Couple
Le film aurait aussi bien pu s’intituler Charles et Yvonne, ou Charles et Anne, mais finalement ses auteurs et son réalisateur, Gabriel Le Bomin, sont allés au plus simple et au plus explicitement direct : De Gaulle. Il a fait un premier triomphe ce lundi dans l’amphithéâtre Foch de l’École militaire, à Paris. Six cents spectateurs invités lui ont fait une « standing ovation » de plusieurs minutes. On ne sait pas s’ils acclamaient le film ou, une dernière fois, à titre rétrospectif, de Gaulle, comme par nostalgie pour ce héros du siècle dernier, le dernier mythe de notre histoire nationale, le seul qui nous fût contemporain puisque Jeanne d’Arc, Napoléon, Hugo et Clemenceau n’ont plus été les contemporains d’aucun d’entre nous. Alors que de Gaulle, lui, nous l’avons vu entendu, acclamé jusqu’à l’hystérie, parfois sottement hué, mais comme touché des yeux lors des « Trente Glorieuses ».
C’est un beau film, émouvant et très juste dans le ton et dans les couleurs du temps qui est passé depuis ces quelques mois de 1940 qui représentent l’arrière-plan du scénario. Car pour tous les Français qui ont la mémoire longue, l’époux d’Yvonne et père inconsolé de la malheureuse Anne, trisomique morte à vingt ans, en 1948, de Gaulle est et restera toujours « l’homme du 18-Juin ».
Peu importent pour nos souvenirs ceux des années postérieures, le de Gaulle des combats de la IVe République, avec le RPF, parti droitier et parfois violent de guerre froide. Peu importe à la limite le de Gaulle de mai 1958, qui permit à un certain François Mitterrand d’écrire un pamphlet hâtif intitulé Le Coup d’État permanent déjà dénoncé par Mendès France. Peu importe le de Gaulle de la fin de la guerre d’Algérie et celui de 1968, passé complètement à côté des « événements » qui n’ôtèrent finalement rien à sa gloire même s’ils furent la matrice de son effacement de 1969 et de son décès solitaire de 1970.
Le 18 juin 1940 n’est pas venu comme ça, sans préparation psychologique, sans prémices et taraudages intimes. Le film de Gabriel Le Bomin est entièrement consacré à ces quelques semaines d’avant le discours radiodiffusé de Londres et n’évoque pas les combats qui s’ensuivirent jusqu’à la descente des Champs-Élysées en août 1944. C’est l’histoire de trois personnages : un père, une épouse, une petite fille handicapée. Sans larmoiements, sans emphase, les acteurs n’en rajoutent pas, notamment Lambert Wilson dans le rôle du Général. Pas commode ce personnage. Nous sommes tellement familiers de sa stature, de sa silhouette et de sa voix qu’il faut pour se glisser dans ce vaste costume une bonne dose d’humilité. Lambert Wilson a compris qu’il ne s’agissait pas d’imiter le Général ou de le copier, mais de l’évoquer. D’où vient que, contrairement à ce qui aurait pu être une tentation d’acteur, il n’en rajoute pas, il ne se surjoue pas en Général. C’est en quoi il est excellent.
Côté Yvonne l’actrice est modeste aussi, sans être effacée par la grande Histoire qui se noue à ses côtés. La très belle Isabelle Carré donne à celle que nous appellerons, bien plus tard que dans sa jeunesse, « Tante Yvonne » avec un mélange d’irrespect, de tendresse admirative et de sarcasme type Canard enchaîné, elle donne au personnage une épaisseur humaine, sentimentale, et un courage visibles. Elle a l’héroïsme émouvant de la discrétion et du dévouement à son époux, à sa famille au sens large et surtout à sa petite Anne, la jeune handicapée souriante et lumineuse, toujours perdue, physiquement et mentalement, perdue, éperdue mais toujours retrouvée, récupérée dans le désastre et le désordre de l’exode qui saigne la France humiliée.
Le réalisateur Gabriel Le Bomin, coauteur du scénario, s’était naguère signalé avec un très beau film sur les conséquences psychiatriques de la guerre de 14-18, Les Fragments d’Antonin. Il signe aujourd’hui avec ce De Gaulle une seconde réussite de grande ampleur.
Le sujet le vaut et la France le mérite. Sortie nationale le 4 mars. Faites un nœud à votre mouchoir.
Virus
Car la France, notre « cher et vieux pays », est malade. Il est patraque, flapi, atteint par un virus moins mortel que celui qui nous vient de Wuhan mais non moins efficace en délabrement du mental. La France est économiquement plutôt en forme. Culturellement, elle se tient. Militairement elle est active et se défend. Diplomatiquement elle essaie de compter encore, même si rares désormais sont ceux qui l’écoutent, à Washington, Londres ou Pékin. Le couple formé avec l’Allemagne bat un peu de l’aile, l’aile berlinoise s’affaissant un peu.
Socialement, la France est exténuée, percluse de rhumatismes et d’arthrose. Elle ne sait plus où donner de la colère. Tout fait aliment à des revendications. De toutes les catégories montent des lamentations plus ou moins compréhensibles. Les avocats font bloc autour de la cagnotte de leur caisse de retraite, les cheminots autour de leurs avantages acquis, les médecins hospitaliers sont accablés de tâches qui n’ont rien à voir avec la médecine et doivent enfin se soucier du sort des gens du bas de l’échelle avec qui ils travaillent et que, depuis des années, ils se contentaient de regarder de haut. Les profs n’en peuvent plus de porter le poids d’une société décomposée. Les policiers en ont assez, comme les pompiers, d’être caillassés quand ils interviennent là où l’état de droit est aboli. Ils n’en peuvent plus de la haine et des injures publiques des réseaux dits sociaux et des défilés de gilets jaunes, rouges ou noirs. Les députés macronistes ne supportent plus d’être vilipendés par le chef de l’État pour avoir, sur consigne de son gouvernement, manqué « d’humanité » lors du vote scandaleux sur les deuils familiaux. Paris, faute d’éboueurs, se pince le nez devant les tas d’ordures dont Marseille a plus l’habitude, ce qui ne console de rien. L’Église se remet des accusations récurrentes qui, à la faveur d’affaires sportives ou cinématographiques, s’éloignent d’elle à son soulagement légitime. Les « communautés » se toisent, l’œil mauvais.
À l’Élysée, le lointain successeur de de Gaulle médite-t-il en son for intérieur sur l’état du pays, meilleur qu’en juin 1940, ou ne voit-il rien de ce qui se passe dans les têtes et du délitement lent, sûr et dramatique du tissu national ? Est-il autant « hors sol » que l’affirment ses adversaires et concurrents d’hier et de demain ? On ne saurait sonder les reins et le cœur du chef de l’État. On ne voit que le personnage médiatisé, pas la personne. Il est pourtant attaqué de toutes parts comme personne supposée en vertu de ce qui se laisse entrevoir derrière le personnage. Plus tard, aura-t-il droit à un vrai destin de héros ou, comme plusieurs de ses prédécesseurs depuis 1969, passera-t-il la fin de son parcours mémorable dans les arrière-cours de la République sans cœur où nous nous agitons les uns et les autres dans une sorte de nouvel exode, cette débâcle sans autres bombardements que ceux que nous déclenchons.
Cher et vieux pays… à l’insatisfaction toujours recommencée. Nous devrions la revendre à l’exportation.
https://www.la-croix.com/Debats/Chroniques/Cher-vieux-pays-2020-02-07-1201076981
De Gaulle ***
« De Gaulle », un film émouvant, une vision conjugale
https://www.la-croix.com/Culture/Cinema/Gaulle-film-emouvant-vision-conjugale-2020-03-03-1201081865
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