Auteur de la notice «Racisme colonial et post-colonial» du Dictionnaire de la guerre d’Algérie récemment paru en France, je me suis vu assez sévèrement critiqué par un collègue historien, M. Hosni Kitouni, dans les colonnes de votre journal.
C’est la règle du jeu : un livre ou un article, dès qu’ils sont dans le domaine public, peuvent et même doivent être l’objet de lectures critiques, et je n’ai rien à y dire. Jusqu’à présent, j’avais l’habitude d’être plutôt très durement attaqué par les cercles algérianistes et l’extrême droite française. J’ai donc été surpris par la première ligne me concernant dans sa critique : ma notice véhiculerait une « pensée révisionniste » qui « empuantirait » le débat.
Puis, vers la fin de l’article, je suis accusé d’« ignorer les souffrances» des colonisés, accusation que je considère comme grave, eu égard à mon parcours. M. Kitouni me reconnaît pourtant au milieu de l’article comme un « historien anticolonialiste ». Comprenne qui pourra.
J’en viens au cœur de la critique : j’aurais sciemment effacé le racisme propre à votre guerre d’indépendance en le noyant dans une remontée vers le passé. Il est plutôt cocasse, sous la plume d’un historien, de reprocher à un collègue de décrire les origines d’un phénomène, avant de passer à la description de celui-ci.
Alors, oui, je persiste, l’explosion du racisme entre 1954 et 1962 et ses effets assassins contre des dizaines de milliers d’Algériens a bien eu des origines. Oui, tout connaisseur de l’histoire des relations entre le monde occidental et le monde arabo-musulman sait que les Croisades ont été un moment déclencheur, la matrice d’une idéologie meurtrière mêlant racisme anti-arabe et islamophobie (ce mot que je revendique, qui a fait l’objet d’un essai à plusieurs mains il y a trois ans, Regards français sur l’islam, Éditions du Croquant…et qui me vaut également des attaques d’une partie de la gauche française).
Ai-je commis une faute méthodologique en décrivant ensuite le cheminement de cette idéologie meurtrière, dont l’explosion dans l’entre-deux-guerres, jusqu’à la lisière de la guerre d’indépendance ? Comment M. Kitouni peut-il résumer ma description par la formule : j’aurais prétendu que c’était « la faute aux Sarrazins » ? Mais c’est, point par point, la démonstration contraire que j’ai développée ! Et je n’ai fait là que reprendre un argumentaire classique de nos glorieux aînés, Aimé Césaire, Frantz Fanon et Georges Balandier, qui avaient dénoncé le racisme colonial bien avant 1954.
Je suis ensuite, comme la méthode historique nous l’a appris, passé à la terrible période 1954-1962. Avec les deux phrases de transition suivantes : «La guerre d’Algérie n’a pas surgi comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Les affrontements, de 1954 à 1962, accentuèrent le phénomène».
Est-ce clair ? J’ai compté : j’ai consacré 3.930 signes sur 7.544 à la guerre d’indépendance (article trop court, mais c’était une obligation pour un ouvrage épais). M. Kitouni enchaîne par des exemples sur le quotidien de ce racisme, les «vexations journalières que subit l’indigène sur sa terre natale», les épouvantables mots du quotidien.
Comme s’il me les jetait à la figure, me montrant mon ignorance. Manque de chance : je ne l’ai pas attendu pour mener ce combat. Oubliant toute modestie, j’ose dire que mon essai Le Credo de l’Homme blanc, qui date de 1996 (Éditions Complexe), a eu un rôle, sinon précurseur, en tout cas de liaison entre la «génération Fanon» et les travaux antiracistes de la jeune génération de chercheurs.
Quant à la « leçon » sur le vocabulaire, elle est tout aussi mal venue : j’ai également « commis » un Petit dictionnaire des insultes racistes. Des racines coloniales du racisme “à la française“ (Éditions Les Indes Savantes, 2020), véritable guide à l’usage des militants antiracistes, et reçu comme tel par tous ses lecteurs et par bien des militants.
Comment conclure ? Je crains que M. Kitouni ait cherché à régler des comptes avec l’équipe de la rédaction de ce Dictionnaire. Il y a peut-être, et même sans doute, des notices critiquables, comme dans toute œuvre collective. Et je ne suis nullement mandaté pour défendre toutes les contributions. Chacun a écrit sous sa responsabilité. Mais, m’attaquant, il s’est tristement trompé de cible.
Bien cordialement
Alain Ruscio,
Historien, lauréat du prix du livre anticolonialiste 2008 et 2011
06/05/2023
https://elwatan-dz.com/lhistorien-alain-ruscio-nous-ecrit
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