Sans filtre, la chronique de Mémona Hintermann, grand reporter, ancienne membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Quand la sonnerie a retenti en pleine nuit, Camille Blanc s’est précipité hors de son lit espérant que sa femme ne serait pas réveillée. Le téléphone était posé à proximité d’une fenêtre donnant sur la rue surplombant le lac. Le feu d’une explosion. La charge de plastic avait été placée sur le rebord de la fenêtre. A 50 ans, le maire socialiste (SFIO) d’Evian, médaillé de la Résistance, un pacifiste militant pour la paix en Algérie venait de payer le prix de son idéalisme. L’OAS l’avait ciblé parce qu’il avait proposé sa ville pour accueillir une délégation algérienne. C’était en mars 1961, exactement un an avant la signature des fameux accords.
Aujourd’hui, même dans la cité thermale de Haute-Savoie, l’assassinat du maire disparaît des mémoires. Quant aux touristes, n’en parlons pas. On préfère l’oubli parce que c’est commode d’effacer les traces des forfaits des amis de Jean-Marie Le Pen. On ne fait pas d’histoire parce que…c’est de l’histoire ancienne, parce que des morts, dans le sillage de la guerre d’Algérie, il y en a eu de tous côtés, non ?
Pourtant, entre l’attentat qui a tué Camille Blanc et l’incendie qui a fait craquer Yannick Morez, un point commun : la mouvance de l’extrême droite. Une vieille affaire, l’extrême-droite en France. Comme son homologue assassiné au bord du Lac Léman, le maire de Saint-Brévin-les-Pins a reçu suffisamment de preuves de la détermination de nervis en embuscade. Sont-ils les seuls à saboter les rouages de la vie démocratique ? Il faudrait être borgne pour ne pas distinguer les failles sous nos yeux. Les ennemis de la liberté - étiquetés d’obédience fasciste - n’ont pas le monopole des méthodes qui imposent de jeter l’éponge. L’extrême-gauche, par ses paroles et ses actes, n’a pas renoncé à son vieux fonds de commerce de la haine bien-pensante. Les groupes nommés Black blocks ou autres nihilistes qui ricanent en faisant brûler des policiers comme des torches ne sont pas des enfants de chœur. Chez nous, la palette des acteurs de la violence est largement garnie. On n’oublie pas les apôtres de l’islamisme, pas vraiment des apprentis dans l’art de l’intimidation. Sans compter la violence sans nom, sans affiliation particulière, banalisée au quotidien.
Sur les 1300 démissions de maires depuis 2020, toutes ne s’expliquent pas uniquement par des causes de brutalité physique. Il y a aussi les injures, les diffamations, la peur lancinante qui ronge parce qu’on a un élu dans la famille, il y a toutes ces sales manières qui dégoûtent de la chose publique jour après jour. Avec un sentiment diffus que l’Etat ne s’intéresse pas à ces dangers. Cette fois, est-ce vraiment la fois de trop ? Ce serait naïf de le croire, malgré la décision du gouvernement de renforcer la protection des titulaires de l’onction du suffrage universel.
L’air du temps est gonflé de violence. Le choc provoqué par le choix de Yannick Morez de renoncer à son mandat et à sa ville s’est ajouté à un acte qui aurait pu passer pour un fait divers. Le passage à tabac du petit-neveu de Brigitte Macron n’est pas un fait divers anodin, il ajoute au sentiment que tout se règle désormais par la force. Dans les yeux d’Emmanuel Macron dénonçant cette attaque contre un proche, il y avait de l’effroi comme si, soudain, le chef de l’Etat prenait conscience de la haine dont il est l’objet. Elu au plus haut degré de responsabilités, il ne peut ignorer ce que subissent les enseignants, les soignants, les pompiers…Punir comme on le fait jusqu’à présent ne suffit pas . Changer de mentalité, alors ? Pas le temps, il y a le feu à la maison.
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