La dernière Reine
La reine Zaphira a-t-elle existé ? La mémoire collective d’un pays ne se construit-elle pas aussi sur ses mythes. Adila Bendimerad et Damien Ounouri livrent une épopée somptueuse, découpée en cinq actes, où Alger, la ville aux mille canons, soumise à mille épreuves, suscite l’émerveillement. La dernière reine est l’un des derniers films à avoir bénéficié du Fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique (Fdatic) avant sa dissolution en 2021. Sa sortie en France (avant la sortie en Algérie) est un événement.
Le jeu entre la fiction et la réalité est ici pleinement revendiqué. Les deux réalisateurs désirent montrer une Alger légendaire, rêvée, où la légende le dispute à l’histoire. Pourquoi ? Parce que, dans l’imaginaire collectif, le merveilleux a toujours droit de cité. Précisément, le cinéma permet de déployer cette puissance du récit, hors d’un temps strictement délimité. On pense au mot de John Ford dans L’Homme qui tua Liberty Valance : “Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende.”
Nous voici plongés en 1516, dans Alger occupée depuis six ans par les Espagnols. Au sein du palais, petite enclave, la reine Zaphira (Adila Bendimerad) goûte une douceur de vivre éphémère. Le bruissement des fontaines, le chant des oiseaux, les glaces, le sucre et le miel abondent encore, mais sous la menace constante d’une invasion. Au paradis éternel, le temps est suspendu mais, sur Terre, il est compté. Lorsque le corsaire Aroudj Barberousse (Dali Bensallah) aborde sur les plages d’Alger (les scènes sont tournées plus à l’Ouest, où les plages sont sauvages et rocheuses), le destin de la ville bascule. En libérant Alger des Espagnols, Barberousse impose sa force et risque bien de dicter sa loi.
Contrairement au corsaire, le roi Salim Toumi (Mohamed Tahar Zaoui) possède une violence inoffensive. On le voit, dans quelques scènes, exprimer sa fureur envers sa seconde femme, Zaphira, voix de stentor et sourcils froncés. Mais on sent bien que cette expression de colère est le signe d’une impuissance. Sa première femme, Chegga (Imen Noël) lui prodigue des conseils stratégiques avisés, qu’il se révèle incapable de suivre. D’emblée, on comprend que ce roi est condamné.
Quel sera le destin de son jeune fils, Yahia (Yanis Aouine) ? Le générique nous montre la famille royale prenant la pose à l’entrée du palais : aux côtés de sa mère, Yahia sourit sagement puis, soudain, s’échappe derrière le rideau. Au dernier moment, comme escamoté. Comme ce chardonneret qu’il a apprivoisé et auquel il tient tant. La vie d’un oiseau ne tient qu’à un fil…
Tout le film est construit en équilibre instable, entre l’éternité fantasmée et les soubresauts guerriers. Dans les nombreuses scènes de bataille, très chorégraphiées, la violence et la douceur se mêlent. Tout comme s’entremêlent la violence des rêves prémonitoires et celle des événements vécus, qui viennent s’y superposer. La musicalité de la langue se fait sentir. Des langues même, puisque l’on entend l’arabe, le kabyle, le sabir, et même un peu de finnois (la compagne de Barberousse vient du Nord).
Cauchemar étiré, la tragédie s’achemine tranquillement vers son terme. “Je t’aime comme la mer“ murmure Zaphira à son mari. Muette et profonde, insondable, la mer emporte ses secrets.
Que peut le mundus muliebris (l’univers féminin) du palais contre la sauvagerie de la guerre ? Atteinte au plus profond, Zaphira se transformera elle aussi en héroïne vengeresse. Avec superbe, le film donne aux femmes une place centrale. Enveloppantes et déterminées, elles accompagnent l’action. Et le destin se charge du reste.
La dernière reine, Alger, 1516, d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri, 1h50, Algérie, 2023, avec Adila Bendimerad, Mohamed Tahar Zaoui, Dali Benssalah, Imen Noël, Nadia Tereszkiewicz, Yanis Aouine. Sortie le 19 avril 2023.
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