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Freddy Schwoerer soldat
Dure épreuve pour un étudiant pas du tout militariste : en 1961, Freddy Schwoerer est appelé en Algérie. Il a 23 ans, termine ses études et vient de se fiancer. Sa vie s’arrête.
Toute sa classe est partie en mai, mais lui a eu droit à quelques semaines de sursis pour passer l’ultime oral de l’Ecole d’Administration des Affaires qu’il a suivie après l’Ecole de commerce1 de Strasbourg. Et ce retard est le début d’une série de coups de chance qui lui permettront de revenir deux ans et demi plus tard en Alsace.Des rencontres heureuses
Départ en avion, seul. Freddy Schwoerer est un homme très sociable, très curieux des autres. A côté de lui, un militaire, qui va déterminer la suite des événements. Ils parlent de la vie, de l’Alsace, de l’Algérie surtout. Le jeune étudiant lui confie qu’il n’a pas fait de PMS2, par refus de l’armée. Mais il est affecté dans l’aviation, peut-être parce qu’il a un frère beaucoup plus âgé qui en faisait partie. « Moi je suis commandant de la base aérienne de Hussein-Dey. Que diriez-vous d’être mon secrétaire ? ». Et à peine arrivé, le voilà assis dans une voiture avec chauffeur à côté du colonel ! Cela lui évitera aussi de participer à des combats pendant toute sa mobilisation en Algérie.
Freddy Schwoerer, Alger 1962 © Freddy SchwoererDes moments intenses
Freddy Schwoerer évoque avec bonheur les bons moments partagés avec ses amis. Les petits-déjeuners joyeux du dimanche, la découverte d’Alger, puis les virées en voiture4 (à Tipasa par exemple, quelle merveille), les sorties à la plage, les dégustations d’huîtres de Sidi-Ferruch, arrosées d’un vin blanc venu directement de France (la solidarité dans l’aviation permet bien des trafics !), les surprises-parties et les présences féminines dans l’armée. Tout cela dans un esprit de partage entre appelés : colocation, achat en commun d’une 4CV Renault d’occasion, et amitié entre aviateurs. « Une vraie mafia », dit-il en souriant. « On bidouillait pour avoir plus de perms, et pour se procurer un tas de bonnes choses à boire ou à manger ». Et dans un pays merveilleux : « L’Algérie aurait dû devenir un Eldorado du tourisme, mieux encore que les Caraïbes. Il y avait tout : la mer, les paysages, l’histoire, le climat, les routes, les chemins de fer, le pétrole. Et tout a été gâché ».
Des huîtres... et même du vin d'Alsace pour Noël 1962 © Freddy Schwoerer
Publicité pour les huîtres de Sidi-Ferruch (à 30 km d'Alger)5Tout cela peut faire oublier, - des décennies plus tard, - le quotidien, moins agréable : les opérations de maintien de l’ordre autour de la base, par exemple, et les moments dramatiques. Lui-même s’est fait tirer dessus, son ami Jean-Daniel Jung, officier de sécurité au port d’Alger, a été marqué par l’attentat du port d’Alger, fomenté par l’OAS le 2 mai 1962 devant le centre de recrutement des travailleurs du port, faisant un nombre de morts difficile à évaluer6. Et l’horreur de la torture : « Sur la base aérienne, un sous-officier français avait été torturé par le FLN. On n’avait qu’une envie, tirer sur les Algériens. Mais il y a eu des abus partout ».
Les relations avec la population
A l’automne 62, après l’indépendance donc, ils pouvaient se promener dans Alger sans craindre les fellaghas : ils redoutaient surtout l’OAS. Des Algériens du FLN, en armes, leur ont proposé de visiter la Casbah : totalement inconscients, ils ont accepté. « Il y avait alors un certain climat de confiance entre l’armée et les Algériens », qui leur a permis de découvrir les ruelles sordides, et une partie de la ville complètement inconnue d’eux jusque-là.
Dans l’armée, il ne pouvait pas en rencontrer : les Algériens étaient dans l’Armée de terre, à sa connaissance il n’y en avait aucun dans l’Armée de l’air. Il ne côtoyait pas les salariés civils, employés dans les cuisines par exemple, ou embauchés ponctuellement pour faire des méchouis. De leur côté, les Pieds-noirs étaient automatiquement mutés en France après l’indépendance.
Les civils européens étaient très divers. Les gros colons n’étaient pas très aimés. Mais tous ont vécu des moments terribles, auxquels il a assisté : l’exode, les queues folles à l’aéroport de Maison-Blanche, l’abandon de tous leurs biens, maisons, voitures… Auraient-ils pu rester ? « Beaucoup d’Algériens avaient de grosses rancunes contre les Français, et les pieds-noirs étaient pris entre deux menaces : celle des Algériens et celle de l’OAS ». Ils sont moins de 200 000 fin 1962. Il en connait, par exemple Jacques Chouillou, administrateur civil au Gouvernement Général de l'Algérie (Direction de l'agriculture), qui a été repris par le gouvernement Ben Bella pour assister le ministre de l’agriculture, militant sans connaissance du sujet (c’était un ancien facteur). Marié à une Alsacienne, il était devenu un ami qui l’a invité plusieurs fois dans sa villa au-dessus d’Alger7. Mais il a dû partir quelque temps après.
Les queues de voitures vers l’aéroport de Maison Blanche : l’exode des pieds-noirs © Freddy SchwoererFreddy Schwoerer a été libéré le 13 janvier 1963. Une date qu’il ne peut oublier car ce jour-là il a décidé de renoncer à ses deux paquets de cigarettes quotidiens ! Il est rentré en bateau avec toute sa classe. C’est le début d’une autre vie. Mais il ne regrette rien car, dit-il, il n’aurait pu faire autrement certaines expériences marquantes : avoir échappé à la mort, par deux fois, mais aussi avoir rencontré des amis extraordinaires.
Des documents pour l’histoire
Son témoignage oral accompagne des documents iconographiques : des photos noir et blanc, qu’il a prises puis développées lui-même, et les films de son ami Jean-Daniel Jung, confiés à MIRA par son frère Franck Jung, Jean-Daniel étant décédé. Freddy ne se souvenait même pas que son ami les avait filmés. Mais en regardant ces images, il a retrouvé intacts bien des souvenirs. MIRA espère que son témoignage contribuera à enrichir l’histoire des relations entre Alsace et Algérie.
Sur la plage d’Aïn-Taïa, au NE d’Alger, avec Jean-Daniel et une amie © Freddy Schwoerer. On retrouve cette scène dans une des séquences du film de Jean-Daniel Jung._______________
1. L’IECS, Institut d’Enseignement Commercial Supérieur créé en 1919
2. Préparation Militaire Supérieure, destinée aux Français bacheliers (ou plus) désireux de devenir officiers
3. https ://tipaza.typepad.fr/mon_weblog/2019/12/guerre-d-algerie-de-cherchell-aux-djebels.html
4. A partir de l’été 1962
5. http://alger-roi.fr/Alger/sidi_ferruch/pages_liees/32_pub_huitres_capomaccio.htm
6. Entre 8 et 200 morts, selon les sources. V. l ’article du quotidien Le Monde, 3 mai 1962 : https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/05/03/alger-l-explosion-d-une-voiture-piegee-fait-de-nombreux-morts-parmi-les-dockers-musulmans-oran-m-fouchet-et-le-general-fourquet-inspectent-le-dispositif-du-maintien-de-l-ordre-tuni_3147590_1819218.html
7. Sur l’histoire de l’installation en Algérie de la famille Chouillou : http://www.cerclealgerianiste.fr/index.php/archives/encyclopedie-algerianiste/territoire/villes-et-villages-d-algerie/constantinois/106-colmar-oued-amizour
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