Casbah des dockers des pères de famille des chômeurs des frères et des sœurs qui déversent des larmes d’amertume des honnêtes hommes et des imams
Casbah des prostituées des souteneurs et des proxénètes Casbah blanche des touristes en mal de romantisme
N’oublie pas que je suis un des tiens et aujourd’hui loin de toi je revois mon visage sale mes vêtements déchirés mes pieds nus mes amis qu’on appelait les yaouleds les cireurs et les voyous ma jeunesse et l’école où je n’allais qu’au début de l’année
Casbah des disparus des hommes qu’on arrête à l’aurore des frères qu’on recherche pour acte d’héroïsme et qu’on veut abattre
Casbah des paras des cordes des camions et des 120 V. des enfants qu’on torture des hommes qu’on fusille au coin de la rue
Casbah des politiciens et des politiques des bleus des hommes de mains et des gardes de corps Casbah blanche des ahuris et des béni-oui-oui
Casbah de Serkadji d’Ali la Pointe de Didouche et des héros sans nom Casbah de Bab el Djedid de Bab el Oued et de Bab Azoun
N’oublie pas que je suis un des tiens et aujourd’hui loin de toi je revois mes vingt ans les terrasses pleines de soleil
les réunions clandestines les enfants qui s’amusent près des frères qui meurent les papiers qui circulent de main en main le printemps qui surprend la Certitude les cheveux et les yeux noirs de nos femmes qui ont perdu le sourire les tracts les larmes qui défient le soleil
Je revois les frères qui manifestent et qui brandissent des pancartes Serkadji avec ses cours ses cellules ses couloirs ses gardiens – l’appel – son escalier interminable
Serkadji de 1956 avec mes frères ma maladie et ma jeunesse
Casbah n’oublie pas que je suis un des tiens
.
Ville incomparable, jolie comme une perle,
Splendide à souhait, au bord de la mer
Les mouettes au port, les bateaux ancrés
Les iles reliées, le mole qui les suit
Vision d'une coupole, la Casbah colline
Maison séculaires, cèdres renforcés
Habitat mystère, les murs patinés
terrasses gouailleuses, ruelles clairières
Céramiques claires, colonnes torsadées
Marbre le parterre, patios ombragés
Alger El Djazair, comptoirs phéniciens
Hercule y vécut, Mezghenna aima
L'andalou maçon traça le schéma
Le soleil selon, un gite à la lune
Un peuple pour époux, épouse dulcinée
Casbah solitaire, joyau de mon coeur
Casbah de mémoire, aux histoires citées
Le voile qui te sied, ne peut plus cacher
Les rides séniles, rongeant toute ta peau
A chaque jour nouveau l'agonie te guette
Et toi toute muette, dans les yeux ta vie
Gaieté des enfants, l'oeuvre des mamans
Dans ce monde nouveau, tu es matriarche
Je sais ce que racontent, les tournants des rues
Les pavés qui chantent, les pas des partants
Du sang sur les murs, linceuls dans les tombes
Je me dois de dire à ceux qui ne sont plus
Qu'ils sont avec nous et Toi avec eux
Nous sommes leur Casbah et toi notre aieule !
Momo, 28-03-1978, Casbah
CASBAH LUMIÈRE...
Comme un cygne paré de sa blancheur laiteuse,
La Casbah s'apprête à recevoir le soleil arqué à l'horizon.
Paraissant immobile, le soleil avance, et la Casbah en révérence ailée, le salue.
Et toi, baie d'el Djazaïr,
comme une vierge de Botticelli qui attend tout de l'amour
tu drapes ta nudité en baissant pudiquement les paupières.
C'est la grâce de son sillage qui rend le cygne attirant,
C'est la rondeur de la terre qui rend le soleil heureux,
C'est aussi le sourire des étoiles qui rend les terrasses joyeuses.
Si je m'avisais à décrire ton état actuel, mienne Casbah,
je me détruirais tout en te détruisant.
Ne dit-on pas que lorsque le cygne sent l'approche de son départ,
il annonce sa mort en offrant son chant à tous les alentours.
Si le chant du cygne est le chant du grand départ,
pour toi mon chant est comme une ode.
Tu me fais écrire des mots dont tu composes la musique.
Tu me fais dire des paroles décrites par ton climat.
Tant que je t'adule je ne peux t'abhorrer,
et tant que tu es là je ne peux t'oublier
Quant à ceux qui m'invitent à écrire sur la Casbah...
Ô mon Dieu, comme la Casbah est très demandée ces jours-ci.
Je leur dirai que la Casbah est encore celle
que le regard de mon enfance a coincé dans une impasse.
Dans cette impasse il n'y a qu'elle et moi
Elle, encore vierge malgré son âge sans âge.
Moi pas jeune du tout
quoique dans mes yeux pétille un accent de vie de jouvence,
que seul je sens lorsque près d'elle je suis.
Je me rappelle cette nuit là !
C'était une nuit sans lune, sans éclairage.
Un nuit où les marches d'escaliers vous guettent
pour vous surprendre et vous faire glisser, le long de la ruelle,
pour vous la faire haïr davantage.
....
Se retrouver dans la nuit et le noir de la nuit
avec un corps pour flambeau
un coeur pour lumière
une âme pour servir
C'est retrouver la Casbah dans toute sa juvénilité millénaire.
C'est retrouver des ruelles qui vous guident jusqu'aux sources de la vie.
C'est retrouver des murs qui vous racontent les récits collés à leur patine.
C'est retrouver les terrasses qui vous confient les échos
des voix de nos parents confondues dans les nues.
C'est retrouver les confidences de la mer qui vous réconforte
avec la pureté qu'elle sait circonscrire dans ses moments de bon accueil.
C'est se retrouver soi-même en train d'apprendre à respirer la respiration,
comme on respirerait une rose qui vous serait offerte par surprise.
...
Sous le dôme de ma Casbah, j'ai retrouvé les restes de l'école musicale
arabo-andalouse, avec un je ne sais quoi de parfum de cédrat d'antan.
Et la musique comme un plain-chant serein réveille à la vie ce coeur souverain.
En respirant les noubas arabo-andalouse,
je lisais la démarche sonore comme le rebond d'une balle
qui ne s'arrête pas de bondir et rebondir,
en décrivant des arcs autour de la terre.
Voyez-ça d'ici ou plutôt voyez-ça avec votre ouïe.
Des arcs qui se croisent et s'entrecroisent.
Des arcs qui ne finissent plus d'imiter le dôme.
Des arcs par où coule la musique comme on ferait couler de l'or fondu.
Des arcs en or fondu pour obtenir un arc musical
par où passerait le cortège d'amour de musique vêtue..
Rendre grâce à la terre pour être mieux aimé par elle,
c'est ce que le musique arabo-andalouse fait en flânant sereinement autour.
La modale de la musique arabo-andalouse ne se multiplie pas
pour architecturer une superposition de vibrations sonores
qui veulent défoncer le ciel.
Elle est un acte d'amour qui répond aux besoin de la terre.
Je me sentais une intimité foisonnante qui se collait à la peau de la terre.
Je voyais tomber des gouttes d'étoiles comme des flocons de neige
et la terre en était imbibée.
Le dôme recevait cette offrande comme un don de la vie à la vie.
Comme une vision peinte par Salvador Dali, le dôme fondait en tous les tons.
Toute une ribambelle de demi-tons se joignaient à la noce.
Toute une myriade de corpuscules se bousculaient autour du quart de ton.
...
Voir une ligne droite qui ondule et épouse les formes du corps humain jusqu'à l'ubiquité,
c'est voir un rai de lumière qui paraphe son parcours.
Une clé de sol qui s'agite et se démène pour bâtir sa maison.
Une gamme de serrures qui attendent l'avènement de leurs vies.
Une profusion de signes où se reconnaît l'appel de la terre entière.
Chaque montagne, chaque vallée, chaque champs, chaque prairie, chaque mer, chaque océan
chaque vie s'animait en s'identifiant à travers la profusion de signes.
L'image de ma Casbah avait toute la terre pour espace.
Le monde musical que je respirais n'avait d'autre droit
que celui d'ouvrir les voix à la clarté de la parole,
pour que le jour ouvre à la nuit l'entrée du secret des lumières.
Ma Casbah et moi sommes à l'aise dans notre placenta planétaire.
Voici que la musique s'empare de ma plume et me demande
de prêter ma perception à tout ce qui m'entoure.
Je dresse mon coeur.
Assidûment , je dresse mon coeur et j'entends
une polyphonie assourdissante, comme étouffée,
elle me parvient des façades des maisons.
Ces façades qui semblent remercier leurs bâtisseurs.
Ces façades qui ne finissent pas d'être des façades
et comme façades on ne trouverait pas mieux.
Ces façades qui se révèrent et se prosternent toutes en même temps.
Avez-vous jamais vu une cité qui se prosterne ?
Venez à ma Casbah, vous les verrez comme elles acceptent
cette attitude à la fois humble et altière.
Chacune d'elle est un serment témoin.
Chaque maison de distingue par sa génuflexion spéciale.
Chaque terrasse se singularise pour épater sa voisine.
Chaque patio sert de place publique aux muses heureuses de danser la musique
Chaque arceau sur sa colonne chante la modale du marbre enivré par sa torsade.
Chaque ruelle est une corde de luth et quand la corde vibre,
l'âme de toute la médina frissonne au son de cet accent envoûtant.
Chaque fontaine est une oasis d'attraction,
et la bousculade des enfants vaut tout un spectacle.
Une cité qui se prosterne face à la mort, face à la vie
ne peut être une cité comme les autres.
Un médina pareille a quelque chose en plus et cette chose là:
C'est l'amour avec lequel l'endroit a été choisi.
C'est l'amour avec lequel le maçon l'a construite.
C'est l'amour avec lequel l'histoire l'a glorifiée.
C'est l'amour avec lequel moi-même,
pris dans les mailles de son filet,
je me complais à y rester
pour continuer à respirer et à attendre
celui qui,
par cette nuit noire,
vint me rendre visite pour me marquer au front.
HIMOUD BRAHIMI
àà
Casbah Lumière est l'un de ces livres que l'on ne rencontre pas tout à fait par hasard. De ces livres rares qui ont l'air de choisir eux-mêmes leurs lecteurs. Rare, parce qu'il y a là, sous forme poétique et littéraire, une parole. Une voix inspirée, capable de retransmettre tout un héritage - la magie de cette Casbah millénaire aujourd'hui menacée de disparition - et d'ouvrir un chemin de connaissance.
Himoud Brahimi, «Momo de la Casbah» pour les gens d'Alger : celui qui dit la vérité. Mais la vérité dérange et l'on préfère le prendre pour un fou. Métaphysicien, poète, comédien... La foule l'a marginalisé comme une sorte de derviche. Momo, libre et serein, un être d'exception dans l'Algérie d'aujourd'hui, jamais publié depuis l'Indépendance, pourrait être le symbole de la rencontre réussie des cultures de la Méditerranée.
Casbah des dockers des pères de famille des chômeurs des frères et des sœurs qui déversent des larmes d’amertume des honnêtes hommes et des imams
Casbah des prostituées des souteneurs et des proxénètes Casbah blanche des touristes en mal de romantisme
N’oublie pas que je suis un des tiens et aujourd’hui loin de toi je revois mon visage sale mes vêtements déchirés mes pieds nus mes amis qu’on appelait les yaouleds les cireurs et les voyous ma jeunesse et l’école où je n’allais qu’au début de l’année
Casbah des disparus des hommes qu’on arrête à l’aurore des frères qu’on recherche pour acte d’héroïsme et qu’on veut abattre
Casbah des paras des cordes des camions et des 120 V. des enfants qu’on torture des hommes qu’on fusille au coin de la rue
Casbah des politiciens et des politiques des bleus des hommes de mains et des gardes de corps Casbah blanche des ahuris et des béni-oui-oui
Casbah de Serkadji d’Ali la Pointe de Didouche et des héros sans nom Casbah de Bab el Djedid de Bab el Oued et de Bab Azoun
N’oublie pas que je suis un des tiens et aujourd’hui loin de toi je revois mes vingt ans les terrasses pleines de soleil
les réunions clandestines les enfants qui s’amusent près des frères qui meurent les papiers qui circulent de main en main le printemps qui surprend la Certitude les cheveux et les yeux noirs de nos femmes qui ont perdu le sourire les tracts les larmes qui défient le soleil
Je revois les frères qui manifestent et qui brandissent des pancartes Serkadji avec ses cours ses cellules ses couloirs ses gardiens – l’appel – son escalier interminable
Serkadji de 1956 avec mes frères ma maladie et ma jeunesse
Casbah n’oublie pas que je suis un des tiens
.
Ville incomparable, jolie comme une perle,
Splendide à souhait, au bord de la mer
Les mouettes au port, les bateaux ancrés
Les iles reliées, le mole qui les suit
Vision d'une coupole, la Casbah colline
Maison séculaires, cèdres renforcés
Habitat mystère, les murs patinés
terrasses gouailleuses, ruelles clairières
Céramiques claires, colonnes torsadées
Marbre le parterre, patios ombragés
Alger El Djazair, comptoirs phéniciens
Hercule y vécut, Mezghenna aima
L'andalou maçon traça le schéma
Le soleil selon, un gite à la lune
Un peuple pour époux, épouse dulcinée
Casbah solitaire, joyau de mon coeur
Casbah de mémoire, aux histoires citées
Le voile qui te sied, ne peut plus cacher
Les rides séniles, rongeant toute ta peau
A chaque jour nouveau l'agonie te guette
Et toi toute muette, dans les yeux ta vie
Gaieté des enfants, l'oeuvre des mamans
Dans ce monde nouveau, tu es matriarche
Je sais ce que racontent, les tournants des rues
Les pavés qui chantent, les pas des partants
Du sang sur les murs, linceuls dans les tombes
Je me dois de dire à ceux qui ne sont plus
Qu'ils sont avec nous et Toi avec eux
Nous sommes leur Casbah et toi notre aieule !
Momo, 28-03-1978, Casbah
CASBAH LUMIÈRE...
Comme un cygne paré de sa blancheur laiteuse,
La Casbah s'apprête à recevoir le soleil arqué à l'horizon.
Paraissant immobile, le soleil avance, et la Casbah en révérence ailée, le salue.
Et toi, baie d'el Djazaïr,
comme une vierge de Botticelli qui attend tout de l'amour
tu drapes ta nudité en baissant pudiquement les paupières.
C'est la grâce de son sillage qui rend le cygne attirant,
C'est la rondeur de la terre qui rend le soleil heureux,
C'est aussi le sourire des étoiles qui rend les terrasses joyeuses.
Si je m'avisais à décrire ton état actuel, mienne Casbah,
je me détruirais tout en te détruisant.
Ne dit-on pas que lorsque le cygne sent l'approche de son départ,
il annonce sa mort en offrant son chant à tous les alentours.
Si le chant du cygne est le chant du grand départ,
pour toi mon chant est comme une ode.
Tu me fais écrire des mots dont tu composes la musique.
Tu me fais dire des paroles décrites par ton climat.
Tant que je t'adule je ne peux t'abhorrer,
et tant que tu es là je ne peux t'oublier
Quant à ceux qui m'invitent à écrire sur la Casbah...
Ô mon Dieu, comme la Casbah est très demandée ces jours-ci.
Je leur dirai que la Casbah est encore celle
que le regard de mon enfance a coincé dans une impasse.
Dans cette impasse il n'y a qu'elle et moi
Elle, encore vierge malgré son âge sans âge.
Moi pas jeune du tout
quoique dans mes yeux pétille un accent de vie de jouvence,
que seul je sens lorsque près d'elle je suis.
Je me rappelle cette nuit là !
C'était une nuit sans lune, sans éclairage.
Un nuit où les marches d'escaliers vous guettent
pour vous surprendre et vous faire glisser, le long de la ruelle,
pour vous la faire haïr davantage.
....
Se retrouver dans la nuit et le noir de la nuit
avec un corps pour flambeau
un coeur pour lumière
une âme pour servir
C'est retrouver la Casbah dans toute sa juvénilité millénaire.
C'est retrouver des ruelles qui vous guident jusqu'aux sources de la vie.
C'est retrouver des murs qui vous racontent les récits collés à leur patine.
C'est retrouver les terrasses qui vous confient les échos
des voix de nos parents confondues dans les nues.
C'est retrouver les confidences de la mer qui vous réconforte
avec la pureté qu'elle sait circonscrire dans ses moments de bon accueil.
C'est se retrouver soi-même en train d'apprendre à respirer la respiration,
comme on respirerait une rose qui vous serait offerte par surprise.
...
Sous le dôme de ma Casbah, j'ai retrouvé les restes de l'école musicale
arabo-andalouse, avec un je ne sais quoi de parfum de cédrat d'antan.
Et la musique comme un plain-chant serein réveille à la vie ce coeur souverain.
En respirant les noubas arabo-andalouse,
je lisais la démarche sonore comme le rebond d'une balle
qui ne s'arrête pas de bondir et rebondir,
en décrivant des arcs autour de la terre.
Voyez-ça d'ici ou plutôt voyez-ça avec votre ouïe.
Des arcs qui se croisent et s'entrecroisent.
Des arcs qui ne finissent plus d'imiter le dôme.
Des arcs par où coule la musique comme on ferait couler de l'or fondu.
Des arcs en or fondu pour obtenir un arc musical
par où passerait le cortège d'amour de musique vêtue..
Rendre grâce à la terre pour être mieux aimé par elle,
c'est ce que le musique arabo-andalouse fait en flânant sereinement autour.
La modale de la musique arabo-andalouse ne se multiplie pas
pour architecturer une superposition de vibrations sonores
qui veulent défoncer le ciel.
Elle est un acte d'amour qui répond aux besoin de la terre.
Je me sentais une intimité foisonnante qui se collait à la peau de la terre.
Je voyais tomber des gouttes d'étoiles comme des flocons de neige
et la terre en était imbibée.
Le dôme recevait cette offrande comme un don de la vie à la vie.
Comme une vision peinte par Salvador Dali, le dôme fondait en tous les tons.
Toute une ribambelle de demi-tons se joignaient à la noce.
Toute une myriade de corpuscules se bousculaient autour du quart de ton.
...
Voir une ligne droite qui ondule et épouse les formes du corps humain jusqu'à l'ubiquité,
c'est voir un rai de lumière qui paraphe son parcours.
Une clé de sol qui s'agite et se démène pour bâtir sa maison.
Une gamme de serrures qui attendent l'avènement de leurs vies.
Une profusion de signes où se reconnaît l'appel de la terre entière.
Chaque montagne, chaque vallée, chaque champs, chaque prairie, chaque mer, chaque océan
chaque vie s'animait en s'identifiant à travers la profusion de signes.
L'image de ma Casbah avait toute la terre pour espace.
Le monde musical que je respirais n'avait d'autre droit
que celui d'ouvrir les voix à la clarté de la parole,
pour que le jour ouvre à la nuit l'entrée du secret des lumières.
Ma Casbah et moi sommes à l'aise dans notre placenta planétaire.
Voici que la musique s'empare de ma plume et me demande
de prêter ma perception à tout ce qui m'entoure.
Je dresse mon coeur.
Assidûment , je dresse mon coeur et j'entends
une polyphonie assourdissante, comme étouffée,
elle me parvient des façades des maisons.
Ces façades qui semblent remercier leurs bâtisseurs.
Ces façades qui ne finissent pas d'être des façades
et comme façades on ne trouverait pas mieux.
Ces façades qui se révèrent et se prosternent toutes en même temps.
Avez-vous jamais vu une cité qui se prosterne ?
Venez à ma Casbah, vous les verrez comme elles acceptent
cette attitude à la fois humble et altière.
Chacune d'elle est un serment témoin.
Chaque maison de distingue par sa génuflexion spéciale.
Chaque terrasse se singularise pour épater sa voisine.
Chaque patio sert de place publique aux muses heureuses de danser la musique
Chaque arceau sur sa colonne chante la modale du marbre enivré par sa torsade.
Chaque ruelle est une corde de luth et quand la corde vibre,
l'âme de toute la médina frissonne au son de cet accent envoûtant.
Chaque fontaine est une oasis d'attraction,
et la bousculade des enfants vaut tout un spectacle.
Une cité qui se prosterne face à la mort, face à la vie
ne peut être une cité comme les autres.
Un médina pareille a quelque chose en plus et cette chose là:
C'est l'amour avec lequel l'endroit a été choisi.
C'est l'amour avec lequel le maçon l'a construite.
C'est l'amour avec lequel l'histoire l'a glorifiée.
C'est l'amour avec lequel moi-même,
pris dans les mailles de son filet,
je me complais à y rester
pour continuer à respirer et à attendre
celui qui,
par cette nuit noire,
vint me rendre visite pour me marquer au front.
HIMOUD BRAHIMI
àà
Casbah Lumière est l'un de ces livres que l'on ne rencontre pas tout à fait par hasard. De ces livres rares qui ont l'air de choisir eux-mêmes leurs lecteurs. Rare, parce qu'il y a là, sous forme poétique et littéraire, une parole. Une voix inspirée, capable de retransmettre tout un héritage - la magie de cette Casbah millénaire aujourd'hui menacée de disparition - et d'ouvrir un chemin de connaissance.
Himoud Brahimi, «Momo de la Casbah» pour les gens d'Alger : celui qui dit la vérité. Mais la vérité dérange et l'on préfère le prendre pour un fou. Métaphysicien, poète, comédien... La foule l'a marginalisé comme une sorte de derviche. Momo, libre et serein, un être d'exception dans l'Algérie d'aujourd'hui, jamais publié depuis l'Indépendance, pourrait être le symbole de la rencontre réussie des cultures de la Méditerranée.
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