Rachid Hami
Par Christophe Ayad
Il rêvait de faire du cinéma et son frère Jallal, d’intégrer l’armée. Ce dernier est mort en 2012 lors d’un bizutage à Saint-Cyr. De ce drame, qui a donné lieu à trois condamnations pour homicide involontaire en 2020, Rachid Hami a fait la matière de son second film, « Pour la France », en salle le 8 février.
Il arrive que l’actualité, en percutant certaines vies, jusqu’à les faire exploser en morceaux, affermisse aussi des volontés, trace des destins, irradie un parcours. Le drame est entré dans la vie de Rachid Hami le 30 octobre 2012, quand il a vu arriver deux hommes en uniforme et képi, la mine grave, au domicile parisien de sa mère. « On a compris tout de suite pourquoi ils étaient venus, la seule question qu’on a posée c’était : “Comment” ? », raconte-t-il.
Son frère Jallal Hami, le deuxième d’une fratrie de trois, est devenu ce jour-là « le noyé de Saint-Cyr » : un brillant étudiant de Sciences Po à Paris, né en Algérie et qui a grandi en Seine-Saint-Denis, entré à la très conservatrice école des officiers de l’armée de terre de Saint-Cyr Coëtquidan (Morbihan), décédé lors d’un exercice en groupe de traversée de nuit d’un étang glacé revêtu de tout son barda et d’un casque lourd. On appelle ça un « bahutage », en fait un bizutage, dans le jargon de l’institution militaire qui se plaît encore à y voir une « transmission des traditions ».
Le lendemain, l’aîné de la famille et sa mère se rendent à Rennes pour reconnaître le corps. Le procureur leur annonce qu’une enquête est ouverte pour homicide involontaire. « Nous savions que le temps de l’enquête et de la justice serait long, raconte Rachid Hami, qui ne se doutait pas alors qu’il faudrait attendre huit ans pour le procès. A ce moment-là, ce qui compte pour nous, c’est que Jallal soit enterré avec les honneurs qu’il mérite. »
Commence une longue épreuve de force avec l’armée de terre sur les modalités de l’inhumation de Jallal. C’est, entre autres, le sujet du deuxième long-métrage de fiction de Rachid Hami, 37 ans, Pour la France, où il s’inspire de son histoire ; lui et son frère Jallal y sont interprétés par les comédiens Karim Leklou (BAC Nord…) et Shaïn Boumedine (Mektoub, My Love). Le film, présenté lors de la dernière Mostra de Venise, sort en salle le 8 février.
Bras de fer militaire
Malgré les promesses du commandant de l’école de Saint-Cyr, au lendemain du décès, l’armée refuse les honneurs militaires à Jallal et envisage de l’inhumer dans le carré musulman du cimetière de Bobigny. Un double affront pour une famille qui a toujours mis un point d’honneur à se considérer comme Française avant tout.
« L’armée ne s’est pas bien conduite. Nous considérions que la mort de Jallal, par la faute de ses camarades, était une trahison. En refusant de le reconnaître comme l’un des siens, l’armée le trahissait une seconde fois », explique Rachid Hami. Puis il tempère : « L’armée n’est pas pire que le reste de la société, elle se conduit comme elle. »
La famille veut les honneurs militaires aux Invalides et une tombe dans un cimetière militaire. L’armée considère que la cour d’honneur des Invalides, tout comme le cimetière militaire, est réservée à ceux tombés au combat. Le désaccord s’éternise. Le délai légal d’inhumation est dépassé. Finalement, au neuvième jour, un compromis est trouvé : les honneurs militaires au Fort neuf de Vincennes et une inhumation au cimetière du Père-Lachaise.
Les tensions ont ressurgi lors du tournage du film, qui s’est déroulé pendant l’été et l’automne 2021. Alors que la cellule de communication du ministère des armées et le cabinet de la ministre d’alors, Florence Parly, ont promis leur soutien, le nouveau chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard, s’oppose au prêt du Fort neuf de Vincennes et de saint-cyriens en costume pour la scène de l’enterrement. Après un nouveau bras de fer, celui-ci cède sur la mise à disposition du lieu mais pas sur celle des élèves. Rachid Hami a prévu le coup et fait confectionner des costumes à l’avance. « C’est la preuve que l’armée est une entité comme les autres, rigole-t-il. Avec des débats et des désaccords. » La reconstitution est si convaincante qu’un officier de passage demande qui on enterre.
Le « courage de la nuance »
Il lui en a fallu, du courage, dit-il pour ne jamais « céder à l’idée que Jallal était mort dans un crime raciste ». C’est l’une des raisons pour lesquelles la famille ne s’est pas exprimée dans les médias avant le procès. « La colère et la tristesse vous rendent fragile, résume Rachid Hami. Pour nous, il était clair que Jallal ne devait pas devenir “l’Arabe tué par l’armée”. Sinon, c’était faire le jeu de l’extrême droite. C’était nier, anéantir vingt-quatre ans de sa vie. Ce qui s’est passé était plus empreint de sadisme que de racisme. »
Pour lui, « le vrai courage, aujourd’hui, c’est la nuance, la recherche du compromis » : « C’est ça, la démocratie. La radicalité est devenue une norme, une posture. » On ne fera pas de lui le porte-étendard d’une cause ni de son frère le symbole d’un malaise national.
Pendant ces huit années de silence passées les dents serrées à attendre que la justice passe, Rachid Hami a tourné son premier long-métrage La Mélodie (2017), avec Kad Merad, et a écrit le scénario de Pour la France.
Après plusieurs reports, le procès s’ouvre enfin à Rennes en novembre 2020. Rachid Hami raconte : « C’était un moment très étrange, atypique. Tout avait changé en huit ans, y compris ces hommes. Il y avait quelque chose de très shakespearien. Eux cherchaient la rédemption et moi la justice. Pas la punition. On savait tous que personne n’irait en prison, mais il fallait que les coupables portent la marque de l’infamie. Et c’est là que j’ai vu la trahison, le mensonge, la déception. Seul un d’entre eux s’est présenté comme coupable : il avait démissionné de l’armée. C’est le seul à qui j’ai dit bonjour. Je me suis interrogé sur ma propre dureté. »
Rachid Hami reçoit le délibéré comme une gifle. Sur sept prévenus, seuls trois sont condamnés, avec une précision de taille : pas d’inscription au casier judiciaire. « C’est comme si la mort de mon frère avait été effacée. Je me suis dit : “Voilà, pour la seconde fois, une institution a trahi mon frère.” »
« Dès qu’on fait un film en bas de chez nous, c’est un film de banlieue. Mais la banlieue, c’est la France ! Le quotidien des quartiers, c’est l’ennui. Il ne s’y passe rien 99 % du temps. Seulement, les clichés, c’est rassurant. » Rachid Hami
Le procès ne figure pas dans le film, qui retrace le parcours de Jallal et s’ouvre sur la scène choc de sa mort avant de se poursuivre sur un long flash-back. Pour la France contient trois films en un seul : un conte en Algérie, où les deux frères ont grandi ; un drame à la Antigone en France ; et un film d’aventures à Taïwan, où Jallal a vécu. « C’est un film où il était extrêmement compliqué de trouver le bon équilibre entre des récits qui s’entrecroisent, entre des enjeux qui pouvaient l’écraser. Il fallait du recul et de la retenue pour lui permettre de ne pas devenir pornographique, au sens d’un règlement de comptes ou d’un déversoir sentimentaliste qui aurait détruit le projet. »
Bien que son film ne traite que de destinées individuelles, Rachid Hami s’est vu interrogé, à la Mostra de Venise, sur la banlieue et l’identité française : tout ce qu’il voulait éviter.
Il est vrai que son long-métrage a été présenté au lendemain d’Athena, de Romain Gavras, une caricature de film de banlieue en fusion. « On a condamné les classes populaires à un combat violent, regrette Rachid Hami. Nous, cinéastes, avons une responsabilité envers les gens qu’on décrit à l’écran. » Il ne veut pas participer à la dégradation de l’image déjà abîmée de la banlieue. Ses personnages sont empreints de tendresse et de bonhomie, pleins d’une humanité complexe. « Dès qu’on fait un film en bas de chez nous, c’est un film de banlieue. Mais la banlieue, c’est la France ! Le quotidien des quartiers, c’est l’ennui. Il ne s’y passe rien 99 % du temps. Seulement, les clichés, c’est rassurant. »
Rêves de cinéma
Mais la vie de Rachid Hami ne se résume pas à son frère. Le récit médiatique est ainsi fait que l’on accorde moins d’importance aux vivants qu’aux morts. C’est un tort. On a beaucoup parlé de Jallal Hami, beaucoup écrit sur son destin brisé net cette nuit d’octobre 2012 à Coëtquidan. Son frère aîné, Rachid, mérite autant d’attention. Lui-même est un personnage romanesque – il abhorre le romantisme – qui a vécu entre 2010 et 2015 à San Francisco par amour pour une jeune femme. Aujourd’hui, Rachid Hami vit entre Taïwan et la France. Il passe le plus de temps possible à Taipei, pour le cinéma local – qu’il vénère –, pour la vie quotidienne, qui lui fait penser à l’Alger des années 1980, « quand la ville était encore comme un village », et sans doute pour l’intensité si particulière que l’on trouve dans ces endroits qui savent qu’ils peuvent disparaître du jour au lendemain : Kiev, Beyrouth, Berlin-Ouest…
Jallal était grand, beau, mat et musclé, exemplaire. Rachid paraît fluet, il est clair de peau et pétillant. Mais l’un comme l’autre, résume l’aîné, voient la France, « celle de “liberté, égalité fraternité” », comme « un grand récit national auquel chacun est libre de participer. C’est cette utopie qui définit la France ». L’un comme l’autre, chacun à sa manière, sont des utopistes pragmatiques, des « rêveurs déterminés et réalistes » qui croient dans le travail.
Car il était tout aussi improbable pour Rachid Hami de devenir réalisateur que pour son frère d’intégrer Saint-Cyr après avoir fait Sciences Po Paris et avoir appris le chinois à Taïwan. Son problème principal, ce n’est pas l’extrême droite – « je l’affronte de face » –, c’est plutôt, estime-t-il, le paternalisme d’une gauche encore très coloniale qui souhaite que les enfants d’immigrés restent à la même place que leurs parents. « Les personnes déplacées ont des choses à nous apprendre », dit à son propos son ami Arnaud Desplechin en citant l’écrivain américain Philip Roth.
D’Alger à Pierrefitte-sur-Seine
Rachid, comme Jallal, est né à Alger dans la bourgeoisie intellectuelle. Père orthopédiste, mère enseignante. Peu avant que son pays ne parte à la dérive à partir des émeutes de l’automne 1988. « Nous, on était protégés de ce qui se passait parce qu’on vivait chez nos grands-parents dans un petit village près de Blida. Jusqu’au jour où les événements nous ont rattrapés. Ma mère nous a alors rapatriés à Alger. »
Quand la guerre civile se déclare, après l’annulation par les généraux des élections législatives que le Front islamique du salut (FIS) s’apprêtait à remporter sans coup férir, leur mère, Hadjira, qui était directrice d’école, commence à recevoir des menaces parce qu’elle s’opposait à la prière à l’école. « On doit alors vivre sous protection policière, on installe une porte blindée. » Un professeur proche des islamistes la menace personnellement. « On a toujours parlé français à la maison, dès la naissance. » La maison familiale est mitraillée, les enfants échappent de peu à un kidnapping.
« Abdellatif Kechiche avait raison : j’ai appris que chaque acteur est différent, qu’il faut s’adapter à lui ou à elle. J’ai une dette infinie envers lui. Il m’a mis le pied à l’étrier. Il m’a donné ma première chance. » Rachid Hami
En 1993, la pression étant devenue insupportable, Hadjira décide de partir vivre en France, où elle a acheté une petite papeterie pour avoir un visa d’affaires. Mais le père ne veut pas quitter l’Algérie. C’est un homme autoritaire, violent, absent, qui avait un deuxième foyer à l’insu de sa femme et de ses enfants. « Moi, je voulais partir en France comme ma mère. Il me voyait comme un traître. » Le film raconte aussi ce conflit entre le père et son fils aîné.
Hadjira atterrit avec Rachid, 8 ans, et Jallal, 5 ans, sous le bras et enceinte d’un troisième enfant, à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). « La boutique était une catastrophe commerciale. Mais ma mère n’avait pas le choix. Il fallait qu’elle parte. »
La famille n’avait pas de logement, elle a commencé par habiter dans l’arrière-boutique. « C’était un déclassement d’une violence inouïe. Il est arrivé qu’on achète des demi-baguettes à crédit. » La papeterie fait faillite et la famille trouve un logement social en 1996. Mais, comme elle n’a pas de quoi payer l’électricité, « [elle] a vécu presque une année à la bougie ». La mère devient aide-soignante pour rembourser les dettes de la boutique et pouvoir emmener son bébé sur son lieu de travail. « Nous, on était obligés d’aller à l’école tout seuls. C’était dur, pas pour une question de niveau social mais parce qu’il a fallu s’adapter à un environnement violent propre au quartier. Moi, je suis une éponge, je m’adapte. J’avais déjà en moi toute la violence vue et accumulée en Algérie. »
Rachid commence à entrer dans une bande. A partir de la cinquième, il bascule. « Tu te retrouves dans des règlements de comptes sans comprendre pourquoi. C’est toujours des histoires de quartier contre quartier. » Souvent, Rachid se bagarre pour défendre son frère, qui avait la langue trop bien pendue. Son seul exutoire, ce sont les salles de cinéma, où il passe des journées entières, quitte à resquiller. Quand il dit qu’il deviendra réalisateur, toute sa bande rigole. La direction de son collège encore plus. « Ça m’a donné encore plus envie de réussir. » Quelques années plus tard, il n’hésite pas à aborder Claude Lanzmann, lors d’une projection de Shoah dans son lycée. « On partage plus jeune cette même idée fixe de devenir réalisateur, lui à Pierrefitte-sur-Seine, moi à Roubaix [Nord] », raconte Arnaud Desplechin.
Les affinités électives
Cela dure jusqu’à ses 16 ans. Il redouble sa troisième, faute de place en lycée. Une professeure d’histoire-géographie qui connaît une assistante d’Abdellatif Kechiche les met alors en contact pour un stage. Le réalisateur, qui s’apprête à tourner L’Esquive (2003), qui remportera le César du meilleur film, le jauge, l’adopte, mais lui impose un deal. « Tu feras acteur, pas stagiaire réalisation. Parce que, si un jour tu veux faire un film, il faut que tu comprennes le travail des acteurs », lui assure le cinéaste, lui-même ancien comédien. Rachid Hami se retrouve à jouer Arlequin dans le film qui raconte l’adaptation du Jeu de l’amour et du hasard, de Marivaux, par des gosses de banlieue.
« Abdel avait raison : j’ai appris que chaque acteur est différent, qu’il faut s’adapter à lui ou à elle. J’ai une dette infinie envers lui. Il m’a mis le pied à l’étrier. Il m’a donné ma première chance. » A la fin du tournage, tout en reprenant ses études au lycée, Rachid Hami poursuit son périple dans le milieu du cinéma. Il passe une journée pour un petit rôle sur le tournage de Rois et reine (2004), d’Arnaud Desplechin. « C’était un moment fondateur, j’ai compris comment on construit un plan. Comment on fait un éclairage. » Les deux hommes deviennent amis : « Desplechin, c’est un mentor, c’est mon grand frère de cinéma. »
A l’époque, avec ses 3 000 euros gagnés sur les tournages et le petit salaire d’un emploi chez un loueur de DVD, à Saint-Denis puis au marché de Sarcelles, il tourne un court-métrage avec ses copains de Pierrefitte-sur-Seine et de Stains. Desplechin, avec qui il partage une passion pour le cinéma asiatique et le Nouvel Hollywood, vient l’aider à finir le montage. En retour, Rachid, passionné de technique, conseille son ami Arnaud sur les objectifs, les focales et les caméras.
Peu de temps après, il rencontre la productrice Sylvie Pialat, qui l’aide à montrer le court-métrage au festival Premiers Plans, à Angers, où il est acheté par Arte. « C’était inespéré. » Il devient stagiaire, puis assistant de production, régisseur chez Sylvie Pialat. « Elle m’avait dit : “Si tu veux devenir réalisateur, il faut que tu saches dépenser l’argent.” Elle avait raison, comme Kechiche. » Il fait un deuxième court avec Leïla Bekhti et Louis Garrel, qui lui donnera un petit rôle dans son film Les Deux Amis (2015). De retour à Angers, en 2008, Rachid Hami remporte, à 22 ans, le prix du public.
Premiers pas derrière la caméra
Toute sa carrière s’est faite comme ça : dans un compagnonnage de « maîtres » qu’il s’est choisis et par lesquels il se fait adopter avec une facilité déconcertante. « C’est quelqu’un de très doux, humain et conciliant, abonde le critique Serge Toubiana, avec lequel il entretient une relation presque filiale. Il a vécu de grandes violences, des cassures qu’il a soignées grâce à son amour du cinéma et à sa foi dans celui-ci. »
« Le cinéma, c’est d’abord une foi, une croyance partagée. Pour l’instant, je ne suis qu’un apprenti. A chaque film, je me dis : “Si j’échoue, je disparais.” Jallal était pareil. » Rachid Hami
Mais Rachid Hami tombe ensuite sur un producteur qui l’escroque. Deux projets avec Orange Studio tombent à l’eau. Ruiné, il rencontre un autre producteur, Nicolas Mauvernay, avec qui il travaille sur Les Moutons noirs, un drame très sombre qui ne sera jamais tourné ; ils font toujours équipe à ce jour.
Quand, en 2012, tout est prêt, scénario, financement, Jallal meurt. « Je n’avais pas la force de faire un film. » Son producteur lui propose un scénario, La Mélodie (2016), sur des enfants de banlieue qui s’initient à la musique classique. Rachid laisse passer huit mois avant de s’y mettre. « C’était un film avec beaucoup d’enfants, comme un clin d’œil à L’Esquive. »
En 2015, il tourne un court-métrage revenant sur le voyage qu’il avait fait à Taïwan pour rendre visite à son frère alors que celui-ci était à l’université de Taipei. Il en avait fait la promesse à Jallal. « C’est là que nous sommes devenus frères », dit-il pour résumer ce séjour fondateur. Son producteur lui suggère d’en faire un long-métrage. C’est comme ça qu’est né Pour la France. Ainsi que le désir de raconter un destin français normal qui se termine par un drame anormal : « Qui défend la France aujourd’hui ? Des milliers d’enfants d’immigrés, comme Jallal. »
Exil et réparation
De son parcours, il dit : « J’ai eu beaucoup de chance pour quelqu’un venu de nulle part. Mais le cinéma, ça ne s’apprend pas à l’école : d’abord, si les comédiens sont mauvais, c’est mort. Le reste, les positions de la caméra, le sens d’un plan, la cohérence d’un film, ça s’apprend en faisant. Desplechin, tout ce qu’il m’a dit sur le découpage d’une séquence, ça vaut toutes les écoles du monde. Le cinéma, c’est d’abord une foi, une croyance partagée. Pour l’instant, je ne suis qu’un apprenti. A chaque film, je me dis : “Si j’échoue, je disparais.” Jallal était pareil. »
Il se sent plus proche de Truffaut que de Godard, se définit comme un « entertainer ». Les cinémas sud-coréen et taïwanais sont ceux qui lui parlent le plus. Edward Yang, Hou Hsiao-hsien sont ses maîtres : « Ils parlent de l’émigration, de l’exil, de la réparation, du passé et de la famille. »
Pour la France n’est ni social ni libéral, il est intelligent et généreux, sans amertume. Comme lui. Vivant aussi, à l’image de la scène finale où les deux frères chantent dans un taxi de Taipei. « En choisissant cette fin, Rachid a décidé d’affirmer la victoire de la vie sur la mort », explique son producteur, Nicolas Mauvernay. Pour la France n’est pas un film sur l’armée ni sur le racisme, ni même sur l’état d’un pays. C’est un film sur comment on devient frères. Car on ne naît pas frères, on le devient.
Huit ans après la mort de Jallal Hami, sept anciens militaires de Saint-Cyr Coëtquidan comparaissent à Rennes dès ce lundi 23 novembre pour homicide involontaire.
Diplômé de Sciences Po, Jallal Hami avait intégré la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, dans le Morbihan. "Saint-cyrien dans l'âme, il avait des valeurs humaines et patriotiques" selon sa famille, citée par le journal Libération ce dimanche 22 novembre. Mais s'il s'attendait certainement à dédier sa vie à la France, c'est finalement lors d'une soirée d'intégration que ce jeune sous-lieutenant de 24 ans a perdu la vie. Dans la nuit du 29 au 30 octobre 2012, il est mort noyé au cours d'une soirée de "bahutage", terme cyrard employé pour désigner ce que les élèves estiment être une "transmission des traditions." Un bizutage pur et simple pour ses proches, ou encore une trahison selon son frère, Rachid.
Le soir du drame, Jallal Hami et d'autres élèves officiers avaient pour défi de franchir un étang, situé dans l'enceinte du camp militaire et interdit à la baignade, dans le cadre d'une soirée consacrée au thème du débarquement allié en Provence, en 1944. Une eau à "9°C et profonde de 2,70 mètres", comme l'a rappelé le quotidien régional Ouest-France. Le corps sans vie du défunt, vêtu seulement de son treillis, d'un casque et de rangers, a été retrouvé deux heures plus tard par les pompiers. Au total, huit militaires avaient été mis en examen pour homicide involontaire. Parmi eux, le général Antoine Windeck, nommé à a tête de Saint-Cyr Coëtquidan neuf semaines avant la mort de Jallal Hami, qui a bénéficié d'un non-lieu.
Sept prévenus, un seul plaide coupable
Ce seront donc sept prévenus qui comparaîtront dès ce lundi 23 novembre devant le tribunal correctionnel de Rennes. Huit ans après le décès de Jallal Hami, cinq ex-élèves de Saint-Cyr Coëtquidan et deux anciens membres de la hiérarchie se suivront à la barre pour expliquer leur responsabilité dans ce drame, jusqu'à ce vendredi 27 novembre. Seul un accusé plaide coupable, admettant "se sentir en partie responsable du drame et [en porter] toujours une certaine blessure" selon son avocat Me Thierry Fillion. À savoir, l'ancien élève officier choisi pour représenter la promotion du deuxième bataillon de l'école militaire.
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