La solitude est comme du chocolat. Amère et douce à la fois, elle a l'âpreté de notre condition, tout comme la cocotte de pâques garde trace de la dureté du cacao brut.
Etre seul, c'est parfois être confronté à un insoutenable isolement. Enfermé dans la ronde des pensées, on se heurte aux barreaux du silence, et même un cri dans les montagnes n'est encore que de la solitude. Confiné dans le secret de l'esprit, les sentiments entrent en guerre avec les mots. Plus on parle, plus on rencontre de monde, plus on mesure combien hermétique est la sphère de cette vie-là, dedans. On a beau en livrer des bribes, laisser fuiter quelques scandales, pousser ça et là un soupir, un éclat, ce qu'on rencontre n'est que de l'inconnu, des masques sur d'autres solitudes.
Parfois aussi, être seul est agréable. C'est une ganache vive et poivrée qui explose de saveur quand on la croque. Le silence alors n'est plus l'ennemi, les pensées s'organisent autour d'un flux de paix. Cette solitude-là est créative. On y puise le meilleur de soi, on y trouve de l'esprit, les mots aident les idées et l’esprit range les mots dans un ordre qui avance. Cette solitude là est l'âme du confiseur en nous et s'y plonger, c'est être soi, être chez soi.
Solitude est l'autre nom de la longue randonnée entre ces deux extrêmes. Jamais on n'en perd vraiment le sentier, jamais on ne s'en écarte tout à fait. Jamais on n'est pas seul. La solitude est un compagnon sur l'épaule, le leprechaun capricieux qui a fait de nos âmes sa caverne. Quand on l'oublie, qu’on avance serein, on perd conscience de sa réalité. On se tient dans un entre-deux anesthésiant. On en oublie même son fredonnement persistant, à l'arrière plan de tous nos projets.
On se mélange, on rencontre, on échange, et soudain c'est comme si les solitudes qu'on avait traversées n'étaient que souvenirs. Une réminiscence nous vient de temps à autre, mais on est si confiant… si naïf. On croit pouvoir se maintenir ainsi au sommet de la vague, dans le confort d'une glisse tranquille, où seules quelques éclaboussures bienvenues viendraient nous rafraîchir dans l'enthousiasme des partages.
Il y a des solitaires par choix, des solitaires par hasard, des solitaires contraints. Il y a des gens expressément sociables qui semblent n'avoir jamais fait le détour vers les terres de la solitude. Tout cela est un leurre, sans doute. Tous nous sommes seuls, et nous aménageons cela à notre manière, certains avec de l'opulence, d'autres avec une sorte de culture du vide. Quel que soit l’habillage qu'on ait choisi cependant, on peut partager véritablement quelque chose : ce destin imposé à nos âmes, cette nature. Humains, conscients, nous n'en sommes pas moins seuls d'un bout à l'autre de nos vies. Les innombrables rencontres qui nous enthousiasment et nous occupent tant nous sont alors essentielles en ce qu'elles sont la précieuse barre qui nous équilibre sur le fil. Mais elles n'effacent ni le vide en dessous, ni la folie de la chute, ni l'euphorie du vertige parfois vaincu.
LEÏLA ZHOUR
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