L’opportunité est inespérée. L’édile garde un souvenir amer de l’enterrement du projet par son prédécesseur. Imaginé en 2002 par le tonitruant Georges Frêche – non sans polémiques –, le musée avait été abandonné en 2014 par Philippe Saurel malgré les millions d’euros engagés. Ce dernier, installé à l’hôtel de ville jusqu’en 2020, avait justifié son choix par le coût des travaux, mais beaucoup lui ont reproché des motivations plus politiques, notamment d’avoir cédé à la pression des associations algérianistes et d’avoir passé un deal politique avec le Front national (FN, devenu Rassemblement national) pour décrocher la mairie. Cette affaire, qui avait déclenché de vives réactions d’historiens et d’intellectuels, illustre bien la difficulté persistante d’assumer l’histoire croisée de la France et de l’Algérie et le déni face à un passé qui ne passe pas, toujours en proie à l’instrumentalisation politique.
Florence Hudowicz, la conservatrice du département des arts graphiques et décoratifs du Musée Fabre à Montpellier, qui a rejoint l’aventure en 2010, espère que cette fois sera la bonne. Dans l’ombre, elle s’est attelée à constituer une collection à la hauteur de cet ambitieux projet. Cela fait des années qu’elle en attend la concrétisation. Membre de la commission « Mémoire et Vérité » chargée de mettre en œuvre les préconisations du rapport Stora et membre d’un comité scientifique élargi informel sur le projet du musée, Florence Hudowicz raconte le destin inachevé de cette collection.
C’est à Marseille, dans un bâtiment du centre de conservation et de ressources du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), que patientent les quelque 5 000 objets de la collection du futur musée de l’histoire de la France et l’Algérie. Comment avez-vous conçu sa composition ?
Florence Hudowicz La collection de départ, constituée avant mon arrivée dans le projet, avait vocation à être présentée dans un « Musée de la présence française en Algérie », puis dans un « Musée de l’histoire de la France en Algérie, 1830-1962 ». Cela donnait l’impression que l’Algérie n’existait que du temps où la France y était et qu’il s’agissait de rendre hommage à cette présence française.
Quand j’ai rejoint l’aventure, j’ai souhaité faire évoluer le projet. J’ai considéré une histoire dans laquelle toutes les mémoires de l’Algérie étaient associées avec non seulement celles des pieds-noirs et des anciens combattants, mais aussi celles des harkis et des Algériens. Et dans un temps qui dépasse les frontières de la période coloniale. La collection devait également s’intégrer dans une géographie méditerranéenne. Pour rendre compte de ce rééquilibrage, on a changé l’intitulé. C’est devenu le « Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie ».
A partir de ce cadre, il nous fallait restituer la chair de cette histoire. Qu’elle soit suffisamment rigoureuse et surplombante pour que tous ses héritiers puissent poser un regard apaisé sans faire un bond de trois mètres en arrière. Le discours devait être audible pour tout le monde. L’histoire entre la France et l’Algérie reste vive car elle n’est pas accordée. Or elle est commune, même si elle n’a pas été vécue de la même manière.
Comment votre postulat s’est-il traduit dans la collection ?
Des acquisitions, estimées à 2,6 millions d’euros, ont été réalisées en complément de dépôts venant des réserves nationales du Louvre, de Vincennes, d’Orsay ou encore du musée de l’Armée promis par ces établissements. Nous avons réuni près de 6 000 objets et documents comme des tableaux, des bijoux, des costumes, des jouets, de la vaisselle, des figurines, des cartes postales, des affiches, des photographies, des correspondances, des manuscrits…
A titre d’exemple, nous avons voulu montrer comment dès le XVIe siècle, au moment de la période de la « course » [raids lancés par les corsaires sur les côtes européennes ou à l’assaut des navires chrétiens, NDLR] et de la piraterie pratiquées sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, pour des raisons tant politiques que commerciales, les liens d’Etat à Etat avaient cours entre la France et la régence d’Alger qui préfigure l’Algérie actuelle. L’Algérie précoloniale existe ! On a acquis des gravures montrant cette « course » en Méditérannée. On avait la promesse de dépôt d’un canon ottoman du musée de l’Armée. On voulait resituer Alger dans une histoire plus vaste qui ne commençait pas avec sa prise en 1830.
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