Simone de Beauvoir, 1954 ©Getty - Photo Researchers5
Avec l'obtention du prix Goncourt, Simone de Beauvoir a atteint son rêve de jeunesse : devenir une grande écrivaine. Mais ce roman dissimule autre chose. Philippe Collin explique qu'en creux, il dessine certains doutes qui, peut-être, agitent Simone de Beauvoir face à la marche de l'Histoire.
Le 6 décembre 1954, le 51ᵉ Goncourt a été décerné aux Mandarins de Simone de Beauvoir. À l'âge de 46 ans, Simone de Beauvoir est une écrivaine reconnue.
Au début des années 1950, Beauvoir et Sartre sont deux intellectuels français très en vue, deux figures majeures de l'existentialisme. Depuis la Libération, ils ont tenté d'inventer une troisième voie. Autrement dit, ni le capitalisme américain, ni les goulags de Staline, donc ni l'impérialisme, ni le communisme.
Et puis, avec la fin du régime stalinien, Beauvoir et Sartre se rapprochent du marxisme. Pour quelles raisons ? Par quel chemin et avec quelles conséquences ? Et surtout, quel regard porte Simone de Beauvoir sur ce choix politique ? C'est ce que vous allez découvrir dans ce nouvel épisode.
Les années 1950, et ses déceptions
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre incarnent un courant philosophique majeur : l'existentialisme. Selon François Noudelmann, c'est une philosophie de l'espoir où chacun est responsable du propre sens de son existence. "L'existence précède l'essence".
En 1952, Beauvoir obtient son permis de conduire, alors que peu de femmes conduisent - surtout dans la bourgeoisie - et elle incarne le courant existentialiste. Le Deuxième Sexe (1949), par exemple, appartient à ce courant d'idées. Et enfin, toujours en 1952, un jeune journaliste diplômé en philosophie entre dans sa vie, Claude Lanzmann. Il va devenir écrivain et cinéaste, réalisateur de Shoah, film choc de 9 heures sur l'extermination des juifs d'Europe par les nazis. Mais en 1952, il n'est qu'une figure mineure du milieu intellectuel et il tombe amoureux de Simone de Beauvoir qui, elle, est surprise.
Lanzmann s'installe chez Beauvoir, à Paris, et ils vivent leur passion amoureuse jusqu'en 1959. Claude Lanzmann fut un jeune résistant communiste en Auvergne sous l'occupation allemande. En 1952, il est resté proche du Parti communiste français, et à ce moment-là de leur vie, ça touche une corde sensible chez Beauvoir et Sartre. François Noudelmann, philosophe, explique que Beauvoir et Sartre ne vont pas prendre de carte au PC mais ils vont soutenir toutes les initiatives non seulement du PCF, mais aussi de l'U.R.S.S. pendant quatre ans. Tout ça s'arrête en 1956 avec l'invasion de la Hongrie par l'U.R.S.S.
En 1955, ils vont se rendre en Chine, invités par le gouvernement chinois de Mao Zedong. Nous sommes alors deux ans après mort de Staline. Le fameux rapport Khrouchtchev, en février 1956, dénonce les crimes de Staline. Donc ils vont en Chine parce qu'il y a "quelque chose de l'ordre de la fuite en avant", selon Danièle Sallenave, écrivaine. Après la Chine de Mao, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre poursuivent leur périple révolutionnaire. Ils atterrissent à Cuba le 20 février 1960. Ils y restent un mois, visitent ce nouveau pays communiste, et passent plusieurs jours avec Fidel Castro et Che Guevara. De "déception en déception", comme elle l'écrira à la fin de sa vie dans Tout compte fait.
L'adhésion au marxisme chez Beauvoir et Sartre doit être éclairée à l'aune du contexte. Après guerre, ils espéraient un monde nouveau et redoutaient surtout une guerre totale. Car on a oublié aujourd'hui qu'à l'époque, la menace nucléaire planait sur le destin de l'humanité. Par ailleurs, leur non engagement dans la résistance face aux nazis a sans doute été un des ressorts de leur tonus radical du côté communiste. Ajoutons aussi, chez l'un comme chez l'autre, un esprit de rébellion face à leur héritage d'une certaine bourgeoisie.
Leur engagement en faveur de l'indépendance de l'Algérie
Dans leur combat politique, Beauvoir et Sartre se sont beaucoup engagés en faveur de l'indépendance de l'Algérie et à la fin des années 1950, ils sont outrés par le recours à la torture et le mensonge d'État.
Au début des années 1960, ils signent le "Manifeste des 121", qui appelle à l'insoumission des appelés français qui doivent partir en Algérie. Dans la nuit du 19 au 20 juillet 1961, l'appartement de Sartre, rue Bonaparte à Paris, est plastiqué. L'explosion est impressionnante, mais les dégâts sont légers. L'attentat n'est pas revendiqué. Sans doute s'agit-il de l'OAS, l'organisation armée secrète qui se bat pour conserver l'Algérie française.
Simone de Beauvoir se mobilise pour l'indépendance de l'Algérie, et elle va s'investir corps et âme dans le procès de Djamila Boupacha. Cette jeune fille de 22 ans, militante du FLN, est accusée d'avoir posé une bombe dans une brasserie, qui a été emprisonnée, mise au secret et qui a subi la torture et le viol par l'armée française. Gisèle Halimi prend en charge son cas. Et Simone de Beauvoir écrit un livre sur cette situation. Et ça va devenir une sorte de symbole des atrocités commises du côté de l'armée française. Djamila Boupacha est amnistiée et libérée dans la foulée des accords d'Evian qui mettent fin à la guerre d'Algérie en mars 1962.
Enfin, durant cette période entre 1955 et 1965, Simone de Beauvoir a aussi entrepris une expérience introspective. En effet, elle s'est mise à écrire ses mémoires en trois volumes qui vont rencontrer un immense succès.
Comment Simone de Beauvoir, grâce au succès de ses mémoires, va devenir une icône de la renaissance du mouvement féministe ? C'est l'horizon du prochain épisode.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/simone-de-beauvoir-itineraire-d-une-jeune-fille-rangee/le-parfum-du-scandale-1949-1952-ep5-9745827
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