Sous un titre inspiré du fameux « Paris brûle-t-il ? » (rapprochement significatif), le commandant Azzedine nous donne la suite, impatiemment attendue, de ses souvenirs de guerre. On se souvient que dans le premier volume (On nous appelait « fellaghas ») [2] paru en 1976, l’auteur passait trop rapidement sur les faits ayant suivi sa sortie d’Algérie en 1959, et sur sa découverte de la politique et des dissensions au sommet du FLN, qui le conduisit à demander son retour à l’intérieur. Ce nouveau récit commence en janvier 1962, après que le GPRA eut décidé d’y renvoyer, via Paris, une équipe de combattants éprouvés (Azzedine et son compagnon Moussa, Omar et Boualem Oussedik, Ali Lounici, puis le colonel Sadek) afin de réorganiser la Wilaya IV et la zone autonome d’Alger. Il se termine, prudemment, le 1er juillet, jour du référendum d’autodétermination. Entre ces deux dates s’inscrit un combat titanesque contre l’OAS, qui tente d’empêcher l’application des accords d’Évian par la terreur et la provocation, puis de faire sombrer l’Algérie dans le chaos de la « terre brûlée ». Combat mené par la ZAA reconstituée le 1er avril 1962, en liaison avec les « barbouzes » gaullistes et avec les responsables français du maintien de l’ordre. Cette histoire est déjà connue par de nombreux témoignages (notamment celui du préfet d’Alger Vitalis Cros ; Au temps de la violence, Presses de la Cité 1970. Celui d’Azzedine apporte une information plus complète sur l’organisation et sur les diverses activités de la ZAA : militaires (lutte contre l’OAS par des représailles et par des enlèvements) ; civiles (service de santé gratuit, ravitaillement de la population, recasement des pauvres dans les quartiers abandonnés par les Européens...). Il est surtout attachant par les nombreux et vivants portraits de combattants, de militants et de civils algériens, qui montrent éloquemment quelle somme de courage, de souffrances et de dévouement la révolution algérienne a exigée de ceux qui l’ont faite. Son principal mérite est de faire comprendre au lecteur que celle-ci ne peut se réduire aux méfaits d’une bande de brigands.
L’auteur n’est cependant pas toujours aussi convaincant dans ses considérations politiques, et surtout dans ses diatribes contre l’adversaire, la vision caricaturale qu’il nous donne des « bandes criminelles » de l’OAS rappelle curieusement l’image du FLN présentée par la général Massu dans La vraie bataille d’Alger (Plon, 1971). Paradoxalement, la même analyse pourrait servir à résumer ces deux livres : des combattants héroïques, injustement diffamés, luttent sans merci contre d’odieux criminels pour libérer Alger de leur joug inhumain. Le peuple algérois - mais ce n’est pas tout-à-fait le même ! - célèbre dans l’enthousiasme le triomphe de ses libérateurs, le 16 mai 1958, ou le 1er juillet 1962. En effet, à cinq ans d’intervalle, les rôles se sont inversés. Le général Salan et le colonel Godard (à défaut du général Massu), sont devenus des « hors la loi », taudis que l’ancien « fellagha » Si Azzedine coopère avec les « forces de l’ordre ». L’OAS multiplie les attentats de moins en moins sélectifs pour entraîner le FLN à rompre le cessez-le-feu et les accords d’Évian. La ZAA riposte tardivement par de violentes représailles, mais surtout fait disparaître des centaines de membres présumés de l’organisation ennemie, après un jugement expéditif. Azzedine défend l’honneur de ses frères d’armes en citant plusieurs exemples d’humanité et de clémence : mais il doit reconnaître l’existence de « bavures » souvent dues à des « éléments incontrôlés ». Et c’est bien à la torture que succombe l’ingénieur Petitjean (entre les mains des « barbouzes », il est vrai). Sans doute l’autre camp n’avait pas les mains pures, loin de là, mais comment être certain que tous les disparus enfouis dans des fosses communes avaient vraiment mérité leur sort ? Dieu reconnaîtra les siens, mais fallait-il les tuer tous ? Il est assurément choquant de voir d’anciens officiers français ordonner ou couvrir le recours au terrorisme contre la population musulmane qu’ils prétendaient naguère protéger ; mais l’indignation de Si Azzedine serait mieux fondée si le FLN lui-même n’avait pratiqué pendant plus de six ans, du 20 août 1955 au 18 mars 1962, cette stratégie de la terreur et de provocation contre la population européenne. Alger de 1962, ville déchirée entre deux peuples ennemis dans leur commune souffrance, comment évoquer ton sort sans frémir ?
http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=144
Le petit Omar ou le patriotisme sans âge
https://tipaza.typepad.fr/mon_weblog/2023/04/le-petit-omar-ou-le-patriotisme-sans-%C3%A2ge.html
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