C'est grâce à la chanson Le nougat, aux sonorités raï, que Brigitte Fontaine glisse de l’underground vers plus de visibilité en 1988. Bien plus qu’un titre aux saveurs gourmandes, il symbolise l’amitié franco-algérienne.
La chanson est extraite d’un album, French Corazon, qui est une production japonaise. Il n’y a pas que Salvatore Adamo qui est adulé au Japon, il y a aussi Brigitte Fontaine. L’album sort en France deux ans plus tard avec cette version du Nougat, même s’il en existe une deuxième version enregistrée en 2004, avec Mouss & Hakim, les frères Amok-rane du groupe Zebda.
Des références à l’Algérie
Brigitte Fontaine raconte avoir écrit le texte du Nougat comme par miracle dans un train qui la menait vers le Midi de la France. On peut le croire puisque, consciemment ou inconsciemment, elle désigne le lieu de sa visitation dès la première strophe. Elle chante "Je me réveille avec entrain".
"Je me réveille avec entrain / Je branche la cafetière électrique / Je me rue dans la salle de bains / Et je deviens paralytique / Sous la douche y’a un éléphant / Qui me regarde tendrement / Je balbutie en rougissant / D’un air gaga probablement / Mais comment donc êtes-vous entré / Puisque la porte était fermée / Il me sourit et il me dit : T’occupe pas, donne-moi du nougat".
La chanson pourrait s’arrêter là, et on aurait suffisamment de matière pour louer la liberté de ton, le style Fontaine, sa poésie iconoclaste. Sauf que si on arrêtait là, on se priverait du talent de l’autrice à construire une histoire puisque Le nougat, c’est tout sauf n’importe quoi. L’histoire de cette femme qui tombe sur un éléphant sous sa douche se poursuit dans un microrécit en chambre dont le rocambolesque n’a rien à envier aux grandes sagas.
"Je bondis sur le téléphone / Je fais le dix-sept et je tonne "J’habite au un d’la rue Didouche. Y’a un éléphant dans ma douche" / Le flic me dit "Vas-y toi-même. ça résoudra tous tes problèmes" / Déboussolée, je redéboule / Là où j’ai laissé ce maboule / La douche est vide, il est parti / Couché dans mon lit / Il me regarde et il me dit : T’occupe pas donne-moi du nougat".
Plusieurs indices nous permettent de relier un début d’interprétation. La rue Didouche est une rue très connue d’Alger. Le 17 est le numéro de police secours en Algérie. Nous sommes bien en Algérie où le nougat est une des grandes spécialités au rayon des confiseries : c’est capital. On sait que Brigitte Fontaine a tissé un lien sentimental avec l’Algérie : son époux, Areski Belkacem est d’origine kabyle ; elle a lu sur scène des textes du grand auteur algérien Kateb Yacine…
Du nougat qui fait planer
Dans l’aventure du Nougat, l’héroïne fuit son appartement et l’éléphant passé de la douche à son lit. Elle fuit pour se réfugier : "Chez un copain qui va m’accueillir dans son sein".
Mais le type ouvre la porte et lui dit : "Ah, c’est toi ! Donne-moi du nougat". L’histoire ne s’arrête pas là. "J’ai galopé chez Marina / Qui est plus qu’une sœur pour moi / Elle m’a tout de suite donné à boire / Je lui ai raconté l’histoire / Elle a dit : alors t’as fait quoi. Ben j’lui ai donné le nougat".
Avec cette sauvagerie littéraire, on est un peu perdu et toutes les interprétations sont possibles. Si on se fie à la dimension psychédélique du texte, on pourrait penser que le nougat, c’est de la drogue. Quand on voit les barres de nougat et le conditionnement de la résine de cannabis, les formes se tiennent. Autre preuve : l’animal qu’on trouve sous la douche, ce n’est pas un chat, une grenouille, un chien ou un lapin, mais un éléphant. Or, l’éléphant est lié à la mythologie de la drogue : ne dit-on pas "voir des éléphants roses" lorsqu’on évoque les hallucinations provoquées par la consommation de certaines substances ?
Une interprétation qui semble évidente puisqu’à la fin de la chanson, le personnage dit "Là-dessus, je vais m’faire un pétard. Et partir pour Montélimar". Une conclusion qui confirme la thèse du récit planant. Montélimar est une autre ville très connue aussi pour son nougat. Sachant que la base de la recette du nougat d’Alger et de la recette du nougat de Montélimar est la même : amandes et miel. Avec cette précision historique importante : le nougat de Montélimar serait un enfant du nougat d’Alger.
Une chanson valorisant l’amitié franco-algérienne
Plus qu’une histoire de pétard, Le nougat de Brigitte Fontaine est une chanson world vantant l’amitié franco-algérienne. Une chanson antiraciste au centre de laquelle le nougat, conglomérat de douceurs conjuguées, est un symbole d’amour.
La friandise comme objet transitoire de l’amour, cela s’est déjà vu dans la chanson.
En 1969, Joe Dassin chante Le petit pain au chocolat. Sans doute la viennoiserie la plus célèbre de la chanson française. Ici, le pain au chocolat sert de point de contact entre le monde de la jolie boulangère et celui du client bientôt amoureux.
On a aussi eu la sucrerie comme métaphore de la douceur. La douceur de l’amour paternel dans Mistral gagnant. Bombec, car-en sac, Minto, caramels à un franc… En 1985, Renaud et son fameux Mistral gagnant, désignée comme chanson préférée des Français… de tous les temps.
Et puis, cette chanson excentrique, et en costume, sur la pâtisserie comme geste d’amour. Chanson extraite d’un célèbre film de Jacques Demy en 1970 : Peau d’âne. La recette du cake de l’amour, chanson culte, non pas interprétée par Catherine Deneuve mais par Anne Germain qui avait déjà performé dans Les demoiselles de Rochefort.
Par Sébastien Ministru
https://www.rtbf.be/article/le-nougat-de-brigitte-fontaine-trip-psychedelique-sur-lamitie-franco-algerienne-11181643
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