Le monde se rappelle le massacre des juifs mais oublie celui de Deir Yassine. D. R.
Une contribution de Kaddour Naïmi – La tragédie que les nazis ont fait subir à des Européens, dont le seul tort était d’être de confession juive, est connue et rappelée systématiquement dans le monde dit «occidental». Et c’est juste de commémorer ce criminel acte afin d’éviter sa répétition dans le futur.
Seulement, voilà : cette tragédie a servi, et sert, à ceux qui s’en réclament pour commettre un autre tragédie, un autre crime : les victimes sont, cette fois-ci, un peuple tout entier, parce qu’il avait, et continue à avoir, le «tort», aux yeux des bourreaux, d’occuper la terre de ses propres ancêtres : le peuple palestinien. La Shoah (catastrophe, anéantissement, holocauste) de juifs européens a donc causé la Nakba «catastrophe, anéantissement, expulsion» du peuple palestinien, notamment le 15 mai 1948 : la terreur armée des groupes terroristes sionistes Stern, Irgoun et Hagannah ont chassé de leurs villes et villages, avec des massacres de civils et la destruction de centaines de villages, environ 780 000 Palestiniens.
Le plus surprenant dans ces ceux tragédies est ce fait : ceux qui se proclament victimes et/ou descendants des victimes de la première, ainsi que ceux qui les soutiennent (notamment «occidentaux»), la rappellent toujours, tout en faisant silence sur la seconde tragédie. Deux poids, deux mesures, et cette inacceptable injustice est commise par ceux qui se proclament «démocrates, civilisés, libres, modèle social», etc.
Question : est-il conforme à la justice que les Israéliens puissent fêter le jour de naissance de l’Etat d’Israël en ignorant que, pour les Palestiniens, ce jour fut celui funeste de la «Nakba» ?
Autre fait surprenant : ceux qui étaient stigmatisés comme «terroristes» (les sionistes par l’occupant colonial anglais de la Palestine) sont les mêmes qui, une fois la Palestine occupée par eux, stigmatisent les Palestiniens qui veulent récupérer leur territoire, comme «terroristes». Et les «Occidentaux» font de même.
Parmi ceux qui ont parlé et parlent du massacre commis par les nazis contre les juifs du ghetto de Varsovie en 1943, combien ont parlé, et parlent, de ce qui s’est passé, seulement cinq années après dans la localité palestinienne de Deir Yassine (1) ?
Entre la Shoah des juifs et la Nakba des Palestiniens, combien reconnaissent cet aspect commun : le refus, de la part d’un Etat, de l’existence d’un peuple ? Il est vrai qu’il s’agit de types différents de dénégation : les nazis refusaient l’existence des Européens de religion juive, en les exterminant, tandis que les Israéliens, ne pouvant exterminer les Palestiniens, se content de nier leur existence et de déclencher de temps à autre, sous divers prétextes, des agressions militaires pour assassiner quelques-uns, y compris enfants et vieillards, afin de terroriser l’ensemble.
Des «justes» israéliens pour le peuple palestinien
Cependant, une minorité d’Israéliens se comportent en «justes» envers le peuple palestinien. L’un d’entre eux est Ilan Pape qui écrit : «En tant qu’enfant juif, né à Haïfa dans les premières années cinquante, je n’ai jamais rencontré le terme Nakba (catastrophe), ni j’en connaissais la signification. (…)
Successivement, comme jeune étudiant de doctorat à l’Oxford Université j’ai choisi 1948 comme argument de ma thèse. (…) je découvris par hasard dans les archives israéliennes et britanniques des preuves qui, mises ensemble, me donnèrent pour la première fois une claire idée de ce qu’a était la Nakba. Je trouvai de fortes preuves de l’expulsion systématique des Palestiniens de la Palestine et je fus saisi de surprise par la vitesse avec laquelle fut porté en avant la judaïsation des villages et des quartiers qui étaient auparavant palestiniens.
Ces villages, dont la population palestinienne avait été expropriée en 1948, furent désignés par un autre nom et repeuplés en peu de mois. Cette image contrastait non seulement avec ce que sur 1948 j’avais appris à l’école, mais aussi avec ce que sur 1948 j’avais compris à propos du Moyen-Orient dans mes études de licence à la Hebrew Université de Jérusalem, bien qu’un bon nombre de mes leçons concernaient l’histoire d’Israël. Sans le vouloir, ce que j’avais trouvé contredisait aussi les messages qui m’avaient été transmis comme citoyen d’Israël durant mon initiation dans l’armée, dans les événements publics tels le jour de l’indépendance et dans les discours quotidiens dans les médias du pays sur l’histoire du conflit israélo-palestinien.
Quand je retournai en Israël en 1984 pour commencer la carrière académique, je découvris le phénomène de la négation de la Nakba dans mon nouvel environnement. En réalité, il faisait partie d’un phénomène plus grand, c’est-à-dire l’exclusion de tous les Palestiniens de la discussion académique locale. (…)
Peu après, à la fin des années quatre-vingt, certains académiciens, moi inclus, ont attiré l’attention du public en publiant des livres scolaires qui défiaient la version israélienne généralement acceptée sur la guerre de 1948. Dans ces livres, nous accusions Israël d’avoir expulsé la population indigène et d’avoir détruit les villages et les quartiers palestiniens (…) l’État juif avait été construit sur les ruines de la population indigène de Palestine, dont les moyens de subsistance, habitations, culture et terre avaient été systématiquement détruits.
(…) Cependant, au niveau supérieur, l’establishment fit tout le possible pour réprimer ces premiers germes d’auto-conscience israélienne et d’admission du rôle d’Israël dans la catastrophe palestinienne, une admission qui aurait pu aider les Israéliens à comprendre mieux l’actuel point mort dans le processus de paix.»(2)
Le ver est dans le fruit
A propos de la tragédie palestinienne, les sionistes et leurs partisans occidentaux ne sont pas les seuls responsables. Une minorité de Palestiniens, corrompus, et des dirigeants de pays arabes, également corrompus, font le jeu des colonialistes sionistes.
Déjà, dans le passé, le Syrien Constantin Zureik avait examiné la signification de la Nakba non seulement pour le peuple palestinien, mais également pour l’ensemble du monde arabe (3). La défaite des cinq armées arabes contre l’armée israélienne en 1948 fut la première manifestation de l’incapacité des dirigeants arabes sur tous les plans ; les défaites qui suivirent montrèrent davantage cette incapacité ; les compromissions actuelles, suite au «plan Abraham» de Trump, démontrent à quel point cette incapacité de dirigeants arabes est devenue une complicité directe avec l’occupant sioniste contre l’intérêt légitime du peuple palestinien à disposer d’une patrie.
Il s’ensuit que cet objectif nécessite d’abord l’élimination du ver de la compromission des dirigeants et «élites» d’abord palestiniens, ensuite des nations arabes, dont l’oligarchie marocaine est la manifestation la plus condamnable, puisqu’elle a permis la présence massive sioniste, qui menace l’Algérie, ferme soutien de la cause palestinienne. Le combat pour les droits eu peuple palestinien est, donc, une exigence de longue haleine qui doit s’exercer dans tous les domaines de la vie sociale, en commençant par le domaine culturel, «civilisationnel», comme disait Constantin Zureik et comme, aujourd’hui, le rappelle Jean Cohen : «Le régime sioniste occupe, colonise, emprisonne, tue. Et la communauté internationale ne fait rien et ne fera rien. Parce qu’Israël est une puissance nucléaire qui sert l’Occident et que les autres puissances ménagent pour toutes sortes de raisons. Il serait temps que les Arabes, en général, et les Palestiniens, en particulier, enfin ceux qui ont de l’imagination et de l’audace, s’attaquent à la nature du sionisme et à ses failles. Je m’étais interrogé hier pourquoi ce monde arabe est incapable de faire du 15 mai un «devoir de mémoire», très à la mode en Occident, pour la Palestine et le nettoyage ethnique de 1948, et mettre le paquet, des millions et des millions de dollars, qu’il possède en quantité. Et j’ai cité d’autres possibilités auxquelles le monde arabe, enfin celui qui résiste, peut recourir pour saper la légitimité sioniste. Je suis un peu désabusé de revenir sur des considérations cent fois répétées et qui restent sans effet.»(4)
Espérons que la naissance du nouveau monde multipolaire, avec notamment le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, sera bénéfique au peuple palestinien, et permettra au peuple israélien (à l’exemple de personnalités tel Ilan Pape, et d’organisations citoyennes telles que Courage to Refuse)(5), et aux juifs du monde (tel Jean Cohen, et des associations telles que Rete Ebrei Contro l’Occupazione (Réseau juifs contre l’occupation) (6) de prendre conscience de leur responsabilité dans la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien.
En attendant, le soutien à sa lutte pour une patrie est, aujourd’hui, l’un des critères qui montre qui défend réellement une vraie justice universelle au bénéfice de tous les peuples de cette planète. Se taire, aujourd’hui, sur la Nakba palestinienne équivaut au silence, hier, sur la Shoah. Quant à ceux qui accuseraient le peuple palestinien et ses partisans d’être «anti-sémites», rappelons que les Palestiniens sont, eux aussi, des sémites. Enfin, à ceux qui invoquent l’histoire biblique («Jahvé» aurait offert la Palestine aux juifs), rappelons que l’événement fut possible par le génocide des habitants d’alors : les Cananéens. A la différence de ces derniers, le peuple palestinien, malgré tous les déboires et les trahisons, continue à exister, et l’enjeu en cours en Ukraine le concerne aussi.
Une contribution de Kaddour Naïmi
mai 14, 2023 -
https://www.algeriepatriotique.com/2023/05/14/devoir-de-memoire-de-la-shoah-a-la-nakba/
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