ENTRETIEN EXCLUSIF. À l’occasion de la sortie de son livre, le candidat Reconquête ! revient, pour « Le Point », sur sa campagne passée et détaille ses ambitions.
Le Point : Dans ce livre, vous vous faites chroniqueur de votre propre campagne. Est-ce pour soulager une frustration ressentie durant la campagne de ne pas lire ce que vous auriez écrit sur elle ?
Éric Zemmour : J'écris depuis toujours en tant que journaliste, écrivain, romancier… C'est ma façon de m'exprimer. Bien plus qu'à l'oral, en vérité. J'ai besoin de l'écrit pour savoir ce que je pense. J'ai lu beaucoup d'articles, de livres sur ma campagne. Je ne suis pas satisfait de ce que j'ai lu. Je ne suis pas d'accord avec leur vision partielle et partiale. Je voulais donc contester et apporter mon contre récit à ce récit médiatique. Pas par frustration, mais par volonté de corriger et de rééquilibrer ce qui a été dit. J'ai appris, en tant que journaliste politique, que l'interprétation d'une campagne, d'un résultat électoral, sont en eux-mêmes un enjeu politique et idéologique. Ce livre s'inscrit dans la droite ligne de mes actions futures : mener le combat culturel et idéologique. C'est l'une des raisons principales de ce livre.
Ce livre sur la présidentielle et ses déceptions n'arrive-t-il pas à contretemps, à l'heure où votre écurie présidentielle tente de se muer en véritable parti politique et se projeter vers l'avant ?
J'aimerais que l'on m'explique la différence entre une écurie présidentielle et un parti politique. Dans quelle catégorie rangez-vous La France insoumise ? Qu'est-ce que le Rassemblement national, sinon une écurie présidentielle ? Le problème du parti Les Républicains n'est-il pas qu'il n'est plus une écurie présidentielle ? C'est la loi dans la Ve République. C'est ainsi que le général de Gaulle l'a voulu. L'élection présidentielle est le pivot des institutions.
D'autre part, pour se projeter, il faut savoir d'où on vient. Il faut savoir ce que l'on a fait de bien ou de mal, pourquoi on a réussi ou échoué. Avec ce livre, je donne aux militants et aux électeurs de Reconquête !, aux Français séduits par mes idées, un vade-mecum pour se projeter vers l'avenir. Je leur donne les pièges à éviter. Je leur désigne leurs véritables adversaires, leurs objectifs.
Il n'y a là aucune faute de temps, sinon à l'égard de l'écume médiatique. Plus aucun candidat à la présidentielle, mis à part sans doute Jean-Luc Mélenchon, n'est capable de relier l'action politique avec le temps long de l'Histoire. C'est dommageable pour la vie politique et la France.
Pire, vous, les médias, passez votre temps a me reprocher cette inscription dans le temps long, en y voyant la preuve indélébile que je n'aurais pas fait ma « mue ». Et vous continuez ! C'est vous qui n'avez pas fait votre « mue » ! Auriez-vous dit la même chose au général de Gaulle ou à Mitterrand, qui ne cessaient, dans leurs conférences de presse et leurs conseils des ministres, de faire référence à l'Histoire ? On ne sait plus ce qu'est la politique en France.
À LIRE AUSSIReconquête ! : la difficile mue d'un « fan-club » en parti politiqueAu long des pages, on découvre une véritable fascination pour Jean-Luc Mélenchon. Idées mises à part, est-ce un modèle pour vous ?
Je le connais bien et depuis longtemps. Je récuse le mot de fascination. Flaubert, Napoléon, de Gaulle ou Chateaubriand me fascinent. Pas Jean-Luc Mélenchon. Il reste cependant le seul de tous les candidats, avec moi, à inscrire son action et sa réflexion dans l'Histoire. Nous avons nombre de points communs. Nous venons de l'autre côté de la Méditerranée, ça compte. Même si nous en tirons des conclusions antagonistes.
Nos morts nous gouvernent, Mélenchon et moi. Mais ils ne nous ont pas donné les mêmes leçons ni la même Histoire. Il a quitté le Parti socialiste, créé son parti sous les quolibets et réuni 11 % lors de sa première présidentielle. Voyez où il en est aujourd'hui… Pour avoir beaucoup observé cette gauche, elle fait ce que la droite s'est toujours refusée à faire : l'action politico-culturelle. Celle qui façonne les esprits, permet de gouverner et, plus fort encore, permet d'empêcher l'adversaire de gouverner.
Nous le voyons aujourd'hui. Ils jouent de toutes les batailles sémantiques pour imposer leur idéologie au pays avec l'aide de médias et d'universitaires militants. J'estime que nous devons combattre l'adversaire avec les mêmes armes. Charles Pasqua m'a expliqué comment il a organisé le RPR en miroir du Parti communiste français. Oui, je veux organiser Reconquête ! en miroir de ce que fait LFI et ce qu'ils ont réussi à faire sans avoir de majorité. Non seulement le terrain, le numérique et l'action, mais aussi les idées et la formation. C'est aujourd'hui plus utile que des députés à l'Assemblée nationale.
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Vous pronostiquez un retour du clivage droite-gauche, où s'opposeront la gauche woke de Mélenchon et la droite civilisationnelle que vous entendez incarner. Or, on le voit depuis un siècle, comme dans l'actualité, la fracture est encore et toujours sociale, pas identitaire…
Le clivage droite-gauche est pour moi un clivage historique et sans doute anthropologique, de plus de deux siècles. Entre les optimistes – les rousseauistes – et les pessimistes – les hobbesiens. Je pense qu'il s'est toujours forgé autour d'un thème majeur. C'était le roi et la République durant tout le XIXe, puis la question sociale a en effet pris le pas. Je ne nie pas que les problèmes sociaux subsistent, mais la question sociale ne structure plus le clivage droite-gauche.
Passer l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, je ne pense pas que ce soit la question vitale qui se pose au pays. En comparaison, savoir si, à l'horizon de vingt ans, toutes nos filles seront voilées l'est. Les gens qui disent que la question majeure qui se pose à nous en tant que peuple est sociale, comme le RN ou LFI, se trompent, peut-être pas électoralement aujourd'hui, mais historiquement. La question est identitaire et civilisationnelle. Un clivage peut en cacher un autre. La démographie va régler cette question.
Justement, vous prévoyez le primat de la question identitaire dans vingt ans. Lorsque la génération des « boomers » ne sera plus. N'est-ce pas un terrible aveu d'échec ? Vous ne serez alors plus à la tête de ce combat et, à en croire vos discours, il sera bien tard au regard de « l'urgence démographique » ?
Le combat changera de nature. Selon l'Insee, 30 % des enfants de moins de 4 ans sont issus de l'immigration non européenne. Un enfant sur trois. Dans vingt ans, ils seront 30 %, voteront et vivront dans des enclaves de plus en plus islamisées. Pour ceux qui disent qu'il n'y a pas de grand remplacement : les chiffres parlent d'eux-mêmes.
France stratégie, un organisme rattaché au Premier ministre, a fait une étude il y a plus d'un an qui expliquait que, dans de nombreuses villes, les proportions des personnes issues de l'immigration extra-européenne chez les jeunes de 0 à 18 ans atteignaient les 75 % à 85 %.
Dans les villes où ils étaient jusque-là infinitésimaux, Limoges par exemple, ils atteignent déjà 27 %. C'est la démographie qui fait l'Histoire. La loi fondamentale dans l'Histoire, c'est le nombre. Et le nombre est en train de faire basculer la France dans un autre monde.
Si on continue, dans vingt ans, il y aura deux blocs qui se feront face. Des Français de souche et assimilés qui voudront continuer la vie de la France. Et puis ceux qui considéreront que la France doit être à leur image, une République islamique.
Il y aura ceux qui voudront que la France reste un pays européen et ceux qui penseront que la France est désormais un pays africain. Évidemment, c'est un constat d'échec. Cela voudra dire que je n'ai pas réussi à accéder au pouvoir et à arrêter cette mécanique infernale à temps. La question est de savoir si le peuple français prend conscience, ou non, du danger mortel qui le guette. Si tel n'est pas le cas, l'Histoire avancera.
À LIRE AUSSIÉric Zemmour croit-il encore à l'assimilation des étrangers ?Dans un chapitre intitulé « Mea culpa », la grande erreur que vous reconnaissez est de vous être soumis au « qu'en-dira-t-on » sur la question des réfugiés ukrainiens.
J'ai voulu faire de la pédagogie. Je me suis dit, ils sont européens, chrétiens, il n'y a que des femmes et des enfants, ils sont de vrais réfugiés de guerre, donc accueillons-les. Ce ne sont pas des hommes de culture différente qui fuient la Syrie ou l'Afghanistan que j'aurais refusés. Mais j'ai eu peur que ce ne soit pas entendu. Que l'on m'oppose que c'était scandaleux, au prétexte que nous devions accueillir tout le monde.
Les associations de défense de migrants tiennent d'ailleurs ce discours, en dénonçant un deux poids deux mesures. Ma pédagogie est totalement tombée à l'eau ! Mes adversaires et les médias en ont profité pour sculpter ma prétendue statue d'inhumanité. Ce n'est pas cela cependant qui m'a fait perdre.
La guerre en Ukraine, avant même cette déclaration, avait percuté ma campagne. D'abord sur le plan idéologique, puisqu'on ne parlait alors plus du danger du Sud mais du danger de l'Est. Comme sur le plan sociologique, puisque l'électorat bourgeois et âgé, que j'avais en partage avec Valérie Pécresse, est alors parti vers Emmanuel Macron. La mécanique du vote utile a ensuite joué en faveur de Marine Le Pen.
Vous relayez des accusations graves d'antisémitisme à l'encontre du RN et des amis de Marine Le Pen. Vous avez toujours critiqué l'opportunité de la stratégie de dédiabolisation de cette dernière. Vous discutez aujourd'hui sa réalité ?
Je constate des faits, et je raconte ce que de nombreuses personnes qui l'ont quittée m'ont rapporté. Elle n'a pas coupé les ponts avec ses anciens amis du GUD [Groupe union défense, organisation d'extrême droite, NDLR]. Je rappelle simplement que Marine Le Pen a dirigé la campagne de son père en 2007 en coopération avec Alain Soral. Elle n'a pas sanctionné, mais au contraire promu, ce monsieur qui a écrit sur Twitter que j'étais « entouré d'hommes de la banque Rothschild et de la finance internationale » et relayé un article qui disait, je cite, que Sarah Knafo [conseillère d'Éric Zemmour, NDLR] n'avait pas le « biotope d'un paysan du Cantal ». C'est factuel. Maintenant, je conteste sa stratégie politique de dédiabolisation, ce qui est une chose différente.
Vous assurez pourtant être « moins adversaire que complémentaire » avec le RN. Vos lieutenants assument désormais vouloir « grand remplacer LR ». Est-ce un changement de stratégie ?
Non, c'est l'ADN du parti que j'ai créé. Dès le début de ma campagne, je dis deux choses. Un, Marine Le Pen ne peut pas gagner. Deux, je m'inscris dans une tradition gaullo-bonapartiste. Je veux reprendre cet héritage qui a été abandonné par la droite LR, dite « républicaine ».
Quand je fais mon premier discours de Villepinte, je m'attarde sur Valérie Pécresse, dont j'annonce toutes les trahisons à venir. Pas sur Marine Le Pen. J'ai écrit quatre livres sur le RPR. Jamais sur le Front national, Jean-Marie ou Marine Le Pen. Je n'ai jamais voulu ni tuer ni remplacer le RN. Je ne viens pas du RN, je n'en suis pas un dissident. Mes amis étaient au RPR, ils s'appelaient Philippe Séguin et Charles Pasqua ou Pierre Mazeaud.
Il se trouve que les rédactions ont décidé de désigner les mêmes journalistes pour couvrir ma campagne et celle de Marine Le Pen, qui venaient continuellement me demander de répondre à Marine Le Pen qui avait dit ceci ou cela et inversement. Je vous accorde que nous nous sommes pris au jeu tous les deux… Et que nous avons montré des qualités de combattants farouches. Nous nous sommes fait prendre dans ce piège. Je n'étais pas là pour ça.
À LIRE AUSSIMarion Maréchal : « Nous voulons grand-remplacer la droite »La presse, dont vous gonflez le pouvoir, se révèle un coupable bien pratique dans votre livre. Si elle est si puissante, pourquoi l'avoir quittée ?
Les journalistes n'aiment pas qu'on leur rappelle qu'ils sont le premier pouvoir. Qu'ils peuvent non seulement sélectionner et tuer un candidat, mais aussi le thème de la campagne. Il faut leur mettre en face cette responsabilité et ce pouvoir. Ce sont les médias et les juges qui ont détruit la candidature de François Fillon.
Je n'accuse pas un journaliste en particulier, qui ferait la pluie et le beau temps. J'accuse un système. Or, j'ai toujours été en dehors du système et de la doxa dominante qui règne dans les écoles de journalisme et dans les rédactions. J'ai été viré à chaque fois des journaux, des radios et des télévisions où j'étais.
Comment percevez-vous ce nationalisme naissant ukrainien. L'Europe a raison de le soutenir et de l'armer comme elle le fait ?
C'est moins l'Europe qui l'arme que l'Otan, et surtout les États-Unis. La France qui, comme l'Allemagne, ne voulait pas armer l'Ukraine cède aujourd'hui sous la pression des États-Unis, de la Pologne et de l'opinion publique. Ce nationalisme naissant est très intéressant, voire émouvant.
Dans l'Histoire, j'ai observé la naissance de nombre de nationalismes. Celui de la France au moment de la guerre de Cent Ans, notamment. Une nation naît toujours dans une guerre et contre un adversaire. L'Allemagne naît face aux armées de Napoléon. L'Algérie, qui n'avait jamais existé dans l'Histoire, accouche d'une nation face aux colonisateurs français. Vladimir Poutine assure qu'il n'y avait pas d'Ukraine jusqu'à présent dans l'Histoire. Il oublie cependant qu'il existe des moments dans l'Histoire où, justement, une nation naît. Nous y assistons peut-être.
Vous parlez de la grandeur de la France. Elle est aujourd'hui chassée d'un certain nombre de pays africains. Cela participe-t-il à son déclin ?
Cela le révèle. Nous vivons une période nouvelle. Les pays africains veulent s'émanciper, non pas d'une tutelle coloniale, mais s'émanciper de la France. Car, dans le même temps, ils se jettent dans les bras d'une nouvelle tutelle néocoloniale, de la Russie, de la Chine, voire de l'Angleterre, puisque des pays francophones rentrent dans le Commonwealth. J'en prends acte.
La France doit faire de même. Elle ne doit donc plus considérer que l'immigration africaine est la bienvenue. Nous devons, nous aussi, nous émanciper de la colonisation africaine en France et rebâtir des relations avec l'Afrique sur des bases saines.
Nous ne sommes pas là pour accueillir l'excédent démographique des pays africains. Nous ne sommes pas là pour mettre notre État providence au service de l'Afrique. Nous ne sommes pas là pour soigner toute l'Afrique, le plus souvent gratuitement. Je comprends très bien que les Africains, en parallèle, soient libres, indépendants, qu'ils définissent leurs amitiés, leurs alliances comme ils l'entendent. Ils sont responsables de leur pays, nous du nôtre.
À LIRE AUSSIÉric Zemmour (seul) face à lui-mêmeUn nouveau projet de loi immigration sera discuté à la fin du mois au Sénat. Le gouvernement vous semble-t-il prendre ce sujet, qui vous est cher, au sérieux ?
Nous ne pouvons rien faire de sérieux contre l'immigration si nous ne passons pas par référendum. Puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel bloque toutes les mesures décisives. Même si j'espère qu'il y aura de petits progrès dans cette loi, comme le rétablissement de la double peine, dont l'abolition était une erreur de Nicolas Sarkozy. Retenez que lorsque vous entendez à propos d'une loi sur l'immigration qu'elle sera « ferme et humaine », cela veut dire qu'il y aura encore plus d'immigrés. Cette histoire de titre de séjour pour « métiers en tension » est une galéjade funeste alors que nous avons déjà 40 % d'immigrés qui ne sont ni au travail ni en formation dans notre pays.
Vous ne parlez pas des prochaines élections dans votre ouvrage. Est-ce parce que vous préférez dorénavant incarner la figure tutélaire et intellectuelle de votre mouvement plutôt que celui qui le représentera dans les urnes ?
Je suis et je reste un intellectuel engagé. Je peux donc faire les deux. Cela ne veut pas dire que je vais personnellement sauter sur chaque scrutin et me présenter à toutes les élections. Mon parti sera, lui, chaque fois présent. J'en suis à la tête, vous me verrez donc chaque fois en campagne.
*« Je n'ai pas dit mon dernier mot », d'Éric Zemmour, Rubempré éditions, mars 2023, 334 pages, 21,90 euros.
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