérie étaient une guerre, mais en 2005, on vote une loi sur les bienfaits de la colonisation. Cela crée un brouillage dans le rapport à la mémoire et réinscrit du blanc et de la confusion. Nous avons donc affaire à un début de reconnaissance historique qui se renverse en désaveu. Ce qui maintient inabouti le travail d’élaboration de cette histoire.

UNE FOLIE MÉMORIELLE

Si en France la mémoire de la colonisation est « carencée », l’Algérie souffre elle d’un « excès de mémoire », d’une « folie mémorielle » qui est elle aussi productrice d’effacement. Elle explique à Orient XXI :

À l’indépendance, le souci politique était de sortir de cet effacement — ce n’était pas dit comme ça, c’est moi qui parle d’« effacement ». Le national s’est donné pour mission d’essayer de restaurer l’histoire antérieure à cette destruction de la guerre de conquête coloniale. Tout le monde s’est accordé pour dire qu’il y avait un trou gigantesque dans l’identité et qu’il fallait le combler, le colmater. Ça a été un des grands fourvoiements à l’indépendance. Un trou comme ça, ça ne se comble pas.

Ainsi c’est la volonté, au moment de l’indépendance, d’aller contre l’effacement colonial d’une histoire, de langues, de cultures qui paradoxalement a produit de l’effacement. Cette réhabilitation de l’identité arabe, de la religion de l’islam par le politique algérien a fabriqué une nouvelle identité — et non restauré l’ancienne. Dans son livre, Karima Lazali va jusqu’à parler de « colonisation arabe ».

Ce qui m’a beaucoup étonnée c’est que le politique algérien a fait appel à la colonisation arabe pour traiter de la colonisation française. À partir du moment où je me suis rendu compte de ça, je me suis dit que décidément, on n’en sort pas. Comment se libérer du colonial ?

RÉSURGENCES DU NON-DIT

Comment se libérer ? C’est en exposant les effets dévastateurs de la colonialité en Algérie et en France que Lazali soulève l’urgence de la question. Elle consacre l’un des chapitres de son livre à la « guerre intérieure » des années 1990, opposant islamistes à l’armée algérienne, et ayant causé selon les sources jusqu’à 200 000 morts.

L’auteure analyse cette « guerre intérieure » comme la « résurgence du non-dit de l’effacement ». En citant l’écrivain libanais Amin Maalouf, elle souligne que ce n’est pas l’histoire de l’islam qu’il faut lire pour comprendre la violence des années 1990, mais l’histoire de la colonisation. « En travaillant à Alger, je me suis rendue compte que le projet des islamistes était de purifier la société algérienne des résidus du colonial – c’étaient les mots employés ».

Les islamistes ont tenté d’inventer un autre rapport à l’identité et à l’histoire pour sortir des confiscations coloniales que l’idéologie nationaliste algérienne n’a pas su identifier et réparer. De manière intéressante, Lazali montre que l’islamisme est un moyen de « panser les blessures du colonial » et d’« occuper des identités vidées ». Ainsi, l’établissement de l’état-civil par les autorités coloniales au XIXe siècle a produit une destruction des généalogies et un démantèlement du lien tribal. À l’indépendance, le pouvoir algérien a arabisé des noms qui avaient été francisés pendant la colonisation, au lieu de reconnaitre cette falsification. Pour réparer la figure du père atteint par le colonial, les islamistes ont créé une nouvelle filiation. Ils ne sont plus « fils de » comme le voulait la tradition en Algérie, mais « père de » comme le veut la kunya, le système de nomination importé du Proche-Orient. Dans ce système, c’est Dieu tout-puissant qui est le père des « frères » islamistes, analyse la psychanalyste. Mais là encore, par cette réinvention, les islamistes fabriquent de l’effacement.

En France, il y a également une urgence à penser le colonial et ses effets psychiques et politiques. Les débats à répétition sur la compatibilité de l’islam avec la République, le retour de la qualification de « Français musulman » qui prévalait au début du XXe siècle en Algérie, « la colonialité est un discours en creux en France, mais cette mémoire expulsée de la mémoire collective est bien agissante », souligne-t-elle dans son livre. « En France, l’histoire de la colonisation française de l’Algérie étant peu connue, les liens entre les discours présents et passés ne sont pas établis », « mais celui qui a le texte historique à l’esprit peut établir ces liens ».

Lazali prend l’exemple de la violence djihadiste. L’attentat perpétré par le Franco-Algérien Mohammed Merah a eu lieu le 19 mars, cinquante ans jour pour jour après le cessez-le-feu entre la France et l’Algérie. Elle dit :

J’ai été étonnée de lire un excès de mémoire par la date de l’attentat et une carence de la mémoire en France. Cela me paraissait évident, mais très peu ont fait le lien. Le père de Mohammed Merah était obsédé par la guerre d’Algérie. Il y a une mémoire en jeu dans l’acte, mais on n’arrive pas à faire les liens, car il y a un effacement de l’histoire.

SORTIR DU SILENCE

Si le prisme du colonial ne suffit pas à expliquer l’engagement djihadiste qui est multifactoriel, comme l’a montré le sociologue Farhad Khosrokhavar dans son dernier ouvrage Le nouveau jihad en Occident(Robert Laffont, 2018), la prise en compte du colonial et surtout de l’impensé colonial tel que posé par Lazali donne matière à réflexion. « Il faut sortir du pacte de silence et de blanc instauré par le colonial ». « Car à chaque fois, ce qui s’est inscrit dans le blanc du silence ressurgit dans le sang. »

Comment nommer les effets du colonial au niveau transgénérationnel et du politique ? Lazali souligne notamment le rôle de la littérature et du cinéma produit par cette nouvelle génération en France et en Algérie qui a grandi dans des blancs de mémoire et qui cherche à nommer l’effacement. « Mais cela ne pourra mener à un changement de mentalité que s’il y a une véritable réception et un consentement du politique à rentrer dans cette histoire-là, à cesser de faire croire à sa population que ce n’est que l’histoire des autres », répète-t-elle.

Ses travaux croisent le cheminement d’une génération de jeunes Maghrébins qui cherchent à reconstituer une histoire dont on les a privés, mais dont ils sont les héritiers. En tant que documentariste, je ne peux que témoigner de l’importance de cette démarche de documen-tation et d’expression artistique que j’ai moi-même entreprise en réalisant un film long métrage (actuellement en postproduction) avec mon père, Malek Kellou, cinéaste algérien exilé en France, qui a grandi dans un village devenu camp de regroupement pendant la guerre d’Algérie. Jusqu’à ce qu’il m’offre, un soir de Noël, les premières pages d’un projet de film sur son enfance en Algérie, je me débattais dans des blancs et des silences et ne soupçonnais pas un tel effacement.

 

 

DOROTHÉE MYRIAM KELLOU > 20 DÉCEMBRE 2018

https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/algerie-france-retrouver-une-memoire-saccagee,2818

 

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Rédigé le 17/06/2023 à 15:02 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

France. Les archives cadenassées de la guerre d’Algérie

 

La loi française du 7 Thermidor An II (25 juillet 1794) proclamait que tout citoyen devait pouvoir être informé de ce qui avait été fait en son nom. C’était le début du service public des Archives nationales de France, institution créée quatre ans plus tôt par l’Assemblée constituante. Mais si le principe de cette transparence est officiellement acquis, la raison d’État ne s’en accommode pas facilement. La disparition du militant de l’indépendance algérienne Maurice Audin et la répression meurtrière de la manifestation parisienne du 17 octobre 1961 à l’appel du Front de libération nationale (FLN) constituent deux cas emblématiques d’une rétention à bas bruit des archives.

 

image from lh3.googleusercontent.com
et copier. Elle accède entre autres pièces à un dossier saisi en 1961 chez le colonel Yves Godard, alors en fuite. Godard était l’un des chefs de l’Organisation armée secrète (OAS), organisation terroriste se réclamant de l’Algérie française.

 

En fait, la décision du président n’est pas extraordinaire : la loi française reconnaît que la raison d’État permet de tamponner des documents du sceau « confidentiel », « secret » ou « très secret » afin d’en empêcher la consultation, mais durant cinquante ans seulement.

Que trouve-t-on dans le dossier de Godard, versé aux Archives en 1961 ? En particulier, la thèse officielle pour expliquer la disparition de Maurice Audin étant celle de l’évasion, des documents fabriqués par l’armée pour étayer cette thèse, avec leurs contradictions. Chaque pièce est présentée par le colonel à sa façon, car il a vraisemblablement constitué ce dossier pour se couvrir, et éventuellement servir contre d’autres militaires. C’est ce qu’on voit dans les archives de Godard qui se trouvent en Californie, dénichées en 2011 par Nathalie Funès, journaliste à L’Obs. Dans un brouillon de livre jamais terminé, il attaque Jacques Massu, général responsable de la Bataille d’Alger, mais qui ne l’a pas rejoint dans l’OAS. Il y accuse Gérard Garcet, un proche de Massu, d’avoir exécuté Maurice Audin, ce qui n’apparaît pas dans le dossier conservé par les Archives nationales.

Garcet a évidemment nié les propos de Godard : engagés tous deux dans la répression contre les Algériens, ils ont fait du mensonge l’une de leurs « qualités » professionnelles. Leurs déclarations sont à vérifier, à confronter à d’autres sources.

Rien ne vaut une enquête judiciaire, et les archives contradictoires concernant Maurice Audin ont été rassemblées d’abord en prévision d’une telle investigation, puis à partir de la plainte de Josette Audin, pour homicide volontaire. L’enquête a été menée dans un contexte compliqué. Interrompue à cause des lois d’amnistie, elle a tout de même produit des témoignages écrits conservés aux archives départementales du tribunal concerné, mais pas aux archives nationales.

DOCUMENTS PRIVÉS OU PUBLICS ?

Les archives sont de différents types et se trouvent donc dans divers endroits. Ainsi, les journaux de l’époque se trouvent à la Bibliothèque nationale, et les historiens, comme les journalistes, peuvent y accéder sans délai. Mais l’administration française est productrice d’une grande quantité de paperasses, dont une partie se retrouve dans les archives. L’armée n’échappe pas à cette règle. Le général Paul Aussaresses se plaisait à dire qu’il avait un « manifold », carnet numéroté où chaque page était suivie de trois copies ; jour après jour, il y détaillait ses activités, en gardait une copie, et distribuait les autres à différents destinataires, dont Massu. Il serait étonnant que ces copies n’aient pas été archivées. Mais où les trouver ? Dans les archives d’Aussaresses ou de Massu ? On ne sait pas ce qui peut s’y trouver puisqu’elles sont restées privées, ce qui est assez scandaleux : ces documents sont professionnels et non personnels, ils devraient revenir dans le patrimoine public, comme le proposait dès 1996 un rapport commandé par le gouvernement Juppé :

Les archives produites par les autorités politiques (président de la République, membres du gouvernement ou exécutifs locaux) et par leurs cabinets dans l’exercice de leurs fonctions publiques ont un caractère public, au même titre que celles des responsables de l’administration, de l’armée et de la diplomatie.

Si Aussaresses n’a pas menti, il reste deux exemplaires de ces registres. Reste à savoir où, et s’ils ont été tamponnés « secret » ou non. Si ces papiers n’ont pas été détruits, ils contiennent des éléments précis sur les détenus et les décisions prises à leur encontre : le général Aussaresses a dit qu’il décidait chaque matin avec Massu du sort de chacun, et c’est ce qu’il notait dans son « manifold ».

MAURICE AUDIN ET LA RAISON D’ÉTAT

Dans le cas de Maurice Audin, la consultation des archives nationales n’apporte donc pas grand-chose. Dans les archives de la présidence, celles de l’époque du général de Gaulle, on trouve une note de quatre pages en date du 4 août 1960, et même plusieurs versions successives de cette note, sans doute rédigée à la demande du général, au sujet de cette affaire Audin dont il entend vraisemblablement trop parler à son goût.

Il suffit de lire les pages 3 et 4 de cette note pour comprendre ce qu’est la raison d’État. L’alternative est bien expliquée au président : punir les coupables du meurtre d’Audin, ou faire traîner l’instruction pour ne pas faire porter aux militaires la responsabilité des pouvoirs publics :

Il est donc à prévoir, si l’orientation actuellement donnée à l’instruction est maintenue, que l’affaire Audin va prendre dans les mois à venir une nouvelle ampleur en raison de l’importance des personnalités, politiques ou militaires, dont les noms seront mis en cause à son sujet.

[…]

L’opportunité de cette éventualité doit être appréciée à la lumière de deux ordres de considérations :

1°) En faveur d’un élargissement de l’information et du renvoi de l’affaire devant un tribunal on peut invoquer :

➞ le devoir du Gouvernement, qui ne peut douter qu’Audin ait été victime d’un meurtre, de découvrir les coupables et de les punir ;
➞ l’émotion profonde que ne manquerait pas de susciter, dans de nombreux secteurs de l’opinion, le fait que les circonstances exactes de la mort d’Audin demeurent inconnues et le crime impuni ;
➞ la crainte (qui est celle de M. Michelet) qu’un non-lieu rendu par un juge d’instruction soit imputé aux pressions du pouvoir.

2°) L’idée que l’affaire Audin n’est pas, contrairement à ce que s’acharnent à vouloir démontrer certains milieux, un cas-test et que l’information devrait plutôt être ralentie se justifierait en revanche par les considérations suivantes :

➞ L’affaire Audin s’est produite pendant la « bataille d’Alger » c’est-à-dire à une période d’extrême tension ; il n’est pas moralement équitable de faire supporter à quelques militaires la responsabilité d’actes que les pouvoirs publics connaissaient et toléraient, jugeant que le recours aux pratiques illégales leur causait moins de difficultés qu’une adaptation de la légalité aux circonstances.
➞ Audin, membre du Parti communiste algérien, s’était rendu coupable de faits qui ne méritaient certes pas la peine capitale, mais qui constituaient cependant une collusion avec la rébellion.
➞ les outrances du « Comité Audin » et l’exploitation à laquelle il s’est livré de la disparition de ce jeune professeur pour combattre la politique gouvernementale en Algérie et faire le procès de l’action de l’armée ont profondément sensibilisé les milieux militaires sur cette affaire.

Pas besoin d’archives pour savoir quelle option a été retenue : l’information a été « ralentie ».

UNE PROMESSE DE MACRON NON SUIVIE D’EFFET

Le 13 septembre 2018, le président Emmanuel Macron se rendait chez Josette Audin pour lui remettre une déclaration officielle, publiée sur le site web de l’Élysée. Il y décrit le système dit d’« arrestation-détention » mis en place pendant la guerre d’Algérie : arrestation arbitraire, torture, exécution sommaire. Il y reconnaît que Maurice Audin a été victime de ce système comme beaucoup d’autres, sans pouvoir dire s’il a été assassiné pendant une séance de torture ou exécuté ensuite. Et il y annonce l’ouverture des archives concernant tous les disparus de la guerre d’Algérie. Il précise même qu’il s’agit des disparus civils et militaires, français comme algériens. Le travail pour les archivistes s’annonce colossal : repérer les archives concernées et les mettre à disposition du public.

Un an après, le 20 septembre 2019, lors d’une journée d’étude organisée à l’Assemblée nationale sur le thème « Les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises », Jean-Charles Bedague, du Service interministériel des archives de France (le SIAF) annonçait « pour bientôt » la mise en application des déclarations du président de la République. Quelques jours auparavant, un décret était paru, mais il ne concernait encore que le cas de Maurice Audin. Il fallait juste avoir confiance, un site web de recherches des archives était apparu, qui allait prochainement être alimenté par des contenus.

Or depuis décembre 2019, force est de constater que c’est l’inverse qui s’est produit. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) se fiche des déclarations présidentielles et serre les boulons en réactivant l’article 63 de l’instruction générale interministérielle IGI-1300 prise en 2011, un texte non débattu, supérieur à la loi discutée de 2008 qui disposait que « les documents d’archives publiques sont par principe librement communicables à toute personne qui en fait la demande ». Et ce n’est pas la nouvelle version de l’IG1300, publiée au Journal officiel du 15 novembre, qui changera la donne.

DEUX ARCHIVISTES « PLACARDISÉS »

Du coup, les archives se referment, car les intimidations pèsent concernant leur divulgation : sont ainsi menacés de peines diverses aussi bien les divulgateurs que les archivistes, tous potentiellement accusés de compromission. En 2020, pour renforcer son contrôle, le SGDSN exige que les documents « confidentiel », « secret » et « très secret » soient déclassifiés page par page avant consultation. Un travail titanesque qui décourage toute velléité d’ouvrir ces archives. Et cela pourrait concerner même ce qui a déjà été consulté, voire publié. C’est ce qui justifie les actions menées contre cette IGI-1300 qui est contraire à la loi : tribunes, pétitions, recours en Conseil d’État, provenant d’associations, y compris d’historiens, d’archivistes, et du Collectif secret défense-un enjeu démocratique.

Quant aux archives privées de Josette Audin, elles ont été déposées à la bibliothèque-musée La Contemporaine et peuvent être consultées dès à présent, car le SGDSN n’a pas son mot à dire dans ce cas.

Avec les événements du 17 octobre 1961, la guerre d’Algérie surgit brutalement en France. Ce jour-là à Paris, venus des quartiers populaires à l’initiative du FLN, les Algériens veulent protester pacifiquement contre la répression qui les frappe. Le défilé se transforme en bain de sang, des dizaines de manifestants sont exécutés, leurs corps jetés dans la Seine, sous les ordres du préfet Maurice Papon, celui-là même qui avait appliqué — et même devancé — les ordres de rafler la population juive de Bordeaux à partir de 1942.

Durant des décennies, les archives de cette tuerie ont été verrouillées. L’historien Jean-Luc Einaudi, empêché d’y accéder au prétexte qu’il n’est pas un universitaire, recueille cependant suffisamment d’éléments en dehors des institutions, pour publier La bataille de Paris (Seuil, 1991). En 1999, après son procès pour son rôle dans la collaboration et la déportation des juifs, Maurice Papon attaque Jean-Luc Einaudi en diffamation. Entrent alors en scène les archivistes Brigitte Lainé et Philippe Grand qui, en lanceurs d’alerte, dévoilent les preuves de la tuerie. La première est conservatrice en chef aux Archives de France. Aux Archives de Paris, elle est en charge, avec son collègue et ami Philippe Grand, des archives judiciaires. Et ils ont examiné celles qui vont de septembre à décembre 1961. En février 1999, elle témoigne pour Jean-Luc Einaudi contre le droit de réserve qui lui est imposé : « Dès le mois de septembre, il y a une constante dans la mise en scène de la mort : une majorité de noyés, retrouvés dans la Seine ou les canaux parisiens, les mains liées ou avec des traces de strangulation ou de balles. »

Maurice Papon perd son procès contre Jean-Luc Einaudi, mais les archivistes et l’accès aux archives ne sortent pas indemnes de l’épreuve. Brigitte Lainé et Philippe Grand sont persécutés par leurs supérieurs, rétrogradés, placardisés, interdits d’accès au public, leurs dossiers confisqués. Ils sont rejetés par une partie de leurs collègues, prompts eux aussi à les condamner par voie de pétition auprès de Catherine Trautman, ministre de la culture du gouvernement Jospin (1997-2002).

En mars 2003, le tribunal administratif de Paris reconnaît qu’il y a bien eu des sanctions disciplinaires déguisées contre Brigitte Lainé et Philippe Grand, et annule les notes de service. Un jugement sans effet. En mars 2004, le même tribunal enjoint le maire de Paris d’exécuter le jugement. Sans résultat. L’une après l’autre, les deux archivistes partent à la retraite dans l’indifférence et l’opprobre, pour avoir brisé le « secret » des archives de la guerre d’Algérie. Brigitte Lainé est morte le 2 novembre 2018 sans avoir été officiellement réhabilitée.

LES AUTRES ANGLES MORTS DE L’HISTOIRE RÉCENTE

La guerre d’Algérie n’est pas le seul angle mort des archives en France. Celles de la seconde guerre mondiale, en particulier de la collaboration, sont restées longtemps inaccessibles, jusqu’à la loi de 2008. L’histoire de cette période noire s’écrivait alors hors de France, depuis les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne. Elles sont désormais ouvertes.

Celles de la (dé)colonisation ou de la « Françafrique » restent ultrasensibles. Outre la disparition de Maurice Audin et la tuerie du 17 octobre 1961, la moitié des seize affaires réunies dans le Collectif secret défense- un enjeu démocratique s’y rattachent de près ou de loin : massacre de tirailleurs sénégalais à Thiaroye au Sénégal en 1944 ; massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en mai 1945 ; enlèvement et assassinat de Mehdi Ben Barka le 29 octobre 1965 à Paris ; assassinat d’Henri Curiel le 4 mai 1978 à Paris ; disparition du magistrat Bernard Borrel le 18 octobre 1995 à Djibouti ; rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda au printemps 1994 ; ou encore assassinat des journalistes Ghislaine Dupont et Claude Verlon au Mali, le 2 novembre 2013.

Pour tous ces « dossiers », les historiens, les familles, les juges, les archivistes, engagés dans la recherche de la vérité se heurtent, en dépit des délais en principe raccourcis, au secret défense. Et aux mille et une façons de refuser ou de saboter la communication des documents : archives « caviardées », dans lesquelles des passages entiers sont recouverts d’une épaisse encre noire, les rendant illisibles ; délais de consultation à géométrie variable sans justification ; cotes incorrectes ; dispersion dans diverses administrations ; ou même en se moquant franchement de l’autorité requérante. En 1981, l’un des membres du cabinet de Gaston Defferre, alors ministre de l’intérieur, demande au Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) de lui communiquer le dossier Henri Curiel. Lors d’un premier rendez-vous, il lui est remis une mince chemise de trois feuillets, à peine quelques lignes. Il proteste. Lors de sa deuxième convocation, la pièce où on le fait entrer est pleine à craquer de dossiers non classés, non étiquetés : une forêt impraticable.

Parfois, pourtant, la justice donne ici raison aux plus opiniâtres. Le 12 juin 2020, le Conseil d’État suit le chercheur François Graner dans sa demande d’accès aux archives du président François Mitterrand déposées aux Archives nationales alors qu’il était en fonction, en particulier celles du printemps 1994 lorsqu’a été perpétré le génocide des Tutsis du Rwanda par les Hutus au pouvoir. Mais l’administration a opposé un refus systématique au chercheur. Pour la première fois, la haute cour de justice administrative a décidé que « la protection des secrets de l’État devait être mise en balance avec l’intérêt d’informer le public sur ces événements historiques ». Et que, dans ce cas précis, cet intérêt d’informer était supérieur au secret. Une décision qui fait jurisprudence, ouvrant la voie qui pourrait conduire la France à suivre l’exemple d’autres démocraties. Comme aux États-Unis où le délai de communication des archives gouvernementales fédérales est de dix ans. Il peut même être encore réduit s’il est jugé que la transparence est plus importante pour la démocratie que le secret. C’est ce qui explique que pour comprendre les tenants et les aboutissants de la disparition de leur époux et père, la famille de Maurice Audin a dû faire un détour par les États-Unis.

 

 

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Historienne, journaliste et ex-rédactrice en chef de TV5 Monde.

 

 

PIERRE AUDIN

Fils de Josette et Maurice Audin.

 

SYLVIE BRAIBANT > PIERRE AUDIN > 25 NOVEMBRE 2020

https://orientxxi.info/magazine/france-les-archives-cadenassees-de-la-guerre-d-algerie,4313

 

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Rédigé le 17/06/2023 à 09:21 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

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