Complexe, méconnue et souvent censurée, la filmographie concernant la guerre d'indépendance algérienne est pourtant plus riche qu'on ne pourrait le penser. Du « Petit Soldat » de Jean-Luc Godard aux « Harkis » de Philippe Faucon, voici 7 visions cinématographiques de la guerre d'Algérie.
Comment la France aborde-t-elle la question de la Guerre d'Algérie au cinéma ? Comment l'Algérie filme-t-elle son indépendance ? Longtemps ignoré ou évacué, ce pan de l'histoire retrouve le chemin des salles obscures sous la forme de récits complexes et variés. De près ou de loin, du côté des harkis ou des soldats français, ancré dans le passé ou conjugué au présent, le conflit gagne aujourd'hui en reconnaissance. Ces six films, tournés au crépuscule de la guerre jusqu'à nos jours, servent un important devoir de mémoire.
« Le Petit Soldat » de Jean-Luc Godard (1963)
Fruit de la tentative de production cinématographique sur la Guerre d'Algérie des années 1960, « Le Petit Soldat » connaît le même sort que les autres films. Censuré, ce long-métrage ne sortira qu'après la guerre en 1963, et sera critiqué autant par la gauche que par la droite.
Le film suit un déserteur naïf devenu agent secret, Bruno (Michel Subor), recruté par un parti anti-FLN suisse pour fomenter un assassinat. Réflexion sur la liberté et le désenchantement de l'engagement, cette fiction met en perspective cet individu désillusionné qui « aime la France » mais s'oppose au nationalisme et une jeune femme engagée au Front de Libération Nationale (FLN), Veronica (Anna Karina dont c'est la première collaboration avec Godard), porteuse d'un idéal anticolonial.
« Muriel ou le temps d'un retour » d'Alain Resnais (1963
Le troisième film d'Alain Resnais se situe dans la lignée de ces productions qui entretiennent un rapport flou à la Guerre d'Algérie. L'action se passe en France mais les souvenirs de l'Algérie imprègnent les mémoires collectives et individuelles des personnages qui ont chacun une vision distordue du conflit et du pays, la confusion progressant au fur et à mesure que le récit avance, comme des épisodes impossibles à réconcilier.
Muriel, le personnage qui donne son nom au film, n'apparaît pas une seule fois dans le long-métrage. Pourtant le souvenir de la jeune femme torturée hante Bernard (Jean Baptiste Thierrée) qui revient d'Algérie.
« La Bataille d'Alger » de Gillo Pontecorvo (1970)
Le long-métrage connaît une naissance compliquée. Présenté à la Biennale de Venise en 1966, il suscite l'indignation de la délégation française qui refuse d'assister à la projection mais remporte le Lion d'Or. Récit du conflit relativement équilibré, « La Bataille d'Alger » met en lumière la réalité de la torture perpétrée par l'armée française, ce qui lui vaut une censure jusqu'en 2004. A sa sortie officielle, en 1970, les pressions et les menaces à la bombe visant les cinémas pariant sur la production sont trop fortes pour pouvoir continuer à projeter le film en salles en toute sécurité.
Sur un scénario tiré des mémoires de Yacef Saâdi, ancien cadre de la FLN à Alger, qui joue son propre rôle, « La Bataille d'Alger » se situe au coeur des événements. Les assistants techniques sont des survivants de la bataille.
« Avoir 20 ans dans les Aurès » de René Vautier (1972)
Cinéaste militant, René Vautier ne cesse tout au long de sa carrière de dénoncer le racisme et le colonialisme malgré de nombreuses censures, inculpations et des conditions de tournage et de montage souvent entravées par les gouvernements et les institutions. Il est notamment l'auteur du premier film anticolonialiste français, « Afrique 50 », mais c'est dans « Avoir 20 ans dans les Aurès » qu'il s'empare de la question coloniale algérienne. Méconnu et souvent oublié, ce film reçoit pourtant le Prix de la critique au Festival de Cannes en 1972.
Centré sur un groupe de Bretons envoyés en Algérie, ce long-métrage dépeint la transformation d'individus pacifistes et réfractaires, envoyés dans un camp pour insoumis, en véritables machines de guerre.
Loubia Hamra de Narimane Mari (2013)
Du côté algérien, les cinéastes tentent également de se réapproprier leurs vécus par la fiction. Pour son premier film, la réalisatrice Narimane Mari, qui était auparavant productrice, fait le choix de traiter ce conflit à hauteur d'enfants. Dans « Loubia Hamra », des enfants algériens qui « jouent » à la guerre capturent un jeune soldat français et finissent par renoncer à l'idée de le torturer.
Avec ces jeunes enfants devenus acteurs, la réalisatrice donne un nouveau point de vue sur le conflit et les rapports de force. Son exploration par le prisme de l'innocence et de l'imaginaire enfantin est celle des traumatismes des Algériens, bien différents de ceux des Français qui n'ont pas vécu les dernières heures de l'OAS de la même manière.
« Des Hommes » de Lucas Belvaux (2020)
Le film n'aborde pas, contrairement à d'autres, le conflit de manière frontale, mais lui préfère le flash-back. De cette manière Lucas Belvaux parvient à mettre ce sujet peu exploité à distance et à donner à voir les cicatrices et les traumatismes de deux cousins, appelés de la guerre d'Algérie : Bernard (Gérard Depardieu) et Rahut (Jean-Pierre Darroussin) qui entretiennent une relation pour le moins conflictuelle.
« Les Harkis » de Philippe Faucon (2022)
Film le plus récent parmi ceux qui composent cette liste, « Les Harkis » n'a pas peur de regarder la complexité de la Guerre d'Algérie en face. Retraçant les années qui précèdent les Accords d'Evian, le film fait le récit de la manière dont la France a abandonné les Harkis après s'être servie d'eux.
« Les Harkis » n'est pas le premier film sur la Guerre d'Algérie du réalisateur, familier de la thématique en tant que fils de militaire qui a vécu entre le Maroc et l'Algérie et dont les parents ont vécu la fin du conflit. En 2005, il réalise « La Trahison » sur les désillusions d'un jeune officier français qui a sous ses ordres près de 400 hommes. Avec toujours le même regard sur la complexité de la société, ses deux films communiquent et nous donnent à voir des récits oubliés d'un conflit qui a marqué les deux pays et toutes les populations qui s'y croisent et s'y entremêlent.
Par Léa Colombo
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