Le quatrième recueil des textes des moines de Tibhirine relate la conversion patiente à l’hospitalité. Fidèle à la tradition cistercienne, la communauté trappiste accueillait les visiteurs dans son hôtellerie. « Priants parmi les priants », en terre d’islam, les moines étaient aussi les hôtes du peuple algérien.
Heureux ceux qui accueillent, vivre l’hospitalité
Moines de Tibhirine
Quatrième recueil des textes des moines de Tibhirine, ce volume est consacré à l’hospitalité, vertu cardinale de la vie monastique et expérience concrète d’une communauté contemplative au cœur d’un pays musulman. C’est ce qu’on retiendra de la lecture de ce nouveau volume de 352 pages qui, à partir de larges extraits, relate la conversion patiente à l’hospitalité.
De fait, présents à Tibhirine depuis leur fondation en 1938, les moines avaient l’impression d’être ceux qui accueillent, obéissant en cela à la Règle de saint Benoît. « Cette communauté monastique, rompue à l’accueil de l’autre (…) a fait la découverte qu’elle était accueillie dans la “maison de l’islam” et qu’elle était appelée à vivre dans la maison de l’autre », explique en introduction dom Thomas Georgeon, abbé de La Trappe et postulateur de la cause des dix-neuf bienheureux martyrs d’Algérie, parmi lesquels les sept moines de l’Atlas. L’hospitalité s’impose comme la porte d’entrée de la rencontre : « Mettre Dieu au cœur de l’hospitalité est tout à fait normal dans la culture musulmane, comme dans la règle monastique », rappelle dans la postface Mgr Claude Rault, évêque émérite du Sahara.
Renversement d’hospitalité, vécue au quotidien, qui bouleverse la vie monastique ordinaire : « Le martyre ne se ramène pas à un acte héroïque, écrit Christian de Chergé, prieur de Tibhirine. Mais il se déploie au quotidien, dans la vie donnée au coude-à-coude et au goutte-à-goutte. » Une expérience vécue avec l’autre, celui du village d’à côté, le visiteur, mais aussi avec le frère moine, qu’il faut chaque jour accueillir tel qu’il est : « Il peut être plus facile d’accueillir des hôtes de passage que de refaire chaque jour l’alliance nouée au sein de la vie commune », ajoute Mgr Rault.
L’hospitalité traverse un demi-siècle de vie monastique
Les textes assemblés sont pour une bonne part signés par Christian de Chergé, complétés de courriers, notes et écrits divers des autres moines. Si l’on s’arrête souvent aux deux années durant lesquelles les frères étaient menacés avant même d’être enlevés et assassinés au printemps 1996, la question de l’hospitalité traverse ici un demi-siècle de vie monastique, comme en témoignent les textes parfois anciens. « Accueille les autres comme tu voudrais être toi-même accueilli… et, tu verras que ça changera, mais c’est long… », écrit le frère Michel Fleury en 1968. La menace n’atténue pas l’accueil de l’autre : « Dans la mesure où nous accueillons le pauvre, le malheureux, avec Amour, nous trouvons Dieu et au-delà de nos angoisses nous lui confions notre vie », écrit Frère Luc en décembre 1994.
« L’hospitalité est un rituel par lequel l’autre est accueilli en tant même qu’autre, et est respecté dans sa différence », commente dom Georgeon. Les moines se nourrissent de la rencontre : « L’autre me concerne. C’est en tant qu’il est autre, étranger, musulman, qu’il est “mon frère”», écrit Christian de Chergé. L’autre qui vient, « l’autre que nous attendons », insiste le prieur de Tibhirine. L’accueil à la porterie, à l’hôtellerie, mais aussi au jardin quand frère Christophe travaille avec des hommes du village, ou au dispensaire alors que frère Luc accueille soixante patients chaque jour… Cette expérience concrète de l’hospitalité est méditée et approfondie avec le Ribât el Salam, ce groupe de partage avec des musulmans soufis.
Comme l’annonce Marie-Dominique Minassian, dans la présentation de l’ouvrage qu’elle a coordonné, « l’hospitalité n’est pas un thème, mais un style de vie que cette communauté a su mettre au centre de son quotidien ». L’hospitalité, comme expression d’une théologie de la rencontre, au cœur de Tibhirine, jusqu’au martyre. « L’espérance est à vivre ensemble, écrit frère Christophe, la veille de leur enlèvement, le 26 mars 1996. On a besoin des autres pour espérer. Ça ne peut pas se vivre tout seul. »
https://www.la-croix.com/Culture/Lhospitalite-selon-moines-Tibhirine-2023-06-28-1201273354
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