[1] « Il paraît que, dès le début, M. L’administrateur a réuni ses secrétaires, la nuit, pour leur dire d’une voix sépulcrale : ‘ Messieurs, la France est en danger : les Arabes se révoltent !’ » [2].
En 1960, à quinze ans, la « guerre » d’Algérie m’apparaissait lointaine, comme quelque chose qui se serait passé sur la planète Mars. Pour la plupart des adolescents de mon lycée, le dernier 45 tours de Richard Antony, « Nouvelle vague », ou la compétition entre les deux nouveaux groupes de rock français, « Les Chats sauvages » et « Les Chaussettes noires » étaient bien plus familiers et nous semblaient plus important. « Tu parles trop, J’entends du soir au matin, les mêmes mots, toujours le même refrain... ».
Cette année là, Albert Camus meurt dans un accident de voiture. Ce qui retient alors notre attention, c’est le magnifique bolide dans lequel il se trouvait, une Facel-Véga décapotable, et non ses prises de position sur le conflit algérien tiraillées entre son combat anticolonial et son appartenance à la communauté pied-noir. « Une Algérie constituée par des peuplements fédérés, et reliée à la France, me paraît préférable, sans comparaison possible au regard de la simple justice, à une Algérie reliée à un empire d’Islam qui ne réaliserait à l’intention des peuples arabes qu’une addition de misères et de souffrances et qui arracherait le peuple français d’Algérie à sa patrie naturelle » [3].
Parfois la réalité se rappelait à nous : le frère ainé d’une petite amie avait été appelé sous les drapeaux en Algérie. Brutalement, nous étions confrontés à l’angoisse des parents, à l’attente par toute la famille des lettres du jeune soldat. Quand l’inquiétude avait été trop forte parce que le courrier avait tardé, nous avions droit à la lecture de sa dernière lettre par sa mère, lettre à laquelle il n’avait pas manqué de joindre une photographie. Nous avions bien de la peine à le reconnaître sous son énorme casque qui lui mangeait une partie de la figure, dans une tenue et une pose martiale. « N’est ce pas qu’il a l’air en bonne santé ? Il nous dit qu’il a pris deux kilos... » s’interrogeait sa mère.
« Taxer de colonialiste la politique française en Algérie c’est méconnaître le fait que, loin d’exploiter à son seul profit ce territoire, la France consacre une partie importante de ses revenus à des investissements non seulement économiques mais sociaux au bénéfice des populations autochtones dont la condition s’est, il faut l’admettre sensiblement améliorée, surtout si l’on établit une comparaison avec les pays arabes ».[4]
Voilà ce que l’on nous racontait alors et qui s’inscrivait dans le droit fil du discours sur la fameuse « mission civilisatrice de la France ». Discours d’autant plus accepté que nous apprenions encore à l’école l’épopée de la colonisation de l’Afrique avec les exploits d’un Faidherbe, d’un Lamy et autre Gallieni. Nous nous sentions porteurs des idéaux de la Révolution Française « Liberté, Egalité, Fraternité », dont les successeurs des « Hussards noirs de la République » nous chantaient les louanges. Mais alors, si nous portions en Algérie le flambeau de la culture, de la liberté et du développement pour la population algérienne, pourquoi une partie d’entre elle luttait-elle contre la présence française et pour l’indépendance du pays ? Au début de l’insurrection algérienne, on pouvait bien sûr évoquer des explications plus ou moins anecdotiques : une poignée d’individus, à la solde d’une puissance étrangère ennemie, assoiffés de pouvoir et essayant de déstabiliser la France ! Mais après ?
[1] « Je comprends ici ce qu’on appelle gloire, le droit d’aimer sans limite ». Albert Camus. Stèle à Tipasa.
[2] Mouloud Feraoun. « Journal ». 1955.
[3] Albert Camus. « Chroniques algériennes. 1939-1958 ». Mars Avril 1958.
[4] Plaquette du Ministre Résidant en Algérie, Robert Lacoste, député socialiste. « Algérie. Quelques aspects des problèmes économiques et sociaux ». 1957.
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