Dassault devant un de ses avions qui bombardent la Syrie aujourd'hui. D.R.
Toute la France officielle a rendu hommage et «pleuré» l’industriel de l’armement numéro un et l’ami des présidents, Serge Dassault, mort en 2018. D’Emmanuel Macron à François Hollande, en passant par Manuel Valls, tous les hommes politiques français ont salué la mémoire d’un homme de «conviction» et d’un «grand serviteur de la France».
Or, un bref rappel du parcours de cet homme et du groupe d’aéronautique dont il a hérité suffit pour situer le rôle qu’ils ont joué dans les nombreuses guerres dévastatrices menées par l’armée coloniale française et les destructions. La présence des fameux avions Bloch, entre autres engins de la mort fabriqué par Dassault, durant la guerre d’Algérie en est un exemple édifiant. Il faut savoir que la famille Dassault s’appelait Bloch avant de changer son nom à partir de 1946.
Aussi est-il utile de rappeler que ces engins sortis des usines Dassault ont tué des milliers d’Algériens durant les événements du 8 Mai 1945, avec le bombardement continu des douars et mechtas dans l’Est algérien. Autre «exploit» à ajouter à l’actif de cet industriel et de son empire d’armement : le largage de bombes au napalm, avec 5% d’uranium pour absorber l’oxygène, sur des régions entières de Kabylie et de l’Est algérien, et qui s’est vu multiplier lors de l’opération «Jumelles», où l’état-major de l’armée française a lancé une impressionnante armada composée de 200 000 soldats, appuyée par d’incalculables escadrilles de l’armée de l’air. Ces bombes visaient à achever les combattants de l’ALN sur place puisque, s’ils ne sont pas tués par le feu, mourraient asphyxiés.
Dassault mettait ainsi ses «innovations» au service de l’armée française au moment où celle-ci venait d’obtenir les pleins pouvoirs pour démanteler les maquis algériens et mettre fin à l’«insurrection» par tous les moyens légaux et illégaux.
Les MD 11 et MD 315 de l’armée de l’air française, qui sont généralement des avions d’entraînement à la navigation et au bombardement, ont été engagés lors de la guerre d’Algérie, notamment pour des missions d’attaques armées de mitrailleuses, bombes et roquettes. Quelques exemplaires ont emporté des missiles Nord SS 11, conçus en 1958 et testés en Algérie contre les positions de l’ALN.
Indochine, Algérie : «du bon usage colonial»du napalm
Par Alain Ruscio historien
Être un historien de la guerre dite « française » d'Indochine est parfois un peu lassant... On a trop souvent l'impression de révéler des faits connus, certes, de la (petite) communauté des spécialistes, mais découverts avec stupéfaction par des gens pourtant par ailleurs curieux et même érudits. Il faut donc rappeler, lapalissadement mais inlassablement, qu'avant la guerre d'Algérie (1954-1962), il y eut la guerre d'Indochine (1945-1954), qu'avant le 1er novembre 1954 (Toussaint des Aurès) il y eut... le 7 mai 1954 (choc de Diên Biên Phu). C'est à cette prééminence chronologique, dont les peuples de la région se seraient bien passés, que l'Indochine doit son statut de « laboratoire » de l'Algérie.
Il y a quelques années, avec le débat sur le drame de l'usage de la torture lors de la guerre d'Algérie, nous avons été quelques-uns à rappeler que bien des officiers gégéneurs (nous avons les noms) qui s'étaient tristement illustrés, lors du conflit franco-algérien, avaient fourbi leurs armes sur les rives du Fleuve rouge ou dans la jungle indochinoise. Ce qui ne signifie évidemment pas que l'étendue de cette gangrène fut la même dans les deux conflits.
La sortie du film l'Ennemi intime, de Florent Emilio Siri, sur un scénario de Patrick Rotman, a amené bien des journalistes, bien des observateurs et, bientôt, le grand public, à découvrir avec horreur que le napalm, cette essence gélifiée qui portait la mort enflammée, fut une arme utilisée lors du conflit franco-algérien. Certains ont même ajouté : finalement, nous avions fait la même chose en Algérie que, plus tard, les Américains au Vietnam.
Mais la terre vietnamienne n'a pas attendu les sinistres B52 US pour connaître l'horreur du napalm. Il y a bien longtemps que ses fils avaient reçu cet enfer du ciel, lancé par des avions... français. Prévert, peut-être le premier, avait lancé un cri d'alarme, dès 1953 : « Cependant que très loin on allume des lampions, des lampions au napalm sur de pauvres paillotes et des femmes et des hommes des enfants du Vietnam dorment les yeux grands ouverts sur la terre brûlée... »
Et c'est l'un des héros de la saga militaire française du XXe siècle, le général (fait maréchal à titre posthume) de Lattre qui a été le père de cette utilisation.
Père honteux ? Père caché ? Non pas. De Lattre est nommé commandant en chef du corps expéditionnaire français en Indochine le 6 décembre 1950, au lendemain d'un premier désastre, dit de la RC4 (route Cao Bang-Lang Son), au Nord Tonkin. Ses premières instructions, début janvier 1951, rapportées avec ferveur par Lucien Bodard, sont les suivantes : « Que toute la chasse y soit, que cela mitraille, que cela bombarde. Du napalm, du napalm en masse ; je veux que, tout autour, ça grille les Viets » (on ne disait pas, alors, Vietnamiens, c'eût été trop d'honneur, pour nommer l'adversaire).
Il n'a pas à attendre longtemps. Dès la mi-janvier, un nouveau choc a lieu avec les troupes viêt-minh, près de Vinh Yen, toujours au Tonkin. S'il faut donner une date d'apparition du napalm au Vietnam, c'est donc celle-ci : 15 janvier 1951 (nous sommes donc huit années pleines avant l'intrigue de l'Ennemi intime). Le correspondant du Monde, Charles Favrel, décrit alors le spectacle : « La bataille fait rage. Les King Cobra et les Hélicat rasent les crêtes, et le terrifiant napalm anéantit une brigade ennemie. » Terrifiant : Favrel a utilisé le mot approprié. Il suffit de lire les Mémoires des combattants vietnamiens d'alors, lorsqu'ils découvrirent les effets du napalm, pour en être convaincu.
Là où Favrel a du mal à cacher son horreur, Bodard, toujours lui, ne peut masquer une certaine jubilation : « En quelques secondes, tout est embrasé, tout est léché par une langue de feu ; et puis il ne reste plus que des colonnes d'énormes fumées grasses et noires. Il n'a pas fallu une minute pour que la "chose" brûle la colline entière - et alors je comprends. C'est le napalm. Je viens d'assister à son premier jet, à la première mousson du liquide incandescent en Indochine (...). Maintenant le napalm règne sur tout le paysage - volutes rouges et tourbillons noirs. Là où il y avait la nature, dans sa verdoyance, il ne reste plus que des taches calcinées où plus rien ne brûle, ou même plus rien ne fume - la paix du feu.
Je redescends encore une fois du mirador. Les aviateurs, à leurs micros, clament que les flammes ont couru plus vite que les Viets, elles en ont rattrapé et englouti des centaines, des milliers peut-être. Ils ont vu des hommes s'enfuir et être happés par-derrière - ils continuaient encore à courir quelques mètres, torches vivantes qui s'éteignaient en quelques secondes. »
Dès lors, cet usage ne cessera plus. À chaque fois que le corps expéditionnaire fut en difficulté, et il le fut de plus en plus, le napalm fut l'arme suprême. Jusque et y compris à Diên Biên Phu.
Ce qui n'arrêta évidemment pas le cours des choses. Mais il n'est pas inutile de rappeler à cette France, fière de ses valeurs, fière de son passé colonial, que le feu tricolore tua souvent et marqua bien des peaux indigènes.
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