Le gouvernement israélien a jusqu’au 1ᵉʳ février pour présenter à la Cour suprême un plan visant à raser la zone, un projet resté en suspens depuis 2018 face à la pression de la communauté internationale, qui conteste de nouveau.
Vue aérienne du village de bédouins de Khan al-Ahmar, le 23 janvier.
Les 4 x 4 s’avancent prudemment sur le chemin de poussière. Pour rejoindre le hameau de Khan Al-Ahmar en voiture, il faut passer sous l’autoroute qui relie Jérusalem à la vallée du Jourdain, à l’est, coupant les collines désertiques de Judée, en Cisjordanie occupée. Aux yeux d’Israël, la quarantaine de baraques de tôle, bois et bâches en plastique sont illégales, car construites sans permis. Le gouvernement israélien a jusqu’à mercredi 1er février pour expliquer à la Cour suprême ce qu’il entend faire des 38 familles palestiniennes qui y vivent – quelque 200 personnes. En 2018, les juges avaient confirmé la destruction des « structures illégales à Khan Al-Ahmar ». Les Bédouins avaient présenté un plan alternatif pour rester ; ils ont été déboutés, mais, sous la pression de la communauté internationale, la décision est restée en suspens.
A la veille d’une nouvelle audience, les diplomates sont de retour. Lundi, une trentaine de représentants européens, dont la France, d’Australie, d’Amérique latine et d’Afrique du Sud ont visité le hameau, accueillis par la communauté et l’ONG israélienne anti-occupation B’Tselem. Les gamins palestiniens regardent sans étonnement le ballet des voitures, caméras et micros : ils ont l’habitude de ces visites officielles dictées par le calendrier judiciaire israélien.
Le dirigeant de la communauté, Eid Abou Khamis, casquette sur la tête et fine moustache, prend la tête du cortège : d’abord un tour par l’école, financée par l’Union européenne, puis il fait asseoir les diplomates sur sa terrasse. « Ces constructions, ce bois, ces matériaux, tout ça a été financé par les Etats européens. Allez-vous protéger cela ? », demande-t-il.
En 2018, après l’arrêt de la Cour suprême, la pression internationale a permis de repousser la destruction. « C’était probablement l’effort international le plus réussi pour protéger les communautés palestiniennes », souligne le directeur exécutif de B’Tselem, Hagai El-Ad. Dans une résolution du 13 septembre 2018, le Parlement européen mettait en garde Israël : « La démolition de Khan Al-Ahmar et le transfert forcé de ses résidents constitueraient une grave violation de la loi humanitaire internationale. » Le gouvernement israélien a préféré éviter la confrontation.
Emplacement stratégique
Mais, depuis, les colons sont passés à l’attaque. L’ONG Regavim, cofondée par l’actuel ministre des finances, le suprémaciste Bezalel Smotrich, a sollicité la Cour suprême pour qu’elle fasse appliquer sa décision. Jusqu’à aujourd’hui, l’exécutif avait demandé des délais, prenant prétexte de l’instabilité politique et même de la guerre en Ukraine. Il semble peu probable que le nouveau gouvernement d’extrême droite, acquis à la cause de la colonisation, fasse de même.
Après l’évacuation par l’armée d’une colonie israélienne sauvage – construite illégalement même aux yeux d’Israël – le 20 janvier, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a de nouveau exigé la démolition de Khan Al-Ahmar. Dans la foulée, deux députés du Likoud, le parti du premier ministre Benyamin Nétanyahou, Yuli Edelstein et Danny Danon, se sont rendus sur place. « Plus d’excuses, a lancé M. Edelstein. Khan Al-Ahmar doit être évacuée maintenant, le plus tôt sera le mieux. »
Si le sort de ce hameau est si médiatisé, c’est qu’il occupe un emplacement stratégique. Pour les Israéliens, sa destruction va permettre d’étendre la colonisation dans cette zone, baptisée E1, isolant encore davantage Jérusalem-Est de la Cisjordanie. L’histoire de Khan Al-Ahmar est similaire à celle de dizaines de communautés bédouines menacées de transfert forcé par Israël en Cisjordanie occupée. Après la conquête du désert du Néguev lors de la création de l’Etat hébreu, les familles ont été expulsées de leurs terres dans les années 1950. A Khan Al-Ahmar, elles se sont établies sur des terres privées palestiniennes, après un accord avec les propriétaires, dans les années 1960, explique Eid Abou Khamis.
Les parcelles sont convoitées par les colons. D’où un harcèlement depuis des décennies, dit-il : entre 2010 et 2018, les Israéliens leur ont confisqué plus de 500 structures. Depuis la conquête de la Cisjordanie par l’Etat hébreu, en 1967, les Israéliens ont démoli plus de 50 000 habitations et structures palestiniennes, selon Amnesty International. Les autorités israéliennes veulent reloger les Bédouins sur un terrain près d’une décharge, en lisière de la ville d’Al-Azariya, plus à l’ouest. Les animaux ne pourraient pas y paître et le transfert casserait le mode de vie traditionnel, rétorquent les habitants.
Annexion de facto
Israël considère Khan Al-Ahmar comme illégale, car construite sans permis sur des terres en zone C, sous son contrôle total selon les accords d’Oslo. Or il est quasi impossible pour les Palestiniens d’y obtenir un permis. Le reste du monde lit la situation à travers le droit international et considère la Cisjordanie comme un territoire occupé : les colonies israéliennes y sont donc illégales et le transfert forcé de population, comme à Khan Al-Ahmar, interdit.
Au bout d’une petite heure, les diplomates se dispersent. Certains s’aventurent en direction des chèvres pour prendre quelques photos. En face, sur la colline, la colonie de Kfar Adoumim surplombe la scène ; à droite, sur un talus, flotte un immense drapeau israélien. L’annexion de facto, que l’actuel gouvernement devrait encore accélérer, est en marche depuis longtemps. « En tant que diplomates, nous pouvons seulement gérer les questions qui sont sur la table », indique Don Sexton, le représentant irlandais.
Devant l’école, droit dans sa longue robe noire, Youssef Abou Dahuk observe le cortège qui se prépare à partir. « Bien sûr que je suis angoissé, je suis humain ! dit ce père de quatre enfants. Peu avant la visite, il y avait une voiture de police près de la colline. On sent que l’étau se resserre. » Plus loin, à l’abri des regards des diplomates, Hasna, 45 ans, se lève du matelas où elle était assise au soleil pour chasser les chèvres, et pointe le ciel venteux. « Nous n’avons qu’Allah. Les Israéliens vont venir et détruire. Que vont-ils leur faire, les diplomates, hein ? Rien ! C’est juste des séances photo, en vain. »
Par Clothilde Mraffko
https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/31/cisjordanie-occupee-un-hameau-bedouin-menace-de-demolition-par-israel_6159979_3210.html
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