Dans sa récente interview accordée à la chaîne Al-Jazeera, le chef de l’État affirmait que l’Espagne était prête à restituer à l’Algérie trois hôtels appartenant à l’ancien homme d’affaires condamné pour corruption et blanchiment. La réalité est plus complexe.
Le président Abdelmadjid Tebboune a-t-il été induit en erreur par ses conseillers ou par des rapports de la chancellerie concernant l’opération de restitution des biens et des avoirs acquis par d’anciens oligarques à l’étranger, notamment en Espagne ? Dans une récente interview accordé à Al-Jazeera Podcasts, le président affirme que Madrid a accepté de restituer au trésor algérien trois hôtels cinq étoiles acquis dans ce pays par un ancien homme d’affaires, dont il refuse de citer le nom.
Cet acquéreur que le chef de l’État refuse de nommer n’est autre qu’Ali Haddad, ancien PDG du groupe ETRHB et ex-président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), incarcéré à la prison de Tazoult, dans l’est du pays. Quant aux trois hôtels, que Tebboune ne mentionne pas non plus, il s’agit de l’Hotel El Palace Barcelona, de l’Hotel Miramar Barcelona et du Gran Hotel La Florida, tous situés à Barcelone.
L’Espagne serait-elle donc prête à les restituer ? Sur le papier, l’opération constituerait un beau succès pour les autorités algériennes, lancées depuis des années dans une vaste opération de récupération des biens accumulés par les anciens puissants de l’ère Bouteflika. Dans les faits pourtant, la situation est beaucoup plus que complexe que ne la présente le chef de l’État. D’abord les résultats des commissions rogatoires internationales sont plutôt en deçà des attentes des autorités algériennes.
Plus de 220 commissions rogatoires et demandes d’entraides judiciaires ont été adressées à plusieurs pays (Espagne, France, Italie, Émirats, Royaume-Uni, Luxembourg, États-Unis, Suisse, Liban…) pour tenter d’identifier les biens acquis par d’anciens oligarques et d’anciens ministres qui ont fait l’objet de condamnations par la justice algérienne. Mais jusqu’à l’an dernier, la commission envoyée par le parquet d’Alger en Espagne pour réclamer des informations sur les avoirs d’Ali Haddad est revenue bredouille, avance un des avocats de ce dernier qui n’a pas souhaité être identifié. Les résultats plutôt maigres de ces commissions rogatoires contrastent avec l’optimisme affiché par Abdelmadjid Tebboune sur le plateau d’Al-Jazeera.
Un hôtel, et non trois
Surtout, et contrairement à ce que celui-ci avance, Ali Haddad n’a pas acquis trois hôtels à Barcelone mais un seul : l’hôtel El Palace Barcelona, ex-Ritz. Avec ses 120 chambres et suites, une majestueuse terrasse, un cabaret et un restaurant haut de gamme, El Palace a accueilli notamment Joséphine Baker, Frank Sinatra, Dalí, Ronnie Wood ou encore Joan Miró. Aujourd’hui, il constitue toujours l’un des endroits les plus chics de Barcelone.
C’est en 2011 qu’Ali Haddad a acheté l’établissement auprès de la société Inmobiliaria Sarasate, via Aginyo Inversiones y Gestiones Inmobiliarias S.L dont il est l’administrateur unique. Le prix exact de cette transaction n’a jamais été rendu public. Selon la presse espagnole, il aurait coûté 80 millions d’euros. D’autres sources médiatiques avancent le chiffre de 68 millions d’euros. Le principal intéressé évoque un montant largement inférieur à ces sommes.
Par ailleurs, Aginyo Inversiones y Gestiones Inmobiliarias S.L a été enregistrée le 16 décembre 2011 au registre de commerce de Barcelone sous le code B65675571. Six jours plus tard, Radia Bouziane, ressortissante algérienne naturalisée espagnole en 2019, est nommée fondée de pouvoir de Aginyo Inversiones. Progressivement, le nom de Haddad va sortir des radars.
Interrogé lors de son procès en juin 2020, Ali Haddad explique avoir acheté El Palace Barcelona pour 54 millions d’euros grâce à trois prêts de banques espagnoles, ainsi qu’une avance de 5 millions d’euros d’un généreux ami qui lui avait ouvert les portes de banques ibériques. À l’époque, le magistrat n’a pas jugé opportun de le questionner sur les noms de ces banques ni sur l’identité de cet ami ou sur les modalités et les conditions des prêts. Pas plus que sur leurs échéances de remboursements.
Quid alors du montage financier ? Selon des informations du quotidien El Watan, le montage pour l’acquisition d’El Palace se repartit ainsi : une ligne de crédit de 44 millions d’euros allouée par une banque espagnole et 10 millions d’euros avancés, à hauteur de 5 millions d’euros chacune, par l’entreprise de BTP turque Mapa et l’entreprise portugaise Teixeira Duarte avec lesquelles ETRHB de la famille Haddad était associé dans de nombreux projets en Algérie pour plusieurs centaines de millions d’euros.
Mais Ali Haddad est-il toujours le propriétaire de l’hôtel El Palace ? Depuis son acquisition en 2011, son nom et le nom de sa société Aginyo Inversiones y Gestiones Inmobiliarias S.L n’apparaissent plus sur les registres de commerce de Barcelone. En juillet 2014, la gestion de l’hôtel est confiée à l’entreprise Skidbladnir SL dont Radia Bouziane est l’unique propriétaire. Exit le nom d’Ali Haddad. Deux ans plus tard, l’établissement passe aux mains de la société Royal Blue Bird SL dont Radia Bouziane est propriétaire unique, et qui le possède toujours à ce jour. Là encore, le nom de l’homme d’affaires n’apparaît nulle part dans les documents officiels que la société a été tenue de faire enregistrer lors de la modification de statuts ou de gérants.
Un propriétaire libano-britannique
Il faudrait donc des années de procédures judiciaires pour, d’abord, démêler la complexité et l’enchevêtrement des montages financiers et juridiques des statuts de cet hôtel, et ensuite prouver que l’ancien oligarque en est toujours l’unique propriétaire, ou l’un des principaux actionnaires. Il faudrait aussi livrer des batailles longues et âpres contre cette banque qui lui aurait prêté 44 millions et contre ces deux entreprises, Mapa et Teixeira Duarte, qui souhaiteraient logiquement récupérer les fonds qu’elles auraient prêtées pour cet achat.
Quant aux deux autres hôtels, l’Hotel Miramar Barcelona et le Gran Hotel La Florida, dont parle Abdelmadjid Tebboune dans son interview, Ali Haddad n’en a jamais fait l’acquisition. En 2016, il s’était effectivement intéressé à ces deux établissements de luxe dans le but d’élargir son patrimoine dans l’hôtellerie en Espagne. Toutefois, ces deux transactions n’ont pas abouti en raison notamment du gros volume de dettes des deux hôtels, environ 50 millions d’euros.
Aujourd’hui, ces deux établissements appartiennent au milliardaire libano-britannique Boutros Joseph El-Khoury, qui les a acquis en 2010 via son fonds d’investissements Continental Property Investment (CPI) auprès du fonds américain Area Property.
Depuis plusieurs années, El-Khoury tente de les revendre sans succès. En octobre 2022, il a mandaté Savills, un grand cabinet de conseil en immobilier d’entreprise, pour tenter de les remettre sur le marché pour un montant total de 60 millions d’euros, mais aucun repreneur ne s’est manifesté. Et aucun des documents déposés au registre du commerce de Barcelone depuis 2010, au nom du Gran Hotel La Florida SA ou de l’Hotel Miramar Barcelona SA, ne fait apparaître le nom d’Ali Haddad.
On voit mal, dès lors, pourquoi et comment l’Espagne accepterait-elle de restituer à l’Algérie deux hôtels qui n’ont a priori aucun lien avec l’oligarque emprisonné.
En plein ramadan, la fiction « Le Jeu de Dames » est devenue un phénomène de société, non sans s’attirer son lot de critiques, elles-mêmes sources d’audience.
Qui dit ramadan dit jeûne, dattes et séries télévisées. Rendez-vous aussi incontournables que les films de Noël au pays de l’oncle Sam, les productions télévisuelles du « pays de l’oncle Salam » sont pourtant moins sirupeuses. Cette année, en Algérie, la série « El Dama » – »Le Jeu de Dames »– explose les compteurs d’audience. Diffusée par la télévision publique ENTV, la fiction dépeint avec un réalisme original la vie quotidienne dans le quartier algérois de Bab El Oued, loin de l’ambiance « telenovela » des programmes habituels du mois saint.
Langage cru et « valeurs nationales »
Des voix conservatrices ne pouvaient manquer d’exprimer leur embarras face au spectacle haletant de conflits de gangs, entre courses-poursuites effrénées, circulation de stupéfiants en établissements scolaires et règlements de comptes nocturnes, sur fond de trafic de drogue ou de contrebande d’or. Autant d’éléments dramaturgiques teintés de violence et de langage cru qui cadrent peu avec les stéréotypes habituellement recommandés pour la préservation des « valeurs et constantes nationales » qui encadrent la bonne morale algérienne.
Dans cette fresque d’ambiances viriles, le genre de la scénariste finit de satisfaire les aficionados d’ »El Dama ». Et le réalisateur Yahia Mouzahem d’enfoncer le clou de l’indépendance de ton, en précisant qu’une « série n’est pas une leçon de morale », mais plutôt une saine occasion « de discuter » sur des sujets sociaux.
L’Autorité de régulation de l’audiovisuel, elle, traque les détails. Le 30 mars dernier, l’ARAV s’émouvait du visionnage, dans la série, d’une « scène montrant un mur (…) sur lequel est écrit le nom d’un mouvement séparatiste classé comme terroriste ». Suivra une exégèse de la scène incriminée par la télévision publique et le réalisateur. Le feuilleton ne sera pas censuré, mais le ministre de la Communication annoncera la création d’une « cellule » au sein de son département, cellule dédiée au « suivi de la qualité des programmes du ramadan »…
Ramadan et controverse
Comme de bien entendu, les polémiques qui ne compromettent pas la diffusion d’un programme lui servent de promotion, notamment dans les diasporas qui guettent toute occasion de suivre « El Dama » en streaming, par exemple sur YouTube.
D’année en année, certaines séries du ramadan sont de plus en plus controversées. Au précédent jeûne, des Égyptiens découvraient avec étonnement la nouvelle saison de la série « Al-Ikhtiyar » à la gloire du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. En mars dernier, c’est le programme tunisien « Falloujah » qui faisait polémique. Comme dans « El Dama », des séquences représentaient des lycéens rebelles en proie au trafic de drogue…
Qu’ils vivent à Sidi Bel Abbès, à Oran, Dans la casbah d’Alger, blanche ville chérie, Nourris des beaux versets puisés dans le Coran, Ils aiment leur patrie, - tous - la fière Algérie.
Djazaïr, entre le désert du Sahara Et la mer de beauté, la Méditerranée, Tes cités appelées Tlemcen ou Mascara, Sétif ou Bejaïa sont jolies à l’année.
Riche de Berbères, d’Arabes, Djazaïr, Tu as surtout l’atout d’une belle jeunesse Qui préfère le raï mais sans le jazz haïr Et se sépare un peu du fameux droit d’aînesse.
Tout n’est pas merveilleux dans ce nord Africain Qui fut bousculé au long cours de son histoire Et Abdel Kader plus fort qu’un Américain Lutta pour l’unité de son grand territoire.
Djazaïr, tu as fait les fils français partir Car tu voulais être seule et indépendante En clamant haut et fort, que toi, pays martyr Ne voulais plus rester front bas, langue pendante.
Les métropolitains ne te connaissent pas Mais celui de Tizi Ouzou venu en France Nous parle de là-bas et pendant un repas Montre que son cœur bat en rythmant l’espérance.
Chers frères, nous avons eu un destin commun, Chers amis, unis dans la France et l’Algérie, Conservons du respect pour l’autre et l’un comme un Poète suivi de près par son égérie.
PAR JEAN-MICHEL BOLLET
LA GUERRE
I
L'enfant vit cela Qui envoûtait le jardin. La guerre allait parler. Il referma la porte.
II
Puis le silence.
On vit ce qui était plus vrai. Les arbres forçaient la note. Mais c'était la guerre. Point. Encore du mal fait au paysage. Et un certain soleil apparut.
III
La guerre creusait. Ce qu'elle creusa : Une galerie noire.
Dunes noires. Sables noirs. Lune noire.
Ce qu'il en resta. Une pensée noire. Et cela vint.
Une guerre noire. Et ce qui repartit. Une vague noire.
IV
Il se tenait là. Derrière les vitres. Immobile, sans bruit.
Il demeurait là. Dehors. Quelqu'un. Derrière la fenêtre.
Quelqu'un regardait. La lumière éclairait La guerre immobile.
V
Serait-elle venue Sans autre ambition Que de se prosterner Devant lui, la guerre ?
Et faire quoi encore ? Aurait-elle chanté et, Sans un regard en arrière Serait-elle partie ?
Il aurait eu peut-être Le temps de l'écouter.
VI
Indésirables, ils vinrent. Ils cherchèrent le silence. Et tous les coins d'ombre.
Et ni eux ne bougèrent. Ni les cyprès ne bougèrent. Ni le silence ne bougea.
Seule une odeur pauvre, La leur, circula. Amère, L'unique odeur. Oui.
VII
Cela s'en prit aux oiseaux Et ils furent cloués au ciel.
Les arbres n'eurent plus Pour refuge que l'immobilité.
Restèrent les collines qui Vite se couvrirent de nuit.
On ne reconnut plus rien. L'enfant les montra du doigt.
La guerre passait là-bas Avec ses nouveaux oiseaux.
VIII
Tout y était. Et le regard aussi. Route jusqu'au silence Des plaines ensoleillées.
IX
Tant de fenêtres. Tant de portes et quoi Fenêtres de malheur, Portes de malheur ?
La première si elle Venait à s'ouvrir. Seulement s'ouvrir. S'ouvrir, et quoi ?
Peut-être, noir Un regard en jaillirait. Ou une voix noire. Une chose aussi noire.
Et qui par les rues Irait vous poursuivre. Et continuerait ainsi Jusqu'à la campagne.
Toujours fermées. Fenêtres, portes. Toujours le silence. Et le temps passait.
X
C'étaient ces heures Quand il y avait la mer Et rien pour les combler.
C'étaient ces portes Toujours trop accueillantes Mais à ne pas ouvrir.
Toucher sans doute
Ce qu'on disait poursuivre.
Tendre sans doute la main.
Lorsqu'un battant s'ouvrit. Et tout un gouffre s'ouvrit. Tout un gouffre sans plus.
XI
Immense, immonde Le monde autour d'eux.
Ils attendaient quoi Plantés là ?
Ils avaient fait halte.
Et l'œil muet
Ils restaient à l'affût.
XII
Les guerriers temporisaient. Laissaient la nuit, la neige Les couvrir. Puis la neige Leur accorda une lumière Qui provoqua leur réveil.
XIII
Son regard alla
De la table au bahut.
C'était la dernière fois.
L'enfant se détourna.
Un miroir ouvrait son eau.
C'était de l'autre côté.
Un paysage inconnu. Il ne s'en émut pas. Il ne se retourna pas.
C'était avant la guerre Quand, la dernière fois Son visage s'y fut montré.
XIV
Et il fit un rêve d'arbre. Il était debout sous le ciel. Les bourgeons éclataient.
Une lumière l'éclaira,
Qui l'accompagna jusqu'au soir.
Et son rêve l'abandonna.
La nuit compta les balles. Le jour compta les morts. On attendait la saison d'après.
XV
On les laissait avoir peur. On les laissait avoir froid. On les laissait blanchir.
On ne peut pas, dit l'enfant, Alors qu'il fait si froid, Alors qu'il fait si noir.
Mais dehors ils restaient. On ne peut pas, disait-il. Et rien, aucune réponse.
XVI
La guerre n'avait là rien Écrit ce matin sur la neige. Si heureusement blanche.
Les arbres faisaient Debout, noirs, le guet. Pas d'autres signes.
Et le silence. Autant Il y en avait pour l'œil Qu'il n'y avait rien à ouïr.
XVII
C'était cette campagne Qu'une guerre poursuivait De sa haine, de sa colère.
L'enfant y allait. Il tendait la main. Une balle y tomba.
Il leva la tête.
Il ouvrit la bouche.
Des balles y tombèrent.
Il les avala.
Resta bouche ouverte.
La guerre passa.
XVIII
Trop tard. Les choses, Les arbres au jardin Avaient pris de l'âge.
Toutes les choses. Les arbres, le jardin Gravaient leur empreinte Dans l'air du soir.
Se faisaient rouille. Le temps ne faisait rien À l'affaire. La guerre Ne savait où mourir.
XIX
Des pas sur le sable. Ils venaient vers lui.
Le masque lui ressemblait Quand y explosa un cri.
« C'était mon histoire Qu'il voulut raconter. »
Il entendait toujours Des pas sur le sable.
Leur marche pesait lourd. Et les vagues se reposèrent.
XX
Il emprunta un visage. Il se sentit regardé. N'était que la guerre
Portait trop beau. On pouvait en mourir. Pas moi, disait-il.
Il eût voulu crier. Elle avançait éclairant La rue de son visage.
Pas moi, disait-il. Pas moi. Ce vide noir Qui n'en finit pas.
Le noir ça me connaît. Et sa lumière à elle. Qui tombe sur la rue.
Il arriva devant un mur Et cria. Il cria noir.
XXI
Il y eut un cri. Ils firent halte.
Il y eut ce silence. La marche reprit.
Mais aucune ombre Ne suivit leurs pas.
Il y eut du vent. Il sema le désert.
Exténué, le vent, Le silence eut un cri.
Et ne s'arrêta plus. Eux, continuèrent.
Eux, continuaient. Allaient à l'infini.
XXII
Quelqu'un s'arrêta Devant la porte ouverte. Y laissa une rose noire. Eux tous le savaient.
Puis les pas s'entendirent Encore. Puis rien. Eux tous Avec cette rose à leur porte Il leur fallut du courage.
XXIII
Danseurs et danseuses Ils ne le furent jamais Ayant fui le marbre.
Et ce qui demeura. Un abîme de clarté Creusé par la guerre.
Entrés sous l'arbre, Oiseaux et oiselles En surent la férocité.
XXIV
Elles furent blanches. Puis elles furent bleues. Puis il y eut du soleil.
Puis elles furent roses Et remplacèrent le soleil. Elles mirent des taches.
Rouges d'abord
Les balles furent noires.
Il allait pouvoir dormir.
XXV
La cueillette eut lieu. On rapporta des pommes Et de la fatigue.
On secoua la fatigue. On mangea les pommes. Vint l'heure du silence.
Le soleil bleuit la nuit. On dormait et il éclairait. On rêvait, l'œil ouvert.
XXVI
Une balle ou quoi ? Elle tournaillait et lui : Elle ne sait où aller.
Le garçon la regardait. Elle continuait, tournait. Se savait-elle perdue ?
Manquait-il des cibles Au salon ? Elle ne savait Qui tuer et tournait.
XXVII
La guerre enleva son masque. De chaque œil tomba une larme. Le même doigt écrasa l'une Et le même écrasa l'autre.
L'enfant regarda la guerre. Elle n'avait pas de visage. Il alla s'occuper d'autre chose. La guerre garda son secret.
XXVIII
Il y avait la porte. Il y avait la cage. II y avait la fenêtre.
Il se tournait vers L'une et vers l'autre. Il y avait une guerre, Il y avait son odeur.
Il examina ses ongles. Le sang en était blanc. La guerre à ses pieds Tomba. Elle tomba. Lui, Regarda ses chaussures.
Lui, regarda la cage. L'oiseau y était. Puis Regarda par la fenêtre. Il ne vit que prairies.
Il marcha vers la porte. L'enfant s'y arrêta. Là, Rien de la guerre. Aucune nouvelle.
Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel. D. R
Une contribution de Khider Mesloub –
Sans surprise, le Conseil constitutionnel, institution bourgeoise réactionnaire, issue du coup d’Etat de 1958, ourdi par l’armée en faveur du général de Gaulle, composée de mandarins appartenant au sérail politique et gouvernemental rémunérés 13 700 euros pour remplir leur sinécure (sans compter leurs multiples retraites dorées), a validé l’essentiel de la réforme des retraites, dont le report de l’âge légal de départ à 64 ans, le plus contesté. Qui plus est, il a rejeté la demande de référendum d’initiative partagée (RIP).
Il ne pouvait en aller autrement en cette période de guerre sociale livrée par les capitalistes et leur gouvernement Macron aux travailleurs, accompagnée d’un durcissement autoritaire illustré par les répressions policières extrêmement violentes des mouvements sociaux.
Après le Parlement, court-circuité par l’usage du despotique 49.3, prouvant l’inanité de cette chambre d’enregistrement, c’est autour du Conseil constitutionnel, avec son arrêt de validation de la réforme des retraites du gouvernement Macron, d’apporter la preuve de l’imposture démocratique.
Comme sa décision vient de le démontrer, le Conseil constitutionnel ne peut être considéré comme une instance juridictionnelle impartiale. Et pour cause. Ses neuf membres, nommés par le président de la République et par les présidents de la Chambre des députés et du Sénat, ne peuvent rendre que des arrêts conformes aux intérêts de la bourgeoisie française et de son Etat, aujourd’hui dirigé par le mercenaire du capital international, Macron le va-t-en-guerre, personnalité clivée et clivante, animée d’une rage destructive sociale psychopathique. Actuellement, Macron, en voie de radicalisation, mène de front une furieuse guerre sociale et policière à «son» peuple, réduit à la paupérisation absolue et soumis au totalitarisme démocratique, et une guerre armée à la Russie par Ukraine interposée.
Fondamentalement, depuis sa création, le Conseil constitutionnel a toujours tendu à valider toutes les lois antisociales gouvernementales et à entériner toutes les réformes néolibérales décrétées en faveur du patronat. Autrement dit, le Conseil constitutionnel (j’allais écrire prostitutionnel, tant ces sages notabilités courtisanesques de la République savent honorer les désirs des leurs est au service des capitalistes. Pas étonnant pour des membres oligarques connus pour entretenir des relations étroites avec les milieux d’affaires.
A cet égard, il est utile de rappeler que, en tout état de cause, la fonction capitale du Conseil constitutionnel dans tous les pays capitalistes est la protection de la propriété privée et des libertés économiques capitalistiques. Ainsi, le Conseil constitutionnel veille sagement sur les intérêts de la bourgeoisie française.
Une chose est sûre, dès lors qu’il s’agit de détricoter les législations sociales protectrices séculaires, le Conseil constitutionnel apporte automatiquement sa caution juridique à ces entreprises de torpillage antisocial menées contre les travailleurs.
Soit dit en passant, en cette époque des mœurs dissolues, dominée par des revendications identitaires et sexuelles incessantes et indécentes, le Conseil constitutionnel valide systématiquement les lois sociétales libertaires, autrement dit les lois qui ne relèvent pas d’enjeux économiques, mais participent amplement à la promotion de modèles de vie libertins, notamment le mariage pour tous, la théorie du genre, la GPA, etc. Ainsi, quand une loi controversée, intéressant une infime minorité de la société (quelques milliers), est déférée devant le Conseil constitutionnel, elle est systématiquement approuvée. En revanche, quand il s’agit d’une réforme gouvernementale antisociale impactant l’ensemble des salariés (27 millions), le Conseil constitutionnel valide la réforme. Comme il vient de le confirmer avec la réforme des retraites, pourtant rejetée par 95% des salariés, c’est-à-dire plus de 25 millions.
D’aucuns diraient que le Conseil constitutionnel est une institution démocratique.
Le Conseil constitutionnel rappelle la pseudo-démocratie en Israël. Tout le monde occidental soutient qu’il existe une démocratie en Israël. Or, au vrai, Israël est l’antithèse d’une démocratie. D’ailleurs, c’est une théocratie colonialiste terroriste qui ne survit que par la spoliation et le massacre des Palestiniens. Certes, il existe un Parlement et des médias libres (mais au service exclusif du sionisme). Dès lors que cet Etat colonial est fondé sur le vol de la terre, c’est donc une «démocratie apartheidique» réservée aux seuls voleurs sionistes pour gérer leurs business, préserver leur domination coloniale, pérenniser leur entreprise de rapines territoriales. Avec de tels critères à géométrie variable, l’Allemagne nazie, fondée comme le sionisme sur la pureté raciale, peut être considérée également comme une démocratie. Pareillement pour ce qui est du Conseil constitutionnel (tout comme du Parlement et du Sénat) en France. Dès lors que la France bourgeoise est fondée sur l’oppression de la majorité de la population par une minoritaire classe exploiteuse, c’est donc une démocratie des riches qui défend les seuls intérêts économiques et politiques de cette minoritaire classe bourgeoise. Une démocratie bourgeoise instituée pour gérer son business, préserver sa domination, pérenniser son entreprise de rapines financières, c’est-à-dire le vol de la plus-value. Une démocratie bourgeoise établie par et pour les principaux acteurs de l’économie capitaliste, avec la participation électoraliste du peuple exploité et aliéné en spectateur résigné.
De toute évidence, la France a basculé de la démocratie formelle au despotisme réel. En effet, sous la présidence de Macron on assiste à la fin de la démocratie bourgeoise avec ses Parlements, ses droits, ses pouvoirs et contre-pouvoirs superflus. Car, dorénavant, les lois et les mesures despotiques sont dictées directement par le pouvoir exécutif, sans être ratifiées par le Parlement.
La France se caractérise dorénavant par la militarisation de sa société, la mutilation des droits sociaux des prolétaires, l’assujettissement de toutes les institutions législatives et médiatiques et, surtout, sa gouvernance par la terreur. La France de Macron, en voie de fascisation, s’apprête à étriller la vétuste Constitution, les libérales règles politiques et les lois sociales protectrices, devenues des entraves à la nouvelle gouvernance despotique dictée par la situation de crise économique systémique (vectrice de menaces d’explosions sociales), l’économie de guerre et la marche forcée vers les conflits armés généralisés.
De même, on assiste à la fin de la souveraineté du pouvoir judiciaire, dorénavant dépouillé de son apparente et illusoire indépendance ; à la mort de la liberté d’expression et de la presse, illustrée par la disparition des fonctions de contrepoids correctif démocratiques défendues par des instances de régulation libres, menacées de disparition car encombrantes en période de guerre de classe et de conflit armé.
La France décadente et sénile est rentrée dans la phase du démospotisme. Le démospotisme (néologisme de mon cru), c’est ce mode de gouvernance occidentale qui a l’apparence de la démocratie par l’élection, mais le vrai visage du despotisme par la gestion étatique. La réforme des retraites, passée en force et au moyen répressif des forces de l’ordre, illustre cette dérive totalitaire de l’Etat français.
Une chose est sûre : cela dévoile le caractère illusoire de la démocratie bourgeoise française. En effet, la démocratie est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du capital. Dans l’histoire, démocratie et dictature, deux modes de régulation politique siamois au sein du même mode de production capitaliste, se succèdent alternativement au sein du même Etat, au gré des conjonctures économiques et sociales mais, surtout, de l’assoupissement ou de l’exacerbation de la lutte de classes.
La famille est le plus souvent présentée comme la cellule de base de la société algérienne, celle qui assure sa pérennité et son dynamisme. Beaucoup la voient immuable, à l’abri du temps et des changements. Le conservatisme social, la répression policière, l’autoritarisme politique, l’atonie économique cimenteraient le statu quo et interdiraient toute évolution en profondeur de l’institution familiale. Fatma Oussedik, professeure d’université, sociologue de profession et analyste confirmée, s’inscrit en faux contre cette vision fixiste et décrit avec finesse les ajustements qui s’opèrent en silence dans les familles algériennes après une enquête minutieuse sur le terrain auprès de familles urbaines d’Alger, d’Oran et d’Annaba.
LE PÈRE DÉPOUILLÉ DE SON AUTORITÉ TRADITIONNELLE
L’urbanisation a été spectaculaire, avant comme après l’indépendance en 1962. Quatre ans plus tard, 3,7 millions d’Algériens résidaient en ville. Ils seront près de 17 millions à la génération suivante en 1998 et plus de 30 millions aujourd’hui. L’explosion urbaine a tout changé. La « grande maison » de jadis censée accueillir les parents, les familles de fils mariés et les filles célibataires a été remplacée par le logement, un modèle emprunté à la France d’après-guerre, voire à la Suède, construit sur place par Bouygues, puis par des entreprises chinoises ou turques.
En quelques décennies, le logement « vertical » a disparu au profit du logement « horizontal » qui abrite les deux parents et leurs enfants. Le décor a changé et le mariage arrangé entre les parents des promis a été subtilement corrigé : ils ont toujours en apparence le pouvoir de décision, mais en réalité ils ne font que ratifier le choix des mères. Elles-mêmes négocient avec leurs enfants qui sont à l’origine de leur rencontre et souhaitent en commun s’unir. Le marché du mariage s’est libéré, le marché traditionnel a vécu au moins dans les mégavilles que compte l’Algérie. Au passage, cette révolution matrimoniale a fait une victime : le père de famille, dépouillé de sa traditionnelle autorité de pater familias,, omniprésent et omnipotent. Sa femme est discrètement devenue l’actrice principale, aidée en cela par le recul de l’âge du mariage des filles à la suite des progrès de leur scolarisation. « La fille avait pour seul destin de quitter la cellule familiale […]. Aujourd’hui la probabilité de contracter un mariage à un âge précoce s’est réduite […]. », écrit l’autrice. C’est « la remise en question du rôle, quasi exclusif, de "génitrice" que leur avait assigné la société ».
Comment se vit, notamment dans les milieux universitaires — il y a plus de deux millions d’étudiants et d’étudiantes en Algérie —, l’allongement du délai entre l’âge de la puberté et celui du mariage ? Certes, le mariage reste une aspiration universelle dans un pays où la population est toujours fortement attachée à la virginité des femmes, mais à 30-34 ans 18 à 20 % des femmes sont célibataires et les mères célibataires, un phénomène exceptionnel en 1988, se comptent désormais par milliers. Les filles sortent en masse du cocon familial qui n’est plus un horizon indépassable, épousent des garçons qui viennent d’autres régions d’Algérie et ont un taux de fécondité proche des standards européens, autant de ruptures avec un passé récent.
L’étranger n’est plus un rêve interdit, et un Algérien sur deux qui émigre est une femme. En 2018, une enquête auprès des écoles de formation d’ingénieurs révèle que sur 94 filles, 83 sont déterminées à partir, un taux comparable à celui des garçons (103 partants sur un effectif de 116) quitte à se débrouiller : candidates à l’émigration clandestine, la harga, mariages blancs, regroupement familial, visas touristiques ou d’études et autres, et à affirmer au passage un accès douloureux à l’individualisation, quitte à s’opposer à leurs proches.
DE L’AVANTAGE D’AVOIR « UN AMI PUISSANT »
Les familles déracinées par l’exode rural n’oublient pas d’où elles viennent. La généalogie fait recette dans un pays accablé d’histoire. Les Turcs, les Français, les Espagnols, les voisins de la rive européenne de la Méditerranée constituent autant de buttes-témoins qui permettent aux déracinés d’aujourd’hui de se repérer dans la continuité des temps. Si la mémoire n’est pas l’histoire, elle y aide fortement, mais toutes les familles ne réussissent pas également, victimes d’une économie dévitalisée faute d’accumulation sur place du capital depuis au moins un siècle. Celles qui y parviennent ont un avantage décisif, « un ami puissant » — titre du livre — qui leur assure un patronage indispensable dans une société dominée par un clientélisme sans limites. Il porte le plus souvent un képi.
L’embourgeoisement des élites islamistes en est un bon exemple. En une génération, leurs disciples ont troqué la mitraillette pour le tiroir-caisse. L’autrice note, non sans humour :
[…] Une petite bourgeoisie qui a voyagé, qui n’a plus l’Arabie saoudite comme horizon. Ils ont développé de grands centres commerciaux informels dans les grandes villes, ils ont des intérêts matériels sur les marchés informels d’El Eulma, de Jolie Vue à Alger. Ils ont créé des partis politiques devenant députés ou sénateurs à l’occasion d’élections négociées avec le pouvoir en place […] Leurs épouses conduisent, elles ont souvent fréquenté l’université. Ils craignent à présent des ruptures trop brutales […].
Ses thèses ne font certainement pas l’unanimité dans son pays, car une grande partie des Algériens défend une vision plus traditionnelle de leur société, au moins en public. Mais ce livre souligne sa distance avec le livre classique de Germaine Tillon Le harem et les cousins publié en 1966, qui décrivait des sociétés méditerranéennes figées où les filles, enfermées, étaient promises à leur cousin germain.
L’ouvrage, touffu et quelquefois confus, renferme une multitude d’observations, de réflexions et d’expériences sur un sujet qui n’attire pas la foule des écrivains. Édité par une jeune et courageuse maison d’édition algérienne, il exprime avec une grande liberté une vision originale de l’Algérie qui fait oublier ses prudences sur des sujets brûlants comme les pratiques religieuses ou la persistance de l’endogamie.
JEAN-PIERRE SERENI
Journaliste, ancien directeur du Nouvel Économiste et ex-rédacteur en chef de l’Express.
C'est grâce à la chanson Le nougat, aux sonorités raï, que Brigitte Fontaine glisse de l’underground vers plus de visibilité en 1988. Bien plus qu’un titre aux saveurs gourmandes, il symbolise l’amitié franco-algérienne.
La chanson est extraite d’un album, French Corazon, qui est une production japonaise. Il n’y a pas que Salvatore Adamo qui est adulé au Japon, il y a aussi Brigitte Fontaine. L’album sort en France deux ans plus tard avec cette version du Nougat, même s’il en existe une deuxième version enregistrée en 2004, avec Mouss & Hakim, les frères Amok-rane du groupe Zebda.
Des références à l’Algérie
Brigitte Fontaine raconte avoir écrit le texte du Nougat comme par miracle dans un train qui la menait vers le Midi de la France. On peut le croire puisque, consciemment ou inconsciemment, elle désigne le lieu de sa visitation dès la première strophe. Elle chante "Je me réveille avec entrain".
"Je me réveille avec entrain / Je branche la cafetière électrique / Je me rue dans la salle de bains / Et je deviens paralytique / Sous la douche y’a un éléphant / Qui me regarde tendrement / Je balbutie en rougissant / D’un air gaga probablement / Mais comment donc êtes-vous entré / Puisque la porte était fermée / Il me sourit et il me dit : T’occupe pas, donne-moi du nougat".
La chanson pourrait s’arrêter là, et on aurait suffisamment de matière pour louer la liberté de ton, le style Fontaine, sa poésie iconoclaste. Sauf que si on arrêtait là, on se priverait du talent de l’autrice à construire une histoire puisque Le nougat, c’est tout sauf n’importe quoi. L’histoire de cette femme qui tombe sur un éléphant sous sa douche se poursuit dans un microrécit en chambre dont le rocambolesque n’a rien à envier aux grandes sagas.
"Je bondis sur le téléphone / Je fais le dix-sept et je tonne "J’habite au un d’la rue Didouche. Y’a un éléphant dans ma douche" / Le flic me dit "Vas-y toi-même. ça résoudra tous tes problèmes" / Déboussolée, je redéboule / Là où j’ai laissé ce maboule / La douche est vide, il est parti / Couché dans mon lit / Il me regarde et il me dit : T’occupe pas donne-moi du nougat".
Plusieurs indices nous permettent de relier un début d’interprétation. La rue Didouche est une rue très connue d’Alger. Le 17 est le numéro de police secours en Algérie. Nous sommes bien en Algérie où le nougat est une des grandes spécialités au rayon des confiseries : c’est capital. On sait que Brigitte Fontaine a tissé un lien sentimental avec l’Algérie : son époux, Areski Belkacem est d’origine kabyle ; elle a lu sur scène des textes du grand auteur algérien Kateb Yacine…
Du nougat qui fait planer
Dans l’aventure du Nougat, l’héroïne fuit son appartement et l’éléphant passé de la douche à son lit. Elle fuit pour se réfugier : "Chez un copain qui va m’accueillir dans son sein".
Mais le type ouvre la porte et lui dit : "Ah, c’est toi ! Donne-moi du nougat". L’histoire ne s’arrête pas là. "J’ai galopé chez Marina / Qui est plus qu’une sœur pour moi / Elle m’a tout de suite donné à boire / Je lui ai raconté l’histoire / Elle a dit : alors t’as fait quoi. Ben j’lui ai donné le nougat".
Avec cette sauvagerie littéraire, on est un peu perdu et toutes les interprétations sont possibles. Si on se fie à la dimension psychédélique du texte, on pourrait penser que le nougat, c’est de la drogue. Quand on voit les barres de nougat et le conditionnement de la résine de cannabis, les formes se tiennent. Autre preuve : l’animal qu’on trouve sous la douche, ce n’est pas un chat, une grenouille, un chien ou un lapin, mais un éléphant. Or, l’éléphant est lié à la mythologie de la drogue : ne dit-on pas "voir des éléphants roses" lorsqu’on évoque les hallucinations provoquées par la consommation de certaines substances ?
Une interprétation qui semble évidente puisqu’à la fin de la chanson, le personnage dit "Là-dessus, je vais m’faire un pétard. Et partir pour Montélimar". Une conclusion qui confirme la thèse du récit planant. Montélimar est une autre ville très connue aussi pour son nougat. Sachant que la base de la recette du nougat d’Alger et de la recette du nougat de Montélimar est la même : amandes et miel. Avec cette précision historique importante : le nougat de Montélimar serait un enfant du nougat d’Alger.
Une chanson valorisant l’amitié franco-algérienne
Plus qu’une histoire de pétard, Le nougat de Brigitte Fontaine est une chanson world vantant l’amitié franco-algérienne. Une chanson antiraciste au centre de laquelle le nougat, conglomérat de douceurs conjuguées, est un symbole d’amour.
La friandise comme objet transitoire de l’amour, cela s’est déjà vu dans la chanson.
En 1969, Joe Dassin chante Le petit pain au chocolat. Sans doute la viennoiserie la plus célèbre de la chanson française. Ici, le pain au chocolat sert de point de contact entre le monde de la jolie boulangère et celui du client bientôt amoureux.
On a aussi eu la sucrerie comme métaphore de la douceur. La douceur de l’amour paternel dans Mistral gagnant. Bombec, car-en sac, Minto, caramels à un franc… En 1985, Renaud et son fameux Mistral gagnant, désignée comme chanson préférée des Français… de tous les temps.
Et puis, cette chanson excentrique, et en costume, sur la pâtisserie comme geste d’amour. Chanson extraite d’un célèbre film de Jacques Demy en 1970 : Peau d’âne. La recette du cake de l’amour, chanson culte, non pas interprétée par Catherine Deneuve mais par Anne Germain qui avait déjà performé dans Les demoiselles de Rochefort.
«Après ma tante, il y a eu Bruno, Loïc, Malik, Aïssa, Makomé, Habib, Zyed, Bouna, Lamine, Moushin, Abdelhakim, Gaye, Ali, Wissam, Amine, Nabile, Rémi, Mehdi, Babacar, Adama, Liu, Angelo, Jérôme, Luis, Selom, Matisse, Zineb, Allan, Philippe, Steve, Ibrahima, Cédric, Mohamed, Sabri, Olivio, Souheil, entre autres. Tous ces prénoms me hantent. »
Minutieusement, Jennifer Yezid reconstitue la trame du crime commis en 1973 par un gendarme au cours d’un interrogatoire musclé qu’il fait subir à la petite Malika, 8 ans, pour l’obliger à donner des indications sur son frère qu’ils poursuivent et qui est en train de leur échapper.
L’on suit alors la litanie, bien connue des familles des victimes citées plus haut, des manœuvres visant à innocenter le coupable. Les silences, les mensonges, les déclarations contradictoires, la couverture par l’État et la justice des crimes commis, le non-lieu... L’impunité.
L’autrice nous conduit sur le chemin, balisé par nos morts, du racisme institutionnel, du racisme d’État, du racisme systémique, en prise directe avec la guerre d’Algérie toute proche — nous sommes en 1973 — et la force des pulsions revenchardes et colonialistes.
Sur leurs traces, mémoire vive
Puis Jennifer Yezid, dont la parole est facilitée, ordonnée, rendue possible, par Asya Djoulaït, écrivaine, et Sami Ouchane, historien et sociologue, nous invite à une sorte d’inventaire familial et social des effets catastrophiques de cette affaire sur son histoire, sur l’histoire de sa famille, dont elle est la seule survivante en France. Elle nous donne à voir la naissance de sa parole libre — en phase avec celle de Luca, son enfant — sur les conditions dans lesquelles l’État français a accueilli l’immigration en provenance des colonies, en particulier de l’Algérie.
Conçu comme un « hommage à ceux qui (l)’ont précédée, un don à ceux qui me succèderont », ce livre porte une parole de lutte d’une brûlante actualité.
Le président rwandais Paul Kagame, à gauche, et son épouse Jeannette Kagame, à droite, assistent à une cérémonie de dépôt de gerbes au Mémorial du génocide de Kigali, au Rwanda, le vendredi 7 avril 2023.
En ce mois d’avril où le Rwanda commémore le génocide des Tutsis de 1994, paraît en France, aux éditions Les Arènes, un ouvrage qui aide à y voir plus clair : « Souviens-toi. Mémoires à l’usage des générations futures ». Dans ce livre d’entretien fascinant et sans concession, Laurent Larcher, grand reporter pour le quotidien français La Croix, pousse le général Jean Varret, 87 ans, à revenir en profondeur sur son histoire et celle de sa famille, tout en levant un coin du voile sur les tabous et non-dits d’une riche carrière au sein de l’armée française.
« Le livre que vous tenez entre vos mains a peu à voir avec les entretiens habituels donnés par un général français. A la différence de bien d’autres, ce texte n’a pas été soumis au ministère des Armées. Et il ne vise pas à élever une statue en marbre blanc débarrassée de ses aspérités à un général quatre étoiles. » Tels sont les premiers mots de l’avant-propos que Laurent Larcher consacre à cet ouvrage pétri d’humanité, et qui se révèle au fil de la lecture riche d’enseignements, y compris philosophiques et spirituels.
Dans ce livre, le général Jean Varret, né en 1935, évoque sa famille, son grand-père paternel, un général qui a connu la guerre de 14-18, son père et ses deux oncles maternels, tous des militaires qui ont participé à la Seconde guerre mondiale. Avec pudeur et sincérité, Jean Varret parle de l’opposition brutale entre son grand-père et son père. Après la défaite de 1940, le premier soutenait le maréchal Pétain, tandis que le second était du côté du général de Gaulle. Adolescent, Jean Varret est marqué par la guerre d’Indochine, à laquelle participe son père.
L’homme qui a dit non à feu le président François Mitterrand au sujet de sa politique au Rwanda, revient également sur sa participation à la guerre d’Algérie, la manière dont il a bénéficié de la Françafrique au Gabon et en Centrafrique, ou encore son refus de livrer des armes au régime de feu le président rwandais Juvénal Habyarimana, qui s’apprêtait à tuer massivement les Tutsis. Et comme le souligne Laurent Larcher dans son avant-propos : « Avec Jean Varret, c’est une génération qui s’adresse à nous. A travers lui, elle nous ouvre sa mémoire et son histoire, et elle nous dévoile le sillon fascinant creusé en Afrique par l’Etat français et sa cohorte de serviteurs fidèles. Jusqu’à l’abîme rwandais. »
Un entretien basé sur une confiance réciproque
TV5MONDE :Dans quelles circonstances avez-vous fait connaissance et comment est née l’idée de ce livre d’entretien avec le général Jean Varret ?
Laurent Larcher : J’ai rencontré le général Varret à l’occasion de mon travail sur le Rwanda, et notamment pour un livre que j’ai publié aux éditions du Seuil en 2019, intitulé « Rwanda. Ils parlent ». Il s’agissait de mener une enquête parmi tous les principaux acteurs de la politique française au Rwanda, mais également les journalistes, les militaires, les humanitaires… Bref, tous ceux qui ont participé ou qui ont été témoins de ce qu’a fait la France au Rwanda entre 1990 et 1994.
J’aurai besoin de quelqu’un qui me pose des questions, qui me pousse et en qui j’ai confiance.
Général Jean Varret
C’est à cette occasion que j’ai proposé au général Varret un entretien qu’il a accepté, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance. J’avais lu son livre [Général, j’en ai pris pour mon grade, paru en 2018 chez Les éditions Sydney Laurent, NDLR]. Et on a passé deux heures très intéressantes. Ensuite, le général a repris contact avec moi et m’a dit : « Je ferai bien un livre d’entretien. J’ai publié un livre, mais je n’étais pas content de ce travail. J’aurai besoin de quelqu’un qui me pose des questions, qui me pousse et en qui j’ai confiance. »
Je lui ai dit : « J’y réfléchis, on en parle à des éditeurs. » Et les éditions Les Arènes ont été très intéressées par ce projet. La condition était qu’on se fasse confiance, et que ce livre ne soit pas relu par le ministère de la Défense. Je ne voulais pas qu’on ait l’imprimatur de la Défense. Je voulais que nos paroles soient libres, surtout que le lecteur puisse entendre ce que Jean Varret avait à dire sur ces questions-là, sans le filtre du ministère des Armées, qui me semblait poser problème pour un livre aussi important ; puisqu’on parle d’une vie de militaire, d’un engagement au nom de la France, de guerres et enfin d’un génocide.
TV5MONDE : Compte tenu de votre histoire, vous êtes issu d’une famille de militaires, vous avez terminé vos quarante ans de carrière comme général au sein de l’armée française, et surtout, vous êtes le général qui a dit non à François Mitterrand au sujet de sa politique au Rwanda. Ce livre d’entretien était-il une nécessité pour vous ?
Jean Varret : Pour complèter ce que vient de dire Laurent, j’ai écrit un premier livre, au moment où j’avais eu un grave accident en montagne en 2016, et j’étais aux Invalides deux ans pour me reconstruire. Je m’ennuyais, et surtout, il y a des images qui revenaient. Je me suis dit que j’ai failli disparaître sans avoir dit à mes proches, à mes amis, à mes enfants, quelle avait été ma vie et mes options. J’ai donc commencé à écrire, le livre était mauvais. Mais Laurent m’a dit : « Tu ouvres des portes et tu les fermes tout de suite. Je vais t’aider à les ouvrir complètement. »
Ce nouveau livre complète donc un besoin que j’avais de laisser aux miens, des explications et des souvenirs d’une carrière qui avait été difficile, qui était passée par des hauts et par des bas, mais que je n’avais jamais eu l’occasion d’expliquer à mes proches. Je pense que ce deuxième livre va beaucoup plus loin que le précédent.
TV5MONDE : Plusieurs choses m’ont frappé à la lecture de cet ouvrage : il y a d’abord la grande humanité qui s’en dégage, la manière dont il est incarné (ce qui n’est pas courant avec les livres d’entretien) ; et puis il y a sa richesse et sa densité. Comment avez-vous préparé et réalisé ces entretiens ?
Laurent Larcher : J’avais lu le livre du général Varret. Je connaissais un peu le général, tout comme la période dont nous allions parler. Je suis historien de formation, et je travaille sur l’Afrique depuis plusieurs années. Ce qui me semblait important c’était d’établir un rapport de confiance des deux côtés. Le général Varret m’a dit l’une des premières fois que nous nous sommes rencontrés pour ce livre : « Mon entourage me dit que je vais me faire piéger ! »
Je devais donc lui montrer que je n’étais pas là pour le piéger, sans être complaisant. Le général Varret m’avait aussi dit : « On ne fait pas une hagiographie. » Je lui ai répondu : « ça tombe bien parce que j’ai beau travailler pour un journal catholique, je ne ferai pas d’hagiographie non plus. Ça ne m’intéresse pas la légende dorée. Ce sont des histoires pour les enfants, mais pas pour les adultes ». Le plus important était d’établir ce rapport de confiance, surtout que nous allions aborder des questions profondes, intimes, de la responsabilité d’un homme face à des événements dramatiques. Ce qu’il a fait ou pas, pourquoi, comment…
Le général Charles De Gaulle salue le drapeau tricolore, après avoir déposé sa gerbe sur la tombe du soldat inconnu français de la dernière guerre, à l'Arc de Triomphe, à Paris, le 28 août 1944.
Ce qui m’intéresse, c’est bien sûr entendre la parole, mais surtout l’interroger, et faire une espèce d’examen de conscience ; du moins, si l’interlocuteur l’accepte, de ne pas seulement se contenter de dire voilà ce que j’ai fait, mais pourquoi je l’ai fait et qu’est-ce que ça veut dire. Et est-ce que ça correspond aux valeurs qui m’animent, aux valeurs du combat ou de l’engagement pour lequel je vis, aux valeurs de la République et de la démocratie françaises.
C’est un fil conducteur de mes livres, toujours interroger les actes au nom des principes, et voir s’il y a des incohérences et ce qu’on en fait lorsqu’elles existent. Je ne suis pas pour un monde pur, mais un monde vrai ; qu’on ne se raconte pas d’histoires sur nous-mêmes, et surtout aux autres lorsqu’il s’agit de parler de notre histoire commune.
La jeunesse d'un fils et petit-fils de militaire, de Pétain à Dien Bien Phu
TV5MONDE : Votre grand-père paternel était général, votre père et vos deux oncles maternels étaient aussi des militaires. Mais après la défaite de juin 1940, votre grand-père et votre père se sont violemment opposés au sujet du maréchal Philippe Pétain. Le premier pensait que Pétain pouvait protéger et redresser la France, tandis que pour le second, de Gaulle était le seul recours possible. Quelle empreinte cette scène a-t-elle laissée sur l’enfant que vous étiez, puis sur le militaire que vous êtes devenu ensuite ?
Jean Varret : C’est vrai que j’était tout gosse, j’étais à table et je n’avais pas le droit de parler. Et j’écoutais les disputes entre mon père et mon grand-père. J’avais à l’époque une grande admiration pour mon grand-père, parce que c’est lui qui m’a élevé, beaucoup plus que mon père qui était toujours parti. Je garde cette idée que le métier militaire n’est pas très simple. Et qu’à certain moment il faut savoir dire non. Car mon père a dit non à Pétain. Et mon grand-père disait non à de Gaulle. Et voilà deux militaires que j’admirais beaucoup qui ne s’entendaient pas.
Dans mon inconscient, il y a donc l’idée que le militaire est quelques fois amené à faire des choix, et il doit pouvoir dire non. Mais j’ai oublié tout ça. C’est ressorti beaucoup plus tard dans ma conscience. Pour revenir cependant à cette scène, j’étais très déçu parce que j’avais une grande admiration pour mon père et mon grand-père.
TV5MONDE : Dans ce livre vous évoquez longuement la guerre d’Indochine, et donc la première défaite française sur ses terres coloniales. C’était au cours de la bataille de Diên Biên Phu en 1954, qui va marquer la défaite de l’armée française au terme de plus de six mois de combats acharnés. Quelle place occupe cette guerre dans la trajectoire du général Jean Varret ?
Laurent Larcher : Jean n’a pas participé à la guerre d’Indochine. Il était adolescent. En revanche, il est intéressé par le sujet. Il voit son père partir en Indochine. Le milieu dans lequel il grandit est très affecté par l’Indochine. Le milieu militaire va être très marqué par l’Indochine. On parle même de fièvre jaune. Dans la mentalité des militaires, il y a une blessure indochinoise très profonde, qui n’a jamais vraiment été guérie, qui est transmise, même si aujourd’hui cela relève plus d’une forme de romantisme ou de fantasme.
Des soldats français et vietnamiens se rassemblent autour d'une "fontaine" lors d'une pause dans une marche dans la jungle, près de Dien Bien Phu, en Indochine, le 25 avril 1954.
Ce qui est intéressant avec l’Indochine, c’est que ça va profondément marquer cette génération-là. Au point où, bien des années plus tard, au début des années 2000, Jean va revenir sur les pas du corps expéditionnaire, pour essayer de retrouver ceux dont on n’a jamais ramené les corps en France. Il y a eu beaucoup de morts en Indochine, environ 50 000 morts selon les estimations. La République envoie ses enfants faire la guerre au bout du monde, et ne prend pas la peine, même la guerre terminée, de récupérer les corps et de les enterrer dans un cimetière militaire ou les restituer aux familles.
Ce qui donne aussi une idée de la manière dont les politiques envisagent ces militaires, un peu comme de la chair à canon. Jusqu’à ce jour, aucune mission n’a été menée pour ramener les corps des soldats morts pour la France en Indochine [Le 21 mars dernier, Patricia Mirallès, secrétaire d’Etat française chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, a indiqué que les corps des soldats français morts sur le sol vietnamien vont être rapatriés presque 70 ans après, NDLR]. De mon point de vue, cette guerre était inutile et je ne trouve pas normal qu’on ait abandonné ces hommes qui, au fond, ont répondu à l’appel de la France et qui ont trouvé la mort là-bas.
TV5MONDE : La guerre d’Indochine vous a marqué en tant que fils et petit-fils de militaire. Par la suite, vous êtes devenu militaire à votre tour, formé notamment à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr. A quel moment la guerre d’Indochine va vous apparaître comme un moment important dans l’histoire française et pour quelles raisons ?
Jean Varret : Laurent a raison, la guerre d’Indochine m’a beaucoup marqué. Bien sûr mon père y était, mais surtout, ces jeunes lieutenants qui partaient, étaient subordonnés à mon père et un sur deux ne revenait pas. La mort des lieutenants a été considérable là-bas. Il y a trois promotions de Saint-Cyr qui y sont restées. Je voyais donc des jeunes femmes effondrées, car mon père leur apprenait que leurs maris ne reviendraient pas. Cela m’a beaucoup marqué sur le plan sentimental.
Des soldats de l'armée de l'Union franco-indochinoise, défendant la garnison française et le bastion de Dien Bien Phu, sont la cible d'attaques violentes des forces communistes du Viet Minh qui tirent depuis leurs positions, dans les montagnes, le 24 mars 1954.
Mon père disait : il faut que les Français sachent que cette guerre existe. Il me donnait même des documents, et à mes camarades du lycée, j’exposais ce qu’était la guerre d’Indochine. J’avais entre quinze et seize ans. Mais ça n’intéressait pas grand monde, et cela m’a beaucoup marqué. En revanche, j’étais persuadé, car après on me l’a dit, que la France se battait en Indochine contre le communisme.
Nous avons perdu la guerre d’Indochine, mais on s’est dit l’Algérie ce ne sera pas pareil. On se bat contre le communisme et on a échoué en Indochine, c’était trop loin. Mais en Algérie, une terre française, ce ne sera pas le cas. Mes instructeurs à l’époque, aussi bien au Prytanée militaire [un lycée militaire, NDLR], qu’à Saint-Cyr et à l’école de cavalerie de Saumur, c’étaient des officiers qui revenaient d’Indochine. Eux disaient : là on a échoué, mais après on n'échouera plus.
Un saint-cyrien dans la guerre d'Algérie
TV5MONDE : Concernant justement la guerre d’Algérie, où vous avez passé deux ans, vous étiez un jeune sous-lieutenant de 23 ans, vous dites que c’est « une marque indélébile qui restera prégnante tout au long des soixante années de vie professionnelle qui suivront. » Est-ce d’abord parce que vous avez pris part au putsch des généraux contre de Gaulle du 21 au 26 avril ?
Jean Varret : C’est à la fois tout ça, et beaucoup plus que ça. Quand vous avez 23-24 ans, et que vous sortez de cinq ans d’études, on vous a appris techniquement à combattre. Mais on ne vous a pas donné la force intellectuelle de supporter cela. A peine arrivé en Algérie, j’ai vu des morts massacrés par des coups de canon. Je n’avais jamais vu de mort avant, sauf mon grand-père dans son lit. Brutalement, on vous donne aussi la responsabilité de tuer - ou d’être tué – et d’engager mes vingt-cinq hussards à la mort ou pas. C’est considérable !
Il y avait l’idée que je risque ma vie et celle de mes subordonnés parce que nous allons protéger la France contre le communisme. Et l’Algérie bien sûr, va rester française. Petit à petit, je vois très bien que ce sont des idées et que la réalité n’est pas là. J’ai fait prisonnier un sous-lieutenant du FLN [Front de libération nationale, créé en 1954 pour obtenir de la France l’indépendance de l’Algérie, NDLR], qui était à l’université à Alger, et qui avait basculé dans la rébellion. Ce gars-là avait mon âge ou à peu près. Je lui offre un café, une cigarette et on discute. Je suis revenu convaincu que si j’avais été à sa place, je serai dans la rébellion. Mon cerveau commence donc à dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas très bien.
Un soldat de l'armée française est représenté en position à l'angle d'un immeuble du quartier Saint-Eugène d'Oran, en Algérie, le 28 avril 1962.
Autre événement important : le général de Gaulle fait la tournée des popotes. Et au cours de sa deuxième tournée, il dit : « Je veux voir les saint-cyriens. Un par régiment. » J’étais le plus jeune saint-cyrien de mon régiment, et le colonel me dit : tu vas écouter le grand patron. Et parallèlement, dans un autre régiment, mon meilleur ami, Jean de La Chapelle, est également désigné. On écoute de Gaulle. Et il nous dit : « Il n’y a pas de journaliste. Nous sommes entre saint-cyriens. Je vais vous dire la réalité des choses. Il faut combattre le FLN, le détruire, afin que l’Algérie puisse rester dans l’orbite française. »
Cela faisait un an que j’étais sur place, et deux ans pour La Chapelle. Nous nous sommes retrouvés après et on s’est dit que cela en valait la peine. Et nous avons continuer à risquer nos vies et celles de nos subordonnés. Jean de La Chapelle est tué quinze jours après. Je me retrouve tout seul, à ne pouvoir dialoguer avec personne d’autre. Pis, je m’aperçois, en écoutant la radio sur des transistors, que l’indépendance progresse et que de Gaulle nous a menti [les Pieds-Noirs et partisans de l'Algérie française estiment avoir été trahis par le général de Gaulle et son "je vous ai compris" lors de son discours d'Alger du 4 juin 1958 alors qu'il fera ensuite le choix du référendum sur l'autodétermination de l'Algérie, NDLR]. Cela m'a rappelé mon grand-père et mon père ; à savoir que les hommes politiques peuvent mentir. Ce qui est beaucoup plus grave, c’est que ce politique était saint-cyrien. Il avait la même éthique que moi, un saint-cyrien ne ment pas.
A cela s’ajoute le fait que mon parrain à l’Ecole de cavalerie de Saumur, et qui commandait un régiment de la Légion étrangère, passe me voir et me dit : il y a un putsch dans trois jours, et ton régiment, comme le mien, va rejoindre les putschistes. Je me dis : j’ai confiance en ce parrain. Mon régiment était loin d’Alger. La radio ne passait pas, j’ai pris la route avec mes subordonnés, pour rejoindre mon parrain à Alger. J’ai donc participé au putsch pendant vingt-quatre heures. Sentimentalement et intellectuellement, j’étais d’accord pour dire que de Gaulle "déconne", il faut absolument que l’Algérie reste dans le sein de la France, pour lutter contre le communisme.
TV5MONDE : Toujours à propos de la guerre d’Algérie Laurent, vos échanges avec Jean Varret m’ont semblé quelque peu tendus. Quels sont les aspects de cette guerre qui ont été les plus difficiles à aborder avec le général Varret ? Comment avez-vous procédé pour le faire parler malgré ses réticences et vos désaccords ?
Laurent Larcher : Il me semble qu’il y a eu trois sujets qui ont posé problème. D’abord un sujet en rapport aux morts. J’avais posé la question à Jean : combien d’hommes as-tu tué ? Cela l’a beaucoup choqué que je lui pose cette question. Il a trouvé que c’était indécent, qu’on était dans une forme de voyeurisme. Ensuite, il m’a donné un chiffre. Puis, il a voulu que ce chiffre soit supprimé, qu’on reste dans quelque chose de plus flou. Je lui expliquais que ce n’était pas de l’indécence, mais à la guerre on tue et on peut être tué. Notre ennemi sur ces questions-là, c’est l’abstraction.
Je suis très sensible à ce qu’écrit Hannah Arendt : c’est parce qu’on est dans l’abstraction qu’on peut commettre des crimes. Autrement dit, l’abstraction est un refuge pour ne pas affronter la réalité. Et il me semble que quand on fait un livre comme le nôtre, où il s’agit du réel, il faut essayer d’aller jusqu’au bout de ce réel. Donc, il n’est pas indécent de poser une telle question à un soldat, surtout quand il le fait en notre nom. J’ai essayé d’expliquer à Jean que ce qu’ils ont fait là-bas, ils n'en sont pas les seuls responsables. Ils sont responsables de leurs actes en tant qu’individus, mais qu’au fond, ce sont les Français qui sont avec eux là-bas.
Des manifestants musulmans nationalistes utilisent une voiture et un camion pour se déplacer autour de Dar Es Saada, en Algérie, le 11 décembre 1960.
Le deuxième sujet qui a été tendu entre nous, c’est la question de la torture. Comme je le disais tout à l’heure, je ne me contentais pas d’interroger Jean sur ce qu’il avait fait ou pas. Je voulais qu’il me dise aussi pour quelles raisons il avait agi, et ce qu’il en pensait à l’époque, mais aussi aujourd’hui. Et les raisons qu’il expose, je les discute en faisant appel à l’histoire. Par exemple, pour la torture, Jean me dit que tout le monde torturait, qu’ils étaient jeunes, qu’ils obéissaient, que c’était systémique au fond, et que personne n’a protesté.
Et moi je lui dis : non, il y a des gens qui ont protesté. Il est vrai qu’ils sont une minorité, mais il y a notamment le général Jacques de la Bollardière. Un pur produit du système, saint-cyrien, plus jeune général de sa génération, un parcours militaire absolument incroyable. Je donne cet exemple à Jean, en disant qu’il y en a qui ont choisi une autre voie. C’était donc un sujet de discorde, car Jean s’est senti jugé. D’ailleurs, il n’avait pas complètement tort, même si ce n’était pas mon propos. Qui suis-je pour juger les gens ? Je voulais simplement mettre les mots sur les choses.
Le troisième et dernier sujet tendu concernait la question du viol [par les hommes de Jean Varret d'une Algérienne qu'ils avaient faite prisonnière, NDLR]. En fait je ne comprenais pas la réponse de Jean. Ce qui m’a surpris, c’est qu’il n’y ait pas beaucoup d’évolution entre les années 1950 et aujourd’hui [quant à la perception de la gravité de ce crime, NDLR]. Jean pensait de la même manière aujourd’hui que dans les années 1950. J’étais déçu qu’il ne se dise pas 60 ans après : « Je regrette de ne pas avoir plus protéger cette femme, de ne pas l’avoir mieux entendu, et surtout de ne pas avoir dit aux personnes qui ont fait ça vous êtes des salopards, vous avez commis un crime contre cette femme. »
Mais Jean me trouve naïf, parlant de choses que je ne connaissais pas, puisque je n’étais pas là à l’époque. C’est donc un désaccord un peu brutal. Il est vrai que je me permets de fouiller des choses très intimes. Cela a failli être une rupture entre nous, surtout de la part de Jean.
Caution et critique de la Françafrique au Gabon et en Centrafrique
TV5MONDE : A votre arrivée au Gabon en 1969, où vous allez notamment aider les mercenaires envoyés par la France pour soutenir les rebelles du Biafra, en guerre contre le pouvoir central au Nigeria, vous découvrez assez vite que le pays n’est pas indépendant et que le pouvoir est toujours exercé par les anciens colons français. Vous ferez le même constat 15 ans plus tard en Centrafrique. Comment l’avez-vous vécu à l’époque ? Et quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce « système » qu’on appelle aussi la Françafrique ?
Jean Varret : A l’époque, en 1969 au Gabon, je trouvais cela confortable. J’étais content de bénéficier à titre personnel de la Françafrique même si j’étais aussi choqué. Il est certain que quand Omar Bongo m’a demandé de protéger l’aéroport [au pouvoir de 1967 à son décès en 2009, le président Bongo sécurisait l’aéroport contre d’éventuels bombardements nigérians, NDLR], j’ai mis des mitrailleuses autour de l’aéroport. Et le directeur de l’aéroport qui était un Français, a tout enlevé en disant : c’est moi le patron. Il avait tout à fait raison. La France avait des colons qui considéraient que l’indépendance n’avait aucune importance.
Je m’attendais à ce que le président Bongo tape du poing sur la table. Mais il n’a rien fait du tout. La chaîne de hiérarchie c’était l’Elysée, en la personne de Jacques Foccart [secrétaire général de l’Elysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974, NDLR] pour ne pas le nommer, l’ambassadeur Maurice Delauney, et le petit capitaine Jean Varret. Et je m’entendais dire : « vous allez avoir un bateau qui arrive tel jour et à telle heure, dedans il y a des munitions. Vous prenez les munitions, vous les cachez, et dès que possible, vous les envoyez au Nigeria ». Autrement dit, je découvre la Françafrique et j’en bénéficie. Avec du recul, j’ai trouvé cela scandaleux.
En République centrafricaine, plusieurs années plus tard, j’étais colonel. Et là aussi, le président André Kolingba [au pouvoir de 1981 à 1993, NDLR], ancien lieutenant de l’armée française, se mettait au garde-à-vous quand je rentrais dans son bureau. Et je lui disais : vous êtes chef de l’Etat, c’est à moi de rester au garde-à-vous. Il répondait : « non, l’armée française m’a appris à respecter un colonel, je ne suis que lieutenant, je vous salue ». Là aussi, je suis scandalisé. Voilà un Etat indépendant qui n’a pas pris la mesure de son indépendance. Kolingba a été mis en place par la France et lui était redevable ; mais il ne considérait pas que son pays était sous sa responsabilité. Et cela me choquait !
Maintenant, je trouve cela absolument aberrant. Mais à l’époque, là encore, j’en bénéficiais. J’avais deux milles hommes sur place. On faisait la guerre contre Kadhafi, qui menaçait l’armée tchadienne. J’aidais l’armée tchadienne. J’avais quinze avions, vingt hélicoptères… J’avais des moyens énormes installés en Centrafrique parce qu’au Tchad, les avions libyens nous bombardaient. L’action que j’ai pu mener contre Kadhafi, était possible grâce à la Françafrique. C’est scandaleux. Mais sur place, c’était bénéfique pour le colonel que j’étais. Et bien sûr, j’ai cautionné cela.
TV5MONDE : En évoquant dans votre avant-propos la génération de Jean Varret, celle dites-vous des derniers enfants de l’Empire français d’avant sa chute, vous écrivez : « Combien d’entre eux ont seulement lu le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire ? Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon, Ville cruelle de Mongo Beti, L’Aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane ou Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem ? Combien se sont seulement intéressés à cet autre, à ces autres ? » Comment peut-on expliquer une telle absence de curiosité, alors que les troupes coloniales et les tirailleurs sénégalais en particulier ont marqué cette époque ? Et les choses ont-t-elles changé depuis ?
Laurent Larcher : Ils ne les lisent pas parce que ce ne sont pas des intellectuels. Ils ne les lisent pas parce qu’au Prytanée militaire où Jean prépare le concours de Saint-Cyr, on vire les professeurs de philosophie qui ne sont pas dans les clous. Virer Jean-François Lyotard [accusé d’avoir donné des idées marxistes notamment à Jean Varret, NDLR] ! On peut ne pas être d’accord avec lui, mais enfin ne pas voir que c’était une pensée flamboyante… C’était une chance, en tant qu’étudiant, de pouvoir rencontrer un philosophe de ce calibre. Et qu’on ait décidé de le virer pour mettre je ne sais pas qui à la place... C’est absolument déroutant, un vertige.
Est-ce que cela a changé aujourd’hui ? Je crains que non. Bien sûr, pas de manière aussi forte qu’il y a 50 ans. Mais les auteurs dont je parle là, on les connaît un peu. Mais est-ce qu’on les lit vraiment ? Ceux qui sont chargés d’aller en Afrique, est-ce qu’ils prennent leurs stylos pour se plonger dans Discours sur le colonialisme de Césaire ? C’est un texte fabuleux, très important, que les étudiants en Afrique lisent, que nos contemporains africains lisent, du moins dans le monde universitaire, intellectuel. Mais ici, en France, dans la vie d’un étudiant moyen, je crains que non. Et c’est encore plus vrai évidemment dans les écoles militaires.
Le général qui a dit non à Mitterrand au Rwanda
TV5MONDE : En 1990, le président François Mitterrand vous nomme chef de la coopération militaire. L’année suivante, au cours de l’un de vos voyages au Rwanda, un officier supérieur rwandais vous confie lors d’un tête-à-tête au sujet des armes qu’il vous réclamait avec insistance : « Nous avons besoin de ces armes pour liquider tous les Tutsis : les femmes, les enfants, les vieillards dans tout le pays ! » Comment se sent-on après une telle révélation ?
Jean Varret : Cet officier supérieur rwandaisétait un gendarme. Et la gendarmerie va rejoindre l’armée de terre pour liquider les Tutsis, mais aussi des Hutus modérés. Évidemment, je voyais arriver le massacre de centaines de milliers de personnes. Je répondis à cet officier : « qu’est-ce que vous me dîtes-là ? » Et il trouvait cela normal. Moi, responsable de la coopération militaire, responsable de tous les militaires français au Rwanda, j’apprends qu’il va y avoir un massacre. Immédiatement, je vais voir l’ambassadeur Georges Martres [en poste au Rwanda de 1989 à 1993, NDLR]. Il n’est pas spécialement choqué. Je vais voir le chef de l’Etat rwandais, Habyarimana, qui lui, s’énerve en me disant : « il vous a dit ça ce con-là ? Je vais le virer ». Evidemment, il ne l’a pas viré.
Je rentre en France, je fais un télégramme "secret défense" que j’envoie à l’Elysée, au ministère de la Défense et à ma tutelle, le ministre de la Coopération. Pas de réactions. J’ai essayé de me faire entendre, en vain. On m’a éliminé petit à petit. Je n’étais plus invité dans les réunions de crise. On faisait des voyages d’information sans moi… Je n’ai toujours pas compris comment des responsables autour du président François Mitterrand, civils et militaires, pouvaient le conforter dans son idée, qu’il m’avait exposé quelques années auparavant en Centrafrique : garder le Rwanda dans les pays francophones, car ils votaient pour nous à l’ONU.
TV5MONDE : La commission Duclert, groupe de chercheurs sur le Rwanda, réuni par le président Emmanuel Macron pour étudier le rôle de la France dans le génocide contre le Tutsi, conclut à « un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes », au sein de l’Etat français. Elle écarte cependant l’idée d’une complicité de génocide. Est-ce que vous partagez ces conclusions ? Et quelles sont selon vous, les responsabilités de l’armée française ?
Jean Varret : L’armée française n’a pas participé au génocide. Ceci étant, j’étais parti depuis un an. Mais je connais assez de monde pour savoir ce qui se passait quand même. Il est certain que le chef d’état-major particulier de François Mitterrand est fautif, son adjoint qui m’a remplacé à la coopération est fautif, l’ancien patron de l’état-major de Mitterrand, devenu le chef d’état-major des armées, est fautif. Je dois dire que la responsabilité de l’armée française réside essentiellement dans ces trois personnages que j'ai cités dans mon livre. Les exécutants n’ont fait que ce qu’on leur demandait de faire.
Contrairement à mon ami Laurent Larcher, je trouve que le président Emmanuel Macron a eu raison de ne pas présenter ses excuses au Rwanda. Au niveau de l’Etat et du politique, il ne m’appartient pas de commenter. Mais en tant que militaire, je trouve qu’on n’avait pas à présenter nos excuses.
En revanche, je pense que Macron a eu raison de présenter ses excuses aux Harkis, ces Algériens au service de l’armée française y compris dans ses basses œuvres. Quand de Gaulle a décidé que l’Algérie était indépendante, on nous a dit de partir et de laisser les Harkis. C’est une faute grave. L’armée française était fautive. Elle a obéi à cet ordre, elle n’aurait pas dû le faire.
TV5MONDE : En 2021, le général Jean Varret a donc été invité par l’Elysée à accompagner Emmanuel Macron au Rwanda. Vous avez également fait le voyage à ce moment-là, et ensemble, vous vous êtes rendus sur des lieux emblématiques comme le mémorial du génocide de Kigali. Quels enseignements avez-vous tiré de ce voyage ?
Laurent Larcher : Je suis l’histoire du Rwanda depuis 1994. Ce voyage n’était donc pas une découverte. En revanche, quand on va sur les lieux des massacres, il y a toujours ce vertige dont je n’arrive pas à me défaire. Et paradoxalement, plus j’y vais, plus je réfléchis à ces questions, plus le vertige est grand.
Ce qui était nouveau évidemment, c’était le discours du président Macron qui là, pour le coup, a été un tournant. J'ai assisté à ce virage et à ces paroles qui étaient attendues par les Rwandais, notamment par les victimes. J’ai été déçu parce qu’il n’est pas allé jusqu’au bout de cette démarche. Je regrette qui n’ait pas présenté ses excuses ou demandé pardon aux victimes, comme on l’a fait pour les Harkis par exemple.
Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A cer¬taines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller s'accroupir dans la mer. Nous arrivons par le village qui s'ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d'été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus.Toutes les pierres sont chaudes. A l'heure où nous descendons de l'autobus couleur de bouton d'or, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants. A gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines, parmi les lentisques et les genêtS. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d'entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs.
Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute l'étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l'amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l'amère philosophie qu'on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. Pour moi, je ne cherche pas à y être seul. J'y suis souvent allé avec ceux que j'aimais et je lisais sur leurs traits le clair sourire qu'y prenait le visage de l'amour. Ici, je laisse à d'autres l'ordre et la mesure. C'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l'homme, sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué les fleurs. Entre les dalles du forum, l'héliotrope pousse sa tête ronde et blanche, et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de science ramène à Dieu, beaucoup d'années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd'hui enfin leur passé les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramène au centre des choses qui tombent.
Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l'échine solide du Chenoua, mon cœur se calmait d'une étrange certitude. J'apprenais à respirer, je m'intégrais et je m'accomplissais. Je gravissais l'un après l'autre des coteaux dont chacun me réservait une récompense, comme ce temple dont les colonnes mesurent la course du soleil et d'où on voit le village entier, ses murs blancs et roses et ses vérandas vertes. Comme aussi cette basilique sur la colline Est : elle a gardé ses murs et dans un grand rayon autour d'elle s'alignent des sarcophages exhumés, pour la plupart à peine issus de la terre dont ils participent encore. Ils ont contenu des morts; pour le moment il y pousse des sauges et des ravenelles. La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais chaque fois qu'on regarde par une ouverture, c'est la mélodie du monde qui parvient jusqu'à nous : coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. La colline qui supporte Sainte-Salsa est plate à son sommet et le vent souffle plus largement à travers les portiques.
Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l'espace.
Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis: « Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs. » Et qu'ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j'aime écraser les boules de len¬tisques sous mon nez? Est-il même à Déméter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte : « Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses. » Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon? Aux mystères d'Éleusis, il suffisait de contempler. Ici même, je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la montée d'une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère -la nage, les bras vernis d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles; la course de l'eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes - et l'absence d'horizon. Sur le rivage, c'est la chute dans le sable, aban¬donné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l'eau, le duvet blond et la poussière de sel. Je comprends ici ce qu'on appelle gloire: le droit d'aimer sans mesure. Il n'y a qu'un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer. Tout à l'heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j'aurai conscience, contre tous les préjugés, d'accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort. Dans un sens, c'est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter mainte¬nant. La brise est fraîche et le ciel bleu. J'aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté: elle me donne l'orgueil de ma condition d'homme. Pourtant, on me l'a souvent dit : il n'y a pas de quoi être fier. Si, il Y a de quoi: ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l'immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C'est à conquérir cela qu'il me faut appliquer ma force et mes res¬sources. Tout ici me laisse intact, je n'abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque: il me suffit d'apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir¬ vivre. Un peu avant midi, nous revenions par les ruines vers un petit café au bord du port. La tête retentissante des cymbales du soleil et des couleurs, quelle fraîche bienvenue que celle de la salle pleine d'ombre, du grand verre de menthe verte et glacée. Au-dehors, c'est la mer et la route ardente de Poussière. Assis devant la table, je tente de saisir entre mes cils battants l'éblouis-sement multicolore du ciel blanc de chaleur. Le visage mouillé de sueur, mais le corps frais dans la légère toile qui nous habille, nous étalons tous l'heureuse lassitude d'un jour de noces avec le monde.
On mange mal dans ce café, mais il y a beau¬coup de fruits - surtout des pêches qu'on mange en Y mordant, de sorte que le jus en Coule sur le menton. Les dents refermées sur la pêche, j'écoute les grands coups de mon sang monter jusqu'aux oreilles, je regarde de tous mes yeux. Sur la mer, c'est le silence énorme de midi. Tout être beau a l'orgueil naturel de sa beauté et le monde aujourd'hui laisse son orgueil suinter de toutes parts. Devant lui, pourquoi nierais-je la joie de vivre, si je sais ne pas tout renfermer dans la joie de vivre? Il n'y a pas de honte à être heureux. Mais aujourd'hui l'imbécile est roi, et j'appelle imbécile celui qui a peur de jouir. On nous a tellement parlé de l'orgueil : vous savez, c'est le péché de Satan. Méfiance, criait-on, vous vous perdrez, et vos forces vives. Depuis, j'ai appris en effet qu'un certain orgueiL. Mais à d'autres moments, je ne peux m'empêcher de revendiquer l'orgueil de vivre que le monde tout entier conspire à me donner. A Tipasa, je vois équivaut à je crois, et je ne m'obstine pas à nier ce que ma main peut toucher et mes lèvres caresser. Je n'éprouve pas le besoin d'en faire une œuvre d'art, mais de raconter ce qui est différent. Tipasa m'apparaît comme ces per¬sonnages qu'on décrit pour signifier indirecte¬ment un point de vue sur le monde. Comme eu;x, elle témoigne, et virilement. Elle est aujour¬d'hui mon personnage et il me semble qu'à le caresser et le décrire, mon ivresse n'aura plus de fin. Il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre. Il y a aussi un temps pour créer, ce qui est moins naturel. Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur. Vivre Tipasa, témoigner et l'œuvre d'art viendra ensuite. Il y a là une liberté. Jamais je ne restais plus d'une journée à Tipasa. Il vient toujours un moment où l'on a trop vu un paysage, de même qu'il faut longtemps avant qu'on l'ait assez vu. Les mon¬tagnes, le ciel, la mer sont comme des visages dont on découvre l'aridité ou la splendeur, à force de regarder au lieu de voir. Mais tout visage, pour être éloquent, doit subir un certain renouvellement. Et l'on se plaint d'être trop rapidement lassé quand il faudrait admirer que le monde nous paraisse nouveau pour avoir été seulement oublié. Vers le soir, je regagnais une partie du parc plus ordonnée, arrangée en jardin, au bord de la route nationale. Au sortir du tumulte des parfums et du soleil, dans l'air maintenant rafraîchi par le soir, l'esprit s'y calmait, le corps détendu goûtait le silence intérieur qui naît de l'amour satisfait. Je m'étais assis sur un banc. Je regardais la campagne s'arrondir avec le jour. J'étais repu.
Au-dessus de moi, un grenadier laissait pendre les boutons de ses fleurs, clos et côtelés comme de petits poings fermés qui contiendraient tout l'espoir du printemps. Il Y avait du romarin derrière moi et j'en percevais seulement le parfum d'alcool. Des collines s'en-cadraient entre les arbres et, plus loin encore, un liséré de mer au-dessus duquel le ciel, comme une voile en panne, reposait de toute sa ten¬dresse. J'avais au cœur une joie étrange, celle-là même qui naît d'une conscience tranquille. Il y a un sentiment que connaissent les acteurs lors-qu'ils ont conscience d'avoir bien rempli leur rôle, c'est-à-dire, au sens le plus précis, d'avoir fait coïncider leurs gestes et ceux du personnage idéal qu'ils incarnent, d'être entrés en quelque sorte dans un dessin fait à l'avance et qu'ils ont d'un coup fait vivre et battre avec leur propre cœur. C'était précisément cela que je ressen¬tais : j'avais bien joué mon rôle. J'avais fait mon métier d'homme et d'avoir connu la joie tout un long jour ne me semblait pas une réus¬site exceptionnelle, mais l'accomplissement ému d'une condition qui, en certaines circonstances, nous fait un devoir d'être heureux. Nous retrou¬vons alors une solitude, mais cette fois dans la satisfaction.
Maintenant, les arbres s'étaient peuplés d'oi¬seaux. La terre soupirait lentement avant d'en¬trer dans l'ombre. Tout à l'heure, avec la pre¬mière étoile, la nuit tombera sur la scène du monde. Les dieux éclatants du jour retourne¬ront à leur mort quotidienne. Mais d'autres dieux viendront. Et pour être plus sombres, leurs faces ravagées seront nées cependant dans le cœur de la terre.
A présent du moins, l’incessante éclosion des vagues sur le sable me parvenait à travers tout un espace où dansait un pollen doré. Mer, cam¬pagne, silence, parfums de cette terre, je m’em-plissais d’une vie odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de sen¬tir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres. Non, ce n’était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l’accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l’amour. Amour que je n’avais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race, née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels.
Albert Camus, né le 7 novembre 1913 à Mondovi, près de Bône, en Algérie, et mort le 4 janvier 1960 à Villeblevin, dans l'Yonne, est un écrivain, philosophe, romancier, dramaturge, essayiste et nouvelliste français. Il est aussi journaliste militant engagé dans la Résistance française et dans les combats moraux de l'après-guerre. Son œuvre comprend des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles, des films, des poèmes et des essais dans lesquels il développe un humanisme fondé sur la prise de conscience de l'absurde de la condition humaine mais aussi sur la révolte comme réponse à l'absurde, révolte qui conduit à l'action et donne un sens au monde et à l'existence, et «alors naît la joie étrange qui aide à vivre et mourir».
Sa critique du totalitarisme soviétique lui vaut les anathèmes des communistes et conduit à la brouille avec Jean-Paul Sartre. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1957, sa réputation et son influence restent grandes dans le monde.
Selon Bertrand Poirot-Delpech, les essais sur son œuvre ont abondé juste après sa mort, tandis qu'on rendait très peu compte de sa vie. Les premières biographies ne sont apparues que dix-huit ans après sa mort. Parmi celles-ci, la plus impressionnante est celle de Herbert R. Lottman, un journaliste américain observateur de la littérature européenne pour The New York Times et le Publishers Weekly.
Dans le journal Combat, ses prises de position sont audacieuses, aussi bien sur la question de l'indépendance de l'Algérie que sur ses rapports avec le Parti communiste français, qu'il quitte après un court passage de deux ans. Camus est d'abord témoin de son temps, intransigeant, refusant toute compromission; il est ainsi amené à s'opposer à Sartre et à se brouiller avec d'anciens amis. D'après Herbert R. Lottman, Camus n'appartient à aucune famille politique déterminée, bien qu'il ait été adhérent au Parti communiste algérien pendant deux ans. Il ne se dérobe cependant devant aucun combat : il proteste successivement contre les inégalités qui frappent les musulmans d'Afrique du Nord, puis contre la caricature du pied-noir exploiteur. Il va au secours des espagnols exilés antifascistes, des victimes du stalinisme, des objecteurs de conscience.
https://www.poemes.co/albert-camus.html
Albert Camus : des quartiers pauvres d'Alger au prix Nobel de littérature
Camus à Tipaza
En se promenant du côté de la Grande Poste à Alger, il avait découvert une carte postale «camusienne» qui l'avait amusé. Il écrivait «camusienne», car ce petit rectangle cartonné dédié à Tipaza, l'antique port romain posé à 80 kilomètres à l'ouest d'Alger, reproduisait une partie de la géographie sentimentale de l'auteur de la Mer au plus près. On y voyait non seulement Tipaza, le site solaire qu'aima tant Camus, mais aussi Hadjout, autrefois Marengo, où Meursault revient pour enterrer sa mère, dans les premières pages de l'Etranger. «…L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir…»
Les noms des villes sur la carte permettaient de savoir qu’elle datait des lendemains de l’indépendance. Marengo était devenu Hadjout ; Dupleix, Damous ; Desaix, Nador ; Montebello, Sidi Rached et Castiglione, Bou Ismaïl.
Vestiges.
Il aimait cette carte où était dessinée une femme en maillot de bain, étendue sur une chaise longue, un homme sur une planche à voile et un plongeur sous-marin. Elle célébrait une Algérie sexy et balnéaire, établie au nord de la plaine de la Mitidja, avec le mont Chenoua pour point culminant et la Méditerranée à perte de vue.
Qui croira que cette Algérie n’existait pas ? Il suffisait de savoir la chercher. Elle était cachée derrière les cyprès où dansaient des fantômes. Des vestiges de la présence romaine dessinés, tissaient un lien inattendu entre l’Algérie d’avant-hier et celle d’aujourd’hui. Une amphore posée à l’ouest, près d’Aïn Defla, ancienne Oppidum Novum, colonie fondée sous le règne de l’empereur Claude ; le mausolée du roi berbère Juba II au centre ; à l’est, deux monuments - la porte de Ténès et la place romaine - à Cherchell, ancienne Césarée de Maurétanie, capitale de l’hellénisme et du savoir dans l’Afrique romaine.
Comme l'avait montré Gilbert Meynier dans l'Algérie des origines (La Découverte, 2007), cette terre de songes et de soleil était un vieux pays à la longue histoire. C'était une vérité qu'aimait lui rappeler son ami Sofiane Hadjadj, écrivain et fondateur des éditions Barzakh à Alger. Sofiane l'avait éclairé sur l'origine de sa postale drolatique chinée du côté de la Grande Poste. Son côté sexy et balnéaire lui avait laissé penser qu'elle datait des années Boumédiène (1965-1978), quand l'avenir semblait encore pleinement ouvert pour les Algériens. Il s'était persuadé qu'elle exprimait un humour qui n'était plus vraiment en usage à l'ouest d'Alger. Sofiane l'avait détrompé. «Cette série très drôle, totalement décalée, se vend toujours, et bien, figure-toi !»
Stèle.
Il connaissait quelqu'un qui savait cela mieux que personne et qui aimait Tipaza. C'était le dessinateur Jacques Ferrandez, qui avait tour à tour adapté l'Hôte et l'Etranger d'Albert Camus en bande dessinée. C'était à lui qu'il fallait envoyer cette carte postale ocre et bleue. A Alger, il allait demander à un ami de lui traduire en arabe la phrase d'Albert Camus gravée sur la stèle érigée à sa mémoire à Tipaza : «Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure.» De l'autre côté de la Méditerranée, où il recevrait cette carte, Jacques Ferrandez saurait trouver un autre ami arabe pour l'aider à la déchiffrer.
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