Le 1er mai 2003, le président George W. Bush annonçait — à tort — que les troupes de son pays avaient accompli leur « mission » en Irak. Pourtant, sur un point au moins, la victoire des États-Unis est réelle vingt ans plus tard : aucune sanction n’a suivi leur agression. Et ceux qui l’ont défendue (journalistes compris) continuent à privilégier la guerre dans les relations internationales.
Les États coupables d’une agression ne sont pas punis de la même façon. Le traité de Versailles (28 juin 1919) fut qualifié de « diktat » imposé par Georges Clemenceau à un pays vaincu, l’Allemagne. Le 22 juin 1940, ayant pris sa revanche, Berlin insista pour que la défaite de la France intervienne en forêt de Compiègne dans le même lieu et le même wagon que ceux où l’Allemagne avait dû signer l’armistice, le 11 novembre 1918. Mieux vaut ne pas perdre son temps à chercher une symétrie des formes aussi absolue dans le cas de l’Irak et des États-Unis, qui, eux aussi, se sont livré deux guerres à intervalle rapproché.
Lors de la première, qui oppose Bagdad aux puissances occidentales, Saddam Hussein est l’agresseur : le 2 août 1990, ses armées occupent un État souverain, le Koweït, l’annexent et en font la dix-neuvième province de son pays. La condamnation internationale de l’Irak est unanime au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU). Il autorise une expédition militaire foudroyante, principalement occidentale, qui contraint les troupes irakiennes à quitter l’émirat après trois semaines de bombardements intensifs et de combats terrestres. L’Irak fait ensuite face à un embargo et à des sanctions impitoyables. Au cours des dix ans qui suivent, plusieurs centaines de milliers de civils, souvent des enfants, en mourront faute d’eau potable et de médicaments.
Même ce calvaire ne suffit pas. Après le 11 septembre 2001, le président George W. Bush décide de s’en prendre à nouveau à ce pays. Cette fois, au prétexte de prévenir d’autres attentats aux États-Unis — ceux qui venaient d’être commis contre le World Trade Center et le Pentagone avaient pourtant eu quinze Saoudiens et aucun Irakien pour auteurs — réalisés avec des « armes de destruction massive ». Il s’agit là d’une invention des services de renseignement américains, aussitôt propagée par la Maison Blanche et les principaux médias occidentaux (le New York Times, The Economist et le Washington Post en tête), sans oublier une majorité de parlementaires (dont M. Joseph Biden, alors sénateur du Delaware), ainsi qu’une poignée d’opposants irakiens en exil.
En mars 2003, sans mandat de l’ONU, avec un prétexte aussi fallacieux que celui mis en avant par la Russie dix-neuf ans plus tard pour envahir son voisin ukrainien, une coalition anglo-américaine de quarante-huit États au total — dont la Pologne, l’Italie, l’Ukraine, l’Espagne, la Géorgie, l’Australie — attaque donc une nouvelle fois l’Irak. Le secrétaire d’État Colin Powell a fait valoir peu avant que, « quel que soit le résultat des négociations au Conseil de sécurité », le président des États-Unis dispose « de l’autorité et du droit d’agir pour défendre le peuple américain et [ses] voisins » (1). Et cinq ans plus tôt, sa prédécesseure démocrate Madeleine Albright avait averti : « Si nous devons recourir à la force, c’est que nous sommes américains. Nous sommes la nation indispensable. Nous nous tenons bien droit. Nous voyons plus loin (2). »
Ni embargo, ni boycott de Coca-Cola
Quand la France et l’Allemagne s’opposent à l’expédition militaire occidentale, le Wall Street Journal, organe des néoconservateurs, leur explique, très agacé, qu’il existe dorénavant deux manières de régler les affaires du monde : « la voie traditionnelle, souvent confuse, du compromis international et du consensus, celle que favorisent souvent les Européens ; et l’autre, moins bureaucratique et plus rapide, que préfère Washington : les États-Unis prennent unilatéralement les décisions les plus importantes et tentent d’assembler des coalitions ensuite (3) ». Mais dans quel dessein exactement ? Le président Bush le résumera solennellement en janvier 2005 : « La politique des États-Unis est d’appuyer les mouvements et les institutions démocratiques dans chaque nation et dans chaque culture, avec pour objectif ultime de mettre fin à la tyrannie dans le monde (4). »
Au moment de cette proclamation délirante, l’Irak est détruit, la guerre américaine se poursuit, plusieurs dizaines de milliers de personnes en ont d’ores et déjà péri, des millions sont réfugiées ou déplacées. Pourtant, la descente aux enfers du pays n’est pas terminée. Elle culminera en 2014 avec la prise de contrôle d’une partie du territoire par l’Organisation de l’État islamique (OEI).
Ce bilan n’étant guère discuté aujourd’hui (exception faite de quelques fanatiques) et l’illégalité de la guerre déclenchée par les États-Unis pas davantage, quelles sanctions ont découlé d’une telle avalanche de calamités et d’une violation aussi absolue du droit international ? Aucune. Ni embargo, ni gel des avoirs, ni exigence de réparations, ni procédure de la Cour pénale internationale (lire « Qui fabrique le droit international ? »), ni fermeture des McDonald’s, ni boycott de Coca-Cola… Non seulement nul ne réclame quoi que ce soit de ce genre, mais c’est le souci inverse qui prévaut sitôt Bagdad tombé en avril 2003. Chacun cherche alors à apaiser le courroux de l’agresseur, qui, scandalisé que deux de ses alliés européens l’aient désavoué, entend, selon une formule fameuse attribuée à Mme Condoleezza Rice, alors conseillère pour la sécurité nationale du président Bush, « punir la France, ignorer l’Allemagne et pardonner à la Russie ».
Punir la France… Conseiller diplomatique à l’Élysée de 2002 à 2007, M. Maurice Gourdault-Montagne relate que, quand il rencontre à Washington M. Paul Wolfowitz, ministre adjoint de la défense américain, quelques semaines avant le déclenchement de la guerre, « ce fut sans conteste l’un des moments les plus désagréables de ma longue carrière diplomatique. (…) Tout dans son attitude, son regard, ses gestes, son doigt pointé sur moi, soulignait le peu d’estime qu’il avait pour la France et ses dirigeants, qui incarnaient à ses yeux le défaitisme et la lâcheté (5) ». Dans ses Mémoires, Jacques Chirac relate une autre rencontre entre M. Gourdault-Montagne et cette fois Mme Rice. Peu après la chute de Bagdad, l’émissaire de l’Élysée propose que Paris coopère avec les autorités d’occupation. Mme Rice lui oppose une fin de non-recevoir : « Nous avons payé cette victoire avec notre argent et le sang de nos soldats. Nous n’avons pas besoin de vous (6). » Comme s’en souvient M. Gérard Araud, alors directeur des affaires stratégiques au Quai d’Orsay, les États-Unis « ne reculaient devant aucune mesquinerie pour nous faire subir des avanies dans toutes les enceintes où ils pouvaient nous punir de notre attitude, ils s’opposaient dans les organisations internationales à la nomination de Français, (…) ils laissaient entendre que la France avait envoyé des armes à Saddam Hussein (7) ».
Assez vite néanmoins, l’équipée militaire qui avait paru triomphale tourne mal : les pillages et les attentats se multiplient, le chaos se généralise, sunnites et chiites s’entre-tuent, de nombreux soldats américains meurent. Dans ces conditions, la « communauté internationale » vilipendée quelques semaines plus tôt retrouve son utilité pour Washington. C’est l’apaisement : « Les Américains ne tardèrent pas à s’apercevoir qu’ils avaient besoin de la France pour faire voter les résolutions post-guerre d’Irak au sein du Conseil de sécurité, explique M. Gourdault-Montagne. À compter de juin 2003, Condoleezza Rice m’appelle avant chaque débat au Conseil de sécurité pour harmoniser les positions de nos deux pays. Nous allons ensemble travailler à l’adoption à l’unanimité de toutes les résolutions présentées sur ce sujet. » C’est ainsi que la résolution 1511 du Conseil de sécurité unanime, France, Chine et Russie comprises, endosse le protectorat américain de l’Irak et la violation de la Charte des Nations unies.
Aucune punition du coupable donc. Et même une brassée de friandises… Pour commencer, les États-Unis se réservent les contrats pétroliers de l’Irak les plus juteux. Certains des membres de l’équipe rapprochée du président américain, lui-même ancien gouverneur du Texas, apprécient la chose en connaisseurs : le vice-président Richard Cheney a présidé l’entreprise d’ingénierie pétrolière Halliburton, Mme Rice a exercé pendant neuf ans ses talents au service de Chevron. Autre coïncidence providentielle, nombre d’entreprises favorisées par l’occupant avaient versé de l’argent à la campagne présidentielle de M. Bush (8). Enfin, puisque l’Irak est à la fois détruit et sous tutelle américaine, Washington réclame que les créanciers de Bagdad, la France en tête, renoncent au remboursement de la dette contractée par son ex-dictateur. M. Gourdault-Montagne raconte : « À la suite de la démarche effectuée dans les capitales par [l’ancien secrétaire d’État américain] James Baker, nous allons faciliter le traitement de la dette irakienne (qui s’élève à 80 milliards de dollars) vis-à-vis de la France, convaincus que cette décision (…) pouvait contribuer à permettre de reprendre langue avec nos partenaires. » Il commente : « Quand bien même les faits nous donnaient largement raison, nous nous gardions bien de proclamer que nous avions vu juste. » Les alliés des États-Unis savent se montrer magnanimes quand c’est Washington qui sévit.
En France pourtant, l’hostilité sans équivoque de Chirac, leader de ce qu’on appelle alors le « camp de la paix », à l’invasion de l’Irak a été plébiscitée par ses concitoyens. Selon un sondage publié par Le Figaro le 28 avril 2003, 84 % des Français jugent que le président de la République a « eu raison de s’opposer aux États-Unis ». Comme celui-ci le relèvera plus tard, « c’est du côté des élites ou présumées telles que se font entendre des voix discordantes. Chez certains de nos diplomates, une inquiétude feutrée mais perceptible tend à se propager, quant aux risques d’un isolement de la France. Du Medef [Mouvement des entreprises de France] et de certains patrons du CAC 40 me parviennent des messages plus insistants, où l’on me recommande de faire preuve de plus de souplesse à l’égard des États-Unis, sous peine de faire perdre à nos entreprises des marchés importants. (…) Les courants les plus atlantistes au sein de la majorité comme de l’opposition ne sont pas en reste (9) ».
Grâce aux révélations de WikiLeaks et à Julian Assange, on apprendra plus tard que MM. François Hollande et Pierre Moscovici comptaient au nombre de ces « atlantistes de l’opposition ». En 2006, ils s’étaient en effet rendus à l’ambassade des États-Unis à Paris pour informer Washington qu’en cas d’élection d’un socialiste à l’Élysée l’année suivante M. Bush n’aurait plus à redouter de critiques trop véhémentes de sa politique.
Un trio d’exaltés proaméricains
Chercher à arrondir les angles avec le suzerain américain, voire défendre sa politique, avait également été le choix des médias français, moins diplomates quand les agresseurs ne sont pas les commandeurs de l’OTAN. On retrouva donc dans l’Hexagone des relais empressés des réquisitoires de la presse américaine contre l’Élysée. Ainsi, peu avant que l’hebdomadaire US News and World Report écrive : « En Europe, la lâcheté et l’apaisement de Hitler dans les années 1930 ressemblent à la performance désolante de la France et de l’Allemagne aujourd’hui. (…) Dans les deux cas, la France avait un leader faible, insensible au danger croissant qui venait de l’étranger et à un antisémitisme qui gagnait (10) », Pascal Bruckner avait filé cette même analogie. S’en prenant au Monde diplomatique, coupable d’avoir titré « L’empire contre l’Irak », il écrit : « Si le débarquement de juin 1944 avait lieu de nos jours, gageons que l’oncle Adolf jouirait de la sympathie d’innombrables humanistes et radicaux de la gauche extrême au motif que l’Oncle Sam tenterait de l’écraser (11). »
Mais le camp proaméricain déborde alors largement le trio d’exaltés que composent Bruckner, Romain Goupil et André Glucksmann, auquel se mêlent Dominique Moïsi, Jean-François Revel, Bernard Kouchner, Stéphane Courtois, Gérard Grunberg et Françoise Thom. Le directeur de L’Express, Denis Jeambar, maugrée que, « gavé de confort, le monde occidental ne veut plus courir le moindre risque. Même pas celui de se battre pour défendre ses idéaux » (6 mars 2003), pendant que Claude Imbert, éditorialiste et fondateur du Point, croit avoir déniché la vraie raison de l’hostilité de Chirac à cette guerre : « Nous avons, en France, une immigration islamique à ménager. Et une politique arabe (…) toujours vache sacrée au Quai d’Orsay » (21 mars 2003). Imbert concède que l’Amérique a « commis, dans l’exécution de sa riposte, des erreurs prévisibles », mais il rappelle que « c’est sous son aile que sont protégés nos libertés et nos biens » (4 avril 2003).
L’idée que la France doit aider Washington à normaliser sa présence en Irak est reprise par Libération (Serge July), Le Nouvel Observateur (Laurent Joffrin), France Inter (Bernard Guetta) et beaucoup d’autres. Il importait, estime Bernard-Henri Lévy, de « sauver les soldats Bush et [Anthony] Blair de ce désastre » afin de combattre la « montée du terrorisme international ». Lutter aussi contre l’« antiaméricanisme que Dominique de Villepin a alimenté » (Kouchner), avec « dans son sillage un antisémitisme qui manifeste à découvert » (July). Le 4 avril 2003, Guetta décrète : « Il n’y a pas à hésiter. Bien sûr que chaque démocrate souhaite la victoire des États-Unis. » Son ami Joffrin n’en disconvient pas : « Mieux vaudrait, quoi qu’on pense de sa politique, que Bush réussisse. »
En France comme aux États-Unis, la plupart des « faucons » de la guerre d’Irak ont poursuivi de brillantes carrières et appuyé d’autres guerres. M. Bush est même devenu la coqueluche des démocrates depuis qu’il s’est dressé contre M. Donald Trump. Il lui arrive néanmoins de commettre de nouvelles erreurs. Comme en mai dernier quand, avant de se reprendre un peu penaud, l’ancien président a critiqué M. Vladimir Poutine et son « invasion brutale et totalement injustifiée de l’Irak »…
Serge Halimi
Mai 2023
https://www.monde-diplomatique.fr/2023/05/HALIMI/65743
(1) Cité par Phyllis Bennis, « The UN, the US and Iraq », The Nation, New York, 11 novembre 2002.
(2) Entretien avec NBC, 19 février 1998.
(3) « How France, Germany united to undermine US designs on Iraq », The Wall Street Journal, New York, 26 mars 2003.
(4) Discours inaugural, 20 janvier 2005.
(5) Maurice Gourdault-Montagne, Les autres ne pensent pas comme nous, Bouquins, Paris, 2022.
(6) Jacques Chirac, Le Temps présidentiel. Mémoires, Nil, Paris, 2011. Lire aussi Vincent Nouzille, Dans le secret des présidents, Fayard-LLL, Paris, 2010.
(7) Gérard Araud, Passeport diplomatique. Quarante ans au Quai d’Orsay, Grasset, Paris, 2019.
(8) Lire Ibrahim Warde, « Irak, l’Eldorado perdu », Le Monde diplomatique, mai 2004.
(9) Jacques Chirac, op. cit.
(10) John Leo, « Sringtime for Saddam », US News and World Report, 17 mars 2003.
(11) Pascal Bruckner, « Paradoxal pacifisme », Le Monde, 4 février 2003.
en perspective
-
En Irak et en Syrie, les civils sont les premières victimes des bombardements
Damien Lefauconnier, mars 2022L’usage intensif des bombardements aériens dans les multiples conflits en Syrie et en Irak a provoqué la mort de milliers de civils en moins de dix ans. Dans tous les cas, les acteurs impliqués tendent à minimiser le bilan qui leur est imputable, à l’image de l’alliance internationale menée par les États-Unis. Ou à le nier, comme le fait la Russie, alliée du régime syrien. → -
Après Kaboul, objectif Bagdad
Akram Belkaïd, septembre 2021La campagne d’Afghanistan, à l’automne 2001, a retardé les projets d’attaque militaire américaine contre l’Irak. Partisans acharnés du démantèlement du régime de Saddam Hussein, les néoconservateurs s’emploient alors à rendre cet objectif cohérent avec l
Bagdad, 20 mars 2003
Fruits secs, poèmes et vipères
Il y a 20 ans, le 20 mars 2003, par une nuit de pleine lune, les États-Unis d’Amérique, et leurs alliés, déclenchent l’invasion de l’Irak pour renverser le président Saddam Hussein et son régime. À Bagdad, alors que les bombes pleuvent, un couple parle d’argent, de lait et… de poésie.
Bagdad est blême. Ses toits et terrasses sont couverts par un linceul d’albâtre qui s’unit à la nuit. Dans les eaux lourdes du Tigre, les carpes remontent à la surface, attirées par les faisceaux lumineux qui trouent le ciel et par les reflets de la pleine lune qui s’émiettent tels des perles échappées d’un écrin de velours. Ce n’est pas encore l’aube mais la ville ne dort pas. Ou plutôt, elle ne dort plus. Des explosions retentissent à l’ouest et au sud, là où se dressent quelques palais du tyran. À chaque fracas, un souffle puissant fait trembler le sol et les murs. C’est l’ombre de la guerre, encore une, certainement pas la dernière, qui déploie ses ailes. Bagdad tremble. Elle regrette ses trois murailles rondes évanouies dans l’obscurité des siècles. Mais à quoi pourraient-elles bien servir face à la vague qui va déferler ? Bagdad s’affole. Elle sent roder le spectre de Hulagu Khan. Impatient de voir déferler ses successeurs, le loup des steppes hume l’odeur du sang et de la peur. Il prend la forme d’une nuée de fils sombres et sillonne en sifflant les rues désertes. Dans les foyers, dans les rares caves et les vieux abris délabrés, des index se tendent et des soupirs ponctuent la profession de foi résignée qui sied à ces instants annonciateurs de malheurs. L’Heure approche et, avec elle, le temps de la lune fendue, ce signe manifeste de la fin des temps. Nul ne l’ignore parmi les Bagdadis. Tous, ou presque, croyants ou non, implorent la miséricorde du Maître de l’univers ou la protection de la Vierge Marie, meilleure femme de tous les temps.
À l’est de la ville, en bordure de Saddam-City, dans la chambre à coucher d’une petite maison en briques grises, un nouveau-né hurle. Allongé dans une corbeille en feuilles de palmiers, les poings serrés, il projette les pieds vers l’avant, ses yeux noirs prêts à jaillir de leurs orbites. Gamra, sa mère, la trentaine, le corps bien en chair et le visage fin, bondit du lit et manque de se prendre les pieds dans sa robe de tissu rouge. Wathiq, le père qui s’est levé aussi, la rattrape brutalement par le bras.
— Laisse-le pleurer, ordonne-t-il d’une voix caverneuse creusée par le mauvais tabac.
Habillé d’un pantalon de pyjama à rayures et d’un maillot de corps militaire, il semble furieux sans que sa femme ne sache si c’est à cause des explosions ou des pleurs de l’enfant. C’est un homme roux, chétif, presque malingre, au regard intense et dont le visage osseux est barré par une moustache en aiguilles brûlées par la cigarette. Il a quinze ans de plus qu’elle mais en paraît le double.
— Je te dis de le laisser, gronde-t-il alors qu’elle essaie de se dégager.
Gamra obéit. Elle connaît depuis longtemps le pouvoir dévastateur de ses colères. À l’université, comme tous les autres étudiants de sa section, elle vouait déjà un respect craintif à cet ancien officier devenu douktour, docteur en littérature, après sa mise à la retraite. Prompt à s’embraser, il était capable de saccager un bureau, de piétiner des copies ou de se colleter avec plus costaud que lui. Pour un rien. Pour un travail insuffisant, pour une réponse désinvolte, un mot de travers ou une plaisanterie anodine à propos des poètes et de cet art, la poésie, jugé superflu dans un pays affamé par l’embargo. Plus tard, une fois mariés, elle l’a vu faire mordre la poussière à des voisins bruyants ou trop familiers et manquer de les égorger, le corps et l’esprit possédés par une hargne soudaine.
— Ton fils a peur, proteste-t-elle sans hausser le ton. Tout ce fracas lui fait du mal.
— Il doit s’habituer. Plus il entendra les bombes et moins il en aura peur, marmonne Wathiq en ne lâchant pas prise.
La mère réprime un cri de douleur. Elle pense au bleu qu’elle ne pourra cacher au bain et aux réflexions moqueuses des autres femmes. Elle insiste.
— Il est terrorisé ! Ne laisse pas ton aîné pleurer comme un orphelin ! Tu auras tout le temps de lui enseigner la bravoure.
Le père hésite. Le bébé s’étouffe dans ses cris. Une sirène retentit au loin. Dans la rue, on entend des cavalcades et un homme qui crie d’une voix stridente « qassef ! », « qassef ! ». Un bombardement…
— C’est bon, maugrée-t-il en triturant sa moustache. Mais ne va pas m’en faire une femmelette.
Lire aussi Serge Halimi & Pierre Rimbert, « Les médias, avant-garde du parti de la guerre », Le Monde diplomatique, mars 2023.
— Sois tranquille, dit-elle. Ce sera un grand guerrier, fort et viril, comme tous les hommes de ce pays. Elle s’assied en tailleur sur une peau de mouton et donne le sein au nourrisson. Wathiq se mord les lèvres en fixant le dos de sa femme. « Fort et viril » se répète-t-il en faisant craquer ses phalanges. Fort, il ne l’a pas toujours été. Mais viril, personne ne peut en douter. Il y a douze ans, j’ai combattu les Américains et j’ai survécu. Je n’ai fui que parce que les chefs de Bagdad l’ont ordonné, pense-t-il encore. Il s’allonge sur le lit et récite une prière à voix basse. Gamra reconnaît les versets de L’Aube naissante. Elle se demande pourquoi il a choisi cette sourate quand de nouvelles explosions la font sursauter. Elle passe alors une main tremblante sur la tête de l’enfant qui tète avec voracité. Elle sait, elle devine, que ce n’est que le début du cauchemar. Les Américains, les Anglais, les Italiens, les Danois, les Espagnols, les Hongrois, les Polonais, les Portugais, les Tchèques — elle les cite tous en les maudissant — mais aussi Saddam et ses sbires sans oublier son époux et ses principes stupides : le monde entier lui semble ligué contre elle et son fils. Elle veut en appeler à l’intercession du Prophète et de son cousin et gendre auprès du Créateur mais les invocations habituelles lui paraissent dérisoires. Son esprit vagabonde et des souvenirs d’enfance lui reviennent. Tous les soirs à la télévision, défilaient des images en noir et blanc, de longues cohortes de prisonniers iraniens avançant pieds nus, mains sur la tête et concédant des sourires crispés à la caméra. Des hommes jeunes, parfois des enfants, tous écrasés par la honte. Suivaient ensuite les gros plans sur les cadavres mutilés de l’ennemi avec leurs nuées de mouches et les positions obscènes des corps empilés. Gamra continue de caresser le bébé. Elle repense aux sirènes de Bassora et aux rumeurs incessantes qui annonçaient un bombardement à telle ou telle heure, pour telle ou telle occasion.
— Naître dans la peur, murmure-t-elle en s’adressant autant au nourrisson qu’à Wathiq dont elle sent le regard pesant. Grandir, vivre et enfanter dans la peur. La peur, toujours et encore elle… Tout est écrit, mon fils, mais je saurai te protéger.
L’enfant repu, Gamra le redresse, le colle contre sa poitrine et lui tapote doucement le dos. Elle reste de longues minutes à ruminer de sombres pensées, luttant contre l’accablement qui l’envahit. Son regard inspecte la pièce. Large, mais pauvrement meublée, sans décorations aux murs si ce n’est une petite tenture écarlate achetée à des Bédouins de l’ouest. Plusieurs tapis au sol — Wathiq déteste le contact froid du carrelage — une armoire anglaise un peu branlante et, dans un coin, un amas recouvert par une bâche militaire. « Ce vide est le stigmate de ma survie », pense-t-elle en étouffant un sanglot. Dans la rue, la même voix stridente implore les habitants du quartier d’éteindre leurs lumières.
— Il était affamé, dit-elle en se recouchant. Je lui ai mis de la ouate dans les oreilles. Ma mère faisait la même chose. Dans son panier, le bébé dort, les poings toujours serrés. On dirait qu’il sourit. Le mari a un petit poste de radio collé à l’oreille. Il finit par l’éteindre et le repose d’un geste agacé sur le tabouret qui lui sert de table de chevet.
— La BBC est brouillée mais j’ai entendu l’essentiel, grommelle-t-il. L’attaque a commencé. Ces maudits Américains nous envahissent.
Gamra hausse les épaules.
— La dernière fois, ils se sont arrêtés en route…
Elle a failli rajouter « au mauvais moment ». Wathiq secoue la tête. Il parle sans un regard pour elle, les yeux fixés au plafond où s’étalent de nombreuses plaques d’humidité.
— Nous allons perdre cette guerre. Tu peux faire confiance aux Américains. Ils viendront jusqu’à Bagdad pour capturer Saddam et ils le fusilleront ou bien le pendront : c’est écrit. Prends garde à ne pas le répéter. Nos têtes…
Gamra se mord les lèvres. Faire confiance aux Américains ? Oublier 1991 ? Effacer le massacre des siens par la Garde républicaine après la déroute au Koweït ? Là aussi, on annonçait la fin imminente de Saddam. Enrôlés avant l’invasion, ses frères avaient déserté l’armée et rejoint les rebelles. Ce fut une révolte pour rien, sans aide ni soutien malgré les promesses et les encouragements de l’Occident. Une immense tuerie. Des sacrifices inutiles pour que le sang des fosses communes remplace l’eau des marais asséchés. Pour que ses deux frères disparaissent à jamais. Pour que son père, un vétéran décoré de la guerre contre l’Iran mais « géniteur de deux traîtres », soit humilié en place publique et en meure de chagrin. Pour que Saddam reste en place. Pour que l’embargo transforme son peuple en mendiants épuisés par les privations, avilis par les cartes de rationnement. Pour que la vermine envahisse les musées de Bagdad et pour que les livres les plus rares se vendent au poids dans des ruelles crasseuses. Gamra ne peut ni oublier ni pardonner. « Même s’il mange un monstre, le démon reste une créature du diable », se dit-elle attentive à ne pas interrompre Wathiq.
— Les Américains s’installeront chez nous, poursuit ce dernier en allumant une cigarette. Comme les Anglais avant eux, ils imposeront un nouveau despote. Un maître chasse l’autre… Mais seul Allah est vainqueur et un jour viendra où nous serons libres, le buste droit et la tête haute. Je prie chaque jour pour que notre fils ne soit jamais hanté par la peur et les cris d’Abu Ghurayb. Je veux que personne ne l’oblige à dénoncer son frère ou ses voisins. Je ne veux pas qu’il subisse le sort de ses oncles.
Gamra se redresse. Son époux ne lui a jamais parlé ainsi ou, du moins, il n’a jamais parlé de la sorte en sa présence. Elle sent qu’une faille s’ouvre, que les mots qui vont être prononcés compteront à jamais.
— Alors, il va falloir survivre à cette guerre, lance-t-elle en se penchant pour qu’il croise enfin son regard. Le sort de Saddam est peut-être scellé mais pas le nôtre. Survivre, entends-tu ?
Un sourire triste adoucit les traits de Wathiq. À sa femme, il ne sait comment confier ses craintes mais aussi ses espérances. Il est certain que les choses vont changer, qu’un monde s’effondre déjà et il s’est juré d’en tirer profit. Ni pour lui, ni pour sa femme mais pour son fils. L’incendie débusque le gibier…, se répète-t-il souvent, feignant d’oublier que ce feu brûle parfois le chasseur. Il connaît les risques mais se sent capable de vaincre la peur et de tout défier : les bombes, la Sécurité générale, les polices secrètes et leurs mouchards. Fort et viril… En février 1991, n’a-t-il pas survécu à la route du massacre ? N’a-t-il pas gardé sa dignité à l’heure de la débâcle ? Ses frères d’armes et lui avaient été abandonnés par Saddam. Cette fois, Wathiq est décidé à ne rien faire pour al-Tikriti. Il ne portera aucun fusil, n’écrira aucun poème, ne psalmodiera aucun verset et n’adressera aucune invocation. Il ne se battra pas. Advienne que pourra. Oui, il protégera son fils. Par Dieu, il trouvera le moyen et la force de le faire.
De nouvelles détonations retentissent au loin et le sol tremble encore. Wathiq se dit qu’il va devoir renforcer les bandes de papier collant posées sur les vitres. Il regrette de ne pas avoir eu le temps de creuser lui-même un abri dans le jardinet où poussent de maigres hibiscus. L’esprit en ébullition, il allume une nouvelle cigarette avec un mégot encore incandescent puis récite quelques vers d’une voix mal assurée : Loin, derrière les nuages dont les bouches s’ouvrent sur notre ruelle ignorée, peut-être paraît une lueur, comme un voile, promesse de lumière dans les pesantes ténèbres.
— Nâzik al-Malâïka ! s’exclame Gamra. La pauvre… Que dirait-elle de tout cela si elle était encore de ce monde ?
— Mais elle vit toujours ! s’indigne Wathiq.
Gamra hoche la tête, étonnée.
— Tu plaisantes ?
— Je t’assure que non. Elle a quitté Koweït depuis longtemps et habite Le Caire. Je sais que plus personne ne parle d’elle dans ce pays mais ce n’est pas une raison pour l’enterrer.
Gamra est décontenancée. Ce matin, alors qu’elle donnait le sein à son fils, des vers d’al-Malâïka, ceux-là mêmes que sa propre mère aimait à fredonner, se sont imposés à elle.
« Mama Mama Mama Mama Mamama / la merveille au doux zézaiement cherche un somme / le somme derrière la colline prépare un rêve / le rêve de ses ailes monte jusqu’à l’étoile / l’étoile sur sa lèvre voudrait bien un baiser / le baiser réveillera mon enfant / Mama Mama… ». Et voilà que Wathiq égrène les mots de cette vieille poétesse qu’il ne cite jamais. Gamra aimerait trouver le sens caché d’une telle coïncidence.
— On dit qu’elle versifie encore, reprend le mari qui hésite quelques instants avant de poursuivre. Quand nous avons pris Koweït-City, c’est mon escouade qui devait l’arrêter. Les chefs voulaient qu’elle rentre à Bagdad. Mais elle était déjà partie pour l’Égypte.
— L’arrêter ? s’exclame Gamra. Mon Dieu, mais pourquoi ?
Son trouble est tel qu’elle réalise à peine que c’est la première fois que son mari évoque cette guerre. Cette guerre presque oubliée. Sa guerre. Wathiq hausse les épaules, tenant la réponse pour évidente.
— Saddam détestait les exilés au Koweït… Je ne pense pas qu’il voulait l’exécuter. Il aurait juste exigé d’elle des louanges et un long poème d’allégeance. Ou peut-être une lecture publique d’un extrait des Longs Jours ou de Zabiba et le Roi.
Gamra se rallonge, amusée par l’allusion à l’hagiographie du président et à son « roman » publié de manière soi-disant anonyme. Elle repense aux séances de lecture collective imposées aux étudiants. Certains affichaient leur morgue goguenarde tandis que d’autres étaient terrorisés à l’idée d’éclater de rire pendant qu’un des leurs s’échinait à glorifier le style du grand auteur anonyme mais connu de tous grâce à une incessante propagande laudatrice. — Un anonymat, lui-même voulu et décidé par le prestigieux auteur au nom de l’impératif d’humilité qui sied à tout grand homme, murmure Gamra en se souvenant de la formule officielle. Wathiq, qui l’a entendue, éclate de rire en même temps qu’elle.
— L’exceptionnel auteur qui veut rester à l’abri de la renommée mais qu’il est interdit de ne pas connaître et de ne pas admirer, ajoute-t-il gaiement.
— L’inconnu le plus connu et le plus vénéré d’Irak, renchérit Gamra en se disant qu’il y a bien longtemps qu’elle n’a pas partagé pareille complicité avec son mari.
Lire aussi Noam Chomsky, « Le meilleur des mondes selon Washington », Le Monde diplomatique, août 2003.
Mais très vite, des pensées dérangeantes chassent cette distraction. Elle repense à l’invasion du Koweït. Elle imagine Wathiq flottant dans un treillis poussiéreux, un béret noir vissé sur sa tête. Elle le voit déambuler dans la maison abandonnée par la poétesse, certainement à la recherche de sa bibliothèque. Elle s’apprête à l’interroger quand de nouvelles explosions se font entendre. Dans la rue, la voix aiguë annonce la fin des temps. Une autre, grave et menaçante, lui enjoint de la fermer et de prier pour la victoire finale. Plus loin, quelqu’un annonce que des Américains ont été faits prisonniers sur les berges du fleuve. Gamra se lève pour vérifier que la fenêtre et ses volets sont bien fermés.
— Ils visent toujours les palais, chuchote-t-elle. S’ils pouvaient nous en débarrasser dès ce soir, la guerre serait vite terminée.
— Ne sois pas naïve, s’irrite Wathiq. Tu sais bien qu’il n’y dort jamais. Ce n’est qu’un message pour lui dire qu’il n’a aucune chance de sauver sa peau. Et même s’ils le tuent cette nuit, ils viendront quand même. C’est tout le pays qui les intéresse : le pétrole, l’eau… D’autres trésors que nous ne connaissons pas. Les Américains ne font jamais rien au hasard. Jamais ! Ils savent des choses que même Saddam ignore…
La plainte d’une sirène de pompiers oblige Gamra à se lever encore. Elle s’assure que le bébé dort bien sur le dos puis se rassied au bord du lit.
— Il va falloir acheter du lait, dit-elle songeuse. Je vais essayer de l’allaiter le plus longtemps possible mais nous devons être prévoyants. Il va y avoir des pénuries.
Wathiq fronce les sourcils. Il préfère éviter la conversation qui s’annonce.
— Combien de boîtes ? demande-t-il néanmoins en écrasant son mégot dans un gros cendrier de verre martelé.
— Autant que possible, répond-elle en appuyant sur chaque mot. Dix, vingt, cent. Tout ce que tu peux trouver. Pas de boîtes turques ou syriennes. Je ne veux pas non plus du lait iranien. Il n’y a pas mieux que les boîtes de la Croix-Rouge.
— Et où en trouver ? proteste l’époux en rallumant une cigarette. Tu me vois frapper à la porte des Suisses et tendre ma carte de rationnement ? Tu veux que je me fasse embarquer ?
— Ce lait se vend au marché noir, s’irrite Gamra. Le vieux Yazid en possède un stock dans son arrière-boutique. Je lui ai parlé. Il accepte de nous garder vingt boîtes jusqu’à la fin de la semaine. Il en exige deux cents dollars mais je pense que tu peux obtenir un rabais.
Wathiq se lève brusquement et fait quelques pas dans la chambre.
— Deux cents dollars ? Crois-tu vraiment que j’aie cette somme ? gronde-t-il en pointant un doigt menaçant sur elle. Ce Yazid n’est pas des nôtres. Il nous méprise. Il passe son temps à épier les gens et à manigancer je ne sais quoi avec l’îlotier du Parti et les Feddayin de Saddam. De toutes les façons, c’est un âne à qui je n’adresserai plus la parole. Je l’ai vu arracher les pages d’un livre pour en faire des cornets de fruits secs ! Te rends-tu compte ? Déchirer un livre pour des pistaches ! Non, ce chien d’analphabète ne me fera jamais de rabais même si je lui promets de maudire mille fois Ali et ses fils.
— Il t’en fera, réplique Gamra avec un soupçon de rage dans la voix.
Son visage s’est fermé. Son corps qui se ramasse et ses mains crispées la font ressembler à une lutteuse prête à en découdre.
— Il sait qu’il va bientôt avoir besoin d’amis et de protecteurs, poursuit-elle. Crois-moi, il a vu le regard de nos jeunes. Il devine ce qui va arriver. Sa femme et ses enfants sont déjà partis à Ramadi et il sera heureux d’écouler toute sa marchandise et de décamper. Je suis même sûre qu’il acceptera des dinars swissris. Il ira les dépenser chez les Kurdes…
Wathiq a hâte de clore la discussion. Sa femme et lui savent comment trouver l’argent mais il se tait, considérant que c’est à elle d’aborder le sujet. Il attend la demande. Le genou qui ploie, la supplique qui oblige et l’incontournable gratitude qu’engendre la prière exaucée. Gamra, quant à elle, connaît ce jeu qui lui est imposé. Elle aimerait se rebeller. Une fois. Juste une seule fois. Mais une petite voix l’incite à penser à son fils et au lait dont il ne pourra se passer.
Les minutes filent. Tout semble suspendu. Plus aucun bruit ne parvient de l’extérieur et la maison s’installe dans le silence cotonneux qui précède l’aube. Wathiq est assis sur le tabouret et fume cigarette sur cigarette. Gamra ne veut pas s’endormir. Elle sait que la partie se joue maintenant et que, dans quelques heures, il lui faudra déployer encore plus d’énergie pour obtenir ce qu’elle veut.
— Je te demande d’en vendre un ou deux, murmure-t-elle enfin en contenant son amertume. C’est ton fils autant que le mien et je n’ai pas de fortune.
Wathiq opine. Maintenant que la requête a été formulée, il peut l’agréer. Il sait qu’il n’a pas le choix. Personne, pas même un membre de sa tribu, ne lui prêtera l’argent.
— Alors, je vais vendre le divan d’al-Jawâhiri, dit-il d’une voix faible et en fermant les yeux. — Non ! s’emporte Gamra. Pas ça !
Wathiq fait mine de ne pas l’avoir entendue.
— C’est une édition très rare des années quarante. Je n’ose même pas la faire photocopier, ça attirerait les voleurs. On pourrait nous tuer pour ces volumes. Mais je sais où trouver un acheteur de confiance. Il m’en offrira une belle somme. Nous aurons de quoi tenir quelques mois.
— Je te l’interdis, entends-tu ? hurle presque Gamra. Ce serait un acte honteux ! Vends tout ce que tu veux d’autre !
Wathiq affiche un air détaché. En réalité, il n’a pas l’intention de se séparer de ce recueil. Comment pourrait-il trahir le père de la poésie irakienne moderne ? Ce descendant d’hommes illustres, joyaux de Najaf, cette ville bénie où lui-même est né. Al-Jawâhiri… Chantre de l’Euphrate et arpenteur inspiré des berges du Tigre. L’emblème vivant de l’Irak mais pourtant forcé à l’exil comme al-Malâïka et tant d’autres. Lui, l’Irakien, le vrai, dont d’insignifiants étrangers, venus du Yémen ou de Syrie, ont osé dénier l’identité en le sommant, telles des hyènes enragées, de retourner en Iran. Al-Jawâhiri, l’âme du peuple d’Irak. Ce peuple qu’il n’a jamais cessé de défendre, se faisant l’écho avisé des mots d’ordre du Parti. Oh, pas le Baas, mais l’autre parti qui comptait aussi, le seul qui aurait dû compter. Celui des poings levés, du marteau, de la faucille et de la longue bataille menée au nom de l’Histoire. Wathiq serre les dents. Il cherche dans sa mémoire des vers qui refusent d’affleurer. La seule chose qui lui vient à l’esprit est cette question jadis posée, après moult précautions, par un vieil ami de Najaf : « Comment l’Irak a-t-il pu produire à la fois un al-Jawâhiri et un Saddam ? ».
Wathiq n’a pas trouvé de réponse. Aujourd’hui encore, il en serait bien incapable.
— Te souviens-tu de quelques vers de La Berceuse ? demande-il soudain d’une voix épaisse à Gamra.
Celle-ci, bien que prise au dépourvu, répond presque aussitôt : Dormez, gens affamés, dormez Les dieux féconds veillent sur vous Dormez, si l’éveil ne vous rassasie point Alors, le sommeil vous comblera.
— Bravo à toi ! Je ne vendrai donc pas le dîwan, lance le mari avec un sourire ironique.
Il sait que la seule solution est de se séparer à jamais d’un livre et d’abandonner une part de lui-même et de ce qui lui reste de son père et des pères de ses pères. Vendre un livre, de la main à la main : un déchirement, une blessure inguérissable… Vendre et perdre de sa dignité, de son honneur.
Il sait depuis la naissance de l’enfant qu’il devra sacrifier d’autres ouvrages. Le céder réellement, pas juste le photocopier en liasses pour en tirer quelques milliers de dinars glanés un vendredi matin sur un étal poussiéreux de la rue al-Moutanabi. Il sait que la seule solution est de se séparer à jamais d’un livre et d’abandonner une part de lui-même et de ce qui lui reste de son père et des pères de ses pères. Vendre un livre, de la main à la main : un déchirement, une blessure inguérissable… Vendre et perdre de sa dignité, de son honneur. Se dire que l’on attente à son pays, que l’on dilue et souille ce qui est et qui devrait rester à jamais. Vendre un livre pour manger. Pour survivre. Céder la vieille édition de Kitâb al-Hayawân d’al-Jâhiz pour payer la clinique de Gamra. Sacrifier tous les volumes de Lisân al-‘arab, une vieille collection libanaise, enluminée et très rare, pour refaire une partie du toit ou pour payer, en partie seulement, le mariage d’un frère ou d’un proche cousin…
Comme à chaque fois qu’il se retrouve dans cette situation, Wathiq fait appel au Très Miséricordieux pour lui en donner la force. Pour l’empêcher de hurler sa rage et de maudire à la fois Saddam et ses fils, les Américains et leur embargo, leur injustice et leurs guerres, sans oublier les autres peuples arabes si indifférents aux souffrances de l’Irak.
Gamra se tait. Elle connaît les lamentations silencieuses de son mari. Elle connaît ce discours intérieur dont elle endurait, il y a peu encore, les éclats et les morsures. Elle sait aussi qu’elle doit insister, qu’elle doit l’obliger à prendre la décision. À choisir le livre qui devra être sacrifié.
— Un jour les choses changeront, finit-elle par dire. Tu pourras en acheter d’autres et les donner à tes fils qui les transmettront aux enfants de leurs enfants.
— Peut-être, soupire Wathiq. Mais il y en a que je ne retrouverai jamais. J’ai vendu le Talkhîs Bârîz d’al-Tahtâwî. C’était une édition bilingue, en arabe et en turc, de la fin du dix-neuvième siècle. Elle était annotée par mon arrière-grand-père. Il utilisait l’encre verte pour dire son admiration et la noire pour signifier un désaccord ou son incompréhension. Du vert et du noir. Qui est capable de cela aujourd’hui ? Annoter un livre… Page après page… Et j’ai cédé cette merveille au Consul d’Égypte pour deux mille dollars. Une bêtise…
Gamra le dévisage avec un mélange de curiosité et d’irritation.
— Tu veux dire que tu aurais pu en obtenir plus ?
— Mais bien sûr ! Ce mangeur de fèves l’a revendu dix fois son prix. Vingt mille dollars…
Gamra n’en croit pas ses oreilles.
— Mais qui a payé une telle somme ?
Wathiq a un geste de mépris. Il pense même cracher dans le cendrier mais se retient en laissant échapper un juron.
— Un homme d’affaires du Qatar ou d’Abou Dhabi, je ne sais plus. Il paraît que c’est un grand collectionneur. Il posséderait plus de cinquante mille livres anciens. On m’a parlé d’un coran vieux de plusieurs siècles qu’une famille de Mossoul a fini par lui vendre pour s’installer en Allemagne. Du cuir de Koufa pour la couverture, du papier de Khorasan à l’intérieur et la calligraphie d’un lettré de Bassora. Voilà notre monde : des pêcheurs de perles pillent notre héritage. J’espère qu’ils finiront comme al-Jâhiz, ensevelis sous leurs bibliothèques ! Vingt mille dollars…
Gamra n’en peut plus. La fatigue, le sommeil, mais aussi la peur, lui font perdre patience.
— Si j’avais des bijoux, je les vendrais, dit-elle en haussant le ton. Si j’avais un riche parent, j’irais me jeter à ses pieds.
Wathiq agite ses deux mains pour signifier que ce n’est pas ce qu’il souhaite. Il abandonne son tabouret et se dirige d’un pas traînant vers l’extrémité de la pièce. Après quelques instants d’hésitation, il tire la bâche puis s’accroupit avec peine pour ouvrir une vieille cantine couleur kaki dont il fait grincer les ridelles.
— Je pourrais vendre celui-ci, lâche-t-il d’une voix chevrotante en brandissant un livre relié en cuir sombre.
— Je n’arrive pas à lire le titre ! s’irrite Gamra restée assise sur le lit.
Wathiq lui lance un regard étonné. Elle ne lui parle jamais sur ce ton. « La guerre, peut-être », se dit-il.
— C’est une compilation des premiers poèmes de Badr Châker as-Sayyâb. Un livre très rare. On m’en a proposé cinq cents dollars. Je suis sûr que je peux en obtenir le double ou même le triple.
Gamra se détend. Elle inspire puis récite d’un trait : Le poète est ainsi à l’heure où jaillit le poème Il ne le voit pas battre son rythme d’éternité Il détruira ce qu’il aura bâti Il éparpillera les pierres de son édifice, puis les enfouira sous la cendre du silence et du repos.
Wathiq hoche la tête d’un air satisfait. Il secoue le livre et une feuille de papier, pliée en deux, tombe à ses pieds. Il s’en saisit avec lenteur. Sa main tremble quand il en parcourt les premières lignes. C’est une copie d’examen aux lettres minuscules écrites à l’encre turquoise. Il la lit à voix basse mais de façon à être entendu par Gamra :
Propos liminaire pour un manifeste poétique dédié à l’incomparable Badr Châker as-Sayyâb :
Par les vers du poète. Par la puissance des mots et du verbe. Par les femmes et les hommes. Par le fleuve et le village. Par la palmeraie et l’argile. Par la colline et la lumière. Par la montagne et le marais. Par le désert et la rocaille… Il est une vérité que tout lettré honnête se doit de rétablir. L’Irak, notre Irak, celui d’aujourd’hui et celui de demain, n’est pas la création des Abbassides, des Ottomans ou des Anglais et encore moins celle des Américains. Il est la vision du poète qui a su le définir et en dessiner les contours. Notre patrie n’est pas la fille de révolutionnaires en uniformes ni de comploteurs en costumes. C’est le poète et lui seul qui l’a engendrée. Par le poète et ses vers. Par les saintes processions, par la croix, le croissant, l’étoile et l’âtre. Par les ruines et les pas du patriarche. C’est le poète, et lui seul, qui a donné corps à notre nation en la révélant à notre peuple. Mais le poète a trahi et s’est condamné au silence. Il a célébré le parti, les quintaux de blé et la supposée révolution. Il a chanté les louanges des uns et ladite gloire des autres. Mais par l’exilé qui n’oublie rien et par l’emmuré qui ne cesse de versifier, le poète revient à lui-même et toujours préfère l’ombre créatrice à la gloire empoisonnée. Par les bras usés du père. Par la mère drapée de noir. Nous devons écouter Badr Châker as-Sayyâb quand il nous abjure de ne pas renier les bienfaits de l’Irak. Oui, le vent nous crie Irak et la vague gémit Irak. Notre chance est d’habiter le meilleur parmi les eaux et la verdure, cette terre bénie que le soleil, lumière de Dieu, inonde été comme hiver. Non, nous ne devons pas oublier l’Irak pour un autre ! Ce pays est un paradis. Craignons la vipère qui glissera sur sa terre fraîche. Et faisons des mots du poète une incantation sacrée car seule la poésie libère l’âme et vainc les vipères.
Wathiq replie la feuille en hochant la tête d’admiration. Il accorde un bref regard à Gamra qui reste sans voix. Elle se souvient de cette copie, la sienne, et de ces lignes écrites dans une exaltation extrême, durant un jeûne de plusieurs jours. Une exaltation de celles que l’on vit à vingt ans quand on est persuadé d’avoir trouvé sa voie et que l’on se dit qu’un chemin vient de s’ouvrir, fût-il celui des déboires et des persécutions. Mais il ne s’était rien passé. Ni convocation ni réprimandes. Wathiq, alors son professeur, avait prétendu avoir perdu les copies et il avait noté d’autres travaux. Effrayée a posteriori par son audace, Gamra s’était dépêchée de rejoindre le terne anonymat qui caractérisait les étudiants sans but ni idéal. Elle était restée dans la lumière rassurante et avait tourné le dos à l’ombre créatrice.
— Cette copie aurait pu changer ma vie, dit-elle enfin en essayant de contrôler sa voix. Malgré sa colère, elle n’oublie pas les boîtes de lait du vieux Yazid.
— Tu ne serais pas mère à cet instant, réplique Wathiq d’un air détaché, un trait méprisant dessiné sous sa moustache. « Je ne pouvais pas remettre cette copie au rectorat. Quelqu’un aurait alerté les autorités et tu aurais disparu. Comment alors demander ta main ? Je cherchais une compagne pas une martyre.
Puis, alors que Gamra reste figée, il poursuit en brandissant le recueil d’as-Sayyâb.
— Il y a même une dédicace en l’honneur de l’ancien propriétaire. Cela augmente sa valeur.
— Ce livre, l’as-tu pris dans la bibliothèque d’al-Malâïka ? interroge alors l’épouse d’une voix glaciale.
Le visage de Wathiq se ferme. Il va pour crier mais se ravise en haussant les épaules. Pourquoi se justifierait-il ? Et pourquoi maintenant ? À cause de la guerre qui vient de commencer ? À cause de ces bombes que l’on n’entend plus exploser. Il continue à fouiller dans la malle, déplaçant un volume, caressant un autre. Ce qu’il a fait là-bas ne regarde personne. Non, il n’a volé aucun livre à la poétesse. Quand les bérets rouges ont pillé la villa, emportant avec eux toute la bibliothèque, il les a regardés faire sans protester, sans même essayer de se servir. Non, il n’a rien pris. Ou si peu. Le feu débusque le gibier… Cette phrase, il ne la prononçait pas à l’époque, croyant encore aux discours de Saddam sur la grandeur de l’Irak et la noblesse de cœur de ses enfants. Dérober des livres ? Jamais. Surtout après une si belle victoire. L’heure était à l’euphorie. L’Irak régnait sur le Koweït. Il allait dominer le Golfe, faire ployer le genou des émirs et des roitelets flatulents. Non, il n’a pris aucun livre. Par contre, les lettres, oui. Et l’argent aussi. Oh, si peu d’argent. Deux cents dollars américains trouvés dans un tiroir. Les lettres, elles, avaient bien plus de valeur. Une vieille correspondance entre al-Malâïka et as-Sayyâb. Un trésor littéraire. Deux Irakiens, deux poètes qui s’écrivent et qui s’encouragent mutuellement. Deux artistes qui évoquent leur art avec modestie et détachement. Ah, ces lettres, source de réconfort pendant la fuite vers le nord. Lues et relues pour oublier l’abandon et la désinvolture. Les avions américains mitraillaient la route semant des dizaines de morts à chaque passage. Une colonne de fourmis écrasée par des géants… La mort tombait du ciel, au hasard de leurs caprices. Une bombe ici mais pas là. Une compagnie décimée, l’autre épargnée. Sans que personne ne comprenne de quelle logique cela procédait. Ces lettres… Lues et relues dans un fossé puant la mort, à quelques mètres des carcasses de chars encore fumantes. Ces lettres déchirées dans un accès de rage et de folie. Ces lettres éparpillées aux mille vents de la défaite avec la conviction de ne jamais être capable d’en écrire d’aussi belles. Avec la certitude définitive de vivre dans un monde de folies et de trahisons qui ne voulait pas d’une telle beauté. Non, il n’a pas volé les livres de la poétesse. Que sont-ils devenus ? Peut-être vendus à un riche collectionneur du Golfe. Ou bien encore, certainement même, effeuillés au fil du temps par un quelconque Yazid vendeur de pistaches et d’amandes grillées.
Quant à l’argent… Deux cents dollars en billets de dix, usés et poisseux, vite dépensés, vite oubliés. Wathiq ne veut pas y repenser. Il entend oublier la honte de ce chapardage indigne de l’officier qu’il était. Du lettré qu’il a toujours prétendu être. Et là, maintenant, cette méchante allusion sortie de la bouche de la mère de son fils…
— Je n’ai volé aucun livre, dit enfin Wathiq sans même regarder sa femme. Tu viens de m’offenser. Je ne te punirai pas parce que l’heure est grave mais ne recommence plus jamais. Insinue encore une fois que je suis un voleur de livres et je te tue.
Gamra encaisse sans broncher. Elle espérait une confession. Un récit. À l’heure où la mort rôde, les hommes ne sont-ils pas supposés se raconter ? Elle en veut à Wathiq. Tous ses griefs se mélangent et fondent en une seule rancœur. Cette menace… Ce lait qu’il ne veut pas acheter. Ce livre qu’il aurait pu vendre bien plus cher. Cette copie jamais notée gardée au fond d’une malle comme on enterre un trésor ou comme on cache un cadavre. Les silences et les secrets de son époux. Ce qu’il a fait de l’autre côté de la frontière. Les vraies raisons de sa mise à la retraite et celle de son entrée à l’université. Un militaire colérique et violent qui enseigne la poésie… Que d’histoires invérifiables a-t-elle pu entendre à son sujet… Mais la vision de son mari qui continue de farfouiller dans la malle finit par la calmer. Il lui paraît si vulnérable. Si vieux… Elle se dit soudain qu’il ne verra pas son fils grandir.
— Vends ce que tu veux, lance-t-elle. Mais fais vite avant que le chaos ne s’installe.
Wathiq secoue la tête d’un air buté et lui fait signe de le rejoindre.
— Voici notre avenir, chuchote-t-il alors qu’elle s’agenouille à ses côtés. Il tient avec précaution quelques feuillets manuscrits et un paquet de revues ficelées.
— Du vieux papier ? De journaux jaunis ? s’étonne Gamra.
Il fait un geste pour l’interrompre.
— Un trésor rare, s’enthousiasme-t-il. Ce vieux papier, c’est du Khorasan. Il date de plusieurs siècles. Ce sont des extraits du premier volume du Kitâb al-Aghâni. Les collectionneurs du monde entier en paieront des milliers de dollars. Et ces vieux journaux, comme tu dis, sont la collection complète d’al-Hassid.
— La revue littéraire des années trente ? s’exclame Gamra. Mais c’est interdit de garder ça ! Wathiq éclate de rire.
— C’est ce qui lui donne de la valeur. Il y a des articles d’Anwar Shaoul, de Mourad Mikhael ou de Meir Basri. Cette collection ne vaut plus rien ici mais je suis sûr qu’une université américaine ou même israélienne en donnera un bon prix. Cela fera beaucoup de lait et de vêtements pour ton fils.
Gamra est saisie par un soudain sentiment d’oppression.
— Wathiq, murmure-t-elle. Je sais que ce pays est un piège mais je ne veux pas que nous le quittions…
Son mari la regarde, étonné.
— Mais qui te parle de partir ? Nous resterons ici. Nous n’échangerons rien contre l’Irak. Demain ou dans une semaine, une bombe nous pulvérisera peut-être dans cette maison. Yazid ou un autre vendeur de fruits secs viendra enjamber nos cadavres pour récupérer le papier qui n’aura pas brûlé. Si c’est ce qui est écrit alors que ce qui doit arriver arrive. Mais nous resterons dans ce pays malgré les vipères qui vont déferler. Nous devons rester car, comme tu l’as écrit, seule…
Gamra l’interrompt d’un geste brutal. Cette phrase, c’est la sienne. C’est à elle, et à elle seule, de la prononcer comme on psalmodie une prière sacrée :
— Car seule la poésie vainc les vipères, murmure-t-elle en regardant le bébé qui dort.
Akram Belkaïd
Bagdad, 20 mars 2003
https://blog.mondediplo.net/fruits-secs-poemes-et-viperes
.
Les commentaires récents