«Sororité et colonialisme», «Décolonisations?», «Histoire de L'Harmattan» et «Histoire algérienne de la France»: autant d'ouvrages récemment parus qui aident à se confronter à la réalité du fait colonial.
La colonisation a eu des conséquences durables sur les liens entre France et Algérie. | Domaine public via Wikimedia Commons
Aujourd'hui encore, la colonisation demeure un angle mort de la mémoire nationale, en France comme en Algérie. C'est peut-être pour cela que nous oublions parfois que bien que la France ait été une puissance colonialiste, une partie de sa population a toujours refusé le fait colonial, considérant que les principes républicains d'égalité et de fraternité devaient primer.
Plusieurs ouvrages récemment parus montrent que la remise en cause de ce modèle a pris des chemins de traverse.
«Sororité et colonialisme»,
amitiés et scissions féministes
Le livre Sororité et colonialisme de Pascale Barthélémy vient ainsi montrer les liens forts entre des féministes françaises et africaines qui, au-delà de leurs exigences concernant l'égalité entre les sexes, ont aussi porté des revendications d'indépendances. L'historienne y étudie notamment une organisation fondée par des militantes communistes, la Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF), qui possède une branche française, laquelle constitue une sous-section coloniale.
Très vite, avec la guerre froide, une scission s'opère. Une nouvelle organisation non communiste apparaît, l'Association des femmes de l'Union française (AFUF), qui se distingue de l'Union des femmes françaises par son refus de participer aux actions du mouvement communiste, tout en dénonçant le colonialisme, d'une part, et en prônant l'émancipation des femmes de l'autre. Les deux organisations deviennent rivales tout en poursuivant un but similaire, à savoir développer l'entraide avec les femmes des pays colonisés.
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L'AFUF défend l'émancipation par l'éducation et la fraternité, alors que la FDIF se place dans une posture d'anticolonialisme radical dès 1947. Si chacune des deux organisations tisse des liens avec les militantes des pays colonisés, la dimension idéologique joue alors un rôle central. Leurs amitiés recouvrent globalement les destinées des indépendances, comme le montre le lien entre la militante malienne Sira Diop Sissoko et Andrée Dore-Audibert.
La militante anticolonialiste proche de l'AFUF Julienne Niat peut quant à elle écrire dans le bulletin de la FDIF, ce qui souligne le rôle central des relations amicales dans les combats contre la colonisation, au-delà des différences idéologiques. Et ces liens demeurent encore aujourd'hui entre certaines anciennes militantes.
Pascale Barthélémy
Éditions de la Sorbonne
416 pages
35 euros
Sortie le 30 juin 2022
«Décolonisations?», la fabrique
des élites
L'ouvrage de Nicolas Bancel, Décolonisations?, prend quant à lui le sujet à rebrousse-poil à travers l'étude de la formation des élites en Afrique occidentale française entre 1945 et 1960.
Il montre notamment que celle-ci a été conçue dans le sillage la colonisation. Les principales organisations de la jeunesse, d'abord les scouts catholiques puis les éclaireurs protestants, sportives et enfin étudiantes sont devenues l'un des creusets de la fabrication des élites coloniales. Mais elles ont aussi été à la source du post-colonialisme.
En effet, grâce à (ou à cause de) ces engagements associatifs, les nouvelles élites de l'Afrique occidentale française ne se sont pensées que dans une relation avec l'ancienne métropole. Et ces différentes organisations ont servi à mettre en place une copie conforme de ce qui pouvait exister en Occident, ne se posant qu'une question: celle de la prise et du contrôle du pouvoir à la place des anciennes élites.
La maison d'édition L'Harmattan est un des exemples du refus du colonialisme. Elle est née de l'association de deux éditeurs, Denis Pryen et Robert Ageneau. Tous deux ayant très mal vécu leur parcours militaire durant la guerre d'Algérie, ils se rapprochent des réseaux de soutien au Front de libération nationale (FLN).
Issus du christianisme social, les deux hommes, prêtres ayant abandonné leur mission pastorale, pensent que le livre est un moyen central pour combattre le colonialisme et proposer des éclairages novateurs sur les États post-coloniaux. Comme beaucoup d'ecclésiastiques dans le sillage de Vatican II, ils ont pris fait et cause pour les peuples du tiers-monde. C'est pour cela qu'au tournant des années 1970, alors que les premiers éditeurs tiers-mondistes comme les Éditions François Maspero et Présence africaine semblent montrer des signes de fatigue, ils décident de fonder une nouvelle maison d'édition.
Denis Pryen apporte les finances; Robert Ageneau possède un réseau militant qui lui permet de commencer à publier des textes souvent empathiques sur les pays du Sud. Côté gestion, des économies substantielles sont faites sur la fabrication, la production et la diffusion des livres, la majeure partie des auteurs étant bénévoles. Les éditions reposent d'abord sur les militants du christianisme social. Elles bénéficient ensuite d'un réseau d'écrivains qui publient des titres originaux.
À l'aube des années 1980, la maison connaît une crise: Denis Pryen veut ouvrir le catalogue aux autres pays du tiers-monde, quitte à rompre avec des présupposés idéologiques, mais aussi géographiques, alors que Robert Ageneau préfère rester concentré sur l'Afrique. La maison publie alors de nombreux ouvrages sur les conséquences du communisme au Vietnam ou au Cambodge.
Si elle s'était initialement spécialisée dans l'analyse critique, elle a depuis élargi son horizon. L'éditeur publie aujourd'hui plus de 2.000 titres par an, tout en conservant une politique éditoriale qui oblige les auteurs à s'investir dans la publication de leur ouvrage.
Histoire de L'Harmattan–Genèse d'un éditeur au carrefour des cultures
Denis Rolland
L'Harmattan
446 pages
22 euros
Sortie le 3 octobre 2022
Un second volume, L'Harmattan, matériaux pour l'histoire d'un éditeur, composé de documents introduits et présentés par l'historien Denis Rolland, permet de retracer le cheminement de cette maison d'édition grâce à la correspondance entre les éditeurs, avec les auteurs, et la lente et patiente construction d'un catalogue.
L'Harmattan, matériaux pour l'histoire d'un éditeur
Denis Rolland
L'Harmattan
260 pages
18 euros
Sortie le 3 octobre 2022
«Histoire algérienne de la France», les ponts entre deux nations
Dans le passionnant Histoire algérienne de la France, le politiste Nedjib Sidi Moussa poursuit de son côté ses travaux antérieurs sur les messalistes, les nationalistes refusant la mainmise du FLN sur l'indépendance algérienne (Algérie, une autre histoire de l'indépendance, paru en 2019), et sur le racisme et le pseudo antiracisme (La Fabrique du musulman, sorti en 2017) en analysant aujourd'hui la part algérienne de la France.
L'imbrication des deux identités est telle qu'il est en effet impossible de penser l'une sans l'autre, même si, bien évidemment, les deux histoires sont liées à d'autres –politique, sociale, européenne, américaine. Le choix proposé est judicieux. Il s'appuie sur les travaux d'intellectuels ayant une histoire particulière avec l'Algérie, qui soulignent la gémellité des deux nations.
Pour confronter des imaginaires proches, Nedjib Sidi Moussa choisit plusieurs dates charnières, qui permettent de construire des ponts entre les deux rives. Il en retient sept au total: 1965 et le coup d'État de Houari Boumédiène; l'affaire Dalila Maschino, femme d'origine algérienne enlevée en 1978 à Montréal par sa famille qui refusait son mariage avec un Français; la marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983 en France; le procès de Klaus Barbie, premier dans l'Hexagone pour «crime contre l'humanité», quatre ans après; le contrat de Rome, réunion des partis politiques de l'opposition algérienne, en 1995; le match de foot France-Algérie de 2001; et l'affaire Kamel Daoud en 2016. Ces dates permettent de dresser un bilan des relations entre les deux pays.
Édité par
—https://www.slate.fr/stculture/pages-dhistoire/episode-8-livres-colonisation-histoire-feminisme-sororite-colonialisme-decolonisations-histoire-lharmattan-edition-histoire-algerienne-de-la-france
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