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Rédigé le 24/02/2023 à 07:43 | Lien permanent | Commentaires (0)
En juillet 1830, à peine vingt-et-un jours suffisent à Charles X pour chasser les Turcs d’Alger. Une victoire éclair qui place la France dans un bourbier dont elle ne parvient toujours pas à s’extirper. Alors que les relations entre la France et l’Algérie sont pour le moins difficiles, entre quatre et six millions d’Algériens vivraient actuellement sur le sol français, selon les autorités algériennes.
Quels ont été les ressorts de la colonisation française ? C’est la tâche ardue que s’est donnée Driss Ghali. « C’est bien ici, pour notre race, ce qu’est le Far West pour l’Amérique, c’est-à-dire le champ par excellence de l’énergie, du rajeunissement et de la fécondité. […] La plante qui pousse sur cette terre, ce n’est pas qu’un Français diminué, mais si j’ose m’exprimer ainsi, un Français majoré ». Ainsi s’adresse le maréchal Hubert Lyautey aux colons de la région de Tiaret, en Algérie en 1897.
À travers les colonies, il s’agit donc de créer un « homme nouveau », et à travers celui-ci, de régénérer une France dépressive. Privée de la Savoie pendant un an de 1859 à 1860, la France se voit amputée de l’Alsace et de la Lorraine en 1871, annexées par l’Allemagne. À cette grande frustration s’ajoute le poids de la révolution et de Napoléon Ier. Aux yeux de l’Europe, la France est coupable d’avoir guillotiné son roi et d’avoir fait germer l’épopée napoléonienne, qui a failli engloutir tout le continent.
La France du XIXème est donc « une puissance empêchée », estime Driss Ghali, et elle trouvera dans la colonisation un exutoire. Il faut dire que tant dans l’industrie, la science, la médecine que les arts, tout sourit à l’homme européen du XIXème siècle. Déjà au XVIème siècle, les Ibériques colonisaient l’Amérique sans ménagement. Trois siècles plus tard, les Américains déciment les Amérindiens avant d’envahir les Philippines. Quant aux Russes, ils rêvent de dominer ces steppes gelées que sont la Sibérie, l’Asie Centrale et la Sibérie. Pourquoi ne pas tenter nous aussi l’aventure ?
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L’Histoire indique la marche à suivre. Deux siècles auparavant, les expéditions au Canada et aux Antilles se sont révélées fructueuses. En 1608, Samuel de Champlain fondait la ville de Québec et trois décennies plus tard, la France s’implantait aux Antilles. En juillet 1830, la France intervient donc en Algérie. On ne sait rien de cette contrée mais peu importe, on explore, on tâtonne, on ne pense pas au futur car on vit au jour le jour. On avance au coup par coup, guidé par une politique d’opportunités qui ne se conçoit qu’à court terme. Ainsi démarre l’aventure coloniale.
Qu’en est-il alors de la fameuse « mission civilisatrice » de la France, moteur de la colonisation selon l’histoire officielle ? Une légende, s’attelle à démontrer Driss Ghali, qui rappelle que si la France a interdit l’esclavage et a mis fin aux guerres civiles, elle a immédiatement « tourné le dos au colonisés » : « pas d’instruction, peu ou pas de soins, pas de transferts de technologie. Les choses n’ont commencé à changer qu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, soit dix ou quinze ans avant la décolonisation ».
Certes, mais la France s’est enrichie sur le dos de ses colonies, entend-on régulièrement. Cela est faux, s’attelle aussi à démontrer Driss Ghali. « La colonisation à été une dilapidation des deniers publics et des ressources humaines. D’un point de vue strictement financier, la France aurait mieux fait d’investir ses capitaux et ses talents en métropole ou bien en Europe », écrit-il. Quant aux fameux sous-sols de l’Algérie, ils n’arriveraient pas à la cheville des sous-sols sud-africains ou australiens.
Donc la colonisation française, finalement, un détail de l’Histoire ? Ce n’est pas du tout la thèse du livre, qui s’attache à prouver en quoi elle fut une absurdité, « une idée tordue ». Apartheid au sein des pays colonisés, administration défaillante, coûts exorbitants des armements, manque d’infrastructures minières, mais aussi peur de la syphilis et frustration sexuelle etc. Au fil des pages, la colonisation s’apparente de plus en plus à un rocher de Sisyphe n’en finissant pas de redescendre sur le colon. Et tandis que le fardeau des conquêtes devient de plus en plus lourd, il semble évident que le piège s’est déjà refermé, que la France est prise à son propre jeu.
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Vient alors l’heure des crimes coloniaux. Guidé par un souci d’impartialité, Driss Ghali leur consacre un long chapitre. Passages à tabac d’indigènes saluant mal de hauts fonctionnaires au Gabon, bombardement de civils marchant pacifiquement en Indochine, torture généralisée dans les commissariats de cette même Indochine, main d’œuvre réduite à l’état de quasi esclaves en Afrique Australe, l’inventaire est glaçant. Pourtant, « par égard à la sensibilité du lecteur », Driss Ghali s’est refusé à citer les passages les plus atroces du pamphlet anticolonialiste Les Jauniers de Paul Monnet. D’Albert Londres, il est aussi question, ainsi que de Frantz Fanon. Si l’auteur des Damnés de la Terre n’est cité qu’une seule fois, son âme est présente, ce qui vaut à cet ouvrage quelques accents tiers-mondistes.
Les actuels autoproclamés indigénistes y trouveront-ils leur compte ? Sans doute pas. Les nostalgiques de l’Algérie française non plus, et c’est ce qui fait toute la force de cet ouvrage. À l’heure où la question algérienne est objet des crispations les plus malsaines, où la question de l’Empire colonial est sujette aux récupérations les plus fanatiques, Driss Ghali fait preuve d’un vrai sens de la nuance dans son analyse. Et quand il donne son avis au détour d’un paragraphe, c’est généralement pour mieux rebattre les cartes.
Comme il le rappelle d’emblée dans le préambule, Driss Ghali n’a pas de formation d’historien. Par conséquent, Une contre-histoire de la colonisation française sera-t-elle ignorée par les Pascal Blanchard, Benjamin Stora ou autres historiens ayant leurs entrées dans les médias ? Ce serait une grande erreur. D’abord parce que le livre est richement documenté et ensuite, parce qu’il est guidé par la recherche de la vérité. Sans manichéisme, le livre nous amène à poser un regard dépassionné et apaisé sur ce que fut la colonisation française.
La fin nous réserve toutefois des considérations plus personnelles. Le chapitre aux airs de pamphlet anti-multiculturel était-il vraiment nécessaire ? Les lecteurs en jugeront. Ce qui est certain, c’est qu’en se demandant si l’on peut parler de bienfaits de la colonisation, ou s’il ne vaut pas mieux « sourire à l’avenir » que « pleurer le passé », Driss Ghali pose de vraies questions. Les solutions préconisées pour la réconciliation, pour un avenir moins sombre que celui qui s’annonce, mériteraient d’être plus développées, bien plus. Mais est-ce à Driss Ghali de s’en charger ? Plutôt que de rester pétrie sur elle-même avec la crainte (ou l’espérance) d’être submergée par l’Afrique, la France ne devrait-elle cesser d’être sur la défensive pour renouer avec une véritable politique africaine ? Espérons sans trop y croire que Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, se plonge sérieusement dans ce dossier. Il est déjà bien tard. En attendant, Une contre-histoire de la colonisation française est un ouvrage accompli, que devrait lire chaque personne s’intéressant, de près ou de loin, à l’épineuse question de la colonisation.
Rédigé le 24/02/2023 à 07:14 dans colonisation | Lien permanent | Commentaires (0)
CHRONIQUE. Comme en témoignent les nombreuses études universitaires, colloques, et autres rencontres, l’œuvre et les combats de l’écrivaine algérienne résonnent toujours.
La romancière et historienne Assia Djebar est décédée à Paris le 6 février 2015. Elle repose au cimetière de Cherchell en Algérie, face à la mer Méditerranée qu'elle chérissait tant. Force est de constater qu'elle reste présente dans le champ culturel algérien et français, comme en témoignent les nombreuses études universitaires, colloques, articles et autres rencontres sur son œuvre dense et significative. Une vie intellectuellement riche l'a menée à être la cinquième femme à entrer à l'Académie française. Ce fut une consécration pour une romancière qui a reçu tant de récompenses des deux côtés de la Méditerranée et aux États-Unis.
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Par la force de ses écrits et au fil du temps, elle est devenue le symbole de l'amitié entre les deux rives, France/Algérie, malgré une histoire commune mouvementée, tragique, profonde. Son premier roman La Soif fut publié en1958 en pleine guerre d'Algérie et son dernier Nulle part dans le pays de mon père fut publié en 2007. Une autofiction où Assia Djebar raconte son enfance et son adolescence. Sa formation d'historienne influença beaucoup ses œuvres fictionnelles dans le sens où l'histoire collective s'est infiltrée subrepticement dans ses récits, en rapport avec l'Histoire, l'histoire des femmes en Algérie, où se mêlent le religieux et le sociétal, avec une critique sans relâche de l'intégrisme religieux. Ses personnages relèvent de son imaginaire comme dans L'Amour, la Fantasia où l'Histoire et la fiction s'entremêlent et où se croisent le « je » et le « nous ».
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Dans Ombre sultane, le couple, l'amour, l'histoire, la révolte féminine contre l'oppression prend une grande ampleur : la psychologie et l'histoire se fondent pour mettre en scène le vécu des femmes, comme dans Les Femmes d'Alger dans leur appartement où elle détourne avec bonheur le célèbre tableau de Delacroix peint en 1834 à Alger. Son roman Loin de Médine répond à une période difficile pour la société algérienne quand l'islamisme commençait à s'installer. Le récit octroie une parole libre aux femmes de Médine qui deviennent actrices de leur histoire, une dénonciation acerbe d'un intégrisme intolérant qui falsifie justement l'Histoire. Cette critique s'accentue quand la douleur devient intolérable après les assassinats des intellectuels algériens par les islamistes durant la décennie noire. Elle fustige et dénonce les assassins dans Le Blanc de l'Algérie, une Algérie où le sang a toujours coulé, avec un peuple qui a toujours su résister.
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Assia Djebar questionne l'Histoire comme dans Oran ville morte et Vaste est la prison. Dans Nulle part dans le pays de mon père, personnage autodiégétique, elle décrit sa vie en tant qu'enfant, adolescente et jeune femme. Le style d'Assia Djebar est poétique et réaliste à la fois, car elle prend le lecteur par la main pour l'introduire dans sa famille, dans son intimité, du côté de Cherchell la romaine. Le territoire de l'enfance est revisité, révélant ses rapports avec sa mère, une femme de son temps, dont les seules sorties hebdomadaires étaient le hammam. La narratrice décrit avec volupté et finesse la 'fouta' orange et noire, accrochée à l'entrée pour signaler que le hammam est réservé aux femmes. Elle recrée les conversations qui résonnent, les commérages et les secrets, le hammam, un espace de liberté d'expression.
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Assia Djebar, de son vrai nom Fatima-Zohra Imalayen, travaillait bien à l'école, car son père, instituteur, veillait à sa réussite. Elle le décrit comme un homme tolérant et traditionaliste à la fois et raconte qu'un jour, avec un voisin, elle apprenait à se tenir en équilibre à vélo. Son père fit irruption dans la cour et lui intime l'ordre de rentrer, lui déclarant qu'elle ne pouvait faire de vélo, car elle montrait ses jambes. Âgée de cinq ans, cet ordre et cet argument furent un traumatisme dont elle ne s'était jamais remise, la poussant plus tard à toujours être la pionnière, à réussir tout ce qu'elle entreprenait et braver les interdits.
Elle fut l'une des premières musulmanes à être admise au lycée de Blida durant la colonisation. Elle décrit sa première révolte quand elle fut désignée par ses camarades algériennes à être leur porte-parole auprès de la directrice pour protester de ne pas avoir de viande, sous prétexte qu'elles jeûnaient. Elle rapporte avec humour sa réponse d'une grande pertinence à la directrice qui lui demandait ce qu'elles voulaient alors manger : « des vol-au-vent ». La présence de deux communautés, vivant côte à côte, sans se mêler, transparaît avec ses codes et ses valeurs, et dans le même temps, elle se rappelle sa meilleure amie française qui partageait avec elle son amour de la lecture et de la littérature.
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La question des langues fut au cœur de son discours, de par son vécu de la dualité coloniale et de sa position vis-à-vis des intégristes qui veulent éradiquer la langue française, car cette langue reste porteuse d'ouverture. Durant la colonisation, en tant que jeune fille appartenant à la communauté des colonisés, la langue française lui avait permis de ne pas porter le « haïk » comme elle le dit : « J'ai échappé au voile grâce à la langue française, c'est-à-dire grâce au père dans la langue française. » La langue française a toujours été perçue comme une langue de liberté. Pendant la période coloniale, Assia Djebar avait étudié très dur pour être une des premières algériennes à réussir dans un contexte politique particulièrement douloureux, car fermé aux « indigènes ». Le même constat est fait après l'indépendance, suite à une arabisation forcée et non préparée, prise en charge souvent par des idéologies d'un autre temps, la romancière avait saisi les enjeux idéologiques et ainsi elle a lutté pour le plurilinguisme. Dans ses romans elle a mis en scène des femmes qui bravent les interdits comme Chérifa, Lella Aïcha, Salima, Amna, Touma, Suzanne, Hassiba, Lila, Malika, Nadia, Sarah, Nfissa ou Isma, car elle avait dit un jour qu'« en Algérie même une pierre serait féministe ». Ce n'est donc pas un hasard si elle fut souvent comparée à Simone de Beauvoir et qu'elle avait reçu le Prix Marguerite Yourcenar, entre autres prix. Assia Djebar fut une femme engagée dans le bon sens du terme, une femme qui a su raconter des histoires pour libérer non seulement la société algérienne, mais toutes les sociétés.
Par Benaouda Lebdai
Publié le 22/02/2023 à 20h30
https://www.lepoint.fr/afrique/benaouda-lebdai-assia-djebar-l-immortelle-22-02-2023-2509690_3826.php
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Rédigé le 23/02/2023 à 17:56 dans Assia Djebar | Lien permanent | Commentaires (0)
EN Ce jour du 6 février 1956, ALGER attend le Président Guy MOLLET.
La grève générale, les magasins fermés, les vitrines barrées de crêpe noir en signe de deuil. Le président vient à ALGER pour installer le nouveau Gouverneur, le général CATROUX. ALGER n'en veut pas. La foule "bouillonne", le 2 février, à l'occasion du départ de Jacques SOUSTELLE, elle s'est sentie, elle s'est trouvée. Le 4, des milliers d'anciens combattants sont allés fleurir le monument aux morts. Mais ce n'était là que répétition, aujourd'hui, on va voir ce qu'on va voir.
Pourtant, les autorités ont pris les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre : outre les 500 gardiens de la paix du corps urbain d'ALGER, 9000 soldats, une centaine de gendarmes, et 11 compagnies républicaines de sécurité (C.R.S) venues de Métropole.
Une gigantesque "bronca" accueille le Président. Tandis que celui-ci dépose une gerbe au monument aux morts, des échauffourées éclatent entre la foule et les C.R.S. Ceux-ci tiennent les points névralgiques ( le monument, le palais d'été) les œufs, les tomates, les pièces de monnaie, les pierres, les grenades lacrymogènes pleuvent, les huées jaillissent : "MOLLET à PARIS ... . CASTROUX au poteau ... C.R.S dans l'AURES". La police locale reste passive, goguenarde. Pour calmer la foule, les paras remplacent les CRS. Ceux-ci ont porté tout le poids des affrontements. Dès lors, ALGER les hait. Une féroce campagne de dénigrement doit être menée contre eux dans les jours qui suivent.
C'est la première fois que les CRS se heurtent à des Français d'ALGERIE qui leur crient "C.R.S dans l'AURES".
L'AURES, les CRS le connaissent déjà. Et depuis longtemps, depuis 1952, exactement, en effet, trois compagnies, venant de SANCERRE, de NANCY et de LANNEMEZAN ont débarqué en AVRIL 1952 à ALGER, ORAN et PHILIPPEVILLE. A l'époque, la demande de renforts exprimée par le gouverneur général pouvait surprendre. Mais des rumeurs courraient déjà sur une étrange activité dans les AURES, et il n'y avait alors que quelques milliers de soldats disponibles disséminés aux quatre coins de l'ALGERIE et une police confinée dans les villes.
Ces unités qui ont parcouru en mai 1952 les départements algériens, sont allés de PHILIPPEVILLE à BATNA, ARRIS, TEBESSA, BISKRA, d'ALGER à FORT NATIONAL, TIZI OUZOU, DRA EL MIZAN, d'ORAN à NEMOURS, BENI SAF et SIDI BEL ABES, dans des " Tournées de prestige " destinées à montrer la présence de l'autorité de la FRANCE et à rassurer les populations de toutes les origines, que les manifestations nationalistes et divers incidents avaient plongées dans l'inquiétude.
A leur arrivée, les CRS ont été quelque peu surpris : habitués aux situations tendues, ils ont trouvé une atmosphère apparemment calme, accoutumés aux quolibets et aux injures ils ont été partout accueillis avec beaucoup d'égards et de sympathie.
Leur mission s'est bien déroulée. Les autorités ont découvert que ces unités, inconnues en ALGERIE peuvent parfaitement s'adapter à la conjoncture ALGERIENNE. Certaines ont même projeté la création en ALGERIE de formations semblables. C'était 1à, déjà, l'assurance qu'ils passeraient à nouveau la méditerranée.
Ils sont revenus, en effet. Trois autres unités ont sillonné les 3 départements ALGLERIENS de décembre 1952 à mars 1953, puis cinq autres en mai 1954. Celles-ci, placées sous les ordres d'un commandement de groupement opérationnel installé à ALGER étaient alors réparties tout au long des frontières Tunisiennes et Marocaines pour protéger des centres isolés et fournir quelques renseignements sur la situation.
Ils avaient fort à faire, car ils étaient alors pratiquement seuls, sauf quelques gendarmes, quelques douaniers, quelques agents des eaux et forêts. Des militaires, point ou presque pas : à peine 500 hommes de troupes disponibles dans le Constantinois. A partir de LA CALLE, TEBESSA et SOUK ARRAS à l'Est, de MARNIA, SEBDOU, PORT SAY, NEDROMA à l'Ouest, les CRS visitaient les communes mixtes et les douars, vérifiaient les identités, fouillaient les chargements des caravanes, surveillaient les marchés où le MTLD diffusait sa propagande, assuraient les escortes de protection aux agents de PTT, des Ponts et Chaussées, des Finances.
Leur mission était nouvelle mais harassante; ils parvenaient à appréhender quelques individus douteux, ils ne glanaient guère de renseignements car les populations étaient muettes. Leur présence pouvait certes intimider les éléments subversifs, mais ils disposaient de moyens insuffisants et manifestement inadaptés et vivaient le plus souvent, dans de petits postes isolés, une vie dont certains détails ne sont pas sans rappeler celle des Légionnaires de la Légende. Cependant, leur action était efficace, rassurante. La population les avait admis. L'apparition de groupes armés dans certains secteurs n’avait fait que confirmer la nécessité de leur présence. Celle-ci ne serait plus désormais épisodique mais continuelle. Et certainement pour longtemps.
"Un corps expéditionnaire"
L’explosion de la Toussaint Rouge de 1954 va déclencher le mouvement vers l'ALGERIE par air et par mer, d'un véritable corps expéditionnaire des CRS : 4 compagnies le 1er novembre puis 12 autres dans les jours suivants. Le 12 novembre, 20 compagnies, soit le 1/3 du corps, sont à pied d'œuvre. Un Etat major est implanté à ALGER et un groupement opérationnel dans chacun des 3 départements.
Les innombrables problèmes logistiques de cette arrivée massive sont rapidement résolus. Plus délicats sont ceux de l'emploi : l'ambiance est fiévreuse et les troubles ressemblaient plus à une insurrection armée qu'à de classiques mouvements sociaux. Pour éviter l'anarchie due à l'affolement, le commandement doit fixer le cadre des missions. Avec l'approbation du Directeur de la Sécurité Générale, celles-ci consisteront en des patrouilles dans les villes, des gardes statiques de points réputés sensibles, des barrages routiers pour la recherche de suspects et des patrouilles lointaines pour assurer la sûreté des itinéraires.
Ces missions, les CRS vont les assurer tout au long de l'année 1955. C'est alors l'époque où la guerre n'est pas considérée comme telle, où les soldats qui tombent ne peuvent obtenir la mention "morts pour la FRANCE", où la justice, lorsqu'il y a mort d'homme, fait procéder, comme pour un meurtre banal à des reconstitutions sur le terrain, voire à des autopsies. Et pourtant, le terrorisme s'amplifie. Le désarroi est grand. On envisage pour le juguler toutes sortes de mesures dont certaines sont stupéfiantes, tel le bouclage des AURÈS par les CRS.
Ceux-ci ne manquent d'ailleurs pas d'ouvrage, entre les gardes statiques épuisantes, les patrouilles, la surveillance des voies ferrées et des secteurs frontaliers. Mais ils sont trop peu nombreux. Et la rébellion gagne du terrain. L'application de l'état d'urgence n'a qu'une portée insuffisante en raison même de sa limitation à certains secteurs. Elle permettra cependant aux CRS d'agir dans le cadre de la plus stricte légalité.
Dès mai, l'emploi des unités, dont le nouveau gouverneur général, Jacques SOUSTELLE, a bien précisé qu'elles ne devaient être utilisées que sur ordre, prend une ampleur nouvelle. La CRS implantée à PHILIPPEVILLE est employée à COLLO et EL MILIA (qui sera attaquée le 10 par une bande rebelle). Trois compagnies quadrillent CONSTANTINE, une autre opère dans la région de KENCHELA ; la compagnie de BLIDA fait le coup de feu à BOU ARFA (1 CRS blessé - 3 rebelles tués - 7 prisonniers).
Opérations de police et escortes de protection se multiplient. Les secteurs de travail sont mieux répartis. L'organisation se fait peu à peu. Le 1er mai, le nouveau patron des CRS, en ALGERIE, le Colonel DE ROSNAY, prend son commandement.
Les premières victimes des fellaghas parmi les CRS se comptent le 20 août 1955, jour où les rebelles attaquent une quarantaine de villes du Constantinois. A l'entrée de SAINT CHARLES, une escorte est prise sous le feu rebelle ; son chef est tué. A PHILIPFEVILLE, troupes et CRS sont engagées pendant deux heures contre un groupe armé. HELIOPOLIS, investie par les Fellaghas, doit être dégagée par des CRS et des militaires de passage. A CONSTANTINE, enfin, deux CRS et la troupe attaquent un groupe de terroristes dans les gorges du RUMMEL et tuent 5 rebelles.
L'évolution de la situation en ALGERIE et les nécessités du maintien de l'ordre qui se manifestent alors en Métropole conduisent d'une part à un certain regroupement des CRS dans les grands centres urbains, d'autre part, à la diminution du nombre d'unités déplacées. C'est ainsi qu'à la fin de 1955, les CRS ont quitté les centres éloignés (TEBESSA, BATNA, SETIF), et ne comptent plus que 4 compagnies en ORANIE, 2 dans l'ALGÉROIS, 4 dans le CONSTANTINOIS.
Il n'est pas besoin de décrire longuement les événements du 13 mai 1958. Il suffit de préciser que les manifestations au Plateau des Glières et au Monument aux Morts n'étaient pas interdites. Des mesures pour assurer le maintien de l'ordre avaient certes été prévues par le colonel GODARD, commandant le secteur ALGER-SAHEL et, notamment, la constitution de groupements d’intervention composés de 4 CRS, de 5 escadrons de gendarmerie Mobile et de 2 compagnies du 3éme R.P.C. Mais il apparaît que l'investissement du Gouvernement Général par la foule est toléré, sinon favorisé par les responsables de l'ordre. Les instructions sont telles, en effet, que les C.R.S sont dans l'impossibilité totale d'intervenir.
Il en est de même à ORAN, où le Préfet est malmené par la foule, et à CONSTANTINE, où la section de garde à la préfecture est désarmée par les paras. Partout, les autorités civiles cèdent leurs pouvoirs aux militaires sans difficulté.
Cette période n'a pas manqué d'apporter mille avanies et humiliations aux CRS qui représentaient un gouvernement exécré. Aussi, vont-ils rester quelques temps dans une ombre relative, assurant les services habituels de surveillance et de protection, mais aussi la mission nouvelle qu'est la garde des centres d’hébergement à LEDI et à PAUL CAZELLES. Toutefois, nombre d'autorités militaires, conscientes de l'importance de leur rôle et de leur efficacité, ont tout fait pour leur faire oublier les variations subies dans les jours suivant le 13 mai. A CONSTANTINE notamment, les CRS étaient conviées à toutes les cérémonies. Le jour des adieux du Général GILLES, un détachement de CRS était placé entre ceux des parachutistes et de la Légion Étrangère.
Cependant, la rébellion ne désarme pas. Au contraire, et son extension caractérisée par des attentats en Métropole, amène à envisager la suppression de l'emploi des Compagnies Métropolitaines Outre Méditerranée. Ce sera chose faite le 3 octobre 1958.
Désormais, les 19 CRS organiques constituées en ALGÉRIE devront faire face seules aux multiples missions de maintien de l'ordre public.
Les C.R.S "Pieds Noirs"
Contrairement aux règles habituelles d'emploi des CRS, ces jeunes unités vont être, à de rares exceptions, utilisées dans leur ville de résidence et intégrées sans délai dans les dispositifs de quadrillage et de gardes statiques. Ainsi elles ne sont plus des réserves mobiles d'intervention et se trouvent dispersées en petits détachements dont l'utilisation est souvent déraisonnable, voire anarchique
En décembre, avec la nomination du Général CHALLE au poste de Commandant en chef des Forces en ALGERIE, on s'oriente vers une conception tactique nouvelle à base d'offensive. A cet effet, il est prévu de retirer du quadrillage les troupes nécessaires à la constitution de réserves générales opérationnelles pour combattre les " willayas " et de réaliser une infrastructure d'auto défense avec les Musulmans Francophiles.
Aussi pense-t-on aux CRS pour remplacer ces troupes sorties du quadrillage. Mais leur effectif étant trop faible, on propose de jumeler 10 compagnies deux à deux et d'adjoindre à chaque groupe ainsi obtenu environ 500 Harkis pour parvenir à l'effectif d'un gros bataillon. Mais les difficultés de tous ordres (transformation profonde des structures des CRS entre autres) fait que cette formule est abandonnée.
Au cours de cette année 1959, il est enfin admis que les CRS auront la responsabilité de quartiers dans leur ville d'affectation et ne devront plus être dispersées en multiples détachements pour accomplir des tâches dont beaucoup sont secondaires.
Cette utilisation va "geler" la presque totalité des effectifs. Aussi, pour les manifestations d'ALGER le 24 janvier 1960, le groupement central des CRS en est-il réduit aux expédients : la constitution de compagnies de marche avec des détachements prélevés à SETIF, BOUGIE, ORAN, MOSTAGANEM et AIN-TEMOUCHEN.
3 Compagnies arrivent donc à ALGER le 22 janvier 1960. La 4ème, tombée dans une embuscade du FLN près de BORDJ BOU ARRERIDJ, ne rejoint que le 23. ALGER est fiévreuse. Mais la mission confiée aux CRS (protection des bâtiments publics) exclut toute action sur la voie publique. Celle-ci est confiée à une dizaine d'escadrons de gendarmerie mobile.
Les CRS vont échapper ainsi à la sanglante fusillade du 24 janvier qui fera 14 morts et une centaine de blessés parmi leurs camarades de la Gendarmerie Mobile et qui marquera le début de la " semaine des barricades ".
Cette fameuse semaine a entraîné une nouvelle réorganisation des pouvoirs civils et militaires en ALGERIE. Le Préfet AUBERT a succédé au Colonel GODARD à la tête de la Sûreté Nationale à ALGER. Cela va permettre aux CRS algériennes de sortir enfin de l'immobilité qui leur était imposée. Le 12 mars 1960, 3 compagnies embarquent pour un déplacement en Métropole. Mais ce n'est là qu'une exception. L'emploi des unités reste source de difficultés, car les CRS ont une double subordination : elles dépendent hiérarchiquement des autorités civiles et, en ce qui concerne le maintien de l'ordre, des autorités militaires. Leur utilisation reste disparate, soumise aux contingences locales. Elle est parfois inadaptée : Il est certain, notamment, que la garde des camps d'internement de Paul Cazelles, Lodi et Bossuet devrait être assurée par des forces moins nécessaires au maintien de l'ordre.
Cependant, juin s'annonce houleux, on craint des troubles pour la commémoration de l'anniversaire du 18. En raison des faibles disponibilités des unités algériennes, il doit être fait appel de nouveau aux CRS Métropolitaines.
L'imposant service d'ordre mis sur pied (13 CRS et 25 escadrons de gendarmerie mobile) a un effet dissuasif. Au début juillet les 8 CRS déplacées regagnent la Métropole et les 5 algériennes leur ville de résidence.
" Soldats de la rue "
Pas pour longtemps. Dès novembre, le problème du maintien de l'ordre se pose à nouveau à ALGER. Le 2, les algérois, voient au Monument aux Morts du square Lafférière ce qu'ils n'avaient plus vu depuis 2 ans : le service d'ordre assuré par les CRS armés et casqués.
Ainsi les revoilà comme au 13 Mai.
"Vous souvenez-vous, Algérois, comment ce jour là, vous les avez traités ? Qu'attendez-vous pour recommencer ? dit un journaliste.
Le front pour l’ALGERIE Française s'agite en sous-main. Le 10 novembre au soir, 3 compagnies doivent intervenir contre les trublions. Pour le 11, le dispositif de sécurité est étoffé. Dès 9 heures, la foule est massée autour du périmètre interdit entre le Forum et le Boulevard CARNOT. Elle hue le cortège officiel. L'atmosphère est si tendue que la suite des cérémonies prévues est supprimée. Les CRS d'ALGERIE ne vont pas tarder à recevoir le " baptême de la rue ".
Les affrontements commencent dès 10 heures. Faute d'une conception, de manœuvre du représentant de l'autorité civile responsable, les unités - gendarmes mobiles et CRS - interviennent d'une façon désordonnée. Les manifestants sont jeunes, mobiles, agressifs. Ils vont jusqu'à faire dévaler deux autobus sur les barrages de CRS. La matinée voit des empoignades confuses.
Pour mettre un terme à cet emploi anarchique, le colonel MOULLET, responsable d'ALGER-SAHEL, fait replacer les 4 CRS d'ALGER sous les ordres de leur chef, le Colonel BRES, commandant le groupement n°11 et leur fixe une mission :
rétablir l'ordre dans les quartiers Rovigo et Pélissier. La gendarmerie Mobile, pour sa part, a la même charge dans le quartier Michelet. Quant au Corps Urbain, dont l'inefficacité est notoire, il est éliminé du dispositif et rendu à ses tâches habituelles.
Les heurts se succèdent jusqu'à 19H00. L'affaire fera une centaine de blessés parmi Gendarmes et CRS et donnera lieu à 70 arrestations.
Craignant l'activité du F.A.F. les autorités redemandent des renforts. Ainsi, dès le 14 novembre, 5 CRS Métropolitaines reviennent à ALGER, constituant un groupement opérationnel aux ordres du Colonel FONTY. Enfin, une nouvelle organisation du commandement permettra aux CRS de manœuvrer en unités constituées et sous le commandement de leur hiérarchie, seule garantie de cohésion et d'efficacité.
L'annonce du référendum sur la politique algérienne du gouvernement va décupler la colère des masses européennes et, paradoxalement, l'opposition du F.L.N.. Une nouvelle crise s'annonce. On met en place à ALGER un dispositif impressionnant 28 escadrons de gendarmerie mobile et 17 CRS.
" Les émeutes de décembre "
Le voyage du général DE GAULLE en ALGERIE le 9 décembre 1960 va fournir aux dirigeants activistes le prétexte pour pauser à l'action. Le 8, le F.A.F. lance un appel à la grève générale.
Le 9 à 4H00, un PC mixte opérationnel est mis en place à Fort l'Empereur. Le Colonel DEBROSSE pour la gendarmerie, le colonel DE ROSNAY pour les CRS, ont la responsabilité de la manœuvre de leurs unités. Celles-ci sont à pied d'œuvre dès 5H00. A 7H30, elles signalent que des clous ont été semés dans plusieurs quartiers et provoquent des embouteillages. Un peu plus tard, des barricades sont élevées à Bab-el-Oued. Les premières échauffourées se produisent vers 9H00. Les riverains soutiennent les manifestants dont les actions sont coordonnées et acharnées. Les renseignements de la police locale sont inexploitables, parce que faux et trop tardifs. Les engagements durent jusqu'à 13H00, puis, après une légère accalmie, reprennent dans l'après-midi, plus violents encore. Un escadron de chars envoyé pour détruire des barricades est immobilisé par la foule. Toutes les compagnies des groupements opérationnels des Colonels FONTI, MARCHAL et SAUVAGNOT sont soumises à rude épreuve et comptent une centaine de blessés, dont quelques uns sérieusement. Le calme ne revient que vers 20H00.
Par ailleurs, si le passage du Général DE GAULLE à MOSTAGANEM et TLEMCEN n'a pas occasionné de graves incidents et si le Constantinois est calme, il n'en est pas de même à ORAN. Les manifestations y ont été certes moins violentes qu'à ALGER mais elles ont dépassé en ampleur toutes celles du passé. Et, les responsables militaires du maintien de l’ordre n'ayant pas pris les dispositions nécessaires (il n'a pas été fait appel à la Gendarmerie Mobile et les troupes ne sont pas intervenues), les CRS ont été débordés.
D'autres troubles étaient attendus le lendemain à ALGER. Ils ne manquent pas de se produire. Vers 10H00, les 3 CRS en place dans le centre, subissent l'assaut de véritables groupes de chocs entraînés et armés de grenades. Le Groupement Sauvageot, chargé de protéger le Palais d'été est très durement pris à parti. La violence des contacts est telle que les CRS et les escadrons de gendarmerie mobile demandent une dotation, qui leur est accordée, en grenades offensives. Cependant, l'agitation gagne. Vers 14H00, elle s'étend aux quartiers populeux de BELCOURT et de MUSTAPHA.
Dès lors, plane le risque terrible de contre manifestations musulmanes.
Celles-ci commencent vers 19H00, alors que les échauffourées ont à peine cessé dans les quartiers du centre. Les musulmans de BELCOURT se répandent rue de LYON armés de haches, de bâtons, de couteaux, et saccagent tout sur leur passage. Des Européens affolés ouvrent le feu.
La CRS 208 employée à proximité parvient à disperser les musulmans et à contenir la foule Européenne. Le lendemain, 11 décembre, tous les quartiers musulmans périphériques sont en effervescence. Les fonctionnaires des CRS, très éprouvés la veille sont à nouveau dans la rue au petit matin. Ils ont reçu des renforts : 16 compagnies sont prêtes à intervenir. Mais la journée sera très dure pour tous.
L'affaire la plus importante se situe rue de Lyon. Plus de 10000 musulmans excités sont concentrés en bas de la rue Albin Rozet, contenus par un barrage de CRS pendant de longues heures (de 10H30 à 17H30), le colonel FONTI doit faire preuve d'une grande lucidité et d'un extraordinaire sang-froid pour éviter le drame. Par deux fois, en effet, les détachements de paras sont venus sur les lieux pour " liquider cet abcès par le feu ". A 11H30 enfin, les CRS chargent par les moyens classiques et dispersent la masse sans dommage.
Cette terrible menace du déferlement des musulmans dans la ville a, sur le plan de l'ordre un effet bénéfique : elle met un terme aux violences des Européens.
Enfin, chose étrange, la casbah n'a pas encore bougé.
Cette journée du 11 décembre a été "chaude" aussi, dans d'autres villes. A ORAN, évidemment, où l'organisation du dispositif de sécurité, toujours aussi irrationnelle, a permis de graves violences, l'attaque de bâtiments publics et l’affrontement des deux communautés. A CONSTANTINE également, où une CRS a été violemment prise à partie par de jeunes manifestants Européens.
La casbah ne connaîtra l'effervescence que le 12 décembre. 10 CRS devront y intervenir, parfois vigoureusement. L'une d'entre elles essuiera des coups de feu. Ainsi, le prestige indéniable des CRS auprès des musulmans n'aura pas suffit, cette fois, à ramener le calme. Et désormais, ce quartier grouillant sera bouclé par la troupe. Le 13 décembre, tout semble cependant rentré dans l'ordre à ALGER. La ville Européenne parait calme et la casbah, où les CRS incitent les commerçants à rouvrir leur boutique, ne bougent pas. L'agitation y explosera de nouveau le 14 à 1H00 du matin. Dès 4H00, les 4 groupements opérationnels des CRS l'investissent, démolissent les barricades, saisissent les emblèmes nationalistes. Le calme ne pourra être rétabli qu'à l'aube du 15 décembre. Ce même jour, tandis que 4 CRS font mouvement sur BONE, où des incidents meurtriers ont éclatés entre les Légionnaires et les Musulmans, une vaste opération de ratissage dans cette termitière permettra l'arrestation de nombreux meneurs F.L.N et marquera la fin de ces tragiques évènements dont le bilan se monte à 118 morts et plus de 500 blessés.
Après le 15 décembre, des manifestations sporadiques à caractère nationaliste se déroulent en divers points du bled algérien. Leurs conséquences sont souvent tragiques. Par contre, dans les grandes cités, le calme est revenu. Mais c'est un clame apparent, fragile, et qui nécessite une surveillance attentive et constante. Aussi, le dispositif CRS à ALGER et ORAN n'a-t-il pas subit de sensible modification.
Pour le 8 janvier, la date du Référendum sur l'autodétermination, huit compagnies arrivent de Métropole portant à 22 le nombre des CRS déplacées en renfort des 19 CRS organiques d'ALGERIE. Par ailleurs, les effectifs militaires rassemblés pour cette occasion sont considérables : 40 000 hommes à ALGER, 12 000 à ORAN. Et des mesures sévères sont édictées pour assurer le déroulement normal et la sécurité des opérations de vote. La journée sera calme.
Mais l'agitation musulmane persiste, larvée, et donne lieu à de vastes opérations de police pour ameuter les meneurs F.L.N. Dans le même temps, les besoins de la Métropole ont nécessité le retour de 17 compagnies. Pas pour longtemps, car, avant la fin Janvier, 7 CRS doivent retraverser la mer pour s'installer à ALGER et ORAN et 5 autres sont en alerte, prêtes à les rejoindre dans les plus brefs délais.
Au début de février 1961, explosent les premières charges de plastic et apparaît sur les murs le sigle " O.A.S. ". Ce recours des Européens au terrorisme oblige les CRS à de perpétuelles patrouilles pendant les heures de couvre-feu et fait renaître les violences des Musulmans.
C'est alors que de nouvelles dispositions sont prises pour redonner aux autorités civiles les responsabilités et les moyens relatifs au maintien de l'ordre, en particulier à ALGER et à ORAN, où sont créés les postes de Préfets de Police.
" Le Putsch d'avril "
Après le discours du président de la république le 11 avril, des rumeurs circulent dans certains milieux d'ALGER sur l'éventualité d'un putsch militaire. Mais personne ne semble les croire vraiment fondées. Les instructions reçues par le commandement des CRS, quant à elles, laissent à penser que les autorités militaires ne tenaient pas le coup de force pour une certitude. Aucune disposition particulière n'a été prise concernant la protection des édifices publics. On a simplement parlé de vigilance..
L'opération est menée dans la nuit du 21 avril avec une très grande précision et une rapidité foudroyante. C'est un beau travail de professionnel. Les 4 CRS disséminées dans la ville n'ont pas le temps de se regrouper sur les points sensibles. Lorsque certaines d'entre elles reçoivent l'ordre de les défendre par tous les moyens y compris par le feu, il est déjà trop tard.
La délégation générale, la préfecture, le commissariat central seront ainsi investit sans coup férir, de même que le PC d'ALGER-SAHEL au Fort l’Empereur, où les gendarmes mobiles de garde ne peuvent opposer de résistance.
Dès le 22, le colonel de ROSNAY, chef des CRS en ALGERIE est convoqué chez le colonel GODARD, ancien patron de la sûreté en ALGERIE qui participe au complot. DE ROSNAY précise que les CRS n'exécuteront que ses seuls ordres et que leurs activités se borneront aux missions antérieures de sauvegarde des personnes et des biens. Son interlocuteur parait navré, mais ne parle ni d'internement ni même de désarmement des CRS. A l'état major inter-armées où il se rend ensuite, DE ROSNAY trouve des officiers inquiets, préoccupés, comparaissant devant le général CHALLES un des chefs de l'insurrection, il lui répète ce qu'il a dit au colonel GODARD. Le général ne bronche pas et se contente d’enregistrer. Il a, assurément d'autres soucis que ceux des CRS
Rentré à son P.C ., DE ROSNAY prend contact avec les commandants des Groupements d'ORAN et de CONSTANTINE, où il ne s'est encore rien passé, puis avec l'état-major de la gendarmerie mobile et l'Amirauté, où les points de vue exprimés sont identiques aux siens.
A 11H45, arrivent au groupement central, le colonel DEBIN, commandant du groupement opérationnel CRS et ses officiers. Ils ont été autorisés à quitter le Port l'Empereur où le colonel MOULLET, commandant d'ALGER-SAHEL, et le Préfet de Police sont prisonniers. DEBIN, dont toutes les unités ont regagné leur cantonnement est convoqué chez le colonel GODARD. Il lui dit ce qu'a déjà dit DEROSNAY.
Le colonel MARCHAL, commandant du groupement des CRS d'ALGER, également convoqué chez GODARD dans l'après-midi, trouve celui-ci plus préoccupé que jamais. Car l'armée ne bouge pas. Elle ne bougera pas. Le 23, les autorités légales sont encore partout en place, sauf celle d'ORAN qui se sont repliées à TLEMCEN.
A ALGER, c'est donc l'attente. D'un coté, celle des chefs du putsch, qui espèrent le ralliement de l'armée. De l'autre, celle des chefs des forces (Gendarmerie, CRS, Marine, troupes de sous-secteurs) qui n'ont pas rallié le mouvement et qui comptent sur sont échec. Au cas où la situation se prolongerait, ils ont par ailleurs envisagé le repli de toutes leurs unités dans une zone contrôlée par les troupes loyales. Au soir du 25 avril, le putsch vit ses dernières heures. RADIO-FRANCE, poste tombé sous le contrôle des chefs du pronunciamiento, annonce à 20H30 "Trahison ... rendez-vous tous au FORUM". Déjà, les paras abandonnent leurs positions. Près de la caserne PELISSIER, les CRS prennent la place des Légionnaires du 1er R.E.P. A Minuit, ALGER est pratiquement sous le contrôle des forces de l'ordre. Vers 1H30, les chefs du coup de force quittent la délégation générale. A 22H00, la CRS 52 est sur le Forum. ALGER n'est plus une ville insurgée.
Dès le lendemain, les autorités s'attaquent à l'organisation subversive civile qui s'était révélée, pendant le putsch, comme le nouveau danger menaçant la paix publique. D'importantes forces sont acheminées sur ALGER (dont 9 CRS supplémentaires) Afin d'effectuer des perquisitions pour retrouver les nombreuses armes détenues par la population. Car l’OAS a annoncé que le combat continuait, et ordonnait de ne pas restituer les armes.
Alors que le climat s'alourdit encore. Des mesures individuelles sont prises dans l'armée et les administrations. Les CRS n'y échappent pas : quelques gradés d'une compagnie d'ORAN qui ont refusé d'obéir pour des raisons politiques sont révoqués. Chaque jour supporte son cortège d'attentats. Les besoins en forces de l'ordre sont plus pressants que jamais. Et partout plane la suspicion et la hantise de la trahison.
" La guérilla urbaine "
Au cours de l'été 1961 éclatent de nouvelles manifestations. A ALGER, en juillet, 2 groupements de CRS se heurtent durement à des manifestants musulmans. Fin août, des affrontements sanglants ont lieu à ORAN entre les deux communautés, nécessitant l'envoi de nouveaux renforts (3 compagnies) de métropole. En septembre, l'OAS redouble d'activité. A ORAN, le 2 octobre, une grenade au phosphore est lancée sur une section de CRS arrivée en renfort sur les lieux et accueillie à coups de feu tirés des balcons.
Le FLN ne se tient pas en reste. Le 1er novembre est sanglant : des commandos ont ouvert le feu sur les forces de l'ordre.
Dans ce climat de guerre civile, l'OAS soumet les pieds-Noirs à une intense propagande. Bien entendu, les CRS algériennes sont particulièrement visées. Jusqu'alors on a cependant déploré que deux abandons de poste. Mais le 18 novembre, ce sont 10 hommes de la compagnie de TIZI-OUZOU en déplacement à ALGER qui rejoignent l'OAS avec leurs armes.
C'est là un coup terrible pour les CRS d'ALGERIE. En janvier 1962, elles sont toutes envoyées en métropole et le gouvernement central disparaît. 21 CRS métropolitaines regagnent l'ALGERIE. Elles y vivront les moments les plus pénibles qu'elles aient connus.
En effet, l'action de l'OAS est plus violente que jamais. Les fonctionnaires des CRS sont sans cesse sollicités pour protéger les équipes de police judiciaire, pour effectuer fouilles, bouclages, barrages, contrôles dans des conditions difficiles et dangereuses. Des tracts circulent où l'on peut lire notamment : "Policiers, CRS., sachez que le moment du choix est proche. Souvenez-vous du sort des miliciens, 10 000 d'entre eux furent fusillés ....".
Certains tracts s'adressent à l'armée :
"Militaires de toutes armes ! Pour votre sécurité. Tenez-vous à distance des gendarmes et des CRS. Refusez de participer aux patrouilles mixtes...".
Ce ne sont pas là des rodomontades. Les commandos OAS tirent sur les patrouilles , harcèlent les cantonnements. Un barrage est la cible d'un feu nourri qui fait un mort et trois blessés graves.
La situation est telle que les CRS se voient dotées d'un armement supplémentaire (fusils mitrailleurs, fusils lance-grenades) et que, pour certaines missions, on leur fournit l'appui d'engins blindés. Aussi tentent-elles à devenir tout autre chose que des unités de police mobile. Leurs hommes pour protéger leur vie, doivent s'adapter à la rapide ouverture du feu et au combat de rues. Les Européens, lorsqu'ils ne tirent pas sur eux, leur montre une hostilité d'ordinaire réservée aux troupes étrangères d'une armée d'occupation. Leur vie est quasi intenable. Elle le restera jusqu'au bout.
Car malgré l'arrestation des ex-généraux SALAN et JOUHAUD (la capture de ce dernier est l'œuvre d'une patrouille de CRS, lors d'un banal contrôle de routine) et malgré l'accord de cessez le feu du 19 mars, l'OAS n'a pas renoncé. Au contraire, le durcissement de son action est tel que les autorités doivent faire cloisonner ALGER. Dans les grandes villes, c'est la folie destructive, la politique de la terre brûlée, le plasticage des édifices publics. Les forces de l'ordre reçoivent pour instructions d'appliquer les plans de défense et de protéger les bâtiments par tous les moyens.
Les CRS sont partout sur la brèche. C'est une véritable guerre. A ORAN, notamment, les quartiers d’Européens sont des retranchement d'ennemis. Les CRS ne peuvent y progresser qu'à l'abri des engins blindés. La compagnie qui garde la nouvelle préfecture est chaque fois harcelée par de violentes rafales de fusils mitrailleurs. Les cantonnements des unités sont attaqués au mortier ; Les patrouilles tombent dans des embuscades. A ORAN, le 12 avril 1962, une section de la CRS 34 est clouée au sol par le feu violent d'un commando OAS. Le lieutenant CHEZEAUD, le brigadier ROBVIEUX et le gardien CHOMBEZ sont tués, deux gardiens sont blessés. Les renforts qui arrivent sur les lieux sont également attaqués, le capitaine FICHOT et sept gardiens sont blessés.
Mais les Européens d'ALGERIE fuient, indifférents aux mots d'ordre de l'OAS. Ils se pressent dans les ports et sur les aéroports, où des CRS, cruelle ironie du sort, tentent de faciliter les opérations d'embarquement.
A la mi-juin tout est fini.
Cependant une incertitude plane quant au retour en FRANCE des CRS déplacées. Car les Algériens ont émis l'idée qu'ils pourraient rester après le 1er juillet pour permettre à leur nouvel Etat d'organiser sa police. Après quelques tractations, il ne sera pas donné suite à ce désir. Toutefois, 6 compagnies seront tout de même maintenues jusqu’au 1er septembre 1962 pour assurer la protection de diverses résidences et la sécurité des services de l'ambassade et de la cité administrative de ROCHER NOIR.
Ainsi les CRS ont été pendant plus de 10 années (d'avril 1952 à septembre 1962) présents en ALGÉRIE. D'un bout à l'autre de l'ALGERIE, d'un bout à l'autre du conflit.
Bien qu'elles n'aient pas pesé très lourdement sur le cours de l'histoire en raison de leurs moyens relativement limités, elles en ont ressenti les soubresauts avec autant d'acuité que bien d'autres unités engagées.
Souvent chargées d'impossibles missions, parfois tiraillées entre les autorités civiles et militaires, coincées entre les deux communautés pour les empêcher de s'entre égorger, elles ont payé au drame algérien leur tribut de souffrances et le prix du sang et ont vécu là-bas la plus dure expérience de leur jeune existence.
Enfin, elles n'y ont gagné rien d'autre que la satisfaction du devoir accompli. Elles n'ont même pas conservé les 19 compagnies créées en ALGERIE. Celles-ci ont été dissoutes le 28 Octobre 1963.
http://polices.mobiles.free.fr/Algerie/dans_Aures.htm
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Rédigé le 23/02/2023 à 17:32 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
La guerre d'Algérie a été une période charnière dans l'emploi des CRS. De 1952 à 1962, des milliers de fonctionnaires de police ont traversé la Méditerranée pour faire respecter l'ordre républicain. Ces policiers ont payé leur engagement au prix fort, comptant de nombreux tués et blessés dans leurs rangs. Sous le commandement d'un chef d'exception, Henri Mir, ils ont accompli leur mission dans la droite ligne du gouvernement légal de Paris et ceci, malgré les pressions des différents camps. Aux heures les plus sombres de cette période, ils ont su s'opposer aux militaires pour conserver aux compagnies républicaines de sécurité leur vocation de force civile. Leur sang-froid, leur circonspection et leur respect de toutes les communautés qui se sont si douloureusement affrontées ont été reconnus de tous, y compris des plus hautes autorités civiles et religieuses. Pour la première fois, les relations souvent tumultueuses entre les hommes politiques, les militaires putschistes, les officiers de l'armée et les CRS sont dévoilées dans ce livre à partir d'archives confidentielles et secrètes jamais publiées.
https://www.fnac.com/a2806402/Jean-Louis-Courtois-Les-CRS-en-Algerie-1952-1962
À lire :
http://amicale-police-patrimoine.fr/Tenue%20CRS%20Algerie%20.html
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Rédigé le 23/02/2023 à 15:18 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
L'historien et militant de la cause nationale, feu Mohamed Guenanèche, compagnon de route de Messali Hadj, ne se lassait jamais de raconter cette anecdote qui donne un aperçu de l'admirable esprit de résistance qui a animé, sa vie durant, le père du nationalisme algérien. Alors qu'ils étaient tous les deux emprisonnés au pénitencier de Tazoult (ex-Lambèse) près de Batna, entre mars 1941 et avril 1943, Messali Hadj étonna son camarade de détention en lui demandant un jour s'il ne connaissait pas quelques couplets de haouzi.
Enseignant de langue arabe dans sa prime jeunesse, Guenanèche était rompu à la pratique de la vieille poésie populaire de Tlemcen et répondit par l'affirmative. «À partir de demain, nous allons commencer à chanter pour fortifier notre moral» ! décida alors Messali. Le directeur de la prison de Lambèse fut réveillé, dès le lendemain (et pour un certain temps !) par les belles mélopées qui provenaient des cellules du lugubre centre pénitentiaire et s'empressa de demander à ses subordonnés de bien vérifier si ces ritournelles n'appelaient pas à la sédition.
«Ce «moûl el-khalya» (cet homme des «catastrophes»), je ne l'ai connu que dans les cachots» ! confiait Mohamed Guenanèche, avec sa causticité coutumière, sous laquelle il cachait la grande complicité qui l'unissait à ses frères de lutte. «Messali Hadj impressionnait même ses geôliers. Entre la prison, l'assignation à résidence, la résidence surveillée, il a vécu une trentaine d'années, enfermé».
Dans son livre «Une vie partagée avec mon père, Messali Hadj», Djanina Messali-Benkalfat raconte qu'«au parloir de la prison de Lambèse, on voyait mon père arriver traînant ses chaînes aux pieds entravés. Puis, devant nous, il s'arrêtait, s'accrochant aux grilles pour supporter les chaînes de ses mains. Ma mère lui attrapait les doigts à travers la grille, elle le regardait fixement et captait son attention en lui donnant des informations sur l'actualité, sur la guerre, sur le parti, sur la famille, les yeux de mon père commençaient à briller au milieu de son visage émacié par la maigreur». Pour l'avocat Zine El-Abidine Kahaouadji, qui est intervenu lors du colloque de «réhabilitation» de Messali Hadj, organisé en mars 2001 à Tlemcen, «Messali a été emprisonné dans des conditions inhumaines mais n'a jamais été rongé par le sentiment d'abattement, il a toujours résisté. Ce personnage hors normes a vécu, de tout temps, dans la précarité, n'a jamais eu de ressources financières stables. Il était issu d'une famille pauvre, n'a possédé aucune maison personnelle, ni en Algérie ni en France. Son unique patrimoine matériel, qu'il léguera à ses enfants, sera un petit lopin de terre d'une superficie de 435 m² environ, situé à Saf Saf, dans les environs de Tlemcen, qu'il a lui-même hérité de son père. Il rédigeait ses discours sur une valise qui lui servait de bureau, une valise qui était le symbole de «l'éternel déplacé» qu'il aura été, une bonne partie de sa vie. Le petit peuple de l'Algérie combattante s'est reconnu en cet homme qu'évitaient, par contre, comme le diable, la petite bourgeoisie naissante et la bourgeoisie alliée aux colons. Ce n'était pas une mince affaire de construire l'idée de l'indépendance à un moment où personne n'y croyait».
Maître Kahaouadji avance une hypothèse originale selon laquelle Messali Hadj aurait souffert de ce que les psychologues appellent le «syndrome du prisonnier». «Cette sorte de distorsion du discernement l'aurait rendu suspicieux envers ses plus proches collaborateurs, en plus du fait que les données qui lui parvenaient, durant ses phases de détention, sur la période prérévolutionnaire, étaient incomplètes. Tout cela expliquerait sa position (non encore élucidée) au sujet du 1er Novembre 1954. Cette hypothèse, en tout cas, permet d'écarter les condamnations sans appel».
par Amine Bouali
Jeudi 23 février 2023
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5319059
Messali Hadj
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Rédigé le 23/02/2023 à 09:12 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Pour Patrick Bruel, un rêve s’est réalisé en Algérie. Pour Enrico Macias, l’Algérie reste une destination interdite. Le rapport de ces deux juifs d’origine algérienne avec leur pays natal illustre ce que les autorités algériennes pardonnent – et ne pardonnent pas.
La première dans sa ville natale, Tlemcen, où il n’est jamais revenu depuis qu’il l’a quittée en 1962, à l’âge de 3 ans, à la fin de la guerre pour l’indépendance.
Pour la seconde étape, il a fait un crochet à Oran, la grande métropole de l’ouest, capitale du raï et de l’insouciance, la ville natale d’Yves Saint-Laurent, et aussi la ville qu’Albert Camus a choisie comme théâtre pour son roman le plus dur, La Peste.
À Oran, selon l’écrivain Kamel Daoud, Patrick Bruel, qui était accompagné de sa mère, est allé voir la maison de son père (ses parents sont séparés) et a fait escale chez Disco-Maghreb, label mythique de la musique raï et destination devenue incontournable depuis que le président français Emmanuel Macron s’y est rendu lors de sa visite de réconciliation avec l’Algérie, en août 2022.
Enfin, pour clore ce périple, Patrick Bruel est passé à Alger, capitale du pays, un peu pour officialiser sa visite, et pour bien signifier que le séjour ne se passait pas en catimini, mais qu’il avait lieu au vu et au su de tous.
Car, toujours selon l’écrivain Kamel Daoud, cette visite était « soutenue par la présidence algérienne ». C’est l’ambassadeur d’Algérie en France, Saïd Moussi, qui l’a initiée.
La visite de Patrick Bruel était surtout destinée à permettre à sa mère, Augusta, âgée de 87 ans, de voir, peut-être une dernière fois, la terre de ses ancêtres.
Juive originaire d’Algérie, d’origine plutôt modeste, sans ancrage politique précis, celle-ci avait quitté le pays en 1962.
Elle faisait partie de ces milliers de juifs qui, à la faveur du décret Crémieux (lequel a accordé, en 1870, la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, tout en maintenant le statut de sujets français pour les musulmans), s’étaient francisés, et avec la guerre d’Algérie, avaient fini par se convaincre qu’ils avaient plus d’affinités avec les Français, catholiques, laïcs ou athées, qu’avec les musulmans avec lesquels ils avaient cohabité pendant des siècles.
La visite de Patrick Bruel s’est passée dans d’excellentes conditions, malgré une timide polémique qui l’a accompagnée.
L’artiste lui-même, qui a habilement romancé son séjour, l’a présenté comme un rêve qui se concrétisait : à l’été 2022, il avait composé une chanson, « Je reviens », où il parlait d’un rêve, accompagner sa mère à Tlemcen, et quelques mois plus tard, le rêve est devenu réalité.
Un vrai conte de fées, donc, que n’a pas réellement dérangé la protestation d’Abderrazak Makri, président du MSP (opposition, frères musulmans). Celui-ci a dénoncé la visite d’un personnage qui « soutient l’occupation israélienne » en Palestine, participe à des « collectes de fonds au profit de l’armée israélienne », défend les implantations de colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, et s’affiche comme proche du « semeur de discorde » Bernard-Henry Lévy.
Tout ceci a poussé Abderrazak Makri « à dire et à répéter qu’il y a des lobbies puissants et influents au sein de l’État et de la société algérienne qui travaillent au profit de l’occupant [israélien] ».
Il a donc appelé « les autorités à mener une enquête » pour faire la lumière sur « ce scandale », et « punir ceux qui ont organisé cette visite et ceux qui ont fêté » l’artiste français.
Son appel n’a cependant pas eu d’écho. Sa protestation est restée circonscrite à quelques cercles d’initiés dans les réseaux sociaux, sans impact sur le reste de la société. Ce qui a permis à Patrick Bruel de faire un récit dithyrambique de son voyage.
Dans un registre totalement différent, Enrico Macias, lui aussi juif né en Algérie et star de la chanson française, répète depuis des décennies que l’un de ses plus grands souhaits serait de pouvoir se rendre dans le pays qui l’a vu naître.
À bientôt 85 ans, il n’a jamais réussi à accomplir ce voyage ni à mettre les pieds dans sa ville natale, Constantine, depuis qu’il l’a quittée à l’indépendance de l’Algérie.
Faisant feu de tout bois, il a affirmé avoir été invité par le défunt président Abdelaziz Bouteflika.
Il avait même été annoncé comme membre de la délégation qui devait accompagner l’ancien président Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci est venu en Algérie en 2007, faisant même escale à Constantine précisément. Mais Enrico Macias n’a pas fait partie du voyage.
Le chanteur, de son vrai nom Gaston Ghrenassia, a aussi soufflé le chaud et le froid. Parallèlement à sa volonté de se rendre en Algérie, ce qu’il considère comme un droit naturel, il a multiplié les déclarations controversées et les provocations.
Il a ainsi déclaré que des « caciques » du Front de libération nationale (FLN, ex-parti du pouvoir), des islamistes et des conservateurs refusaient son retour en Algérie alors que de larges franges de la population algérienne souhaitaient le voir en concert en Algérie. Il a attribué cette décision des autorités algériennes tantôt au fait qu’il était juif, tantôt à son soutien à Israël.
Il a notamment défendu cette thèse dans une vidéo célèbre, face à l’avocate Gisèle Halimi, laquelle a réfuté l’idée qu’il était considéré indésirable en Algérie parce que juif.
L’avocate a affirmé « qu’aucun juif n’avait été refoulé d’un pays du Maghreb parce que juif » et a parlé d’une décision « politique » prise à l’égard d’Enrico Macias, sans donner davantage de précision. En fait, personne n’a brisé l’omerta entourant le chanteur.
Côté algérien, la ligne de conduite est simple : seules sont considérées indésirables les personnes qui ont volontairement pris les armes contre le FLN-ALN pendant la guerre d’Algérie
Celui-ci a le même profil que Patrick Bruel : Algérien d’origine juive, artiste célèbre ayant quitté l’Algérie à l’indépendance. Pourquoi l’un est-il accueilli chaleureusement tandis que l’autre est considéré comme indésirable, malgré « une invitation officielle » du président Bouteflika, selon les propos de M. Macias ?
En fait, côté algérien, la ligne de conduite est simple : seules sont considérées indésirables les personnes qui ont volontairement pris les armes contre le FLN et son armée l’ALN pendant la guerre d’Algérie et celles qui ont, de notoriété publique, participé à des exactions contre les populations algériennes, selon des propos recueillis auprès d’un ancien ministre des Moudjahidine (anciens combattants).
Dans cette logique, des anciens colons, des agents de l’administration, des appelés du contingent et mêmes des anciens militaires non mêlés à des actes considérés comme répréhensibles ont ainsi pu séjourner en Algérie, indépendamment de leur confession ou de leur statut.
Patrick Bruel est un partisan résolu de l’État d’Israël. Il l’affiche publiquement, il participe régulièrement aux manifestations de soutien à l’armée israélienne, et ne s’en cache pas.
En revanche, il n’a pas d’histoire avec la guerre d’Algérie. Ni lui, ni sa mère. Ce qui tend à prouver que ni la confession ni l’opinion politique ne comptent pour les autorités algériennes quand il s’agit d’autoriser un pied-noir à se rendre en Algérie.
À l’inverse, Enrico Macias s’était volontairement enrôlé, selon des témoignages que j’ai pu recueillir, dans une milice coloniale, les Unités territoriales, pendant la guerre d’Algérie.
Il s’agissait de détachements de volontaires réservés aux Européens, contrairement aux harkas (formations de supplétifs réservées aux miliciens d’origine algérienne), qui avaient pour mission de combattre leurs propres compatriotes du FLN.
Comme il était déjà connu comme chanteur, et qu’il était le gendre de la grande star de la chanson constantinoise Raymond Leyris, l’appartenance d’Enrico Macias aux Unités territoriales ne pouvait passer inaperçue.
Ce qui est étonnant, c’est que, 60 ans après, ce fait n’est presque jamais évoqué publiquement en France.
Pourquoi ce silence ? Peut-être pour une raison inavouable : les fameuses Unités territoriales, qui ont commis beaucoup d’exactions à l’encontre de la population algérienne, étaient placées sous l’autorité du préfet. Et à Constantine, au moment où ces milices ont été mises sur pied, le préfet s’appelait Maurice Papon.
Rédigé le 23/02/2023 à 08:33 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Je viens de recevoir ce courriel et je remercie Maud CHAZEAU et Denis DOMMEL pour me faire l’honneur et me donner l’autorisation de mettre en ligne sur mon blog un aperçu du documentaire « Avant qu’il ne soit trop tard »
Michel Dandelot
Départ des soldats français de la 7e division mécanique rapide (7e DMR) à Marseille sur le paquebot "Ville d'Alger" à destination de l'Algérie, 30 mars 1956, en renfort pendant la guerre Rue des Archives/AGIP.
" Bonjour, voici le court documentaire dont je vous avais parlé, vous pouvez mettre le lien sur votre page.
Pour le documentaire complet, je vous recontacte à mon retour début mars.
Bien à vous, très bonne journée "
Voici la présentation de notre travail sur les appelés membres de la 4ACG tourné depuis près de 5 ans et actuellement en montage. Le film achevé devrait durer une centaine de minutes (ou 2x52).
Ceci est une version de travail provisoire et non définitive. Maud CHAZEAU et Denis DOMMEL
Rappelons-nous c'était le 28 septembre 2017 :
" Avant qu'il ne soit trop tard "...
Nouvel appel à témoigner sur la guerre d’Algérie
Nouveau projet de documentaire
Deux professionnels (l’une photographe et l’autre réalisateur) nous font part de leur projet de recueillir des témoignages, en vue éventuellement de la réalisation d’un documentaire sur la guerre d’Algérie, au nom du devoir de mémoire.
Vous trouverez ci-après l’exposé de leurs motivations et de leur projet.
Nous saluons cette initiative militante qui s’inscrit aussi dans notre souci de conserver la mémoire de l’action de la 4acg. Nous souhaitons que beaucoup d’entre vous répondent à leur appel à témoigner.
N’hésitez pas à en parler aux copains de votre région qui ne sont pas reliés à Internet.
Bonjour à tous,
Pour vous situer qui nous sommes et pourquoi nous entreprenons ce projet, voici en résumé comment nous en sommes arrivés là et nos motivations, en espérant que nous arriverons à vous convaincre d'y participer.
J'ai 38 ans et je suis photographe indépendant depuis plus de quinze ans.
Denis Dommel a 50 ans et il est réalisateur de documentaires depuis plus de vingt ans.
C'est moi qui ai eu l'envie de faire ce travail sur les adhérents de la 4ACG et qui ai proposé à Denis Dommel de m'accompagner dans sa réalisation.
Je n'ai aucun lien ou rapport familial ou autre avec la guerre d'indépendance d'Algérie. Nous ne sommes ni pieds-noirs, ni d'origine algérienne.
Mon père était trop jeune pour y participer, et mes grands-pères trop âgés. Je n'ai entendu parler de la guerre d'indépendance d'Algérie qu'au lycée dans les années 1990, où le sujet n'a été que survolé très rapidement. Mais déjà la question du tabou avait été soulevée par notre professeur d'histoire, comme pour justifier la brièveté de son enseignement sur ce sujet.
Mon seul rapport concret avec ce conflit fut que quand j'étais enfant, il arrivait que mon voisin raciste lorsqu'il était ivre, sorte devant sa maison et parle tout seul de la "guerre d'Algérie" qu'il avait faite, et "de ce qu'il leur avait mis aux bougnoules pendant la guerre", ce qui me faisait très peur et me choquait beaucoup.
Je suis, j'espère du moins, ou plutôt je tends à être pacifiste, antiraciste et humaniste.
Ce projet est né de ma rencontre avec Jean-Jacques Gastebois. Jean-Jacques est le père de mon compagnon. Jean-Jacques est la première personne directement concernée par ce sujet que j'ai entendu en parler en d'autres termes que les propos racistes que j'avais pu entendre avant.
J'ai été profondément émue de découvrir votre association.
Je pense que c'est une nécessité, et j'insiste sur ce mot, que votre démarche soit connue.
Cela peut être une nécessité pour vous d'en parler, mais cela est surtout une nécessité pour nous, de savoir.
Pour L'Histoire, et pour la fraternité, et pour le devoir de mémoire, qui est une forme de respect et qui a pour conséquence la réconciliation.
Pour nos enfants, pour nos amis, pour les Français en général, d'origine algérienne ou non. Pour la cohésion nationale, et pour la Justice.
Ce sont celles-là nos seules et uniques motivations.
Vous êtes les seuls qui soyez légitimes pour en parler.
Ne laissez pas l'Histoire se faire confisquer par le Front National.
Parce que c'est ce qui est en train de se passer.
Ce sont eux, et uniquement eux, que l'on entend s'exprimer sur ce sujet.
La parole de ceux qui ont participé à ce conflit, qui savent de quoi il en retourne vraiment et qui le regrettent, c'est vous et on ne vous entend pas.
Je pense que c'est vital qu'on vous entende. Et que votre parole et votre mémoire soit conservées.
C'est ce travail d'enregistrement et de conservation mémorielle historique que nous vous proposons de faire.
Parce que c'est notre devoir. Et nous, en tant que citoyens, avons besoin de vous.
Et le temps passe... et hélas très malheureusement d'ici quelques années ce travail deviendra impossible à faire à cause de la disparition des témoins.
Nous n'avons aucun intérêt financier à vous proposer de faire cela.
Nous n'avons aucun financement, aucune commande de qui que ce soit, aucune perspective de rentabilité.
Nous sommes des professionnels et travaillons par ailleurs pour gagner nos vies sur des sujets beaucoup plus mercantiles, mais c'est mener à bien ce genre de projets qui donne du sens à nos existences.
C'est une initiative personnelle militante.
J'ai bien conscience de toutes les difficultés que cela peut représenter pour vous. Nous n'attendons pas de vous un discours convenu.
Quoi que vous disiez cela sera pris et gardé.
Vous pourrez rester anonyme si vous le préférez.
Tout ce qui compte c'est ce que vous avez à dire. Nous espérons que nous pourrons diffuser ce travail, et le plus largement possible, mais nous ne savons pas quand cela arrivera, peut-être que cela n'arrivera que dans plusieurs années, nous n'en savons rien : tout ce que nous voulons c'est avant tout conserver votre mémoire.
Quand le moment sera venu, et nous travaillerons aussi à ce que ce moment arrive le plus vite possible, ce que vous avez à dire pourra être dit parce que nous l'aurons conservé.
Si vous êtes volontaires pour contribuer à l'élaboration de ce projet par l'apport de votre témoignage vous pouvez nous transmettre vos coordonnées afin de convenir d'un rendez-vous.
Merci à tous par avance.
Maud CHAZEAU
PHOTOGRAPHE
Denis DOMMEL
REALISATEUR
http://www.micheldandelot1.com/
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Rédigé le 22/02/2023 à 14:50 | Lien permanent | Commentaires (0)
La soirée d’hommage à Sadek Hadjerès annulée au Centre Culturel Algérien se tient à l’Ecole normale supérieure le 28 février 2023. Elle est organisée par le Maghreb des films, l’Association Josette et Maurice Audin et l’association Histoire coloniale et postcoloniale, avec le soutien de La contemporaine, de Virtuel production et des Cahiers d’histoire. Sadek Hadjerès, mort à Paris en novembre 2022, était né en Kabylie en 1928. Il a été jusqu’en 1962 un militant de l’indépendance algérienne, au sein du Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD), puis du Parti communiste algérien (PCA), et, après l’indépendance, un combattant des droits sociaux et des libertés en Algérie. Contraint à la clandestinité de 1965 à 1988, il a été un opposant résolu aux dérives antidémocratiques du pouvoir militaire.
La soirée d’hommage à Sadek Hadjerès annulée au Centre Culturel Algérien se tient à l’Ecole normale supérieure le 28 février 2023 (ENS, 29, rue d’Ulm, 75005 Paris, salle Jean Jaurès). Avec la projection d’extraits d’entretiens et d’interventions de Sadek Hadjerès et une table ronde avec Malika Rahal, Alain Ruscio, Ali Guenoun et Gilles Manceron, historien(ne)s, Michèle Audin, fille de Maurice Audin et autrice de Une vie brève (Gallimard, 2012), et Aliki Papadomichelaki-Hadjerès.
Elle est organisée par le Maghreb des films, l’Association Josette et Maurice Audin et l’association Histoire coloniale et postcoloniale, avec le soutien de La contemporaine, de Virtuel production et des Cahiers d’histoire. Elle sera entièrement filmée par le réalisateur François Demerliac.
Mise à jour du texte ci-dessous de Gilles Manceron le 18 février 2019, suite aux précisions apportées par Mohamed Rebah et Sadek Hadjerès.
Avant l’adhésion de Sadek Hadjerès au PCA en 1951, son premier engagement avait été, en 1944, à l’âge de 16 ans, au PPA/MTLD [1]. En 1949, il avait été exclu de ce parti pour avoir voulu, avec deux autres militants, poser en termes politiques la question de la nation algérienne et du nécessaire pluralisme en son sein [2]. A la fois du pluralisme ethno-linguistique — prenant en compte en particulier l’existence du fait minoritaire berbère au sein de la nation algérienne — ; et du pluralisme politique — tenant compte de l’existence de partis ou de courants distincts au sein du mouvement national algérien [3].
Avant le début des années 1950, les rencontres de Sadek Hadjerès avec des militants communistes d’origine européenne l’avaient dissuadé d’adhérer au PCA. Alain Ruscio, dans son ouvrage, Les communistes et l’Algérie, des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962 (éditions La Découverte, février 2019), relève que, pour ce jeune lycéen puis étudiant en médecine, le discours sur la société algérienne des communistes d’origine européenne, très majoritaires alors dans le PCA, affirmant que l’Algérie ne pourrait jamais être indépendante, l’en avait tenu éloigné, lui qui était persuadé de l’existence d’une nation algérienne et de l’aspiration à l’indépendance d’un nombre important de ses habitants :
Dans ses Mémoires, Sadek Hadjerès raconte cette anecdote. En 1943 (il est alors jeune militant du PPA), il engage le débat avec un militant, Gachelin « un des Européens communistes les plus sympathiques et les plus actifs du village ». Pourquoi, lui demande-t-il, parais-tu « si tiède envers la revendication d’indépendance ? ». Gachelin rétorque : « Ëtes-vous sûrs que l’indépendance est une bonne chose pour vous ? Vous auriez plus de liberté avec une France socialiste. Dans tous les cas, vous, les musulmans, vous n’y arriverez jamais. — Mais pourquoi donc ? — Parce que vos femmes sont voilées ! » Derrière cet échange se cachait un véritable choc des cultures : même ce « communiste actif et sympathique » ne pouvait jamais imaginer une sortie de la situation coloniale à l’initiative des musulmans, soit de neuf Algériens sur dix… Combien étaient-ils, les militants européens d’Algérie dans ce cas ? [4] »
Une évolution s’est dessinée néanmoins à partir de 1947 au sein du PCA, avec l’adoption à son 4e congrès d’un rapport du premier secrétaire, Larbi Bouhali, qui proposait de « transformer l’Algérie de colonie qu’elle est en pays libre » et de former pour cela un « Front national démocratique algérien, pour la liberté, la terre et le pain [5] ». Cette évolution s’est poursuivie lors du 5e congrès, du 26 au 29 mai 1949, qui a lancé un Appel au peuple algérien [6], et surtout du 6e congrès, du 21 au 23 février 1952, qui a adopté un rapport intitulé « Action unie sur le sol national pour une Algérie libre et indépendante [7] », où l’objectif de l’indépendance est clairement désigné [8].
C’est cet infléchissement de l’orientation politique du PCA qui a fait qu’en 1951, Sadek Hadjerès a adhéré à ce parti. Il avait alors commencé des études de médecine à Alger et était devenu en 1950 le président de l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN), dont le siège, le foyer d’étudiants de La Robertsau, dans les hauts d’Alger, au Telemly, était le lieu de nombreux débats très ouverts sur l’avenir de l’Algérie et sur les problèmes internationaux. Au sein du PCA, il a pris rapidement des responsabilités : élu à son comité central en 1952, il l’a été, en 1955, à son bureau politique et à son secrétariat.
C’est le moment où un Front algérien pour la défense et le respect des libertés (FADRL) est constitué entre les Ouléma [9], l’UDMA [10], le PPA/MTLD et le PCA. Son assemblée constitutive a lieu le 5 août 1951 au cinéma Donyazad à Alger, rue de Constantine (aujourd’hui rue Abane Ramdane), en bas de la Casbah. Sadek Hadjerès y a assisté et se souvient de l’enthousiasme suscité par les déclarations des orateurs en faveur d’une Algérie libre du joug colonial où tous ses habitants auraient leur place. Le plus éloquent à défendre cette idée étant le représentant des Ouléma, Larbi Tebessi, qui déclara : « Ce Front ne demande à personne s’il est musulman, chrétien ou juif. Il ne lui demande que ceci : es-tu décidé à lutter pour le droit et à combattre pour la liberté ?… Nous ne faisons pas de différence entre Algériens de naissance et de cœur. Nous ne faisons pas différence entre Fatima et Marie [11]… »
Le PCA, persistant dans sa volonté d’unité avec les trois courants nationalistes, a participé avec eux à l’été 1953 aux obsèques des victimes de la répression meurtrière du 14 juillet 1953, à Paris, place de la Nation, du cortège du PPA/MTLD, après le transport de leurs corps depuis la France dans leurs différents villages d’origine [12]. Le 12 novembre 1953, il a publié dans son journal Liberté un appel solennel pour un « Front national démocratique algérien [13] ».
Cet appel à la lutte pour l’indépendance et cette volonté d’unité avec les Ouléma, l’UDMA et le PPA/MTLD a provoqué le ralliement au PCA de toute une génération de jeunes militants algériens, dont certains ont d’abord milité au sein de l’Union de la jeunesse démocratique d’Algérie (UJDA) [14] — tels Ahmed Khellef, Ahmed Akkache, William Sportisse, Nour Eddine Rebah ou Mustapha Saadoun — et d’autres ne sont pas passés par l’UJDA, comme l’étudiant en médecine Mohammed (Abdelhamid) Gherab, membre du bureau de l’AEMAN, ou Boualem Khalfa, Abdelhamid Benzine, Hamou Kraba et Abdelkader Guerroudj, provenant de plusieurs régions d’Algérie. Tous participeront ensuite à la guerre d’indépendance algérienne. Mais, comme l’a expliqué en 2009 un autre membre de la direction d’alors du PCA, Ahmed Akkache : « Les communistes, qui n’avancent que lentement dans leur politique d’algérianisation, pourtant recommandée depuis longtemps par le Komintern [15], sont paralysés par les pesanteurs de la composante européenne de leur parti, en majorité réticente à l’égard de l’idée de nation algérienne et d’indépendance [16] ». Il faut compter aussi sur le poids de l’influence du PCF, dont le PCA a longtemps été formellement la structure locale en Algérie, car le parti français avait tendance à estimer que c’était à ses propres instances — notamment via les délégués successifs qu’il envoyait dans ce territoire comme « instructeurs » auprès des communistes algériens — de fixer l’orientation politique des communistes en Algérie, et cette orientation était subordonnée aux choix politiques du PCF pour la France.
Le déclenchement de l’insurrection par le FLN a créé cependant une situation nouvelle qui a eu des répercussions décisives au sein du PCA. Au lendemain du 1er novembre 1954, à son secrétariat, siégeaient avec Hadjerès : Larbi Bouhali, Bachir Hadj Ali, Paul Caballero, Ahmed Akkache et André Moine [17]. Les militants de ce parti d’origine autochtone, Larbi Bouhali, Bachir Hadj Ali, Ahmed Akkache et Sadek Hadjerès, ainsi que Paul Caballero, né en Algérie dans une famille d’origine européenne, étaient favorables à ce que le PCA s’y engage pleinement. Hadjerès et Hadj Ali avaient, avant même le déclenchement de l’insurrection, noué des contacts avec certains de ceux qui la préparaient, tel Omar Ouamrane, qu’ils ont rencontré, en compagnie de Larbi Ben M’hidi, en juin 1954 dans le restaurant, rue Auber, à Alger, de Akli Saïd, qui préparait avec Omar Ouamrane l’intendance des premiers maquis FLN de Kabylie [18]. A la veille du 1er novembre 1954, ils s’étaient rendus en Kabylie et avaient compris ce qui se préparait. Au lendemain de l’insurrection, sur le trajet de retour vers Alger, Sadek Hadjerès se souvient que Bachir Hadj Ali ne cessait de répéter : « Pourvu que ça tienne… pourvu que ça tienne ! » Leur opinion était partagée par la plupart des membres du bureau politique, qui a publié, dès le 2 novembre 1954, une déclaration entièrement consacrée à la dénonciation de la répression et soutenant les aspirations nationales des Algériens pour l’indépendance [19] — contrairement à sa prise de position, par exemple, au lendemain du 8 mai 1945 où il s’en était pris, en même temps que le PCF, aux nationalistes algériens accusés d’être responsables des violences.
Cette position du PCA était différente de celle prise le 8 novembre par le PCF, qui, quant à lui, continuait à s’en prendre, sans les nommer, aux actions des nationalistes algériens du FLN [20]. Alain Ruscio écrit : « On sait aujourd’hui que le parti algérien dépêcha d’urgence à Paris l’un de ses responsables les plus influents, Bachir Hadj Ali. Celui-ci aurait déconseillé la formule « recours à des actes individuels » à ses camarades français. Il aurait été reçu par Jeanette Vermeersch, écouté poliment, mais non invité à participer à la réunion du secrétariat qui suivit immédiatement et qui maintint la formule [21] ».
Dans ce contexte, explique Sadek Hadjerès, il s’est produit au cours de l’année 1955 une accélération du processus d’autonomisation du PCA par rapport au « grand frère » que constituait le PCF [22]. Un processus d’autonomisation qui — on l’a vu — avait commencé au début des années 1950, mais Sadek Hadjerès souligne qu’un tournant majeur a été opéré durant cette année 1955, quand le secrétariat du PCA a décidé qu’André Moine, qui apparaissait comme le délégué du PCF au sein du PCA, cesserait, en mars, d’être membre du secrétariat, puis, en mai, de siéger au bureau politique [23]. On lui reprochait notamment d’avoir contribué à faire échouer le rapprochement du PCA avec les Ouléma, l’UDMA et le PPA/MTLD, de 1952 à 1954, dans le cadre du « front algérien », en préconisant que le PCA se limite à transposer les journées d’action, uniquement sociales, décidées en France par le PCF et en s’opposant à ce qu’il qualifiait de « dérives nationalistes » du « front algérien » défendu par les autres membres du secrétariat. Il employait le terme de « provocation » au sujet du 1er novembre et de ses suites et s’était opposé à ce que le militant du PCA de Biskra, Maurice Laban, ami d’enfance de l’un des chefs du FLN, Mostefa Ben Boulaïd, rejoigne à sa demande les maquisards FLN dans l’Aurès [24].
[…]
[1] Le parti du peuple algérien (PPA) était le principal parti nationaliste d’Algérie, qui était la continuation de l’Etoile Nord-Africaine (ENA), fondée en 1925, dont les premiers dirigeants étaient Abdelkader Hadj Ali puis Messali Hadj, qui était membre du Front populaire puis interdit par celui-ci en 1937. De nouveau dissout en 1946, le PPA a continué son action sous le nom de Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). La plupart des fondateurs du FLN en 1954 en étaient issus.
[2] En 1948-49, trois jeunes membres du PPA-MTLD, Sadek Hadjerès, Mabrouk Belhocine et Yahia Henine, ont publié sous le pseudonyme collectif de « Idir El Watani » une brochure intitulée Vive l’Algérie qu’ils concevaient comme une base de discussion soumise à la direction et aux militants du parti. Rééditée par la revue Soual, n°6, en 1987, mise en ligne sur le site Socialgérie le 20 novembre 2009, le fac simile et le texte numérisé de cette brochure y sont téléchargeables.
[3] Sur les prémices de cette crise, voir : Sadek Hadjerès, Quand une nation s’éveille, Mémoires : tome 1 : 1928-1949, essai annoté et postfacé par Malika Rahal, Inas éditions, 2014, chapitre 11, « La crise éclate en milieu étudiant », pages 335 à 380. Voir aussi la thèse de Ali Guenoun, « Une conflictualité interne au nationalisme radical algérien : « la question berbére-kabyle » de la crise de 1949 à la lutte pour le pouvoir en 1962. », soutenue le 17 septembre 2015 à Paris 1.
[4] Voir Alain Ruscio, Les communistes et l’Algérie, des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962, éditions La Découverte, février 2019, p. 43.
[5] Larbi Bouhali, En avant pour une Algérie libre, unie et démocratique. Rapport au 4e congrès du PCA, 17-19 avril 1947, éditions Liberté, Alger, 1947, p. 9 à 22.
[6] Liberté, n° 312, du 2 juin 1949.
[7] Larbi Bouhali, Action unie sur le sol national pour une Algérie libre et indépendante. Rapport au 6e congrès du PCA, Hussein-Dey, 21-23 février 1952, éditions Liberté, Alger, 1952.
[8] Voir Alain Ruscio, « Le Parti communiste algérien, de l’après-Libération à la veille de la guerre d’indépendance, 1946-1954 », dans Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 140 | 2019, « Communisme en Algérie/Communisme algérien », p. 33-45.
[9] Les Ouléma sont un courant au sein de la société autochtone qui met surtout l’accent sur la référence à la religion musulmane et à la langue arabe.
[10] L’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) est un parti indépendantiste attaché à la participation aux élections et à l’action parlementaire, dirigé notamment par Ferhat Abbas et Ali Boumendjel.
[11] Sadek Hadjerès, Quand une nation s’éveille, Mémoires : tome 1 : 1928-1949, op. cit., p. 254-255. Larbi Tebessi (1891-1957) a été enlevé et tué par les militaires français en 1957 au cours de ce qu’on a appelé la « bataille d’Alger », son corps n’a jamais été retrouvé.
[12] Voir le film de Daniel Kupferstein, Les balles du 14 Juillet, et ses deux livres : Les balles du 14 Juillet. Le massacre policier oublié de nationalistes algériens à Paris, préface de Didier Daeninckx, La Découverte, 2017 ; et Filmer malgré l’oubli. Paris 14 juillet 1953. Répression des manifestants algériens, Ressouvenances, 2017.
[13] Voir le fac similé de cet appel dans : Hafid Khatib, 1er juillet 1956 : l’accord FLN-PCA et l’intégration des « Combattants de la libération » dans l’Armée de Libération Nationale en Algérie, Office des publications universitaires, Alger, 1991, p. 124-125.
[14] L’UJDA avait été créée le 17 février 1946 à Alger. Plusieurs de ses militants ont été arrêtés en 1952 pour avoir diffusé son appel en faveur de l’indépendance.
[15] Voir Alain Ruscio, op. cit., « Le PCF et la question coloniale (de 1920 à 1935) », p. 27 à 53.
[16] Ahmed Akkache, préface à : Mohamed Rebah, Des chemins et des hommes, Mille-Feuilles, Alger, 2009, p. 16.
[17] Respectivement les premier, deuxième, troisième, quatrième et cinquième secrétaires.
[18] Voir Jean Galland, En Algérie « du temps de la France », 1950-1955, Tirésias, 1998.
[19] Voir le fac similé de cette déclaration du PCA du 2 novembre 1954 publiée dans Liberté, dans : Hafid Khatib, op. cit., p. 127
[20] Le 8 novembre, le PCF déclare qu’il « ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n’étaient pas fomentés par eux ». Voir Alain Ruscio, op. cit., « Le PCF et la première année de l’insurrection nationale », pages 244 à 265. L’auteur montre que la position du PCF ne peut être réduite à ce membre de phrase qui lui a été souvent reproché, et qu’il retirera lui-même quand il reproduira ce texte dans ses livres. Il fait remarquer que le mot « indépendance » figurait à trois reprises dans un discours prononcé le 5 novembre par Jacques Duclos.
[21] Alain Ruscio, ibid.
[22] Voir Alain Ruscio, Les communistes et l’Algérie, op. cit., « Le PCA et les premiers temps de l’insurrection nationale », p. 266 à 279.
[23] Il y est remplacé par Boualem Khalfa. Il se consacrera, de janvier 1956 à janvier 1957, à la publication d’un journal destiné aux soldats français, La Voix des soldats. Voir Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « La Voix des soldats. Un réseau clandestin du Parti communiste algérien dans la guerre d’indépendance (1955-1957) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 140 | 2019, « Communisme en Algérie/Communisme algérien », p. 47-64.
[24] Serge Kastel, Le Maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre d’Algérie, 1956, préface de Henri Alleg, l’Harmattan, 1997, p. 78 à 85.
publié le 20 février 2023 (modifié le 22 février 2023)
https://histoirecoloniale.net/Soiree-d-hommage-a-Sadek-Hadjeres-a-Paris-le-28-fevrier-2023-a-l-Ecole-normale.html
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Rédigé le 22/02/2023 à 14:07 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Si la fin de la bataille de Stalingrad, le 2 février 1943, reste aujourd’hui le symbole le plus marquant du tournant de la Seconde Guerre mondiale, la guerre connaît en réalité le même mois des renversements moins spectaculaires, mais tout aussi parlants sur le front du Pacifique et en Afrique du Nord. Si des signes évidents de faiblesse étaient apparus dès 1942, c’est bien durant ces quelques semaines que la défaite des forces de l’Axe, encore longue à venir, devient une certitude.
Après l’invasion de la Pologne, en septembre 1939, par l’Allemagne nazie et l’URSS, et le printemps 1940 qui voit la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France capituler en moins de deux mois face aux armées d’Hitler, les forces de l’Axe Rome-Berlin plongent l’Europe dans la sidération. Dans les mois qui suivent, la conquête des Balkans, commencée par l’Italie en septembre 1938 avec l’occupation de l’Albanie, semble tout aussi inexorable.
Hongrie, Roumanie et Slovaquie rejoignent les forces de l’Axe à l’automne. Profitant du chaos, l’URSS poursuit son avancée à l’Est de l’Europe par l’annexion des États baltes et de la Bessarabie, province orientale de la Roumanie. Les États-Unis gardent leurs distances et l’Angleterre, qui a dû rapatrier ses troupes en catastrophe depuis Dunkerque en juin 1940, semble seule capable encore de tenir tête aux nazis. À l’issue de trois mois de duels ininterrompus entre la Royal Air Force et la Luftwaffe, la bataille d’Angleterre met fin à la suprématie aérienne de l'Allemagne, ouvrant ainsi la voie à des bombardements massifs de son territoire.
L’année 1941 voit le conflit - jusque là circonscrit à l’Europe, ses possessions d’Afrique du Nord, de l’Est et du Proche-Orient - se changer en une guerre mondiale. Les victoires en Yougoslavie et en Grèce, avec l’alliance nouvelle de la Bulgarie et le ralliement d’un régime fantoche en Croatie, achèvent l’expansion continentale nazie. Il n’y a plus en Europe que quelques pays neutres, souvent complaisants avec les forces de l’Axe, comme l’Espagne et le Portugal. En juin, Hitler, soutenu par son nouvel allié finlandais, envahit l’URSS. Rien ne semble devoir l’arrêter.
Le 5 décembre 1941 cependant, alors que la température à Moscou est descendue à - 37 °C, Hitler doit arrêter l’offensive en URSS et les troupes de Staline reprennent l’initiative. Deux jours plus tard, l’attaque des Japonais à Pearl Harbor oblige les États-Unis à entrer dans le conflit. La guerre s’étend désormais aux colonies françaises d’Indochine et à l’océan Pacifique. Sa démesure va bientôt se retourner contre ceux qui l’ont déclenchée.
L’année 1942 voit le monde plonger dans la « guerre totale » qui sera officiellement proclamée par Hitler au début de l’année suivante. En janvier 1942, les nazis décident à Wannsee de la « solution finale » : la déportation et l’assassinat des populations juives deviennent une industrie génocidaire, en réalité mise en œuvre dès 1941. En février, la forteresse britannique de Singapour, réputée imprenable, tombe aux mains des Japonais. En mars, la Royal Air Force bombarde Paris pour la première fois.
Au printemps, les forces de l’Axe reprennent leur offensive en URSS et en Afrique du Nord. En juin, les Américains remportent la première grande victoire alliée à Midway, dans le Pacifique. À l’automne, les Britanniques stoppent l’avancée des troupes de l’Axe en Égypte après la première bataille d’El-Alamein. En novembre, les Alliés débarquent en Algérie. La zone libre est occupée par les Allemands et la flotte française se saborde à Toulon. Si la toute puissance des forces de l’Axe commence à se fissurer, leur pouvoir en Europe semble se consolider.
Le 2 février 1943, cependant, après six mois de combat et malgré l’ordre d’Hitler de combattre jusqu’à la mort, le Feldmarschall Von Paulus et son état-major sont capturés et donnent l’ordre de capituler aux troupes allemandes, à Stalingrad, en URSS. Les pertes totales, en incluant les civils, les blessés et les prisonniers des deux camps, s’élèvent à deux millions de personnes. L’obstination du Führer commence à créer des dissensions dans la haute hiérarchie allemande. Hongrois, Finlandais et Roumains, ainsi que de hauts dignitaires fascistes italiens, commencent à envisager leur sortie de la guerre. Les nazis perdent, en outre, tout espoir d’accès au pétrole du Caucase.
En août 1942, les Américains ont débarqué sur l’île de Guadalcanal, dans l'océan Pacifique. Durant six mois, l’île fait l’objet de combats aériens pratiquement quotidiens, auxquels s’ajoutent trois grandes batailles terrestres et sept navales. Le 7 février, les Japonais se retirent de ce qui avait symbolisé le point culminant de leur avancée dans le Pacifique en mai 1942. Si les pertes sont sans comparaison avec les combats livrés en Union Soviétique, cette longue campagne marque la fin des opérations défensives des Alliés et le début de la reconquête.
En octobre-novembre 1942, la seconde bataille d’El-Alamein s’est soldée par une victoire de la 8e Armée britannique sur l’Afrika Korps d’Erwin Rommel désormais sur la défensive. « Ce n'est pas la fin, s’écrie alors le premier ministre Winston Churchill. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais, c'est peut-être la fin du commencement. » Le 19 février 1943, Rommel lance en Tunisie sa dernière offensive. La bataille de Kasserine révèle l’impréparation de l’armée américaine, mais aussi sa capacité à renouveler hommes et matériels malgré de lourdes pertes. Les Allemands s'avèrent incapables de reprendre longtemps l’avantage et, le mois suivant, Rommel part pour Berlin, convaincu que la guerre en Afrique du Nord est déjà perdue. Il est relevé de ses fonctions.
La guerre dure encore deux ans et demi, avant la capitulation du Japon le 2 septembre 1945. L’Allemagne nazie reprendra encore quelquefois l’initiative, comme pendant la bataille de Koursk à l’été 1943 et jusqu’à l’hiver 1944 dans les Ardennes. Elle mettra au point des armes extrêmement novatrices, comme les missiles V1 et V2, et mènera des recherches sur l'arme atomique. Cependant, malgré la violence et la démesure des combats qui vont se dérouler, et bien qu'une majeure partie des victimes de la Shoah, des bombardements et des massacres de civils soient encore à venir, dès le mois de février 1943, les acteurs et les témoins les plus lucides de la guerre en devinent déjà l’inéluctable issue.
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Rédigé le 21/02/2023 à 15:13 dans Souvenirs | Lien permanent | Commentaires (0)
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