''Six ans au maquis'' de Yamina Cherrad Bennaceur
Le lecteur retiendra difficilement son émotion à la lecture de plusieurs passages du livre-mémoire de Yamina Cherrad Bennaceur. Paradoxalement, il ne s’agit pas forcément des souvenirs des difficultés de la vie de maquis, qui nous surprennent toujours par leur côté singulier, inédit du vécu du maquisard, même si nous en avons déjà lu des dizaines de témoignages. Nous nous rendons compte que des noms des lieux aux noms des protagonistes, notre guerre de libération s’est déroulée comme une immense synergie d’inventions locales de notre révolution.
Le livre de Yamina Cherrad nous déroule le vécu intime, individuel de plusieurs personnages dans une guerre du faible au fort qui oblige le faible à développer un extraordinaire génie tactique, des ressources morales à la limite de l’humain. Tension de tous les instants qui n’était possible pour notre peuple qu’à la condition de consentir d’avance l’idée qu’il doit payer un prix incommensurable pour atteindre le but qu’il poursuit. La valeur inestimable de ce livre est de nous le dire dans le détail de ce que les douars, les mechtas, les paysannes, les djounouds ont dû développer comme capacité d’innovations et d’adaptations face à une ahurissante mobilisation des moyens militaires de la France coloniale, facilitée par une population pied-noir excitée, la proximité géographique et l’engagement d’un contingent d’appelés.
Jamais livre n’a autant, sans chercher ce but et uniquement à travers l’honnêteté, démenti la thèse, devenue dominante, que notre guerre de libération a été une « affaire » entre des généraux français en mal de revanche indochinoise et des colonels de l’ALN égarés dans les maquis. Quelle force se dégage de ce texte qui l'élève bien au-dessus du simple témoignage pour nous révéler les soubassements sociaux qui ont fait de l’ALN, une armée des structures sociales réelles de notre peuple : tribus, clans, douars etc. Jamais livre n’aura montré avec autant de force que sans l’existence d’une économie domestique indigène, autarcique, jamais l’ALN n’aurait pu bénéficier de la logistique de sa survie, orge, blé, légumes, animaux de transport, etc..
Yamina déroule pour nous dans ce livre, le long chemin obscur et incertain qui travaillait la société par le bas : l’engagement de Nena, sa grande sœur, qui portait dans les maisons voisines et amies, la parole du nationalisme ; le travail de Malika Gaïd qui éveillait ses cadettes à la conscience nationale ; la mémoire entretenue des massacres du 8 mai 1945 sans qu’intervienne un travail manifeste d’une organisation politique. Yamina Cherrad, nous restitue très bien, ces moments par lesquels la conscience nationale devient une conscience de masse et une dynamique auto-générée.
Son chemin vers le maquis n’est pourtant pas inscrit comme une fatalité. La façon d’en parler de Yamina Cherrad, par sa fidélité aux réalités et aux conditions complexes des personnages qu’elle évoque, nous mène à chaque fois, sur les limites de ce qui a fait bifurquer sa vie vers ce destin de militante et de maquisarde. Et d’abord et en premier lieu sa formation d’infirmière et de la formation scolaire, en général, des autres moudjahidates dont elle nous parle. C’est en cela que ce récit autobiographique s’élève au rang de roman historique. La qualité littéraire du texte y rajoute beaucoup. L’émotion y est toujours présente. L’émotion de découvrir les paysages au cours de son premier voyage de Sétif à Alger devient sous sa plume, l’émotion de découvrir une réalité physique de la nation. La découverte d’Alger, et des inégalités sociales criardes deviennent des tableaux heurtées et contradictoires des inégalités, tout cela par des mises en miroir des images du monde pied-noir et du monde indigène.
Le chemin qui mènera Yamina Cherrad au maquis est manifestement le chemin qui mène des millions d’algériens vers l’inéluctable conviction que seule la forme de la lutte armée peut les libérer. La suite est un superbe récit des conditions de vie au maquis, une des plus beau textes de ce registre, dans lequel se croisent, se marient, se confondent puis deviennent destin unique la vie de paysans, de citadins, d’infirmières, de médecins, de djounouds avec les lois particulières qu’ils ont dû se donner pour mener la guerre la plus inégale de l’histoire de l’humanité. A suivre cette vie des paysans et de djounouds dans les montagnes, on touche au plus profond du concret, la phrase de Fanon : « La guerre d'Algérie, la plus hallucinante qu'un peuple ait menée pour briser l'oppression coloniale. »
Par Mohamed Bouhamidi
In Horizons. Le 07 02 2018
Six ans au maquis - Yamina Cherrad Bennaceur - Editions elkalima - Alger - 2017- 197 pages - 700 da.
Source : https://sudhorizons.dz/fr/la-destination-algerie/histoire/27806-six-ans-au-maquis-de-yamina-cherrad-bennaceur
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