Trois ans après sa désignation comme ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra a quitté le gouvernement algérien. Retour sur un changement loin d’être anodin.
Au milieu de l’après-midi du jeudi 16 mars, les chaînes de télévision privées et officielles algériennes ont commencé à diffuser un spot rouge, en gros caractères, un flash : la présidence de la République annonce un « remaniement imminent » de l’équipe gouvernementale.
À ce moment-là, la seule question qui taraude les journalistes et les observateurs est de savoir qui devrait remplacer le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra. Plus que pour ses dix autres collègues écartés du gouvernement, son sort était scellé depuis plusieurs semaines déjà.
À Alger, beaucoup de journalistes et diplomates savaient en effet depuis plusieurs mois que Ramtane Lamamra était sur un siège éjectable. Diplomate chevronné, connaisseur des rouages de l’Union africaine et des Nations unies, celui qui a incarné la diplomatie algérienne ces trois dernières années n’était visiblement pas dans les bonnes grâces du chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune.
Dès sa première année de présidence, ce dernier avait en effet porté son dévolu sur un autre diplomate reconnu, Sabri Boukadoum, pour être le ministre des Affaires étrangères. Mais l’Algérie avait une grande ambition diplomatique que seul un homme de l’envergure de Lamamra pouvait faire aboutir, pensait-on dans l’entourage présidentiel.
Le président de la République s’était donc résigné à rappeler l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Abdelaziz Bouteflika. Charismatique, homme de réseaux et polyglotte, Lamamra, 70 ans, a surtout ses entrées en Afrique, continent qu’Abdelmadjid Tebboune ambitionnait de reconquérir.
« Des ambitions présidentielles » ?
Mais au bout de quelques mois, les dissensions commencent à apparaître. Dans certains cercles algérois, on susurre que le ministre des Affaires étrangères nourrit « des ambitions présidentielles ». Et qu’elles dateraient déjà de 2019, après la chute d’Abdelaziz Bouteflika, contraint à la démission par une révolte populaire, le hirak.
Alors, à défaut de le limoger, on lui met des bâtons dans les roues. « Certaines décisions sont prises à son insu. Pis, on demande en outre aux médias gouvernementaux de ne pas médiatiser ses activités », rapporte une source diplomatique à Middle East Eye.
Agacé, Lamamra a « remis sa démission à trois reprises » au cours de l’année dernière, atteste à MEE un ancien ministre qui le connaît bien. D’après lui, cependant, l’homme « n’oserait jamais se porter candidat à la présidentielle si M. Tebboune se présentait ».
« Certaines décisions sont prises à son insu. Pis, on demande en outre aux médias gouvernementaux de ne pas médiatiser ses activités »
- Une source diplomatique
À chaque fois, pour « raison d’État », la démission du ministre des Affaires étrangères est rejetée. Il finit toujours par réapparaître après plusieurs jours, voire des semaines, durant lesquels il s’éclipse en effectuant souvent des tournées dans des pays africains ou arabes.
Ce jeu du chat et de la souris entre l’ancien commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union africaine et l’entourage présidentiel algérien dure plusieurs mois. Mais début février, les événements s’accélèrent.
Le 8, les médias algériens et français rapportent que l’activiste et opposante algéro-française Amira Bouraoui a réussi à quitter la Tunisie avec l’assistance consulaire de la France. Cela provoque une nouvelle crise entre Paris et Alger. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères évoque une « colère » des autorités algériennes, qui accusent des « services de l’État français » d’avoir « exfiltré » l’activiste vers la France.
Quelques minutes après, c’est la présidence de la République qui annonce le rappel de l’ambassadeur algérien à Paris « pour consultation ». Dans les cercles initiés, on assure que cette levée de boucliers s’est faite sans l’assentiment du ministre des Affaires étrangères, dont la longue éclipse a d’ailleurs coïncidé avec cette date.
Remplacé par « un homme de compromis »
Au lendemain de cette nouvelle brouille entre Alger et Paris, les médias algériens annoncent que « le président de la République a opéré un mouvement dans le corps diplomatique ayant touché des ambassadeurs et consuls généraux de plusieurs capitales dans le monde ».
Une nouvelle fois, la présidence de la République n’aurait pas associé le chef de la diplomatie à cette opération. D’autres sources médiatiques avancent une version différente. « Lamamra a présenté une liste d’ambassadeurs et consuls que la présidence a refusée en lui en substituant une autre », indique à MEE un journaliste qui connaît les rouages de la diplomatie algérienne.
D’autres sources évoquent une raison supplémentaire à cette rupture : le président algérien a décidé d’attribuer un budget de 1 milliard de dollars à l’Agence algérienne de coopération internationale – rattachée à la présidence – pour financer des projets de développement dans certains pays africains. Lamamra n’aurait pas apprécié et « aurait demandé que le dossier soit géré par son département », confie un journaliste à MEE.
Comme à chaque coup du sort, Ramtane Lamamra garde le silence. Il préfère se retirer de la scène publique. Cette éclipse n’est interrompue que brièvement pour recevoir, le 23 février, les copies des lettres de créance des nouveaux ambassadeurs accrédités à Alger.
Il assiste également à une cérémonie organisée en l’honneur de membres de la Protection civile algérienne qui ont pris part au sauvetage des populations sinistrées par le séisme en Turquie et en Syrie.
Mais en dehors de ces rendez-vous, toutes les autres réceptions, y compris celles de ministres venus à Alger, sont assurées par le secrétaire général du ministère, Amar Belani.
Les spéculations vont alors bon train sur un retrait de Lamamra, certains pensant à une possible « maladie ». Cependant, le 11 mars, les doutes commencent à se dissiper. Lors de la venue du président ougandais, Yoweri Museveni, à Alger pour une visite d’État, c’est encore Amar Belani qui est chargé de l’accueil, aux coté du président Abdelmadjid Tebboune et d’autres hauts responsables.
Le lendemain, les images de l’arrivée à l’aéroport d’Alger du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité sont saisissantes : Josep Borrell ne trouve pour l’accueillir qu’un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères.
Puis, le programme de la visite du responsable européen est amputé d’un déjeuner initialement prévu avec le ministre algérien des Affaires étrangères. C’est encore une fois Amar Benali qui supplée le chef de la diplomatie lors d’un repas partagé entre M. Borrell et M. Tebboune.
Désormais, il ne s’agit plus de savoir si Ramtane Lamamra quittera le gouvernement, mais quand. Dans les chancelleries et les couloirs des rédactions algéroises, on commence à conjecturer sur l’identité du futur ministre des Affaires étrangères.
Contre toute attente, Abdelmadjid Tebboune n’a pas nommé Amar Belani en remplacement de Ramtane Lamamra, comme le suggéraient des médias et diplomates, dont des accompagnateurs de Josep Borrell. Le président a rappelé un ancien titulaire du poste, Ahmed Attaf. Ministre des Affaires étrangères de 1996 à 1999, cet homme de 71 ans avait pourtant quitté toute fonction officielle depuis plus de 24 ans.
Réputé être « un homme de compromis », il est aussi connu pour être un diplomate « à l’ancienne » qui « n’est pas clivant ». Des qualités qu’il n’a pas encore démontrées puisque depuis sa prise de fonctions, il n’a pas encore fait connaître ses actions. Quant à Lamamra, certains lui prédisent déjà un futur « prometteur », tandis que d’autres estiment que sa carrière est terminée, même si l’avenir peut réserver des surprises.
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