EN Ce jour du 6 février 1956, ALGER attend le Président Guy MOLLET.
La grève générale, les magasins fermés, les vitrines barrées de crêpe noir en signe de deuil. Le président vient à ALGER pour installer le nouveau Gouverneur, le général CATROUX. ALGER n'en veut pas. La foule "bouillonne", le 2 février, à l'occasion du départ de Jacques SOUSTELLE, elle s'est sentie, elle s'est trouvée. Le 4, des milliers d'anciens combattants sont allés fleurir le monument aux morts. Mais ce n'était là que répétition, aujourd'hui, on va voir ce qu'on va voir.
Pourtant, les autorités ont pris les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre : outre les 500 gardiens de la paix du corps urbain d'ALGER, 9000 soldats, une centaine de gendarmes, et 11 compagnies républicaines de sécurité (C.R.S) venues de Métropole.
Une gigantesque "bronca" accueille le Président. Tandis que celui-ci dépose une gerbe au monument aux morts, des échauffourées éclatent entre la foule et les C.R.S. Ceux-ci tiennent les points névralgiques ( le monument, le palais d'été) les œufs, les tomates, les pièces de monnaie, les pierres, les grenades lacrymogènes pleuvent, les huées jaillissent : "MOLLET à PARIS ... . CASTROUX au poteau ... C.R.S dans l'AURES". La police locale reste passive, goguenarde. Pour calmer la foule, les paras remplacent les CRS. Ceux-ci ont porté tout le poids des affrontements. Dès lors, ALGER les hait. Une féroce campagne de dénigrement doit être menée contre eux dans les jours qui suivent.
C'est la première fois que les CRS se heurtent à des Français d'ALGERIE qui leur crient "C.R.S dans l'AURES".
L'AURES, les CRS le connaissent déjà. Et depuis longtemps, depuis 1952, exactement, en effet, trois compagnies, venant de SANCERRE, de NANCY et de LANNEMEZAN ont débarqué en AVRIL 1952 à ALGER, ORAN et PHILIPPEVILLE. A l'époque, la demande de renforts exprimée par le gouverneur général pouvait surprendre. Mais des rumeurs courraient déjà sur une étrange activité dans les AURES, et il n'y avait alors que quelques milliers de soldats disponibles disséminés aux quatre coins de l'ALGERIE et une police confinée dans les villes.
Ces unités qui ont parcouru en mai 1952 les départements algériens, sont allés de PHILIPPEVILLE à BATNA, ARRIS, TEBESSA, BISKRA, d'ALGER à FORT NATIONAL, TIZI OUZOU, DRA EL MIZAN, d'ORAN à NEMOURS, BENI SAF et SIDI BEL ABES, dans des " Tournées de prestige " destinées à montrer la présence de l'autorité de la FRANCE et à rassurer les populations de toutes les origines, que les manifestations nationalistes et divers incidents avaient plongées dans l'inquiétude.
A leur arrivée, les CRS ont été quelque peu surpris : habitués aux situations tendues, ils ont trouvé une atmosphère apparemment calme, accoutumés aux quolibets et aux injures ils ont été partout accueillis avec beaucoup d'égards et de sympathie.
Leur mission s'est bien déroulée. Les autorités ont découvert que ces unités, inconnues en ALGERIE peuvent parfaitement s'adapter à la conjoncture ALGERIENNE. Certaines ont même projeté la création en ALGERIE de formations semblables. C'était 1à, déjà, l'assurance qu'ils passeraient à nouveau la méditerranée.
Ils sont revenus, en effet. Trois autres unités ont sillonné les 3 départements ALGLERIENS de décembre 1952 à mars 1953, puis cinq autres en mai 1954. Celles-ci, placées sous les ordres d'un commandement de groupement opérationnel installé à ALGER étaient alors réparties tout au long des frontières Tunisiennes et Marocaines pour protéger des centres isolés et fournir quelques renseignements sur la situation.
Ils avaient fort à faire, car ils étaient alors pratiquement seuls, sauf quelques gendarmes, quelques douaniers, quelques agents des eaux et forêts. Des militaires, point ou presque pas : à peine 500 hommes de troupes disponibles dans le Constantinois. A partir de LA CALLE, TEBESSA et SOUK ARRAS à l'Est, de MARNIA, SEBDOU, PORT SAY, NEDROMA à l'Ouest, les CRS visitaient les communes mixtes et les douars, vérifiaient les identités, fouillaient les chargements des caravanes, surveillaient les marchés où le MTLD diffusait sa propagande, assuraient les escortes de protection aux agents de PTT, des Ponts et Chaussées, des Finances.
Leur mission était nouvelle mais harassante; ils parvenaient à appréhender quelques individus douteux, ils ne glanaient guère de renseignements car les populations étaient muettes. Leur présence pouvait certes intimider les éléments subversifs, mais ils disposaient de moyens insuffisants et manifestement inadaptés et vivaient le plus souvent, dans de petits postes isolés, une vie dont certains détails ne sont pas sans rappeler celle des Légionnaires de la Légende. Cependant, leur action était efficace, rassurante. La population les avait admis. L'apparition de groupes armés dans certains secteurs n’avait fait que confirmer la nécessité de leur présence. Celle-ci ne serait plus désormais épisodique mais continuelle. Et certainement pour longtemps.
"Un corps expéditionnaire"
L’explosion de la Toussaint Rouge de 1954 va déclencher le mouvement vers l'ALGERIE par air et par mer, d'un véritable corps expéditionnaire des CRS : 4 compagnies le 1er novembre puis 12 autres dans les jours suivants. Le 12 novembre, 20 compagnies, soit le 1/3 du corps, sont à pied d'œuvre. Un Etat major est implanté à ALGER et un groupement opérationnel dans chacun des 3 départements.
Les innombrables problèmes logistiques de cette arrivée massive sont rapidement résolus. Plus délicats sont ceux de l'emploi : l'ambiance est fiévreuse et les troubles ressemblaient plus à une insurrection armée qu'à de classiques mouvements sociaux. Pour éviter l'anarchie due à l'affolement, le commandement doit fixer le cadre des missions. Avec l'approbation du Directeur de la Sécurité Générale, celles-ci consisteront en des patrouilles dans les villes, des gardes statiques de points réputés sensibles, des barrages routiers pour la recherche de suspects et des patrouilles lointaines pour assurer la sûreté des itinéraires.
Ces missions, les CRS vont les assurer tout au long de l'année 1955. C'est alors l'époque où la guerre n'est pas considérée comme telle, où les soldats qui tombent ne peuvent obtenir la mention "morts pour la FRANCE", où la justice, lorsqu'il y a mort d'homme, fait procéder, comme pour un meurtre banal à des reconstitutions sur le terrain, voire à des autopsies. Et pourtant, le terrorisme s'amplifie. Le désarroi est grand. On envisage pour le juguler toutes sortes de mesures dont certaines sont stupéfiantes, tel le bouclage des AURÈS par les CRS.
Ceux-ci ne manquent d'ailleurs pas d'ouvrage, entre les gardes statiques épuisantes, les patrouilles, la surveillance des voies ferrées et des secteurs frontaliers. Mais ils sont trop peu nombreux. Et la rébellion gagne du terrain. L'application de l'état d'urgence n'a qu'une portée insuffisante en raison même de sa limitation à certains secteurs. Elle permettra cependant aux CRS d'agir dans le cadre de la plus stricte légalité.
Dès mai, l'emploi des unités, dont le nouveau gouverneur général, Jacques SOUSTELLE, a bien précisé qu'elles ne devaient être utilisées que sur ordre, prend une ampleur nouvelle. La CRS implantée à PHILIPPEVILLE est employée à COLLO et EL MILIA (qui sera attaquée le 10 par une bande rebelle). Trois compagnies quadrillent CONSTANTINE, une autre opère dans la région de KENCHELA ; la compagnie de BLIDA fait le coup de feu à BOU ARFA (1 CRS blessé - 3 rebelles tués - 7 prisonniers).
Opérations de police et escortes de protection se multiplient. Les secteurs de travail sont mieux répartis. L'organisation se fait peu à peu. Le 1er mai, le nouveau patron des CRS, en ALGERIE, le Colonel DE ROSNAY, prend son commandement.
Les premières victimes des fellaghas parmi les CRS se comptent le 20 août 1955, jour où les rebelles attaquent une quarantaine de villes du Constantinois. A l'entrée de SAINT CHARLES, une escorte est prise sous le feu rebelle ; son chef est tué. A PHILIPFEVILLE, troupes et CRS sont engagées pendant deux heures contre un groupe armé. HELIOPOLIS, investie par les Fellaghas, doit être dégagée par des CRS et des militaires de passage. A CONSTANTINE, enfin, deux CRS et la troupe attaquent un groupe de terroristes dans les gorges du RUMMEL et tuent 5 rebelles.
L'évolution de la situation en ALGERIE et les nécessités du maintien de l'ordre qui se manifestent alors en Métropole conduisent d'une part à un certain regroupement des CRS dans les grands centres urbains, d'autre part, à la diminution du nombre d'unités déplacées. C'est ainsi qu'à la fin de 1955, les CRS ont quitté les centres éloignés (TEBESSA, BATNA, SETIF), et ne comptent plus que 4 compagnies en ORANIE, 2 dans l'ALGÉROIS, 4 dans le CONSTANTINOIS.
Il n'est pas besoin de décrire longuement les événements du 13 mai 1958. Il suffit de préciser que les manifestations au Plateau des Glières et au Monument aux Morts n'étaient pas interdites. Des mesures pour assurer le maintien de l'ordre avaient certes été prévues par le colonel GODARD, commandant le secteur ALGER-SAHEL et, notamment, la constitution de groupements d’intervention composés de 4 CRS, de 5 escadrons de gendarmerie Mobile et de 2 compagnies du 3éme R.P.C. Mais il apparaît que l'investissement du Gouvernement Général par la foule est toléré, sinon favorisé par les responsables de l'ordre. Les instructions sont telles, en effet, que les C.R.S sont dans l'impossibilité totale d'intervenir.
Il en est de même à ORAN, où le Préfet est malmené par la foule, et à CONSTANTINE, où la section de garde à la préfecture est désarmée par les paras. Partout, les autorités civiles cèdent leurs pouvoirs aux militaires sans difficulté.
Cette période n'a pas manqué d'apporter mille avanies et humiliations aux CRS qui représentaient un gouvernement exécré. Aussi, vont-ils rester quelques temps dans une ombre relative, assurant les services habituels de surveillance et de protection, mais aussi la mission nouvelle qu'est la garde des centres d’hébergement à LEDI et à PAUL CAZELLES. Toutefois, nombre d'autorités militaires, conscientes de l'importance de leur rôle et de leur efficacité, ont tout fait pour leur faire oublier les variations subies dans les jours suivant le 13 mai. A CONSTANTINE notamment, les CRS étaient conviées à toutes les cérémonies. Le jour des adieux du Général GILLES, un détachement de CRS était placé entre ceux des parachutistes et de la Légion Étrangère.
Cependant, la rébellion ne désarme pas. Au contraire, et son extension caractérisée par des attentats en Métropole, amène à envisager la suppression de l'emploi des Compagnies Métropolitaines Outre Méditerranée. Ce sera chose faite le 3 octobre 1958.
Désormais, les 19 CRS organiques constituées en ALGÉRIE devront faire face seules aux multiples missions de maintien de l'ordre public.
Les C.R.S "Pieds Noirs"
Contrairement aux règles habituelles d'emploi des CRS, ces jeunes unités vont être, à de rares exceptions, utilisées dans leur ville de résidence et intégrées sans délai dans les dispositifs de quadrillage et de gardes statiques. Ainsi elles ne sont plus des réserves mobiles d'intervention et se trouvent dispersées en petits détachements dont l'utilisation est souvent déraisonnable, voire anarchique
En décembre, avec la nomination du Général CHALLE au poste de Commandant en chef des Forces en ALGERIE, on s'oriente vers une conception tactique nouvelle à base d'offensive. A cet effet, il est prévu de retirer du quadrillage les troupes nécessaires à la constitution de réserves générales opérationnelles pour combattre les " willayas " et de réaliser une infrastructure d'auto défense avec les Musulmans Francophiles.
Aussi pense-t-on aux CRS pour remplacer ces troupes sorties du quadrillage. Mais leur effectif étant trop faible, on propose de jumeler 10 compagnies deux à deux et d'adjoindre à chaque groupe ainsi obtenu environ 500 Harkis pour parvenir à l'effectif d'un gros bataillon. Mais les difficultés de tous ordres (transformation profonde des structures des CRS entre autres) fait que cette formule est abandonnée.
Au cours de cette année 1959, il est enfin admis que les CRS auront la responsabilité de quartiers dans leur ville d'affectation et ne devront plus être dispersées en multiples détachements pour accomplir des tâches dont beaucoup sont secondaires.
Cette utilisation va "geler" la presque totalité des effectifs. Aussi, pour les manifestations d'ALGER le 24 janvier 1960, le groupement central des CRS en est-il réduit aux expédients : la constitution de compagnies de marche avec des détachements prélevés à SETIF, BOUGIE, ORAN, MOSTAGANEM et AIN-TEMOUCHEN.
3 Compagnies arrivent donc à ALGER le 22 janvier 1960. La 4ème, tombée dans une embuscade du FLN près de BORDJ BOU ARRERIDJ, ne rejoint que le 23. ALGER est fiévreuse. Mais la mission confiée aux CRS (protection des bâtiments publics) exclut toute action sur la voie publique. Celle-ci est confiée à une dizaine d'escadrons de gendarmerie mobile.
Les CRS vont échapper ainsi à la sanglante fusillade du 24 janvier qui fera 14 morts et une centaine de blessés parmi leurs camarades de la Gendarmerie Mobile et qui marquera le début de la " semaine des barricades ".
Cette fameuse semaine a entraîné une nouvelle réorganisation des pouvoirs civils et militaires en ALGERIE. Le Préfet AUBERT a succédé au Colonel GODARD à la tête de la Sûreté Nationale à ALGER. Cela va permettre aux CRS algériennes de sortir enfin de l'immobilité qui leur était imposée. Le 12 mars 1960, 3 compagnies embarquent pour un déplacement en Métropole. Mais ce n'est là qu'une exception. L'emploi des unités reste source de difficultés, car les CRS ont une double subordination : elles dépendent hiérarchiquement des autorités civiles et, en ce qui concerne le maintien de l'ordre, des autorités militaires. Leur utilisation reste disparate, soumise aux contingences locales. Elle est parfois inadaptée : Il est certain, notamment, que la garde des camps d'internement de Paul Cazelles, Lodi et Bossuet devrait être assurée par des forces moins nécessaires au maintien de l'ordre.
Cependant, juin s'annonce houleux, on craint des troubles pour la commémoration de l'anniversaire du 18. En raison des faibles disponibilités des unités algériennes, il doit être fait appel de nouveau aux CRS Métropolitaines.
L'imposant service d'ordre mis sur pied (13 CRS et 25 escadrons de gendarmerie mobile) a un effet dissuasif. Au début juillet les 8 CRS déplacées regagnent la Métropole et les 5 algériennes leur ville de résidence.
" Soldats de la rue "
Pas pour longtemps. Dès novembre, le problème du maintien de l'ordre se pose à nouveau à ALGER. Le 2, les algérois, voient au Monument aux Morts du square Lafférière ce qu'ils n'avaient plus vu depuis 2 ans : le service d'ordre assuré par les CRS armés et casqués.
Ainsi les revoilà comme au 13 Mai.
"Vous souvenez-vous, Algérois, comment ce jour là, vous les avez traités ? Qu'attendez-vous pour recommencer ? dit un journaliste.
Le front pour l’ALGERIE Française s'agite en sous-main. Le 10 novembre au soir, 3 compagnies doivent intervenir contre les trublions. Pour le 11, le dispositif de sécurité est étoffé. Dès 9 heures, la foule est massée autour du périmètre interdit entre le Forum et le Boulevard CARNOT. Elle hue le cortège officiel. L'atmosphère est si tendue que la suite des cérémonies prévues est supprimée. Les CRS d'ALGERIE ne vont pas tarder à recevoir le " baptême de la rue ".
Les affrontements commencent dès 10 heures. Faute d'une conception, de manœuvre du représentant de l'autorité civile responsable, les unités - gendarmes mobiles et CRS - interviennent d'une façon désordonnée. Les manifestants sont jeunes, mobiles, agressifs. Ils vont jusqu'à faire dévaler deux autobus sur les barrages de CRS. La matinée voit des empoignades confuses.
Pour mettre un terme à cet emploi anarchique, le colonel MOULLET, responsable d'ALGER-SAHEL, fait replacer les 4 CRS d'ALGER sous les ordres de leur chef, le Colonel BRES, commandant le groupement n°11 et leur fixe une mission :
rétablir l'ordre dans les quartiers Rovigo et Pélissier. La gendarmerie Mobile, pour sa part, a la même charge dans le quartier Michelet. Quant au Corps Urbain, dont l'inefficacité est notoire, il est éliminé du dispositif et rendu à ses tâches habituelles.
Les heurts se succèdent jusqu'à 19H00. L'affaire fera une centaine de blessés parmi Gendarmes et CRS et donnera lieu à 70 arrestations.
Craignant l'activité du F.A.F. les autorités redemandent des renforts. Ainsi, dès le 14 novembre, 5 CRS Métropolitaines reviennent à ALGER, constituant un groupement opérationnel aux ordres du Colonel FONTY. Enfin, une nouvelle organisation du commandement permettra aux CRS de manœuvrer en unités constituées et sous le commandement de leur hiérarchie, seule garantie de cohésion et d'efficacité.
L'annonce du référendum sur la politique algérienne du gouvernement va décupler la colère des masses européennes et, paradoxalement, l'opposition du F.L.N.. Une nouvelle crise s'annonce. On met en place à ALGER un dispositif impressionnant 28 escadrons de gendarmerie mobile et 17 CRS.
" Les émeutes de décembre "
Le voyage du général DE GAULLE en ALGERIE le 9 décembre 1960 va fournir aux dirigeants activistes le prétexte pour pauser à l'action. Le 8, le F.A.F. lance un appel à la grève générale.
Le 9 à 4H00, un PC mixte opérationnel est mis en place à Fort l'Empereur. Le Colonel DEBROSSE pour la gendarmerie, le colonel DE ROSNAY pour les CRS, ont la responsabilité de la manœuvre de leurs unités. Celles-ci sont à pied d'œuvre dès 5H00. A 7H30, elles signalent que des clous ont été semés dans plusieurs quartiers et provoquent des embouteillages. Un peu plus tard, des barricades sont élevées à Bab-el-Oued. Les premières échauffourées se produisent vers 9H00. Les riverains soutiennent les manifestants dont les actions sont coordonnées et acharnées. Les renseignements de la police locale sont inexploitables, parce que faux et trop tardifs. Les engagements durent jusqu'à 13H00, puis, après une légère accalmie, reprennent dans l'après-midi, plus violents encore. Un escadron de chars envoyé pour détruire des barricades est immobilisé par la foule. Toutes les compagnies des groupements opérationnels des Colonels FONTI, MARCHAL et SAUVAGNOT sont soumises à rude épreuve et comptent une centaine de blessés, dont quelques uns sérieusement. Le calme ne revient que vers 20H00.
Par ailleurs, si le passage du Général DE GAULLE à MOSTAGANEM et TLEMCEN n'a pas occasionné de graves incidents et si le Constantinois est calme, il n'en est pas de même à ORAN. Les manifestations y ont été certes moins violentes qu'à ALGER mais elles ont dépassé en ampleur toutes celles du passé. Et, les responsables militaires du maintien de l’ordre n'ayant pas pris les dispositions nécessaires (il n'a pas été fait appel à la Gendarmerie Mobile et les troupes ne sont pas intervenues), les CRS ont été débordés.
D'autres troubles étaient attendus le lendemain à ALGER. Ils ne manquent pas de se produire. Vers 10H00, les 3 CRS en place dans le centre, subissent l'assaut de véritables groupes de chocs entraînés et armés de grenades. Le Groupement Sauvageot, chargé de protéger le Palais d'été est très durement pris à parti. La violence des contacts est telle que les CRS et les escadrons de gendarmerie mobile demandent une dotation, qui leur est accordée, en grenades offensives. Cependant, l'agitation gagne. Vers 14H00, elle s'étend aux quartiers populeux de BELCOURT et de MUSTAPHA.
Dès lors, plane le risque terrible de contre manifestations musulmanes.
Celles-ci commencent vers 19H00, alors que les échauffourées ont à peine cessé dans les quartiers du centre. Les musulmans de BELCOURT se répandent rue de LYON armés de haches, de bâtons, de couteaux, et saccagent tout sur leur passage. Des Européens affolés ouvrent le feu.
La CRS 208 employée à proximité parvient à disperser les musulmans et à contenir la foule Européenne. Le lendemain, 11 décembre, tous les quartiers musulmans périphériques sont en effervescence. Les fonctionnaires des CRS, très éprouvés la veille sont à nouveau dans la rue au petit matin. Ils ont reçu des renforts : 16 compagnies sont prêtes à intervenir. Mais la journée sera très dure pour tous.
L'affaire la plus importante se situe rue de Lyon. Plus de 10000 musulmans excités sont concentrés en bas de la rue Albin Rozet, contenus par un barrage de CRS pendant de longues heures (de 10H30 à 17H30), le colonel FONTI doit faire preuve d'une grande lucidité et d'un extraordinaire sang-froid pour éviter le drame. Par deux fois, en effet, les détachements de paras sont venus sur les lieux pour " liquider cet abcès par le feu ". A 11H30 enfin, les CRS chargent par les moyens classiques et dispersent la masse sans dommage.
Cette terrible menace du déferlement des musulmans dans la ville a, sur le plan de l'ordre un effet bénéfique : elle met un terme aux violences des Européens.
Enfin, chose étrange, la casbah n'a pas encore bougé.
Cette journée du 11 décembre a été "chaude" aussi, dans d'autres villes. A ORAN, évidemment, où l'organisation du dispositif de sécurité, toujours aussi irrationnelle, a permis de graves violences, l'attaque de bâtiments publics et l’affrontement des deux communautés. A CONSTANTINE également, où une CRS a été violemment prise à partie par de jeunes manifestants Européens.
La casbah ne connaîtra l'effervescence que le 12 décembre. 10 CRS devront y intervenir, parfois vigoureusement. L'une d'entre elles essuiera des coups de feu. Ainsi, le prestige indéniable des CRS auprès des musulmans n'aura pas suffit, cette fois, à ramener le calme. Et désormais, ce quartier grouillant sera bouclé par la troupe. Le 13 décembre, tout semble cependant rentré dans l'ordre à ALGER. La ville Européenne parait calme et la casbah, où les CRS incitent les commerçants à rouvrir leur boutique, ne bougent pas. L'agitation y explosera de nouveau le 14 à 1H00 du matin. Dès 4H00, les 4 groupements opérationnels des CRS l'investissent, démolissent les barricades, saisissent les emblèmes nationalistes. Le calme ne pourra être rétabli qu'à l'aube du 15 décembre. Ce même jour, tandis que 4 CRS font mouvement sur BONE, où des incidents meurtriers ont éclatés entre les Légionnaires et les Musulmans, une vaste opération de ratissage dans cette termitière permettra l'arrestation de nombreux meneurs F.L.N et marquera la fin de ces tragiques évènements dont le bilan se monte à 118 morts et plus de 500 blessés.
Après le 15 décembre, des manifestations sporadiques à caractère nationaliste se déroulent en divers points du bled algérien. Leurs conséquences sont souvent tragiques. Par contre, dans les grandes cités, le calme est revenu. Mais c'est un clame apparent, fragile, et qui nécessite une surveillance attentive et constante. Aussi, le dispositif CRS à ALGER et ORAN n'a-t-il pas subit de sensible modification.
Pour le 8 janvier, la date du Référendum sur l'autodétermination, huit compagnies arrivent de Métropole portant à 22 le nombre des CRS déplacées en renfort des 19 CRS organiques d'ALGERIE. Par ailleurs, les effectifs militaires rassemblés pour cette occasion sont considérables : 40 000 hommes à ALGER, 12 000 à ORAN. Et des mesures sévères sont édictées pour assurer le déroulement normal et la sécurité des opérations de vote. La journée sera calme.
Mais l'agitation musulmane persiste, larvée, et donne lieu à de vastes opérations de police pour ameuter les meneurs F.L.N. Dans le même temps, les besoins de la Métropole ont nécessité le retour de 17 compagnies. Pas pour longtemps, car, avant la fin Janvier, 7 CRS doivent retraverser la mer pour s'installer à ALGER et ORAN et 5 autres sont en alerte, prêtes à les rejoindre dans les plus brefs délais.
Au début de février 1961, explosent les premières charges de plastic et apparaît sur les murs le sigle " O.A.S. ". Ce recours des Européens au terrorisme oblige les CRS à de perpétuelles patrouilles pendant les heures de couvre-feu et fait renaître les violences des Musulmans.
C'est alors que de nouvelles dispositions sont prises pour redonner aux autorités civiles les responsabilités et les moyens relatifs au maintien de l'ordre, en particulier à ALGER et à ORAN, où sont créés les postes de Préfets de Police.
" Le Putsch d'avril "
Après le discours du président de la république le 11 avril, des rumeurs circulent dans certains milieux d'ALGER sur l'éventualité d'un putsch militaire. Mais personne ne semble les croire vraiment fondées. Les instructions reçues par le commandement des CRS, quant à elles, laissent à penser que les autorités militaires ne tenaient pas le coup de force pour une certitude. Aucune disposition particulière n'a été prise concernant la protection des édifices publics. On a simplement parlé de vigilance..
L'opération est menée dans la nuit du 21 avril avec une très grande précision et une rapidité foudroyante. C'est un beau travail de professionnel. Les 4 CRS disséminées dans la ville n'ont pas le temps de se regrouper sur les points sensibles. Lorsque certaines d'entre elles reçoivent l'ordre de les défendre par tous les moyens y compris par le feu, il est déjà trop tard.
La délégation générale, la préfecture, le commissariat central seront ainsi investit sans coup férir, de même que le PC d'ALGER-SAHEL au Fort l’Empereur, où les gendarmes mobiles de garde ne peuvent opposer de résistance.
Dès le 22, le colonel de ROSNAY, chef des CRS en ALGERIE est convoqué chez le colonel GODARD, ancien patron de la sûreté en ALGERIE qui participe au complot. DE ROSNAY précise que les CRS n'exécuteront que ses seuls ordres et que leurs activités se borneront aux missions antérieures de sauvegarde des personnes et des biens. Son interlocuteur parait navré, mais ne parle ni d'internement ni même de désarmement des CRS. A l'état major inter-armées où il se rend ensuite, DE ROSNAY trouve des officiers inquiets, préoccupés, comparaissant devant le général CHALLES un des chefs de l'insurrection, il lui répète ce qu'il a dit au colonel GODARD. Le général ne bronche pas et se contente d’enregistrer. Il a, assurément d'autres soucis que ceux des CRS
Rentré à son P.C ., DE ROSNAY prend contact avec les commandants des Groupements d'ORAN et de CONSTANTINE, où il ne s'est encore rien passé, puis avec l'état-major de la gendarmerie mobile et l'Amirauté, où les points de vue exprimés sont identiques aux siens.
A 11H45, arrivent au groupement central, le colonel DEBIN, commandant du groupement opérationnel CRS et ses officiers. Ils ont été autorisés à quitter le Port l'Empereur où le colonel MOULLET, commandant d'ALGER-SAHEL, et le Préfet de Police sont prisonniers. DEBIN, dont toutes les unités ont regagné leur cantonnement est convoqué chez le colonel GODARD. Il lui dit ce qu'a déjà dit DEROSNAY.
Le colonel MARCHAL, commandant du groupement des CRS d'ALGER, également convoqué chez GODARD dans l'après-midi, trouve celui-ci plus préoccupé que jamais. Car l'armée ne bouge pas. Elle ne bougera pas. Le 23, les autorités légales sont encore partout en place, sauf celle d'ORAN qui se sont repliées à TLEMCEN.
A ALGER, c'est donc l'attente. D'un coté, celle des chefs du putsch, qui espèrent le ralliement de l'armée. De l'autre, celle des chefs des forces (Gendarmerie, CRS, Marine, troupes de sous-secteurs) qui n'ont pas rallié le mouvement et qui comptent sur sont échec. Au cas où la situation se prolongerait, ils ont par ailleurs envisagé le repli de toutes leurs unités dans une zone contrôlée par les troupes loyales. Au soir du 25 avril, le putsch vit ses dernières heures. RADIO-FRANCE, poste tombé sous le contrôle des chefs du pronunciamiento, annonce à 20H30 "Trahison ... rendez-vous tous au FORUM". Déjà, les paras abandonnent leurs positions. Près de la caserne PELISSIER, les CRS prennent la place des Légionnaires du 1er R.E.P. A Minuit, ALGER est pratiquement sous le contrôle des forces de l'ordre. Vers 1H30, les chefs du coup de force quittent la délégation générale. A 22H00, la CRS 52 est sur le Forum. ALGER n'est plus une ville insurgée.
Dès le lendemain, les autorités s'attaquent à l'organisation subversive civile qui s'était révélée, pendant le putsch, comme le nouveau danger menaçant la paix publique. D'importantes forces sont acheminées sur ALGER (dont 9 CRS supplémentaires) Afin d'effectuer des perquisitions pour retrouver les nombreuses armes détenues par la population. Car l’OAS a annoncé que le combat continuait, et ordonnait de ne pas restituer les armes.
Alors que le climat s'alourdit encore. Des mesures individuelles sont prises dans l'armée et les administrations. Les CRS n'y échappent pas : quelques gradés d'une compagnie d'ORAN qui ont refusé d'obéir pour des raisons politiques sont révoqués. Chaque jour supporte son cortège d'attentats. Les besoins en forces de l'ordre sont plus pressants que jamais. Et partout plane la suspicion et la hantise de la trahison.
" La guérilla urbaine "
Au cours de l'été 1961 éclatent de nouvelles manifestations. A ALGER, en juillet, 2 groupements de CRS se heurtent durement à des manifestants musulmans. Fin août, des affrontements sanglants ont lieu à ORAN entre les deux communautés, nécessitant l'envoi de nouveaux renforts (3 compagnies) de métropole. En septembre, l'OAS redouble d'activité. A ORAN, le 2 octobre, une grenade au phosphore est lancée sur une section de CRS arrivée en renfort sur les lieux et accueillie à coups de feu tirés des balcons.
Le FLN ne se tient pas en reste. Le 1er novembre est sanglant : des commandos ont ouvert le feu sur les forces de l'ordre.
Dans ce climat de guerre civile, l'OAS soumet les pieds-Noirs à une intense propagande. Bien entendu, les CRS algériennes sont particulièrement visées. Jusqu'alors on a cependant déploré que deux abandons de poste. Mais le 18 novembre, ce sont 10 hommes de la compagnie de TIZI-OUZOU en déplacement à ALGER qui rejoignent l'OAS avec leurs armes.
C'est là un coup terrible pour les CRS d'ALGERIE. En janvier 1962, elles sont toutes envoyées en métropole et le gouvernement central disparaît. 21 CRS métropolitaines regagnent l'ALGERIE. Elles y vivront les moments les plus pénibles qu'elles aient connus.
En effet, l'action de l'OAS est plus violente que jamais. Les fonctionnaires des CRS sont sans cesse sollicités pour protéger les équipes de police judiciaire, pour effectuer fouilles, bouclages, barrages, contrôles dans des conditions difficiles et dangereuses. Des tracts circulent où l'on peut lire notamment : "Policiers, CRS., sachez que le moment du choix est proche. Souvenez-vous du sort des miliciens, 10 000 d'entre eux furent fusillés ....".
Certains tracts s'adressent à l'armée :
"Militaires de toutes armes ! Pour votre sécurité. Tenez-vous à distance des gendarmes et des CRS. Refusez de participer aux patrouilles mixtes...".
Ce ne sont pas là des rodomontades. Les commandos OAS tirent sur les patrouilles , harcèlent les cantonnements. Un barrage est la cible d'un feu nourri qui fait un mort et trois blessés graves.
La situation est telle que les CRS se voient dotées d'un armement supplémentaire (fusils mitrailleurs, fusils lance-grenades) et que, pour certaines missions, on leur fournit l'appui d'engins blindés. Aussi tentent-elles à devenir tout autre chose que des unités de police mobile. Leurs hommes pour protéger leur vie, doivent s'adapter à la rapide ouverture du feu et au combat de rues. Les Européens, lorsqu'ils ne tirent pas sur eux, leur montre une hostilité d'ordinaire réservée aux troupes étrangères d'une armée d'occupation. Leur vie est quasi intenable. Elle le restera jusqu'au bout.
Car malgré l'arrestation des ex-généraux SALAN et JOUHAUD (la capture de ce dernier est l'œuvre d'une patrouille de CRS, lors d'un banal contrôle de routine) et malgré l'accord de cessez le feu du 19 mars, l'OAS n'a pas renoncé. Au contraire, le durcissement de son action est tel que les autorités doivent faire cloisonner ALGER. Dans les grandes villes, c'est la folie destructive, la politique de la terre brûlée, le plasticage des édifices publics. Les forces de l'ordre reçoivent pour instructions d'appliquer les plans de défense et de protéger les bâtiments par tous les moyens.
Les CRS sont partout sur la brèche. C'est une véritable guerre. A ORAN, notamment, les quartiers d’Européens sont des retranchement d'ennemis. Les CRS ne peuvent y progresser qu'à l'abri des engins blindés. La compagnie qui garde la nouvelle préfecture est chaque fois harcelée par de violentes rafales de fusils mitrailleurs. Les cantonnements des unités sont attaqués au mortier ; Les patrouilles tombent dans des embuscades. A ORAN, le 12 avril 1962, une section de la CRS 34 est clouée au sol par le feu violent d'un commando OAS. Le lieutenant CHEZEAUD, le brigadier ROBVIEUX et le gardien CHOMBEZ sont tués, deux gardiens sont blessés. Les renforts qui arrivent sur les lieux sont également attaqués, le capitaine FICHOT et sept gardiens sont blessés.
Mais les Européens d'ALGERIE fuient, indifférents aux mots d'ordre de l'OAS. Ils se pressent dans les ports et sur les aéroports, où des CRS, cruelle ironie du sort, tentent de faciliter les opérations d'embarquement.
A la mi-juin tout est fini.
Cependant une incertitude plane quant au retour en FRANCE des CRS déplacées. Car les Algériens ont émis l'idée qu'ils pourraient rester après le 1er juillet pour permettre à leur nouvel Etat d'organiser sa police. Après quelques tractations, il ne sera pas donné suite à ce désir. Toutefois, 6 compagnies seront tout de même maintenues jusqu’au 1er septembre 1962 pour assurer la protection de diverses résidences et la sécurité des services de l'ambassade et de la cité administrative de ROCHER NOIR.
Ainsi les CRS ont été pendant plus de 10 années (d'avril 1952 à septembre 1962) présents en ALGÉRIE. D'un bout à l'autre de l'ALGERIE, d'un bout à l'autre du conflit.
Bien qu'elles n'aient pas pesé très lourdement sur le cours de l'histoire en raison de leurs moyens relativement limités, elles en ont ressenti les soubresauts avec autant d'acuité que bien d'autres unités engagées.
Souvent chargées d'impossibles missions, parfois tiraillées entre les autorités civiles et militaires, coincées entre les deux communautés pour les empêcher de s'entre égorger, elles ont payé au drame algérien leur tribut de souffrances et le prix du sang et ont vécu là-bas la plus dure expérience de leur jeune existence.
Enfin, elles n'y ont gagné rien d'autre que la satisfaction du devoir accompli. Elles n'ont même pas conservé les 19 compagnies créées en ALGERIE. Celles-ci ont été dissoutes le 28 Octobre 1963.
http://polices.mobiles.free.fr/Algerie/dans_Aures.htm
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