Ici on noie les Algériens
Aujourd’hui, c’est Axel qui revient sur un évènement tragique : le massacre des Algériens lors d’une manifestation pacifique à Paris, le 17 octobre 1961. Il nous parle du documentaire “Ici on noie les Algériens”.
“Ici on noie les Algériens” est un documentaire réalisé par Yasmina ADI, sorti en 2011.
Une semaine de confinement. Beaucoup de télétravail. Quand celui-ci se termine, je me retrouve très souvent occupé, occupé à ne rien faire. Entre deux vidéos Youtube, je trouve le temps d’en lancer une troisième. Un peu particulière celle-ci puisque ce n’est pas la 20èmeinterview Sandwich de Konbini ni la 23èmeinterview « Première fois » de Booska-P. Nan. Cette vidéo plus singulière a pour titre « Ici on noie les Algérien ». Un sujet bien plus pesant mais qui vaut le détour. Présentation.
Le temps d’un soir pluvieux d’automne, Paris a été le théâtre d’un massacre ordonné par la police française envers plusieurs centaines de manifestants pacifiques algériens. Venus réclamer l’annulation d’un couvre-feu instauré quelques jours plus tôt, un grand nombre d’entre eux perdront la vie, pour certains noyés dans la Seine.
Méconnue ou niée par une importante partie de la population française, la date du 17 octobre 1961 est, pour beaucoup d’algériens, une date qui restera à jamais inscrite dans les mémoires collectives.
Un besoin de clarification
C’est Yasmina ADI, réalisatrice née en France et de parents algériens, qui est l’une des premières à traiter du sujet au cinéma. Je découvre d’ailleurs que l’idée de la création de ce documentaire a émergé chez elle à la suite d’échanges avec son propre public à propos de l’un de ses précédents films « L’Autre 8 mai 1945 ». En effet, avant que l’on ne lui assène à plusieurs reprises : « Les répression du 8 mai 1945 me rappelle fortement ce qu’il a pu se produire en Octobre 1961 au métro Charonne », la réalisatrice étaitloin d’imaginer à quelle point l’histoire pouvait paraître confuse, même dans l’esprit des plus curieux (l’affaire de la station de métro Charonne ayant eu lieu plusieurs mois après et dans un contexte bien différent). En conséquence, elle conçoit qu’il est à présent urgent de s’employer à travailler sur le sujet afin de faire la lumière sur les évènements ultra violents de l’époque. Pour le plus grand bonheur des spectateurs.
La répression de trop
Attardons-nous quelques instants sur les relations qu’entretiennent à cette période le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne avant de rentrer dans le cœur du sujet.
Quelques mois avant la signature des accords d’Evian qui mettront un terme à la guerre d’Algérie en 1962, les tensions entre membres du Front de libération national (FLN) et partisans de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) se sont intensifiées. Les actes racistes, provocations, arrestations, vols et autres agissements abusifs dont sont victimes les africains du Nord se multiplient sur le territoire français. De nombreux heurts éclatent entre les deux camps. La situation devenant de plus en plus tendue, Maurice Papon, alors préfet de police de Paris exprime ces mots : « Pour un coup reçu, nous en rendrons dix ». Il ira même plus loin en promettant aux agents de police une protection en cas de bavure, les encourageant à tirer en premier s’ils le jugent nécessaire.
Enfin, comme si le vase n’avait pas débordé depuis plusieurs semaines, un nouveau conseil interministériel va se charger de verser les quelques gouttes restantes. A compter du 5 octobre 1961, les décisions suivantes sont admises : il est ordonné aux « Français musulmans d’Algérie », « travailleur français algériens »ou encore « Français musulmans »un couvre-feu leur interdisant de sortir de chez eux entre 20h30 et 5h30 du matin. De plus, il leur est interdit de se déplacer en groupe ou en voiture sous peine d’être interpelé, et ce, même en pleine journée.
C’est dans ce contexte si particulier que des dizaines de milliers d’algériens vont organiser, de manière dissimulée, une retentissante manifestation pacifique visant à réclamer auprès du gouvernement l’annulation pur et simple de l’arrêt qui vise à amoindrir leurs libertés.
Les victimes aux premières loges
Le documentaire, nommé au César en 2012, tire son nom de la très célèbre photo de Jean TEXIER alors photographe pour le journal « l’Avant-Garde »sur laquelle on peut lire « Ici on noie les algériens » inscrit sur le pont Saint-Michel. La photo en question n’a été dévoilée dans la presse que 24 ans après les évènements, faute aux pressions pro-colonialistes de l’époque exercées à l’échelle du pays.
Dès les premières secondes du documentaire, le ton est donné. Très vite, l’émotion grimpe. Une femme est avachie sur la banquète arrière d’une voiture, tête contre la vitre, longeant les quais de Seine, elle conte les déboires de son mari, parti manifester 50 ans plutôt mais finalement assassiné puis jeté dans le fleuve qu’elle reluque, déchirée. La perte d’un proche, c’est le sort qui a été réservé à de nombreuses familles algériennes cette nuit-là. Le film met en évidence les violences perpétrées par les autorités, les conditions de détentions dégradantes dans lesquelles ont été retenus ceux qui ont survécu et enfin le rôle joué par les femmes qui sont allées manifester en contestation aux violences subies par leurs maris, leurs frères et leurs fils. Tour à tour, les témoignages prennent aux tripes. Pour moi, à qui l’on a que très peu parlé de la guerre d’Algérie durant mon enfance, toutes ces images sont nouvelles, il faut les digérer.
A travers son œuvre, Yasmina ADI ne se contente pas de raconter les évènements du 17 octobre 1961 mais relate aussi les semaines qui ont suivi cette douloureuse nuit. Elle compile des témoignages de protagonistes de l’époque avec des images d’archives audios et visuelles dont la vocation à enrichir et sublimer la narration est parfaitement réussie. C’est donc à travers le récit de militants encore extrêmement marqués que nous sont évoqués les évènements. Veuves, manifestantes et manifestants de l’époque racontent leur vérité en dépit de l’émotion que celle-ci suscite chez eux. Les propos sont touchants, sincères et particulièrement durs à écouter au vu des violences qui ont eu lieu ce jour-là.
Le message que souhaite faire passer la réalisatrice est très clair : ce qui s’est produit étant d’une gravité extrême, il est important de se renseigner afin de pouvoir en parler et de ne surtout pas oublier, d’abord en hommage aux mémoires des victimes mais également dans le but d’éduquer. Comme s’applique à le répéter Yasmina ADI en interview : « Des personnes vivent avec ce souvenir qui reste marqué à jamais et qui a pour certain complétement bouleversé leur vie. Il est important de filmer les personnes qui peuvent encore raconter ce qu’elles ont vécu surtout dans le contexte où la France ne reconnait pas encore ses torts et où le sujet n’est jamais abordé dans les manuels scolaires ».
Ne connaissant que très peu en détails les barbaries de l’époque, ce documentaire m’a permis de rentrer davantage dans le vif du sujet. Au-delà du plaisir de le visionner, il m’a donné envie d’en découvrir davantage sur les points sombres liés aux évènements de la guerre d’Algérie en France. C’est la raison pour laquelle je ne peux que vous inviter à devenir témoin du documentaire disponible sur Youtube, « Ici on noie les Algériens », formidable porte d’entrée sur l’Histoire.
Par Axel B
Publié le 23 mars 2020
https://recitsdalgerie.com/ici-on-noie-les-algeriens/
Hors-la-loi
Pour cette nouvelle journée de confinement, Yasmine nous conseille le film Hors-la-loi, en rapport avec la guerre d’Algérie.
Hors-la-loi est une coproduction franco-algérienne datant de 2010 réalisée par Rachid Bouchareb. Elle retrace le destin d’une famille algérienne composée de trois frères sur une période allant de 1945 à 1961.
Suite à son film de 2006 Indigènes qui rendait hommage aux tirailleurs algériens de la seconde guerre mondiale, Rachid Bouchareb choisit de raconter l’histoire des Algériens ayant vécu la fin de la guerre et la Libération et comment le climat a relancé le mouvement de la décolonisation algérienne. Le film a par ailleurs été nominé aux Oscar et au festival de Cannes.
« Le film ne prétend ni condamner la violence, ni la légitimer »
On commence l’histoire en Algérie par l’expropriation des terres familiales qui contraint la famille à s’exiler en ville. Le film reprend les événements de la marche de Sétif du 8 mai 1945 et de sa répression sanglante, puis suit l’immigration de la famille en France où leurs vies se déroulent au sein du bidonville de Nanterre. Les trois frères ont des personnalités distinctes : Messaoud devient un combattant dans l’armée française durant la guerre d’Indochine, Abdelkader est un membre du FLN en France et le dernier, Saïd traite dans le proxénétisme et devient le gérant d’un cabaret. Malgré leurs différences les trois frères restent liés autour de la figure maternelle. Leurs valeurs s’affrontent et les divergences s’exhortent lorsque deux des frères deviennent des militants actifs du FLN et prennent part aux opérations armées.
Une question qui revient est la légitimité de la lutte armée pour l’indépendance, mais le film ne prétend ni condamner la violence, ni la légitimer. Il est simplement question de retracer la vie des personnages, leurs dilemmes internes et la montée en puissance au fur-et-à mesure de lutte pour l’indépendance, qui au début du film semble surréaliste pour au final se révéler inévitable. Le film évoque aussi les tensions entre les deux mouvements de libération algérien, le FLN qui prône la lutte armée et le MNA (Mouvement nationaliste algérien) qui pense arriver à l’indépendance par le vote démocratique.
Cependant par la violence des scènes, les exécutions froides, les répressions sanglantes, le message du film est clair : il n’y a pas de place pour un mouvement pacifiste. Ce film est violent mais aborde des thèmes divers comme les bidonvilles algériens en France, la place de la résistance algérienne sur le sol français, les français qui ont aidé le FLN et l’immigration ouvrière algérienne en France.
Est également abordée l’histoire du boxeur algérien Chérif Haima surnommé « le Kid d’Alger » et relate notamment les pressions qu’il a subi par le FLN qui refuse qu’un Algérien représente la France au championnat du monde.
« Il dépeint les souffrances subies par les Algériens »
Ce film se démarque pour moi, car il décrit la vie des Algériens vivant en France avant l’indépendance et illustre leur misère.
La réception du film a été mitigée. Sa sortie a suscité de vives critiques de la part d’historiens et politiciens, reprochant une histoire orientée qui prônerait un message dangereux. Certains historiens français ont pointé du doigt les erreurs historiques qui profitent au spectaculaire du scénario et dénonce la représentation de la marche de Sétif. Critiques à prendre avec du recul car émanant d’historiens ayant exprimé des vues pro-colonialistes et se revendiquant contre toute repentance coloniale. Des politiciens français se sont servis des erreurs historiques pour critiquer le film et le gouvernement français est exhorté de mettre en place la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie afin de « mieux approcher la vérité ».
Il y a donc eu une instrumentalisation assez forte des inexactitudes historiques du film, qui est pourtant un film de fiction s’appuyant sur des faits réels non contestés, ce qui est discuté par ses détracteurs sont en réalité des détails mineurs qui visent uniquement à faire avancer le scénario, il n’est pas ici question d’orienter un discours politique mais de retranscrire des événements de façon romancée. Selon moi, le problème que pose ce film, en France, est qu’il dépeint les souffrances subies par les Algériens victimes de tortures, d’assassinats, de dépossession en soit d’actes répondant à la définition de crimes contre l’humanité, ce qui n’a jamais été reconnu par l’Etat français.
« Une image sanglante du combat de libération algérien »
Je me souviens avoir vu ce film à sa sortie avec mes parents au cinéma et d’avoir été très choquée par la violence des scènes. Les discours politiques m’avaient peut-être échappé à l’époque mais la violence de la répression subie par les algériens en Algérie tout comme en France ainsi que la violence utilisée par les résistants algériens dressent une image sanglante du combat de libération algérien. Il n’est pas question ici de déposer des bombes mais d’avoir recours à des assassinats méthodiques et de punir les militants algériens qui se détournent de la cause. La mort est omniprésente, ce qui crée une atmosphère froide et menaçante, où la vie reprend parfois son droit avec un mariage, une naissance, des événements rares qui ne semblent pas avoir la place dans la vie de nos protagonistes.
Une scène m’avait particulièrement touchée lors de ma première vision du film, lorsque la mère alors en fin de vie donne à son fils un sac de terre de sa ville natale d’Algérie et lui fait promettre de la déverser au-dessous de sa joue quand elle sera mise en terre à sa mort. C’est peut-être l’attache bouleversante de cette femme si fragile, si forte qui m’a touché à l’époque, comme une illustration de l’amour pour la patrie que les algériens ont dans le cœur et qui était la raison première de la lutte pour l’indépendance
La difficulté pour ces hommes de tuer au nom d’une cause est exprimée dans ce film et la décadence entre la vie de famille et la vie de résistant dresse un portrait réaliste et nécessaire de ceux qui sont devenus des martyrs célébrés après l’indépendance de l’Algérie. Une façon de rappeler que ces héros nationaux étaient avant tout des hommes qui aimaient leur famille, leur peuple et leur pays.
Par Yasmine Toumert
Publié le 22 mars 2020
https://recitsdalgerie.com/hors-la-loi/
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