S’il fut un élu de Perpignan, Pierre Sergent fut surtout une figure majeure de l’Organisation de l’armée secrète, groupe terroriste d’extrême droite. (Ulrich Lebeuf/M.Y.O.P.)
A Perpignan, le maire RN, Louis Aliot, inaugure une exposition sur «l’illusion de la paix en Algérie» après avoir renommé une esplanade « Pierre Sergent », officier de l’organisation terroriste. Soixante et un ans après les accords d’Evian, cet hommage radicalise les militants d’extrême droite, dénonce un collectif dont Michèle et Pierre Audin ainsi que Benjamin Stora.
Ce dimanche 19 mars 2023, nous commémorons le 61e anniversaire de l’acte fondamental posé par la signature des Accords d’Evian négociés entre le GPRA et le gouvernement français : l’entrée en vigueur d’un cessez-le feu officiel entre les belligérants qui annonce la fin de la guerre d’Algérie et ouvre la voie à l’Indépendance.
Nostalgique de l’Algérie française, Louis Aliot, maire RN de Perpignan, marque cette date en inaugurant une exposition intitulée « 19 mars 1962 : l’illusion de la paix en Algérie ». Et ceci, quelques mois après avoir décidé d’honorer Pierre Sergent en donnant le nom de celui-ci à un espace de Perpignan. Or, s’il fut un élu de la ville, Pierre Sergent fut surtout une figure majeure de l’OAS (« Organisation de l’Armée Secrète »), groupe terroriste d’extrême-droite qui tenta par la violence de maintenir la tutelle coloniale de la France sur l’Algérie.
L’objectif principal que s’était assigné l’OAS se solda par un échec puisqu’en 1962 s’achèvent 132 ans de colonisation française en Algérie. Cette sortie du colonialisme est une victoire pour les nationalistes algériens et leurs alliés. Le 5 juillet 1962, jour de la proclamation de l’indépendance, les drapeaux et les youyous dans les rues d’Algérie sont bien plus que des explosions de joie : ils sont un acte de souveraineté et de dignité.
Chez une partie des centaines de milliers d’appelés embarqués dans une guerre qui les dépassait, 1962 est une source de rancœur et un carburant au racisme. Mais elle constitue pour la majorité d’entre eux une libération et la promesse d’un retour prochain au pays, retour obscurci par le souvenir amer des violences infligées et parfois subies. Ce sont ces appelés qui, mobilisés dans les associations d’anciens combattants, sont à l’origine de l’inscription de ce 19 mars dans notre calendrier commémoratif national.
Pour d’autres acteurs de ce conflit, le 19 mars 1962 annonce des bouleversements d’un autre ordre. En 1962, le feu ne cesse pas. Au contraire, la violence se déchaine : contre des harkis pris pour cible par des nationalistes algériens, au sein du camp nationaliste entre les militaires de l’ALN et les militants du FLN, mais également contre les milliers de victimes frappées par la fureur des ultras de l’Algérie française, notamment regroupés au sein de l’OAS.
Créée en 1961 dans la clandestinité, l’OAS lance ses membres dans une course à l’abime afin d’empêcher l’indépendance. L’organisation terroriste multiplie les attentats au point que, le 15 mai 1962 à Alger, on compte un attentat toutes les dix minutes. Les attentats sont aveugles ou ciblent des militants indépendantistes, des policiers, des officiers gaullistes, des chrétiens de gauche, des communistes, des socialistes, des barbouzes envoyés par le gouvernement ou encore des soldats du contingent. Les bombardements au mortier des quartiers algériens se multiplient et des voitures piégées y explosent régulièrement. Enfin, l’OAS développe l’almanach du meurtre en désignant successivement des catégories d’Algériens à éliminer : le jour des instituteurs, le jour des pharmaciens, le jour des fonctionnaires etc. Cette stratégie de la radicalisation et du chaos pousse nombre de Français d’Algérie à l’exil. En effet, les nombreuses exactions à l’endroit des Algériens contribuent à ce que certains d’entre eux aient des réactions violentes à l’endroit des Français d’Algérie, à l’exemple de la sanglante journée du 5 juillet 1962 à Oran. En outre, cette stratégie est elle-même composée d’exactions à l’endroit des Français d’Algérie réticents ou opposés au jusqu’auboutisme de l’OAS.
L’OAS tente également de déplacer le conflit en métropole. Pierre Sergent, officier ayant participé au « putsch des généraux », crée et dirige la branche métropolitaine de l’organisation terroriste. Avant même que cette branche ne soit formalisée, le maire d’Evian, Camille Blanc, est assassiné par l’OAS le 31 mars 1961 pour avoir accepté que sa ville serve de cadre aux pourparlers de paix. Le 7 février 1962, le ministre de la Culture, André Malraux, échappe à un attentat qui laissera néanmoins Delphine Renard défigurée. En tout, l’OAS fait 71 morts et 394 blessés sur le sol métropolitain. C’est cette activité qui conduisit à la condamnation à mort par contumace de Pierre Sergent, ultérieurement amnistié.
Cet engagement meurtrier et antirépublicain n’a pourtant pas dissuadé Louis Aliot de donner le nom de Pierre Sergent à une esplanade de sa ville.
Cet hommage rendu à un terroriste, défenseur d’un système colonial raciste et violent n’est pas une maladresse. Il rentre bien plus sûrement dans une stratégie de réhabilitation de l’OAS et de ses actes criminels comme le montrent les arguments employés le 22 septembre dernier lors de la séance du conseil municipal ayant voté cet hommage. Ce n’était en effet pas l’ancien élu (FN) de la ville de Perpignan ou de la région Languedoc-Roussillon qui était loué mais bien l’activiste à l’origine d’actes criminels.
Que l’on ne s’y trompe pas. Au-delà du fait que cet hommage rendu à Pierre Sergent réveille des douleurs, la réhabilitation du passé colonial et des combattants de l’Algérie française est un cheval de Troie de l’idéologie d’extrême droite. Cette dernière s’attache à faire le lien entre le combat pour l’Algérie française et un combat contemporain pour la « France française ». Cette dernière est décrite comme assiégée par la présence d’une immigration post-coloniale. La diffusion de cette mentalité d’assiégés fait courir le risque d’une fracture au sein de notre société. Elle vise à distinguer les Français selon leurs généalogies, à placer ceux d’entre eux qui se vivent comme de lointaine ascendance française dans une position de victimes et à pousser ces derniers à une mobilisation générale pour défendre leur territoire et leur identité. Dans ce contexte, la violence n’est plus une attaque mais un acte de résistance légitime.
Cette stratégie d’extrême droite – dans laquelle s’inscrit l’hommage à Pierre Sergent – arme, légitime et radicalise déjà de nombreux militants. C’est ce qu’attestent les références fréquentes à l’OAS ou à l’Algérie française au sein de groupes d’extrême-droite radicalisés, voire terroristes, qui ont émergé, tenté de frapper ou agi de façon criminelle ces dernières années.
Face à la réhabilitation de l’OAS notamment incarnée par la volonté de renommer « Esplanade Pierre Sergent » un espace de la ville de Perpignan, nous tirons la sonnette d’alarme. Réhabiliter les criminels, c’est réhabiliter leurs crimes. Et réhabiliter ces derniers, c’est créer les conditions de leur répétition.
Signataires : Linda AMIRI, maître de conférence en Histoire contemporaine, Université de Guyane ; Nils ANDERSSON, ancien éditeur ; Michèle AUDIN, écrivaine ; Pierre AUDIN, fils de Josette et Maurice Audin ; Patrick BAUDOUIN, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Emmanuel BLANCHARD, historien, Université Versailles Saint-Quentin, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye ; Pascal BLANCHARD, historien, CRHIM/UNI ; Louri CHRETIENNE, président de « La FIDL, le syndicat lycéen » ; Catherine COQUERY VIDROVITCH, professeure en Histoire de l’Afrique ; Léon DEFFONTAINES, secrétaire général du Mouvement des jeunes communistes de France ; Karima DIRECHE, historienne, directrice de recherche CNRS ; Kaltoum GACHI, co-rpésidente du MRAP ; Jean-François GAVOURY, président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS ; Camille HACHEZ et Clovis DAGUERRE, secrétaires fédéraux des Jeunes écologistes ; Samuel HAYAT, politiste ; Samuel LEJOYEUX, président de l’UEJF ; Gilles MANCERON, historien ; Georges MORIN, enseignant universitaire, président de Coup de soleil ; Paul Max MORIN, politiste ; Imane OUELHADJ, présidente de l’UNEF ; Jean-Philippe OULD AOUDIA, président de l’association « Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons » ; Denis PESCHANSKI, historien ; Jacques PRADEL, président de l’Association nationale des pieds noirs progressistes et leurs amis ; Tramor QUEMENEUR, historien, chargé de cours aux universités de Paris 8 et de Cergy ; Emma RAFOWICZ, secrétaire nationale des Jeunes Socialistes ; Alain RUSCIO, historien ; Nina SERON et Julian CALFUQUIR, référents nationaux du Réseau de jeunes du Parti de gauche ; Eric SIRVIN et François-Xavier RICARD, président et membre du CA des Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre ; Isabelle SOMMIER, professeure de sociologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Dominique SOPO, président de SOS Racisme ; Benjamin STORA, historien ; Sylvie THENAULT, historienne, directrice de recherche au CNRS.
Tribune d’un collectif d’historiens et de personnalités dont Patrick Baudouin, président de la LDH
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