Il fallait mettre un point final à cette oeuvre exceptionnelle commencée par Jacques Ferrandez en 1986. Chose faite avec ce tome 2 des Suites algériennes.
Il aura donc fallu 35 ans à Jacques Ferrandez pour achever son grand oeuvre. Le défi était à l’aune de son objet : raconter la colonisation de l’Algérie de 1830 à son indépendance en 1962. Dix albums, Les Carnets d’Orient, devenus des classiques utilisés dans les écoles et lycées pour dire la complexité d’une Histoire racontée de manière fictionnelle et historiquement juste. Mais il manquait « l’après », la période post coloniale. Sans doute fallait il le recul du temps pour oser s’attaquer à cette période plus récente. En 2021, deux ans après le « Hirak », sort le premier tome du diptyque « Suites algériennes » qui s’achève ce mois ci.
Dans ce dernier ouvrage, on retrouve des personnages des Carnets d’Orient, qu’il est d’ailleurs préférable d’avoir lus préalablement, mais on s’éloigne de la saga familiale pour un récit plus didactique, moins romancé, et qui prend souvent la forme d’une enquête journalistique faite d’entretiens et de rencontres. Cette fois-ci, l’essentiel est consacré aux algériens eux-mêmes et à leur propre responsabilité dans l’échec de la période post-coloniale.
L’histoire de l’Algérie pour nombre de ses habitants est simple : en 1830, les Français viennent coloniser leur pays, l’exploiter. Les Algériens à partir de la Toussaint Rouge de 1954 entament et gagnent une guerre juste, les combattants se montrent héroïques et ils obtiennent dans la liesse générale leur indépendance en 1962. « Un seul héros, le peuple, pour ne pas avoir à nommer ceux qui avaient commis les exactions et ceux qui en ont été les victimes. »
Ce récit schématique et glorieux colporté par les différents régimes qui se succèdent, Kamel Daoud dans sa magnifique préface le qualifie d’imaginaire, la complexité des événements étant plus grande qu’une « histoire nationale (…) convertie en une fiction qui inspire le réel, sinon s’y substitue ». Toute la Bd tend ainsi à démontrer ce que le récit national cache et galvaude une réalité beaucoup plus trouble comme le prouvent les personnages de ce dernier opus où chacun trahit l’autre avant d’être trahi lui-même. Double jeu, forfaitures travestissement de la réalité, depuis 1962 l’Algérie vit dans le monde du mensonge et du faux semblant, la seule référence permanente et unanime étant la France responsable de tous les maux par ses manipulations cachées. Comme un exutoire.
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