Rachid Hami évoque la mort d'un jeune militaire lors d'un bizutage et les relations complexes entre deux frères. Un film bouleversant incarné par deux acteurs remarquables : Karim Leklou et Shaïn Boumedine.

Les récits d'immigration et de fratrie inspirent décidément les cinéastes français en ce début d'année. La semaine dernière, Léonor Serraille, dans le subtil « Un petit frère », examinait les relations entre une mère et ses deux fils venus de Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, c'est au tour de Rachid Hami (déjà auteur d'un premier film en 2017 : « La Mélodie ») d'évoquer le destin de deux frères installés avec leur mère dans l'Hexagone au début des années 1990 pour fuir les réalités sanglantes de la guerre civile en Algérie et l'influence désastreuse d'un père violent.
La Grande Muette
Dans le bien nommé « Pour la France », le cinéaste ouvre son récit par un drame : la mort, lors d'un « rituel d'initiation » (autrement dit, un bizutage), d'un étudiant de l'école de Saint-Cyr : Aïssa. Pourquoi ce décès absurde ? Quelles sont les responsabilités de la hiérarchie militaire dans la mort de ce garçon de 23 ans prêt à tous les sacrifices pour honorer son pays d'adoption : la France ? Son frère aîné, Ismaël, mène l'enquête. Cette dernière ne va pas concerner que les dissimulations de la Grande Muette, qui cherche à étouffer la désolante affaire. Si Ismaël souhaite connaître les circonstances qui ont entraîné le décès de son frère et lui offrir des funérailles avec les honneurs militaires, le héros, ravagé par la douleur, effectue surtout un vertigineux voyage dans sa mémoire pour tenter de mieux comprendre les choix et la personnalité profonde du disparu. Ismaël se souvient ainsi de quelques étapes fondamentales de sa vie avec Aïssa : leur enfance en Algérie dans une famille dysfonctionnelle, leur arrivée dans l'Hexagone, un séjour de quelques mois à Taïwan où le frère cadet s'était installé avec sa compagne…
Le film donne à voir des fragments de ce parcours et dépeint les relations souvent conflictuelles entre deux hommes à la fois infiniment proches et radicalement différents. Aïssa, ce brillant étudiant, était un modèle de sérieux et de discipline, alors qu'Ismaël, hanté par une colère sourde, a toujours évolué dans les marges et peine à trouver sa voie dans son existence brinquebalante.
L'identité en question
Rachid Hami met en scène le combat d'Ismaël pour la vérité et ses relations ambivalentes avec son frère avec une maîtrise et une pudeur d'autant plus impressionnantes que cette histoire est… la sienne, lui qui a perdu son frère militaire en 2012 dans des circonstances similaires à celles racontées par le film. Sans complaisance ni sensiblerie, le cinéaste, avec une rigueur implacable, remonte le cours d'une enquête et d'une histoire familiale complexes. En filigrane, tout comme Léonor Serraille dans « Un petit frère », il signe un film profond et dépourvu de clichés sur des sujets sensibles : l'intégration et le sentiment d'appartenance à la communauté nationale.
Rachid Hami a été acteur avant de passer à la réalisation - il a notamment joué dans « L'Esquive », d'Abdellatif Kechiche - et cette première vie professionnelle l'a de toute évidence inspiré pour diriger les deux comédiens principaux de « Pour la France » : Shaïn Boumedine (l'acteur de « Mektoub My Love », du même Kechiche) dans la peau d'Aïssa et Karim Leklou (vu notamment dans « BAC Nord », de Cédric Jimenez) dans celle d'Ismaël. La réussite de ce film bouleversant sur deux personnages ennemis des assignations et qui, selon la formule du cinéaste, « refusent de se laisser enfermer dans les réflexes identitaires », doit beaucoup à cet exceptionnel duo d'acteurs.
POUR LA FRANCE
film français
de Rachid Hami.
Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal… 1 h 53.
Olivier De Bruyn

Quelles clés pour s’adapter dans un environnement complexe ?
Par Olivier De Bruyn
Cinéma : « Pour la France », requiem pour un frère mort à Saint-Cyr
Dans ce film lumineux et sans haine en salles ce mercredi, le cinéaste Rachid Hami retrace l’histoire de son jeune frère mort noyé lors d’un exercice militaire absurde en 2012. Une odyssée familiale sur vingt ans, de l’Algérie en proie à l’islamisme aux arcanes de l’armée française.
Une nuit d’octobre 2012, un jeune saint-cyrien se noie en traversant un étang glacé du Morbihan, alourdi par son équipement militaire, lors d’un exercice stupide de « bahutage » — un bizutage collectif qui se donne des airs d’opération commando — au cours duquel la traversée d’un premier groupe de recrues avait déjà failli se terminer tragiquement. Ce sous-lieutenant s’appelait Jallal Hami, avait échappé gamin à l’
Etudiant noyé à Saint-Cyr : qui est responsable de la mort de Jallal ?
Jallal Hami, élève officier à Saint-Cyr, est décédé dans la nuit du 29 au 30 octobre 2012. DR
2947 jours. Cela fait huit ans que les proches de Jallal Hami, mort noyé, attendent ce procès. « C'est inadmissible! Est-ce pour nous aider à oublier les fautes des responsables et diluer leurs peines? », s'interroge son frère Rachid. Après plusieurs années
Pour la France, la bataille d’une famille d’origine algérienne pour l'honneur d'un fils
Rédigé par Lionel Lemonier | Mardi 7 Février 2023 à 11:00
Le film « Pour la France » retrace les efforts d'une famille d'origine algérienne pour voir le fils cadet honoré par l'armée française, suite à sa mort prématurée au cours d'un exercice. Une histoire vraie racontée sans pathos inutile par le propre frère de ce musulman français et patriote. L'occasion pour lui d'évoquer la guerre civile algérienne durant les années 1990 et les difficultés d'intégration d'immigrés banlieusards.
C’est une histoire vraie et triste à pleurer. Dans la nuit du 29 au 30 octobre 2012, un élève officier de Saint-Cyr Coëtquidan meurt noyé à la suite d’un exercice de « transmission des traditions », une formule pudique pour désigner un « bahutage », autrement dit un bizutage, théoriquement interdit dans les écoles de l’élite militaire française. Né en Algérie, banlieusard, français et patriote, de confession musulmane, ce jeune homme a suivi des études brillantes à Sciences-Po et à l'Université nationale de Taïwan, avant de s’engager à l’école militaire de Saint-Cyr.
Jallal Hami, l’élève officier qui a perdu la vie au fond d’un étang breton, est le propre frère cadet de Rachid Hami, le réalisateur de Pour la France. Récompensée par le Grand Prix du scénario 2020, cette histoire part de ce drame familial et personnel pour retracer les efforts de cette famille d’origine algérienne, dénommée Saïdi, pour les besoins du film, afin de voir leur fils et frère honoré convenablement par l’armée et les autorités françaises au moment de son enterrement.
S’il reste fidèle au personnage de son frère « prêt à tout pour prouver qu’il valait quelque chose (…) mais pas à n’importe quoi, et pas avec n’importe qui », Rachid Hami en profite aussi pour évoquer d’autres thèmes : la recherche éperdue du fils aîné pour se faire aimer par sa famille et trouver sa place dans la société, la guerre civile algérienne dans les années 1990, sans oublier l’honneur et le rêve d’intégration d’un fils d’immigrés qui veut être reconnu à sa juste valeur. Jusqu’à être prêt à mourir pour son pays d’adoption.
© Memento Distribution
© Memento Distribution
Un film qui évite les clichés
Par-dessus tout, Rachid Hami réussit à échapper aux clichés. A commencer par celui de l’Arabe, musulman, banlieusard défavorisé plein de rage envers la société française qui ne facilite en rien son intégration dans la vie. L’armée n’est pas non plus décrite comme un corps raciste ou monolithique, mais plutôt comme une institution fracturée dans laquelle un général directeur de Saint-Cyr, catholique pratiquant et homme d’honneur ne ménage pas sa peine pour que l’élève officier reçoive la reconnaissance officielle qu’il mérite à titre posthume.
« Mon film part de ce réel impossible à binariser, et offre une troisième voie, celle des individus prêts à ne pas se laisser enfermer dans les réflexes identitaires de leur groupe, prêts à s’aventurer à l’autre bout du monde s’il le faut pour devenir soi, et prêts à croire qu’il existe, au-delà des assignations sociales, politiques et religieuses, quelque chose comme une chance de s’accomplir et de trouver sa place dans un monde âpre pour les rêveurs », explique le réalisateur.
Le scénario a été co-écrit par Rachid Hami, le philosophe et romancier français Ollivier Pouriol et le producteur du film, Nicolas Mauvernay. « Nous avons traité le combat pour les funérailles de Jallal comme une version contemporaine de l’histoire d’Antigone luttant pour donner une sépulture digne à son frère. Nous avons fait confiance à cette tragédie connue de tous pour y mêler le conte des origines en Algérie et l’aventure inattendue de Taiwan où les personnages cherchent leurs places dans le monde », précise Rachid Hami.
Une réalisation servie par une interprétation remarquable
Côté réalisation, ce film a beau être très « politique », dans le noble sens du terme, il n’en est pas moins une œuvre cinématographique originale qui reste toujours en équilibre entre l’histoire vraie et une description subtile de l’insertion des fils d’immigrés dans la société française. Le réalisateur décrit la complexité politique et sociologique par les images et le comportement des acteurs. Une séquence résume à elle seule son savoir-faire : lorsque le général Caillard (Laurent Laffite) propose sa main à Nadia (la mère de l’officier décédé) pour la soutenir et qu’elle l’accepte, dans un geste qui permet de rêver à une société où les gens seraient jugés sur leurs valeurs humaines et non sur leur apparence.
Les acteurs principaux sont très justes, en particulier Karim Leklou qui campe Ismaël, dont le jeu reflète parfaitement la mélancolie d’un fils aîné délaissé parce que moins brillant que son frère cadet. Shaïn Boumedine est parfait en petit frère (Aïssa) à qui tout réussit. Et Lubna Azabal est très juste en mère éduquée, à mille lieux des clichés sur les femmes musulmanes voilées. A noter la composition remarquable de Samir Guesmi en père autoritaire et effrayant, officier de la gendarmerie algérienne qui veut empêcher sa femme de fuir la guerre civile algérienne. Un film qui laisse une marque singulière dans l’esprit du spectateur.
https://youtu.be/by0VG1fRqFc
https://www.saphirnews.com/Pour-la-France-la-bataille-d-une-famille-d-origine-algerienne-pour-l-honneur-d-un-fils_a29441.html
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Rédigé par : Ben | 08/02/2023 à 15:21