Certains le comparent à Balzac et lui attribuent la création "d’une comédie créole" à l’instar de la Comédie humaine. Il faut dire qu’avec 60 romans et essais, l’écrivain n’a guère le syndrome de la page blanche, mais plutôt une imagination débordante et un style à faire pâlir de nombreux écrivaillons.
1 Le Lorrain, berceau de l’imaginaire
À quoi tient une telle imagination ? Une enfance heureuse ? Un lieu unique. Pour Raphaël Confiant, le lieu a beaucoup d’importance. Tout commence pour lui au Lorrain, une commune du nord-est de la Martinique "totalement créolophone" durant son enfance. Il se souvient en particulier de sa marraine qui lui a inspiré son roman Eau de café. Elle tenait une boutique, une épicerie et elle consignait dans un carnet toutes les dettes de ses clients. "Elle avait un fort caractère, se souvient Raphaël Confiant. Elle parlait de la même manière aux petits et aux puissants".
L’écrivain se rappelle aussi la distillerie de ses grands-parents. "Au moment de la Première Guerre mondiale, raconte Raphaël Confiant, intarissable sur l’histoire de la Martinique, il y a eu un boom du rhum qui servait à donner du courage aux soldats et à désinfecter les plaies. En plus, ceux qui travaillaient la vigne étaient partis au combat. En revanche, après la guerre, les vignerons ont demandé que le rhum soit taxé. Il y a eu une loi de contingentement et les petites distilleries ont commencé à péricliter". L’écrivain a pu voir les dernières années de la distillerie familiale et c’est pourquoi il aime à dire qu’il est né "dans l’odeur du rhum" et que "tout son imaginaire" s’est formé au Lorrain. Il se souvient des quimboiseurs de la campagne, ces sorciers créoles qui effrayaient les passants, mais aussi des pratiques culturelles hindouistes issues des engagés.
Le romancier a dix ans quand sa famille s’installe à Fort-de-France. Sa mère est institutrice et son père professeur de mathématiques. Au début, il n’aime guère cette grande ville où règnent l’asphalte et l’électricité. "C’était un monde qui tournait le dos à la culture antillaise", estime-t-il dans #MaParole. Malgré tout, Raphaël Confiant s’habitue à sa nouvelle vie, d’autant que pendant les trois mois de vacances, de juin à septembre, il retourne au Lorrain et s’imprègne d’images qui le marqueront à jamais.
À Fort-de-France, il étudie au lycée Schoelcher où Aimé Césaire, Edouard Glissant et Frantz Fanon ont fait leurs classes. Il se souvient à quel point l’enseignement y était de qualité. "Tous nos professeurs étaient agrégés et antillais", précise-t-il.
2 Alger, la Mecque des révolutionnaires
Après un baccalauréat littéraire, au grand dam de son père qui aurait aimé transmettre la bosse des mathématiques à son fils, Raphaël Confiant part étudier à Aix-en-Provence. Avec des amis, il intègre Sciences-Po. Dans l’Hexagone, il vit une drôle d’expérience. Personne ne le prend pour un antillais, tout le monde le croit maghrébin. "C’est étrange d’être perçu comme quelqu’un que vous n’êtes pas", raconte-t-il dans #MaParole. D’autant plus étrange et désagréable qu’il ressent un fort racisme à l’égard des maghrébins. À chaque fois qu’il dit qu’il est antillais, la situation s’arrange, note-t-il.
"Puisqu’ils me prennent pour un arabe, je m’intéresse au monde arabe", poursuit-il dans #MaParole. Raphaël Confiant découvre l’œuvre de Frantz Fanon, écrivain martiniquais comme lui qui a travaillé en tant que psychiatre à l’hôpital de Blida en Algérie avant d’épouser la cause indépendantiste. Alors au lieu de poursuivre sa préparation à l’ENA, il plaque tout pour partir en Algérie. Un ami lui trouve un travail de professeur d’anglais pour cadres dans une entreprise. Son père est furieux.
"Le président du Front de libération du Mozambique disait : quand on est musulman, on va à la Mecque, quand on est révolutionnaire, on va à Alger", se souvient dans un rire Raphaël Confiant. Effectivement, tout ce que comptait la terre en matière de révolutionnaires, de l’IRA à l’ANC en passant par les Black panthers se retrouvent à Alger dans les années 70 avec malheureusement "de sacrées fripouilles", déplore l’écrivain.
Déçu par la dérive corrompue du régime algérien, il rentre en Martinique où pendant 38 ans, il officie en tant que professeur d’anglais au lycée, puis maitre de conférence en socio-linguistique et littérature à l’Université et enfin, doyen de la faculté de littérature. Aujourd’hui retraité, il confie dans #MaParole qu’il n’a jamais vraiment aimé ce métier, mais l’a fait "sans déplaisir". En parallèle, il commence à écrire des poèmes et des romans en créole dès 1977.
Pendant dix ans, il persiste à écrire dans cette langue, se sentant un peu seul. "J’étais isolé et méprisé, témoigne-t-il dans #MaParole et ça m’a lassé". Encouragé par Patrick Chamoiseau, il envoie un manuscrit à plusieurs maisons d’édition. Un jour, il reçoit une petite enveloppe bleue signée Yves Berger, "le grand manitou de Grasset" qui accepte son récit Eau de café.
Au téléphone, le patron de Grasset explique à Raphaël Confiant que son récit est un peu "compliqué" et lui demande s’il n’a pas une autre histoire sous le coude. Sans réellement réfléchir, Raphaël Confiant lui propose un roman sur la Martinique pendant la Seconde Guerre mondiale dirigée par le très autoritaire amiral Robert. "Le titre ? lui demande Yves Berger, Le nègre et l’amiral, ajoute sans trop réfléchir l’écrivain. C’est ainsi que, sans avoir écrit une seule page, Raphaël Confiant imagine son premier roman en français qui parait en 1988.
3 Le bal Blomet
Après ce premier essai réussi, le romancier ne s’arrête plus. Il écrit entre deux ou trois livres par an. Il s’intéresse à des grandes figures de la Martinique, comme par exemple Aimé Césaire ou Frantz Fanon. Dans Aimé Césaire, une traversée paradoxale du siècle, il tape dur sur le député-maire de Fort-de-France, n’hésitant pas à dénoncer un système clientéliste. Il expose la nécessité de passer de la négritude à la créolité, ce concept qu’il a imaginé avec Patrick Chamoiseau et Jean Bernabé. Le père de la négritude ne lui en veut pas. Quand il le reçoit dans son bureau, il lui dit deux choses, se souvient Raphaël Confiant : "vous au moins, vous m’avez lu" et "c’est normal que les jeunes critiquent les anciens".
"La lecture, c'est la clef pour devenir écrivain, c'est comme l'entrainement pour un footballeur", résume le romancier. Raphaël Confiant écrit en moyenne une heure par jour, rarement deux. Il se documente aussi et n’est pas avare pour donner son avis à travers des blogs. En 2007, il dénonce dans deux ouvrages le scandale du chlordécone avec Louis Boutrin. L’écrivain reste encore aujourd’hui vice-président du parti Martinique-Écologie. En 2016, quand un scandale éclate à l’Université des Antilles-Guyane où il enseigne, il n’hésite pas à prendre position publiquement et dénoncer vigoureusement l’agissement de professeurs soupçonnés d’avoir détourné 10 millions d'euros dans le cadre de l’affaire de Ceregmia.
Quand il ne se place pas dans l’arène politique, le romancier déploie des trésors d’imagination et de style. Il déterre des personnages oubliés, comme Stéphanie Saint-Clair auquel il consacre un roman en 2015. Cette Martiniquaise a été chef de gang à Harlem, tenant la dragée haute à des mafieux comme Luciano ou Al Capone. Il se plonge ensuite dans la biographie de Jeanne Duval, la muse de Baudelaire dont on ne sait si elle vient d’Haïti, de La Réunion ou de l’île Maurice. "A une époque où l’esclavage n’était pas aboli, cette femme a réussi à devenir l’inspiratrice du plus grand poète en France", s’étonne encore Raphaël Confiant.
Son dernier roman par au Mercure de France parle d’un dancing : le bal Blomet à Paris. À travers trois personnages, Elise, une servante, Frédéric Clerville, jeune mulâtre, fils d’un brillant avocat de Fort-de-France en rupture de ban et Anthenor Louis Edmond, héros de la Première Guerre mondiale, tous trois Martiniquais, il dresse un portrait ô combien vivant de ce bal parisien mythique, lancé en 1924. "Dans ce petit lieu cohabitaient des ouvriers noirs, le tout-Paris et des étrangers célèbres", raconte Raphaël Confiant dans #MaParole. Joséphine Baker y a fait ses premiers pas. Robert Desnos le poète a donné un sacré coup de publicité au bal Blomet dans un article élogieux. Ernest Hemingway ou le peintre Fujita y passaient régulièrement. Ils se retrouvaient avec des servantes et des ouvriers antillais. Comment ce mélange s’est-il opéré ? Pour Raphaël Confiant, cela tient au "miracle de la biguine". Des musiciens martiniquais de génie tels que Stellio et Ernest Léardée ont proposé une musique tout droit venue de Saint-Pierre qui, à cette époque, a rencontré un vif succès. Pour conclure ce numéro de #MaParole, Raphaël Confiant a choisi un morceau de Stellio. En écoutant ce son qui rappelle le gramophone, pas de doute, le romancier a ressuscité une époque, un lieu où tout semblait possible.
►25 janvier 1951
Naissance au Lorrain en Martinique
►1974
Séjour en Algérie
►1988
Le Nègre et l’Amiral (Grasset), Prix Antigone
►2021
La muse ténébreuse de Charles Baudelaire (Mercure de France)
►2013
Doyen de la faculté des lettres des Antilles et de la Guyane
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