Des larmes des filles
Dieu crée
Les enfants
Il leur donne des jasmins au parfum particulier.
Et quand ils grandissent
Dans les pays accablés de dettes
Leurs âmes s’emplissent aussitôt
De tristesse
Et leurs visages mûrissent de brumes,
Très vite
La mort les atteint
Après un bref périple de souffrances,
Résignées et silencieuses
Les mères les enveloppent dans leurs vêtements neufs
Et les pères les portent
A travers les chemins étendus
Pour les cacher dans la terre
Avec l’espoir
Que Dieu les crée une seconde fois
A nouveau
Dans de nouveaux pays
Des enfants nouveaux
Ayant un parfum de jasmin.
Bouquet de roses
Les traits des visages qui tombent très vite
Au cours des voyages du week-end
Savent très bien
Que les fards contemporains
Ont la capacité de lifter la peau
Et que les cliniques secrètes
Sont capables de redonner la vie
C’est pour cela que seul l’argent les intéresse.
Les visages qui savent parfaitement
Que les exemples de vertu sont tombés par l’action du temps
Et par le verdict de la Haute Cour
Savent aussi qu’ils possèdent le pouvoir
De fixer leur image
Sur les réseaux d’Internet
Avec une longue histoire honorable
Qui s’étend peut-être sur deux cents ans,
Ces choses-là n’ont plus besoin de certification
Mais ont surtout besoin de deux faux témoins
Ou des historiens payés ayant des doctorats
C’est pour cela qu’ils ne sont intéressés que par l’argent.
Les portraits qui ont très bien compris
Que l’avenir est au fric
Et aux dieux des affaires
Passent leurs journées à tuer des oiseaux
Qui causent du vacarme
Et à tisser des filets aux papillons
— Irritant la lumière —
Chassant les renards
— Pourrissant les vignes —
Et ils passent leurs nuits à cueillir des fleurs
En une quête des choses nécessaires à l’exportation.
Les dieux de l’argent
N’oublient jamais de garder un dernier bouquet de fleurs
Placé au coeur de la salle prête à accueillir
La réunion des membres
Pour préserver l’image joliment présentable.
Chuchotements du vent
Tandis que je traverse le chemin qui mène aux jardins d’enfants
Voilà que mes yeux se posent
Sur un groupe de mouettes blanches
Au milieu d’une mare d’eau croupissante
J’ai cherché à savoir auprès de ceux qui s’y connaissent
En vie des oiseaux
Ils m’ont dit que ces oiseaux étaient perdus
Leur destination était la mer
Mais ils sont tombés dans les rets de la mare.
Je regarde encore une fois
Je vois que les mouettes battent des ailes comme en une joie
A leurs becs une chose pend, on dirait un poisson,
J’ai posé la question encore une fois aux connaisseurs :
« Mais elles respirent le bonheur »
Et il semble que les mouettes ne pourront pas se rendre compte du leurre
Ou penser au départ
On me répond: les mouettes sont habituées maintenant …
Ce qui s’accroche à leurs becs
Ce n’est pas un poisson
Mais des grenouilles noires
Car elles ne voient plus très bien dans l’obscurité de l’eau.
Au printemps,
Les mouettes ont pondu des oeufs, éclos ensuite,
Je regarde encore la mare à l’eau croupie
Je n’y trouve que les parents
Ils barbotent dans la vase et crient
Souillant leurs plumes de boue
Comme une coutume antique d’Egyptiens.
Je cherche encore à savoir, croyant que les oiseaux ont compris le piège,
On m’a dit: non, mais les petits des mouettes, ces oisillons,
Dès qu’ils avaient eu des ailes ils se sont envolés
Leur destination était la mer
Je demande: comment savaient-ils leur voie?
On me répond: par l’instinct
Mais une mouette traversait la région par hasard
Son cri ressemblait à un chant
Non, ce n’est pas l’instinct.
Il s’agit bien des chuchotements du vent.
Chanson pour l’avenir
Nous avons du travail
Pour les trois cents années à venir
Nous qui inspectons la terre
A la recherche de la mort qui guette
Sous l’écorce.
Pour les trois cents années à venir
Nous avons de la peur
Nous qui inspectons les jardins
A la recherche de la mort contenue dans les bouteilles
Qui n’ont pas eu l’occasion d’exploser
Depuis la dernière guerre
Et je ne leur accorde pas la chance
D’oublier la vengeance
Tout au long de ces années-là.
Durant trois cents années à venir
Nous aurons des tués qui arriveront
Des yeux diaboliques les épieront
Cachés dans la poussière
Attendant les passants
Qui mourront soudain
Dans les promesses échangées
Sur cette terre-là
Que l’on a ornée rapidement.
Pendant les dix années passées,
Dix années seulement,
On a vu mourir parmi nous,
Nous les inspecteurs experts,
Mille personnes
Et peut-être avant de délivrer la terre
Du poids de tant de fardeaux
La terre serait-elle peuplée, par d’autres milliers,
D’autres bombes
Qui se tiennent en embuscade
Guettant l’occasion qui viendra
Pour faire de toute la terre
Une seule bombe… vivante…
Face à laquelle toute prière sera inutile.
Satan
Taisons-nous
Car nos cris sont arrivés jusqu’au bon Dieu
Veuves et vieux ont hurlé
Et les enfants se sont tus
Quant aux jeunes
Ils ont continué à battre le tambour.
Le bon Dieu a dit qu’il existe deux issues
Soit une étoile filante foncera vers la terre
Et la détruira
Ou bien l’homme sera recomposé, rapidement sa formation se fera à nouveau.
Satan a dit: Et moi je propose deux solutions
Soit je tue tous les pauvres par la magie noire
Soit je les entraîne dans mon royaume inférieur
Et je les baptise par le feu
Pour en faire l’armée du futur.
Non loin de là
La miséricorde sommeillait
Sur une colline verte
En comptant un nombre incalculable de crânes d’enfants morts.
Disparition
Ceux qui croient aux lendemains
Attendent là-bas
Au jardin d’enfants,
Et ceux qui croient au jour d’hier
Comme un dernier don de Dieu
Attendent là-bas
Dans leurs mystérieuses cahutes
Au croisement de deux nuits
Ceux qui croient en rien
Attendent dans des cafés bien à eux
Avec la mélancolie languissante du thé
Et les éclats de rire qui résonnent dans les narguilés
Et moi je suis debout quelque part sur la route
Attendant l’inconnu qui arrivera
Selon un rendez-vous de jadis
Dont je ne me souviens plus du tout.
Bahig Ismaïl
Dramaturge égyptien et également poète, il compte de nombreuses contributions à la critique littéraire dans la presse égyptienne, et il est membre au Conseil Suprême de la culture. Parmi ses pièces de théâtre publiées : Baghbaghan tawil al-lessane (un perroquet à la langue pendue), Al-Aleha ghadeba (la colère des dieux), Innahom yaëkoloune al-hamburger (ils mangent du hamburger). Parmi ses recueils de poèmes : Telka al-ayam (ces jours-là), Al-echq, al-horriya, al-mout (la passion, la liberté et la mort) et Fassad al-arwah (corruption des âmes) aux éditions GEBO 2013, et dont nous publions ici quelques vers.
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