Ce que le jour doit à la nuit
Inès nous parle aujourd’hui du film “Ce que le jour doit à la nuit”, une adaptation du roman éponyme de Yasmina Khadra.
Ce que le jour doit à la nuit est un roman écrit par Yasmina Khadra en 2008, véritable succès commercial, l’ouvrage s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en France, il a également connu un certain succès critique avec plusieurs prix littéraires : prix roman France Télévisions 2008, meilleur livre de l’année 2008 par Lire (magazine littéraire)… Fort de son succès il a ainsi été adapté au cinéma en 2012 par Alexandre Arcady.
« Qui sommes-nous au juste ? Ce que nous avons été ou bien ce que nous aurions aimé être ? Le tort que nous avons causé ou bien celui que nous avons subi ? Les rendez-vous que nous avons ratés ou les rencontres fortuites qui ont dévié le cours de notre destin ? Les coulisses qui nous ont préservés de la vanité ou bien les feux de la rampe qui nous ont servi de bûchers ? Nous sommes tout cela en même temps, toute la vie qui a été la nôtre, avec ses hauts et ses bas, ses prouesses et ses vicissitudes ; nous sommes aussi l’ensemble des fantômes qui nous hantent… nous sommes plusieurs personnages en un, si convaincants dans les différents rôles que nous avons assumés qu’il nous est impossible de savoir lequel nous avons été vraiment, lequel nous sommes devenus, lequel nous survivra. »
Le récit d’une nation
Ce que le jour doit à la nuit est un ouvrage emblématique dans le récit romanesque de la guerre d’Algérie. L’ouvrage est à la frontière de plusieurs genres littéraires : historique, romantique.
Yasmina Khadra choisit le prisme de l’humain pour narrer le récit d’une nation. Sans tomber dans la facilité, avec des personnages complexes ayant chacun une part d’ombre et de lumière, il décrit brillamment à travers des hommes et des femmes l’émancipation d’un peuple, la guerre contre la colonisation. L’amour est un personnage central du récit, la langue grecque a plusieurs mots pour qualifier les différentes formes d’amour, plusieurs définitions se prêtent particulièrement pour qualifier ceux qu’on retrouve dans le livre : l’amour d’une nation,
Storgê : l’amour intra familial, Philia : l’amour amical, et Eros : l’amour « amoureux », le désir.
La fresque qu’il dépeint s’étend de 1930 à 1962, on assiste à travers la vie de Younes à la naissance et à l’amplification du soulèvement et de la révolution algérienne. Le roman s’ouvre sur une scène tragique, à l’origine du basculement du destin d’une famille, à l’aube des récoltes un incendie se déclare dans le champ d’Issa, en quelques heures cette parcelle de terre dont est propriétaire la famille depuis des générations n’est plus qu’un tas de cendre. Issa, sa femme et ses enfants sont contraints à l’exode urbain. Ils atterrissent dans un taudis, à Oran, dans le quartier de Jenane Jato. Le récit commence dans la tragédie et s’y enfonce au fil des pages. À Jenane Jato, la condition de la famille d’Issa se détériore : le père travaille de plus en plus et finit par fuir le domicile familial. Younes est finalement le malheureux élu, Mahi le frère de son père, pharmacien, l’accueil chez lui et l’adopte.
« On suit la position du protagoniste face à la guerre qui ravage son pays »
Cette adoption marque une véritable rupture dans le récit, on assiste à une soudaine ascension sociale : Younes passe des quartiers populaires d’Oran aux quartiers résidentiels, sa nouvelle famille vit très confortablement et appartient à une certaine élite intellectuelle. Younes vit également une rupture identitaire, il est rebaptisé Jonas, lui qui est blond aux yeux bleus, enterre une part de son identité d’arabe. Son nouveau lieu de vie est également marqué par une présence accrue de colons, il se lie profondément avec de nouveaux amis, André, Fabrice, Jean-Christophe, ils formeront un nouveau groupe, insouciant, libre et plein légèreté finalement bien loin des préoccupations des jeunes Algériens que Younes a pu côtoyer auparavant.
L’histoire de Younes prend un véritable tournant lorsqu’il retrouve Émilie, après l’avoir connue enfant, ils se rencontrent véritablement, le coup de foudre est presque immédiat, il est alchimique et dépasse les mots. L’histoire d’amour est aussi impossible que les sentiments qui animent les deux protagonistes sont forts. À partir de là, le lecteur suivra un Younes déchiré entre le secret rendant son histoire d’amour impossible et ses sentiments ineffables. En parallèle, on suit la position du protagoniste face à la guerre qui ravage son pays, lui qui était dans le cocon colonial, bercé par l’insouciance et par une forme d’opulence se retrouve confronté à ses responsabilités identitaires, on retrouve là encore une dualité dans la position de Younes.
Le talent de Yasmina Khadra et la qualité de Ce que le jour doit à la nuit c’est de dépeindre la complexité humaine sans jamais tomber dans la facilité, le personnage de Younes est tourmenté, complexe, il dépeint parfaitement les valeurs qui animent les hommes, les contradictions qui les déchirent et les choix qui figent une vie. Enfin, le terrain choisi et les choix faits par l’auteur sont audacieux, il navigue entre une Algérie française orgueilleuse et opulente et un peuple algérien qui souffre, mais qui se bat pour finalement triompher. La violence de ce terrain historique rend le récit plus prenant, même s’il trouve la place qui lui revient un peu tardivement dans le fil du livre.
« Les 30 ans d’histoire et les 450 pages seront finalement un film de 2 h 40 »
Fort de son succès, le roman est adapté au cinéma, le film sort en salle le 12 septembre 2012, le défi est considérable : rendre grâce en mettant en image un tel ouvrage. Les 30 ans d’histoire et les 450 pages seront finalement un film de 2 h 40. Les personnages sont fidèles au portrait dressé par Yasmina Khadra la qualité du film réside en partie dans ce point. Younes est incarné par Fu’ad Aït Aattou qui porte à merveille toute la mélancolie, le silence et la gravité du personnage. L’autre protagoniste du film, Émilie est incarnée par Nora Arnezede, incandescente, solaire et entière elle livre une prestation à la hauteur du personnage du roman.
La mise en scène est réussie : les tons orangés et chauds du film sont convaincants et ils nous plongent dans l’esthétique de l’Algérie du XXe siècle, la lumière et la photographie du film sont en somme une réussite et ils laissent un vif souvenir après le visionnage.
Dans le même sens, les paysages et les décors sont également réussis et de par leur beauté ils marquent la violence de la colonisation.
Alexandre Arcady a passé les premières années de sa vie en Algérie et en tant que pied noir il a insufflé au film une patte esthétique coloniale qu’on ressent assez franchement au visionnage. Sur le fond, l’émotion et la gravité sont présents tout au long du film, mais ce qui marque le spectateur assez rapidement c’est la longueur, le rythme est mal choisi et l’on s’ennuie parfois franchement.
À mon sens, le film pêche grave sur les dialogues, ils sont pauvres et peuvent être vides pour balancer ce point le récit repose grandement sur les non-dits (amoureux et coloniaux) sur ce point les silences sont réussis. Par ailleurs, le film manque cruellement de poésie, c’était une des qualités majeures de Khadra, la beauté de sa plume sublime la tragédie, là, le réalisateur tombe dans un pathos lourd. Le film manque de finesse et de nuance. L’émotion est donc logiquement présente, on ressort du visionnage du film bouleversé, mais certainement moins qu’après la lecture du livre.
« J’ai pu découvrir un pan de mon histoire autrement que par des récits familiaux »
Pour apporter une touche plus personnelle à cet article, j’ai lu Ce que le jour doit à la nuit l’été de mes 18 ans, en 2014. Aujourd’hui, je me rends compte que cette lecture a été importante et même fondatrice pour moi : ce roman m’a permis de découvrir la guerre d’Algérie par mes propres moyens. La lecture de romans a toujours été quelque chose de personnel et d’intime pour moi et à cette période j’ai pu découvrir un pan de mon histoire autrement que par des récits familiaux (rares et bridés).
J’ai finalement eu l’impression de m’approprier une part de mon histoire personnelle et ça a été le point de départ, vers d’autres lectures, scientifique notamment. En ça, je recommande la lecture (et le visionnage du film) à chacun et particulièrement aux êtres qui ont un lien charnel avec cette guerre il permet à travers un récit romancé de mettre un pas dans la grande histoire qui nous touche tous différemment.
Par Inès S.
Publié le 21 mars 2020
https://recitsdalgerie.com/ce-que-le-jour-doit-a-la-nuit/
Combien je vous aime
Aujourd’hui, c’est Mélissa qui nous parle d’un film qui l’a marquée au sujet de la guerre d’Algérie: “Combien je vous aime”.
Combien je vous aime est un montage d’archives sorti en 1985, réalisé par Azzedine Meddour. A travers ces images, le réalisateur dresse un portrait de la colonisation française en Algérie.
C’est au détour d’une conversation avec ma mère qu’elle me parla de ce film/documentaire qui l’avait profondément marquée par sa justesse.
O Combien je vous aime se construit au travers de documents d’archives français avant et pendant la Guerre d’Algérie. Les images se succèdent et dépeignent avec une ironie distanciatrice toutes les inégalités entre français et musulmans avant le conflit.
La suite du documentaire porte sur la couverture médiatique pendant la guerre. Des images et témoignages rares où les soldats français se gargarisent de leurs actes de torture. Le ton léger et satirique employé contraste avec la dureté et l’horreur des images. Ce documentaire met en exergue toute la violence et l’ignominie, encore aujourd’hui occultée, des soldats, commandants et généraux français.
On y découvre aussi les multiples manœuvres guignolesques employées par le gouvernement français pour amadouer les femmes et enfants indigènes, en vain.
Par sa construction tout en contraste, O Combien je vous aime expose le décalage absurde entre le discours français et toute la monstruosité des faits avérés. A l’heure où la question des supposés bienfaits de la colonisation demeure latente, ce documentaire reste plus que jamais nécessaire.
A titre personnel, j’ai trouvé enrichissant de découvrir la perception des médias français à l’égard des algériens avant et pendant le conflit. De ce documentaire, en ressortent un ressentiment amer et une vive incompréhension : quelle était leur légitimé à massacrer et piller une population sans exprimer le moindre remord ? N’est-t-il pas temps, aujourd’hui, de reconnaître et se repentir pour avancer en paix ?
Ce documentaire a été réalisé par Azzedine Meddour en 1985, père de Mounia Meddour, réalisatrice de Papicha. Le film sera récompensé 1erPrix par le Festival américain du film à New York, section « Perspective ».
Par Mélissa B.
Publié le 20 mars 2020
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