Promis, plusieurs fois reporté, un hommage national sera enfin rendu à Gisèle Halimi ce 8 mars au Palais de Justice de Paris. Le choix de cette date, qui intervient en pleine mobilisation contre un projet de réforme des retraites jugé injuste pour les femmes, suscite le débat. L'un de ses fils, le journaliste Serge Halimi n'assistera pas à la cérémonie. Tout comme la présidente de l'association fondée par l'avocate "Choisir la cause des femmes". D'autres féministes au contraire se réjouissent de ce moment "si attendu et mérité".
Violaine Lucas, présidente de "Choisir la cause des femmes"
"Rendre hommage à l'occasion de la journée internationale des luttes pour les droits des femmes à l'une des plus grandes combattantes françaises pour la dignité des femmes et des peuples, serait une idée de bon sens si elle n'arrivait de façon aussi inattendue, après deux ans et demi d'atermoiements, et au moment d’un grand mouvement social auquel elle aurait, sans aucun doute possible, pris une part active", ajoute la militante, "Gisèle Halimi n'est pas exactement une féministe consensuelle. Nous avions pris notre parti de vos états d'âme."
Une position rejointe par le Planning familial, qui publie le 7 mars, un manifeste appelant à la grève féministe ce 8 mars et qui écrit ceci :"Le 8 mars ne doit pas être utilisé comme une journée de communication pour se donner bonne conscience, en demandant de surcroît des performances gratuites à nos associations féministes. Et l’organisation de l’hommage rendu à Gisèle Halimi, combattante féministe, anticaptitaliste et antiraciste, au plein coeur du mouvement social d’ampleur contre la réforme des retraites, nous semble relever d’une instrumentalisation manifeste. Raison pour laquelle nous ne nous rendrons pas à cet hommage, nous serons dans la rue aux côtés de celles et ceux qui militent pour la défense de leurs droits. "
Un "boycott politique" ?
L'Elysée n'a pas souhaité commenté ces décisions qui relèvent "de positions et de choix politiques". Les autorités précisent que l'autre fils de l'avocate, Jean-Yves Halimi, avocat également, se satisfait de cet hommage et qu'il y participera en y prononçant un éloge. Son troisième fils, Emmanuel Faux, décédé l’été dernier, y était également favorable, rappelle l'Elysée.
Ce que confirme Sophie Couturier, ancienne secrétaire générale de l'association "Choisir", et co-scénariste de Une Farouche Liberté, roman graphique sur la vie de Gisèle Halimi, paru chez Steinkis Editions (Grasset), qui se réjouit de cet hommage. "Je suis ravie comme beaucoup d'autres féministes femmes et hommes qui sont heureux de cet hommage, même s'il est vrai que cela a un peu tardé", admet la militante féministe, jointe au téléphone par Terriennes. Elle insiste sur le fait qu'il s'agit bien de l'hommage de la Nation, de la République, d'un hommage mérité à une femme qui a fait bouger les lignes. "Est-ce que Gisèle serait sortie dans la rue pour manifester contre la réforme des retraites, je ne peux parler à sa place, je ne me le permettrais pas", lance-t-elle, "ce dont je suis sûre c'est qu'elle se serait exprimée sur la question des retraites pour les femmes, qu'elle se serait impliquée". L'essentiel selon Sophie Couturier est de célébrer une figure féministe telle que Gisèle Halimi, en 2023 "à l'heure où les femmes risquent leur vie pour leur liberté en Iran, en Afghanistan".
Un hommage de consensus, selon l'Elysée
Plusieurs étapes ont marqué le processus de cet hommage national. Tout d'abord prévu à l'automne 2020, puis au printemps 2021, à chaque fois reporté - en raison de déplacement présidentiel au Liban suite à l'explosion à Beyrouth puis aux restrictions liées à la crise Covid, précisent les autorités- il est vrai que l'annonce de cet événement, moins d'une semaine avant sa tenue a pu surprendre voire interpeller.Il avait d'abord été question d'un hommage aux Invalides, comme la tradition républicaine le fait pour les grandes personnalités ayant joué un rôle majeur dans l'histoire du pays. "Il a fallu un temps d'harmonisation", précise un conseiller proche du Président. Finalement, la cérémonie sera organisée au Palais de Justice de Paris dans la salle d'audience de la Première Chambre de la Cour d'Appel, un lieu "chargé d'histoire", puisque c'est dans cette salle que des procès historiques se sont tenus et que les jeunes magistrats prêtent serment. "Il me tarde d'y être, de voir toutes ces robes noires ensemble, j'en ai des frissons, car justement c'est très bien que cela se passe au Palais de Justice. Cela a un côté très solennel. Et puis 'la justice a été, disait Gisèle, la grande affaire de ma vie'", ajoute de son côté Sophie Couturier.
L'hommage se déroulera en deux temps, avec tout d'abord l'intervention de Jean-Yves Halimi, autre fils de Gisèle Halimi. Puis, c'est le chef de l'Etat qui prononcera un discours saluant les principales luttes qui ont marqué la vie de l'avocate. Il s'agit de reconnaitre "son combat contre la colonisation et la guerre d'Algérie, pour les droits des femmes et le droit à l'IVG, son engagement contre la peine de mort, et contre la loi Darlan sur le délit d'homosexualité de 1941 qui a été abolie en 1982", précise encore l'Elysée.
►À revoir, Gisèle Halimi dans l'Invitée en mars 2009 sur TV5monde.
Sophie Couturier, militante féministe
Le Panthéon pour Gisèle Halimi ?
Impossible de connaitre par avance les détails du discours qui sera prononcé par le président français lors de cet hommage national. Certain-e-s disent attendre une annonce sur la constitutionnalisation du droit à l'IVG, après l'adoption récente d'un texte en ce sens par le Sénat. Pour le moment, rien n'a filtré pouvant confirmer cette direction.
Quant à la possibilité d'une entrée dans le temple des "Grands hommes" de la combattante et militante féministe, rien n'est perdu, contrairement à ce qu'on aurait pu penser. Les deux processus -hommage national et panthéonisation - sont totalement distincts, rappelle l'Elysée. Le transfert au Panthéon des cendres de Gisèle Halimi, dont la tombe se trouve au cimetière du Père Lachaise, fait partie des préconisations inscrites dans le rapport de l'historien Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, commandé par le président Macron en 2021. "C'est un processus de temps long qui prend des années", rappelle-t-on du côté de l'Elysée, précisant que le processus continue et sera mené à son terme.
Les commentaires récents