Éditorial, par Serge Halimi
uelques semaines après l’accession de M. Emmanuel Macron à l’Élysée, un de ses partisans, l’actuel président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, résuma la politique économique et sociale qui allait suivre : « Objectivement, les problèmes de ce pays impliquent des solutions favorables aux hauts revenus (1). » Ces privilégiés prouveraient ensuite leur reconnaissance envers leur bienfaiteur puisque, entre 2017 et 2022, du premier tour d’une élection présidentielle à l’autre, M. Macron vit son score chez les plus riches passer de 34 % à 48 %. Quand la gauche est au pouvoir, elle démontre rarement autant de maestria à satisfaire son électorat…
Le chef de l’État ayant également accru sa popularité auprès des électeurs de plus de 65 ans d’un scrutin présidentiel à l’autre, on mesure la portée du « courage » dont M. Macron se gargarise lorsqu’il cherche à convaincre le pays d’accepter une « réforme » des retraites dont les principales victimes seront les classes populaires, qui ont très majoritairement voté contre lui. Alors que sa remise en cause des conquis sociaux épargnera le capital, tout comme les retraités (même les plus aisés), elle imposera donc deux années de travail supplémentaires aux ouvriers, dont l’espérance de vie en bonne santé est inférieure de dix ans à celle des cadres supérieurs (2). Pour ceux que le salariat a souvent usés, épuisés, cassés, la ligne d’arrivée recule à nouveau. Le temps du repos, des projets, des engagements choisis sera mangé par le travail obligatoire ou par le chômage.
Et pour quelle raison cette mesure qu’aucune urgence n’appelle ? Parce que le choix du pouvoir n’est pas de remédier à la déliquescence des hôpitaux et des écoles, mais d’« abaisser le poids des dépenses de retraite » dans l’économie nationale au moment où, par ailleurs, les dépenses militaires vont s’envoler (le ministre des armées prévoit qu’elles auront doublé entre 2017 et 2030). Le projet de civilisation que de telles priorités dessinent est suffisamment sordide pour que, contrairement à ce qu’on observa lors d’un autre mouvement social immense ressemblant à celui en cours, même certains des médias les mieux disposés envers le pouvoir aient dû (provisoirement) rendre les armes (lire le texte d’Annie Ernaux « Relever la tête »).
Décidée à persévérer malgré tout, la première ministre Élisabeth Borne s’inquiète néanmoins que son texte puisse « donner du grain à moudre au Rassemblement national ». Le président qui l’a nommée n’a pas ce souci. « En 2027, a-t-il expliqué en décembre dernier, je ne serai pas candidat, je ne serai donc pas comptable de ce qui arrivera (3). » La postérité pourra donc bien retenir de sa présidence arrogante qu’elle aura servi de marchepied à Mme Marine Le Pen, l’avenir de M. Macron est assuré. Si dans les semaines qui viennent il écrase la résistance populaire et conquiert ses galons de « réformateur » auprès de la droite et de la Commission européenne, il pourra ensuite discourir à Davos ou au Qatar, et prétendre à la direction d’Uber, de BlaBlaCar ou d’une banque d’affaires internationale.
Serge Halimi
(1) M. Jean-Louis Bourlanges, cité dans « Une politique pour les riches… et alors ? », L’Opinion, Paris, 29-30 septembre 2017.
(2) Selon l’Observatoire des inégalités, l’espérance de vie à 35 ans des cadres, sans problèmes sensoriels et physiques, est de trente-quatre ans, contre vingt-quatre ans chez les ouvriers.
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