L’actrice, qui a écrit et réalisé « La Dernière Reine » avec Damien Ounouri, raconte la genèse de ce premier film algérien en costumes et en langues du XVIe siècle.
« La Dernière Reine », d’Adila Bendimerad et de Damien Ounouri.
La comédienne algérienne Adila Bendimerad incarne la reine Zaphira dans La Dernière Reine, un film sorti en salle le 19 avril, qu’elle a écrit et réalisé avec Damien Ounouri.
Rencontre avec une actrice-réalisatrice inspirée par « les femmes algériennes avec lesquelles j’ai vécu », par « celles avec lesquelles je vis aujourd’hui ».
Ces dernières semaines, vous avez multiplié les rencontres avec le public en France. Vous attendiez-vous à un tel accueil ?
Adila Bendimerad Cette semaine, douze nouvelles salles accueillent le film et nous en sommes très heureux. Les réactions sont bouleversantes. Algériens vivant en France, Français d’origine algérienne, Français, gens d’ailleurs, tous sont très émus par cette histoire et cette Algérie qu’ils ne connaissaient pas.
Au cinéma, notre pays est encore vu essentiellement à travers la colonisation ou les années du terrorisme. Or on constate que le public se passionne pour cette reine mais aussi pour ce patrimoine qui n’a jamais existé à l’écran. C’est le premier film algérien d’époque en costumes et avec des langues de l’époque qui ne sont pas réduites à des onomatopées. Pour autant ce n’est pas juste un film de burnous et de sabres.
Comment est née cette histoire ?
Nous n’avons pas inventé Zaphira. Aujourd’hui encore, un peu partout en Algérie, des histoires circulent sur cette reine. Elle relève de la légende, fait partie de notre patrimoine immatériel. On aurait pu choisir un personnage historique mieux identifié, plus documenté mais ce qui nous a intéressés, ce sont les zones inexplorées, incertaines de cette histoire.
On est évidemment beaucoup plus informés sur les personnages masculins, comme Aroudj Barberousse (interprété par Dali Benssalah), personnage très romanesque, fort de son bras d’argent, à la fois redouté et redoutable, et libérateur d’Alger face aux Espagnols.
Zaphira, elle, oscille constamment entre la disparition et l’apparition. Elle me fait penser à Alger, à sa Casbah martyrisée, rasée à plus de 80 % pendant la période coloniale. Leurs destins se ressemblent. Elles ont été effacées. C’est finalement la raison de notre obstination avec Damien : mettre fin à ce double effacement d’une femme et d’une ville. C’est poétique et cela permet de créer une mythologie.
Quelle image de Zaphira avez-vous voulu faire passer ?
Celle d’une femme qui improvise, qui évolue. Si le roi Salim Toumi (Mohamed Tahar Zaoui), son époux, n’était pas mort, elle n’aurait probablement pas quitté le palais. Mais les menaces qui pèsent sur Alger, cette nouvelle population qui arrive avec les Corsaires, ce chamboulement de l’histoire au XVIe siècle va lui ouvrir les portes du pouvoir. Elle sort de l’invisibilisation. En sauvant son fils, elle sauve Alger. A ce moment-là, elle devient vraiment intéressante.
Il y a d’autres personnages de femmes dans le film : Chegga, la deuxième épouse du roi, Astrid la femme scandinave d’Aroudj. Que nous racontent-elles ?
Oui, le film aurait pu s’appeler Les Reines. Chegga (Imen Noel) s’inscrit dans la tradition, celle des rois d’Alger qui épousaient toujours une princesse kabyle pour des raisons politiques et militaires. Quand elle apparaît pour la première fois, elle observe les hommes parler de politique derrière son moucharabieh. Elle aimerait intervenir mais ne peut pas.
Et puis, il y a la femme scandinave d’Aroudj (Nadia Tereszkiewicz). A un moment, elle s’exclame : « J’ai voulu nuire à Zafira mais elle me rappelle moi quand j’étais esclave et que je me débattais seule. » Elle a tout fait pour son homme, a œuvré dans l’ombre, mais il la rejette quand il est sur le point d’arriver à ses fins : conquérir Zaphira et Alger.
Vous posez un regard féminin sur un monde d’hommes. Comment s’est-il imposé ?
Nous voulions raconter cette histoire méconnue à travers les femmes. Mais nous avons œuvré à deux. Et là encore, nous ne sommes pas forcément là où l’on nous attend. J’ai écrit la plupart des scènes où les Corsaires se balancent des trucs un peu « gras ». J’ai été élevée avec des garçons, j’avais seulement des frères. Quant aux scènes sentimentales, elles ont essentiellement été écrites par Damien. Lui a grandi au milieu de femmes !
Certaines féministes m’ont d’ailleurs fait remarquer que Zaphira ne l’était pas suffisamment. Mais ce n’est parce que je suis militante que je vais plaquer des discours sur Zaphira. Elle n’a pas théorisé le féminisme. Ce n’est pas facile de déborder du cadre, d’aller dans l’espace public. Celles qui ont osé le faire étaient et sont des originales. Ma source d’inspiration, ce sont les femmes algériennes, celles avec lesquelles j’ai vécu, celles avec lesquelles je vis aujourd’hui. Cela fait un film un peu androgyne.
Vous avez joué dans les films de Merzak Allouache (Le Repenti et Les Terrasses) dans le précédent film de Damien Ounouri, (Kindil El Bhar). Ce sont toujours des rôles de femmes qui tendent vers la liberté. C’est un choix ?
En Algérie, quand on fait du théâtre ou du cinéma, il y a toujours des rôles où la femme est très impressionnante quand elle sort de ses gonds. Dans Kindil El Bahr, celle que j’interprète n’est pas une révolutionnaire. Elle est sur la plage avec ses enfants, chaperonnée par sa mère. Elle attend son mari. Quand elle comprend qu’il ne viendra pas, elle se recentre sur elle-même, entre dans l’eau, commence à faire des figures, à se libérer. C’est déjà une « précréature ». C’est seulement après sa mort qu’elle devient un monstre marin vengeur. J’aime bien ces personnages qui laissent de l’espace à la sensation, à l’entrée du monde en eux et qui en sortent transformés. J’en reviens toujours à ces femmes traversées.
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