Salah Hamouri. « Je change d’endroit, mais le combat continue... »
L’avocat franco-palestinien Salah Hamouri est arrivé dimanche 18 décembre 2022 à Paris, après avoir été expulsé de Jérusalem par les autorités israéliennes. Cet acte illégal viole le droit international et constitue par conséquent un crime de guerre. Depuis le 30 juin 2020, Salah Hamouri était en détention administrative par Israël, sans aucun motif judiciaire.
L’expulsion du Franco-Palestinien Salah Hamouri constitue un « crime de guerre », selon l’ONU
L’ONU a condamné lundi l’expulsion, par l’entité sioniste, de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, détenu depuis mars sans accusation formelle, qualifiant le procédé de « crime de guerre ».
« Le droit international humanitaire interdit l’expulsion de personnes protégées d’un territoire occupé et interdit explicitement de contraindre ces personnes à prêter serment d’allégeance à la puissance occupante », a commenté un porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, Jeremy Laurence.
« Expulser une personne protégée d’un territoire occupé est une violation grave de la Quatrième Convention de Genève, constituant un crime de guerre », a-t-il ajouté dans une déclaration envoyée aux médias.
Salah Hamouri a été expulsé dimanche vers la France. Agé de 37 ans, M. Hamouri avait été condamné en mars à trois mois de détention administrative.
Le Bureau des droits de l’homme de l’ONU « condamne l’expulsion » de M. Hamouri vers la France, « et nous sommes profondément préoccupés par le message terrifiant que cela envoie à ceux qui œuvrent en faveur des droits humains dans le territoire palestinien occupé », a souligné M. Laurence.
Son expulsion, a-t-il déploré, « met en lumière la situation vulnérable des Palestiniens vivant à El Qods-Est ». C’est également « le signe d’une nouvelle détérioration grave de la situation des défenseurs palestiniens des droits humains », a-t-il ajouté.
Le Haut-Commissariat a appelé les autorités de l’occupation à annuler l’ordre d’expulsion.
Devant le monument aux Morts pour la commémoration de la Guerre d’Algérie, les porte-drapeaux, les officiels, élus, les anciens combattants et quelques habitants de la commune étaient réunis, mais il y avait aussi, et peut-être surtout, des jeunes. C’est une nouveauté pour la commune que cette présence des élèves de classes de 3e du Collège Jeanne-d’Arc de Montmirail.
Quelle belle image que celle de ces jeunes gens portant un drapeau tricolore comme leurs aînés er se tenant là devant le monument cantonal. Ils contemplent les lettres dorées sur les drapeaux des anciens. C’est également un jeune homme du même collège qui a lu le message des anciens combattants rappelant là les mots qui chacun aura reçu dans le cœur permettant une fois encore de se souvenir des copains tombés en Algérie.
Pour eux, la Guerre d’Algérie est bien loin et leur regard se pose sur les tablettes ou téléphones portables quand tombent les images de la guerre en Ukraine. Cette guerre-ci, ils la connaissent. Celle d’Algérie, beaucoup moins et pour cause, les témoins disparaissent en laissant un vide.
Conscients d’être les passeurs de mémoire
Ces jeunes sont cependant conscients d’être les passeurs de la mémoire, car cette tâche leur reviendra quand les anciens ne seront plus là. Alors, ils auront peut-être le souvenir de Bernard, de Maurice ou de Michel, ces « papis médaillés » aux côtés desquels ils se sont tenus silencieux quand a retenti la sonnerie aux Morts puis la Marseillaise.
Comprendre la guerre d’Algérie, c’est bien compliqué pour les anciens combattants déjà alors qui plus est pour les collégiens, mais les premiers attachent un grand prix à la présence de ces cadets qui pourraient tous être leurs petits-enfants comme en témoigne Bernard : « Même s’ils ne connaissent pas tout des guerres, il est important qu’ils apprennent comment les éviter et comment éviter que la liste des morts se rallonge encore. » Michel explique, lui, ses regrets que l’histoire n’ait pas une plus grande place dans l’enseignement : « Pour comprendre le futur, il faut apprendre le passé. C’est dans le passé que l’on retrouve ça. »
« J’étais à l’enterrement de plusieurs de ceux qui sont sur le monument »
Autre moment marquant de cette rencontre intergénérationnelle a été celui de Bernard Lelongt expliquant aux jeunes que les noms qui sont gravés dans le granit et le marbre ne sont pas que des noms, mais aussi des visages. : « C’étaient mes amis, je les vois encore dans ma tête. J’étais à leurs enterrements dans ces années-là. Ce ne sont pas que des noms, non ! C’étaient mes amis. »
Les élections législatives, dont le premier tour est prévu ce 17 décembre, rompent avec la tradition parlementaire tunisienne depuis 1956. Boycottées par l’essentiel des forces politiques et suscitant peu de vocations, elles annoncent un Parlement affaibli au profit d’un hyperprésident.
Des manifestants tunisiens participent à un rassemblement contre le président Kais Saied, à l’appel de la coalition de l’opposition « Front de salut national », à Tunis, le 10 décembre 2022 (Fethi Belaid)
Le scrutin législatif du 17 décembre en Tunisie est inédit par bien des aspects. D’abord, il est boycotté par la majeure partie de la classe politique institutionnelle. En effet, un large front du refus s’est constitué, allant des islamo-conservateurs d’Ennahdha au Parti destourien libre (PDL, ancien régime) d’Abir Moussi, en passant par les partis sociaux-démocrates et libéraux.
Ensuite, pour la première fois depuis l’indépendance du pays, sept circonscriptions ne connaîtront aucun candidat. Cela concerne les Tunisiens de l’étranger, notamment France 1 (le nord de la France et la région parisienne), alors que Paris a toujours été une place importante pour les différentes oppositions aux régimes autoritaires de Bourguiba et Ben Ali.
Par ailleurs, dans dix circonscriptions, des élections seront organisées pour désigner l’unique candidat ayant réussi à satisfaire l’ensemble des conditions imposées par les autorités.
Comme Middle East Eye l’évoquait dans un article début novembre, en plus du boycott d’une large partie de la classe politique, l’absence de candidatures et la faible concurrence s’expliquent également par les conditions drastiques imposées par la loi électorale et la nouvelle Constitution.
Pour se présenter aux élections, il faut recueillir au moins 400 parrainages paritaires (50 % d’hommes et 50 % de femmes). De plus, 25 % des parrains doivent être âgés de moins de 35 ans.
Les binationaux n’ont pas le droit de se présenter dans les circonscriptions du territoire tunisien et les candidats doivent être nés de parents tunisiens.
Déséquilibres entre les circonscriptions
Comme pour la Constitution, la loi électorale semble avoir été préparée sans grande concertation. C’est en tout cas ce que dénoncent les ONG spécialisées dans l’observation des élections.
Dans une déclaration à MEE, Bassem Maatar, le président de l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (ATIDE), affirme que les recommandations émises par son organisation après les élections de 2019 n’ont pas du tout été prises en compte.
Législatives en Tunisie : pourquoi si peu de candidats ?
À la parution du texte organisant le scrutin législatif, l’association a donné une conférence de presse au titre éloquent : « Le décret-loi 55 [qui réglemente les élections législatives] va à l’encontre des bonnes pratiques et du processus démocratique ».
Même son de cloche chez Mourakiboun. Contacté par MEE, Sayfeddine Abidi, conseiller politique de l’organisation spécialisée dans l’observation des élections, pointe le découpage électoral en petites circonscriptions – officiellement pour être plus proche du « peuple ».
« Alors que les bonnes pratiques exigent que le différentiel entre le poids [nombre d’habitants représentés par un député] des circonscriptions ne dépasse pas les 15 %, nous constatons des déséquilibres flagrants », relève-t-il en donnant des exemples de territoires géographiquement proches mais aux poids disproportionnés.
Ainsi, dans la banlieue nord de Tunis, un électeur de la Goulette vaut 2,5 fois plus qu’un habitant de Carthage ou de La Marsa ; le même taux est observé entre Tozeur et Gafsa (sud-ouest). Quant aux habitants de l’archipel de Kerkennah, leurs voix comptent sept fois plus que celles de Sfax Sud, sur le continent.
Le manque de candidats représentant les Tunisiens de l’étranger s’explique par la quasi-impossibilité de réunir les 400 parrainages paritaires exigés par la loi.
C’est ainsi que les électeurs inscrits sur les listes de la circonscription de l’Afrique subsaharienne ne sont que 666 dont 221 femmes, des chiffres incohérents par rapport à la taille de la circonscription et au nombre de signatures requises pour participer à l’élection.
Pour l’Océanie et l’Asie non arabe, pourtant de vastes territoires, il n’existe que 762 électeurs.
Fin de la proportionnelle
Dans l’entretien accordé en juin 2019 – avant son élection – à l’hebdomadaire Al-Chara’ al-magharibi, Kais Saied a affirmé vouloir la disparition des partis politiques tout en précisant qu’il ne les interdirait pas.
De fait, la nouvelle loi électorale n’interdit pas aux formations politiques de présenter des candidats. En revanche, elle établit un certain nombre de mesures de nature à affaiblir ces structures intermédiaires.
D’abord, les candidats ne peuvent être financés par leur parti politique. Quand un compétiteur souhaite afficher son affiliation partisane, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) impose aux candidats de faire viser l’intégralité de leur matériel de campagne. Une contrainte bureaucratique supplémentaire qui affaiblit un peu plus les structures partisanes.
Tunisie : les partis politiques, victimes collatérales du coup de force de Kais Saied
La feuille de vote – qui liste tous les concurrents – ne doit, elle, faire aucune mention de l’appartenance partisane.
Interrogée sur cette dernière disposition, l’ISIE a mis en avant le mode de scrutin et les expériences comparées.
Depuis l’indépendance, en 1956, les députés ont toujours été élus à la proportionnelle sur des listes portant sur des circonscriptions régionales. Kais Saied a depuis longtemps affiché son opposition à ce mode de scrutin, lui préférant l’élection uninominale à deux tours sur des petites circonscriptions regroupant une ou plusieurs délégations (sous-préfectures). Cela fait partie de sa « démocratie à partir de la base ». Il estime que les régions intérieures et les ceintures périphériques des grandes villes sont mal représentées.
Loin d’être technique, cette disposition est éminemment politique. Soulignons d’abord que la comparaison avec les démocraties occidentales pratiquant le scrutin uninominal à un tour (le Royaume-Uni, les États-Unis) ou à deux tours (France) n’est pas pertinente.
En effet, dans tous ces cas, la plupart des candidats sont soutenus par un ou plusieurs partis politiques et ce soutien figure sur le bulletin de vote.
L’affaiblissement du lien entre l’aspirant député et sa formation politique rend difficile l’émergence de blocs regroupés sur des convergences idéologiques
Par ailleurs, l’affaiblissement du lien entre l’aspirant député et sa formation politique rend difficile l’émergence de blocs regroupés sur des convergences idéologiques.
Cela est d’autant plus vrai que les parrainages s’effectuent sur la base d’un programme opposable au candidat, qui peut risquer la révocation s’il ne parvient pas à mettre en œuvre ses promesses.
Interrogés par MEE, les responsables d’ATIDE et de Mourakiboun ayant scruté le déroulement des différentes campagnes ont remarqué que l’écrasante majorités des candidats observés mettaient en avant des problématiques extrêmement locales relevant davantage d’un conseil municipal que d’une chambre législative.
Le président de l’ATIDE évoque des difficultés à identifier les candidats appartenant à des partis et à des coalitions. Quant à Sayfedddine Abidi, il dénonce des programmes extrêmement locaux, ne s’intéressant parfois qu’à la partie de la circonscription (quartier, municipalité, délégation) dont est issu le candidat.
Ce biais a déjà été observé depuis 2011 et la chute de Ben Ali. En effet, depuis cette année-là, en l’absence d’instances régionales élues, les députés étaient membres de droit des conseils régionaux. Les grands partis composaient généralement leurs listes en se basant sur les équilibres démographiques au sein d’une même circonscription. Mais l’affiliation à une structure centrale faisait que les enjeux nationaux étaient au cœur des campagnes électorales.
Le pouvoir des députés affaibli
Dans la nouvelle gouvernance, le pouvoir des députés a été considérablement affaibli. Ils n’accordent plus la confiance au gouvernement et ne peuvent plus démettre le président en cas de violation grave de la Constitution.
S’ils ont toujours la possibilité de voter une motion de censure, celle-ci est rendue quasi impossible dans les faits : elle requiert les deux tiers des deux chambres et, en cas de récidive, le président de la République peut au choix démettre le gouvernement ou dissoudre une ou deux chambres du Parlement.
Sans Parlement et sans salaire, les députés tunisiens sont au bout du rouleau
De plus, le chef de l’État peut, sur certains sujets, contourner le corps législatif en recourant directement au référendum. Il a également la possibilité de gouverner par décrets-lois durant les vacances parlementaires.
Enfin, en prenant le prétexte des débordements survenus lors de la dernière législature – et qui ont motivé le coup de force du 25 juillet 2021 –, la nouvelle loi fondamentale fait peser sur les élus un ensemble de menaces : en plus de la révocation, ils peuvent perdre leur immunité en cas « d’injure, de diffamation, d’échange de violences commises à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Assemblée, d’entrave au fonctionnement régulier de l’Assemblée ».
Cette formulation vague de l’article 66 de la Constitution peut ouvrir la voie à la mise au pas d’une éventuelle opposition, à l’instar de ce qui s’est vu en Turquie au moment du passage du régime parlementaire au régime présidentiel.
Enfin, les élections législatives ont été l’occasion d’affaiblir un autre contre-pouvoir.
La Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), chargée depuis 2013 de la régulation des radios et télévisions, avait le mandat de surveiller le traitement médiatique des campagnes électorales.
Alors que Kais Saied a mis en avant l’objectif d’égalité entre les candidats et de transparence des élections, il n’a pas prévu les effets pervers de son dispositif
Ayant perdu son statut d’instance constitutionnelle depuis la promulgation de la loi fondamentale de 2022, l’autorité était en sursis. Bien que la nouvelle loi électorale l’ait à nouveau chargée de sa mission de monitoring, l’ISIE a profité d’un désaccord entre les deux instances pour récupérer cette attribution, profitant du soutien implicite du président.
Alors que Kais Saied a mis en avant l’objectif d’égalité entre les candidats et de transparence des élections, il n’a pas prévu les effets pervers de son dispositif, comme le manque de candidatures et le « marché noir des parrainages », un phénomène qui a pourtant été observé lors des présidentielles de 2014 et 2019.
Conscient de ces dépassements, le chef de l’État a un temps envisagé de changer la loi, avant d’y renoncer. La future chambre basse sera très masculine (les femmes ne représentent que 11 % du total des candidatures) et les allégeances partisanes y disparaitront sans doute au profit des notabilités locales et des appartenances claniques.
Une atomisation qui renforce un peu plus le caractère hyperprésidentialiste du régime.
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La France a-t-elle utilisé des prisonniers de guerre algériens comme cobayes vivants lors de ses essais nucléaires atmosphériques dans le Sahara ? Histoire d'une <em>fake news</em> des temps modernes.
Alors que nous écrivions tous les trois "les Années 50. Et si la guerre froide recommençait ?" — ouvrage illustré publié début avril 2018 par les éditions de La Martinière —, une des 250 images du livre faisait débat et attirait notre attention : Reggane 1960. Dans le désert algérien, ce lieu fut celui des premiers essais nucléaires français. Nous avions choisi cette photographie pour illustrer un des symboles de la guerre froide qui montre des mannequins installés par l'armée française pour tester le souffle de l'explosion. Mais cette image, telle une fake news des temps modernes, est aussi devenue l'icône d'un crime de la France : celui de l'impact de ces essais sur les populations civiles, sur les militaires français mais aussi, selon certains, "la preuve" que la France aurait exposé, non des mannequins, mais des prisonniers de guerre du FLN pour tester les radiations nucléaires.
Une petite enquête commençait, en parallèle du livre, stimulée également par une conversation de l'un d'entre nous avec le réalisateur Rachid Bouchareb, intéressé par la question.
Sur cette photographie, on découvre une douzaine de mannequins en uniformes militaires — très disparates et peu réglementaires — plantés dans le désert algérien. Nous constatons rapidement que nous l'avons mal datée, comme appartenant au deuxième essai français du 1er avril 1960 (erreur de source accompagnant ce document), celui dit de la "Gerboise blanche", alors qu'il s'agit du troisième essai, du 27 décembre 1960. Ce que viennent confirmer films et autres images d'archives que nous avons retrouvés depuis.
Cette photographie se trouve depuis de nombreuses années au cœur d'accusations lancées contre les autorités françaises par des représentants d'institutions algériennes[1] qui demandent la reconnaissance de faits graves qui relèvent de "crimes contre l'humanité". Elle est en effet souvent utilisée, principalement sur internet, afin de dénoncer de présumées expériences réalisées sur quelque 150 prisonniers de guerre algériens du FLN qui auraient servi de "cobayes", déguisés pour certains en mannequins-soldats et ligotés à des poteaux à environ 1 km de l'épicentre, afin de renseigner les scientifiques militaires sur les effets des radiations. Les restes vivants auraient été transférés en France pour de plus amples recherches...
Premiers essais nucléaires français
Il faut, pour bien comprendre, revenir aux premiers temps de l'ère nucléaire. "Trinity" est le premier tir d'une arme nucléaire réalisé sur le champ de tir d'Alamogordo (Nouveau-Mexique) par les forces armées des États-Unis, le 16 juillet 1945, dans le cadre du projet Manhattan. En 1949, l'URSS effectue son premier tir atomique, suivie du Royaume-Uni en 1952. En 1958, le Général de Gaulle confirme à son arrivée l'ordre d'expérimenter l'arme nucléaire et accélère les préparatifs (ce qu'avaient déjà initié ses prédécesseurs deux ans plus tôt) et le ministère de la Défense crée une commission consultative de sécurité chargée d'étudier les problèmes relatifs aux essais nucléaires. La machine est en marche...
Le Groupement opérationnel des expérimentations nucléaires (GOEN) définit l'année suivante des zones de sécurité. Les théories militaires contemporaines du pacte de Varsovie envisagent la possibilité de manœuvres et d'affrontements avec l'ennemi dans des zones contaminées par la radioactivité à la suite de déflagrations. À la traîne par rapport aux autres grandes puissances, l'armée française doit sans aucun doute dans cette période se préparer à de telles perspectives.
Le 10 mars 1960, le président Charles de Gaulle félicite les militaires et physiciens de la "promotion atomique" lors de la remise de la croix de la Légion d'honneur pour leur participation à la mise au point de la première bombe nucléaire française. (AFP)
Le Centre saharien d'expérimentations militaires (CSEM) de Reggane commence à sortir du sable algérien à la fin de l'année 1957, en pleine guerre d'Algérie, en réunissant plusieurs milliers de personnes civiles et militaires dans la région du Tanezrouft dans un vaste complexe situé à une quarantaine de kilomètres d'Hamoudia. Le tir du 13 février 1960 initie une série de quatre essais atmosphériques baptisés "Gerboise bleue, blanche, rouge et verte", la gerboise étant un petit rongeur du désert. Ils s'étalent jusqu'au 25 avril 1961, quelques jours après le putsch des généraux à Alger.
Le site du test, le jour de l'explosion de la première bombe A française dans le désert de Tanezrouft, en Algérie, le 13 février 1960. (Dalmas/SIPA)
Lancé du sommet d'une tour métallique, le premier tir dégage une énergie semblable à quatre fois celle d'Hiroshima (70 kilotonnes). On a installé du matériel militaire (avions, véhicules…) et aussi des animaux (lapins, chèvres, rats) répartis dans des cages autour du point zéro pour analyser les effets biologiques du rayonnement et procéder à des expérimentations ophtalmologiques. Chaque essai donne lieu à de nombreuses mesures destinées à connaître les conséquences de l'énergie dégagée : diagnostic nucléaire, photographies "ultrarapides", analyses radiochimiques réalisées sur des échantillons prélevés par des avions qui pénétraient dans le nuage radioactif.
La zone connaît, en particulier dans la vallée du Touat, une population sédentaire et nomade. Beaucoup vont être contaminés par ces essais. Comme de nombreux militaires et techniciens français, la plupart en chemisettes et lunettes de soleil, ainsi que de nombreux travailleurs algériens, et une vingtaine de journalistes présents sur le site, tous largement exposés aux radiations.
Le "champignn" du premier essai atmosphérique français, "Gerboise bleue", quelques instant après l'explosion, le 13 février 1960. (Dalmas/SIPA)
Un rapport établi par le Sénat français daté de 2009 déclare que :
"Les dispositions prises à l'époque n'ont pas suffi à empêcher l'exposition à des contaminations de personnes qui soit participaient directement aux expérimentations, soit se trouvaient dans les zones environnant les tirs. Ces mesures de sécurité n'ont, tout d'abord, pas empêché la survenue de trop nombreux incidents techniques lors de la préparation ou du déroulement des essais."[2]
En gros, tout n'a pas été parfait. Selon les données de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, 24.000 civils et militaires ont été directement exposés. Un document déclassifié en 2013, et rendu public l'année suivante, signale l'importance et la durée des retombées. Tous les indices vont dans le même sens, l'impact sur l'environnement et les populations locales a été majeur.
Le lendemain de la première explosion, le nuage radioactif atteint Tamanrasset et l'Afrique centrale puis remonte vers l'Afrique de l'Ouest pour atteindre Bamako. La polémique est forte, mais les médias français et les services concernés vont faire œuvre de contre-propagande. Deux semaines après, toujours chargé de radioactivité, il touche les côtes méditerranéennes de l'Espagne et la Sicile.[3] Certains radioéléments éjectés par les explosions aériennes ont pu être inhalés par les populations malgré leur dilution dans l'atmosphère. Ces éléments radioactifs sont sans aucun doute à l'origine de cancers ou de maladies cardio-vasculaires[4]. Tout cela est aujourd'hui connu et avéré, mais il est nécessaire de pousser le récit jusqu'à cette célèbre photographie.
Des Parisiens lisent dans leurs journaux les détails de l'explosion, dans le Sahara, de la première bombe "A" française, dite "Gerboise bleue", le 13 février 1960, place de la Bourse à Paris. (STF/AFP)
Bien moins puissant (4 kilotonnes), le second tir du 1er avril 1960 se déroule durant la visite officielle de Nikita Khrouchtchev en France (du 23 mars au 3 avril 1960), et les informations du journal d'actualité de Gaumont annoncent que "la France, de son côté, a voulu montrer, à Reggane, que son admission au club atomique n'était pas une question de pure forme." Les appareils de déclenchement et de mesure sont installés dans une baraque et l'engin est posé sur une plate-forme au niveau du sol (pour tous les autres tests, il était placé dans un abri en haut d'une tour haute d'une centaine de mètres, puis ensuite une plus petite de cinquante mètres)[5]. L'explosion provoque une boule de feu d'un diamètre de plus de cent mètres pour une hauteur de 280 mètres au-dessus du sol.
Du cliché au mythe
Lors du troisième essai atmosphérique, tiré le 27 décembre 1960, on place à nouveau plusieurs centaines d'animaux, du matériel militaire mais aussi des mannequins habillés d'uniformes (munis de capteurs à radiation selon certaines sources) à des distances diverses autour du point zéro situé à quinze kilomètres du site de commande. Les deux essais, à deux dates différentes, sont au cœur de l'erreur autour de la photographie, c'est pourquoi les faits sont importants.
Comme on peut le constater dans un journal d'actualité de l'époque[6] ces leurres soutenus par des barres de fer sont assurément faits de tissus et ne peuvent contenir des corps humains, morts ou vivants. Ce sont les mêmes mannequins que l'on retrouve sur la photographie que nous avons publiée dans notre livre (donc de décembre 1960) et qui illustre depuis les articles dénonçant l'utilisation de cobayes humains pour des tests de radioactivité... mais en plaçant les faits à avril 1960.
Mais l'image est forte, symbolique et elle renvoie à la violence de la guerre d'Algérie et à ces années terribles. C'est pourquoi elle est régulièrement reprise. Désormais se met en place un récit sur l'utilisation de prisonniers algériens qui auraient été volontairement contaminés et cette image en devient le symbole, la preuve même, le plus évident au regard de sa forme et de ce qu'elle exprime de la violence d'une telle situation. Personne ne va vraiment chercher la réalité de son contexte, ni les autres images ou films concernant l'événement. Là commence l'amalgame. L'arrivée des mannequins que l'on constate sur d'autres clichés[7] ne semble pas exister, personne n'a cherché ces images ou ne les a trouvées. Les archives filmées par Gaumont journal ou l'armée sont oubliées. Là aussi, personne n'a fait l'enquête jusqu'au bout.
Le 27 décembre 1960, le général Jean Thiry, directeur des centres d'expérimentations nucléaires, appuie sur le bouton qui déclenche l'explosion de la troisième bombe atomique française sur le polygone d'essais à Reggane, au Sahara, au cours de l'opération nommée "Gerboise rouge". (AFP)
Dans la foulée du quatrième tir, l'opération "Gerboise verte" – un essai raté puisque sa puissance ne dépasse pas 1 kilotonne, alors qu'il était initialement estimé entre 6 et 18 kilotonnes – des "exercices tactiques en ambiance nucléaire"[8] auront bien lieu. Des opérations qui impliquent une centaine de militaires : hélicoptères, blindés et fantassins munis d'équipements de protection partent en reconnaissance en milieu contaminé.
Près de deux cent soldats sont impliqués après l'explosion dans des exercices qui les amènent durant plusieurs heures entre 650 et 300 mètres du point zéro. Seules des douches leur serviront d'outil de décontamination. Le rapport sur les essais nucléaires de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologies de 2001 signale 42 contaminations de la peau parmi les personnels du champ de tir.
Le scandale évident et connu est avant tout là, dans la contamination des soldats et des populations civiles environnantes lors de tous les essais, mais la polémique avec pour preuve cette image ne disparaît pas, bien au contraire, la fake news prend de l'importance, circule de site en site. On en vient à oublier le cœur du scandale et surtout on prend cette photographie pour une preuve, alors qu'une réelle enquête devrait être menée sur ces cobayes en pleine guerre d'Algérie.
Cette question est aujourd'hui d'autant plus importante, que début 2018, le Conseil constitutionnel français est revenu sur tous les traumatismes à l'encontre des populations civiles et il a décidé que les civils algériens ayant subi des dommages physiques du fait de violences liées au conflit pouvaient désormais prétendre à des pensions versées par la France. Le Conseil constitutionnel a censuré les mots "de nationalité française" qui réservaient jusqu'alors ces avantages aux seules victimes de l'Hexagone, en invoquant le principe "d'égalité devant la loi" garanti par la Constitution. Désormais, Reggane peut s'inscrire dans un vaste questionnement sur les indemnisations possibles des populations touchées à l'époque. L'affaire est donc majeure et il faut reprendre l'enquête sur des faits prouvables et avérés.
"Seuls des cadavres ont été utilisés"
C'est tout naturellement que les autorités françaises ont toujours contesté les effets seconds de Reggane. En 2007, Jean-François Bureau, le porte-parole du ministère de la Défense, assure :
"Il n'y a jamais eu d'exposition délibérée des populations locales."
Il s'agit, selon lui, d'une légende entretenue par la photo d'une dépouille irradiée exposée dans un musée d'Alger. Il ajoute :
"Seuls des cadavres ont été utilisés pour évaluer les effets de la bombe."
La polémique ne fait alors que s'étendre après une telle déclaration, et conforte en fait ceux qui pensent que la France a commis un crime à Reggane. Cette reconnaissance que des cadavres auraient été utilisés laisse sérieusement planer un doute. Et de quels cadavres s'agit-il ? Serait-ce une nouvelle preuve que des personnes vivantes auraient été exposées en décembre 1960 à Reggane ?
Photo prise à Reggane, le 27 décembre 1960, lors de l'opération "Gerboise rouge", le troisième essai nucléaire français dans le Sahara. (AFP)
Rouvrir cette question, c'est aussi interroger aujourd'hui un secret d'État, autour du pacte noué entre Paris et Alger, qui a permis à la France de poursuivre ses expérimentations après l'indépendance, jusqu'au démantèlement du site en 1965. Il explique tout naturellement le silence du régime algérien (ou du moins les méandres complexes de l'écriture de l'histoire), qui, sous l'influence des militaires, a jusqu'à ces dernières années peu utilisé ces essais à des fins de propagande ou de critiques contre la France. Ce sont donc les associations de droits de l'homme qui se sont battues sur cette question et ont pris les "mannequins de Reggane" comme un totem de leur combat, certes juste au niveau de leur quête de savoir, mais fondé sur une image trompeuse.
De fait, de nombreuses études ces dernières années ont montré que les populations de Reggane et d'In-Ekker à Tamanrasset souffrent encore des effets de ces essais qui ont coûté la vie à des milliers de personnes et engendré des maladies graves. À Reggane, où les essais ont été atmosphériques et ont couvert une vaste zone non protégée, l'exposition aux radiations ionisantes provoque plus de vingt types de cancer selon les médecins. À Reggane, avant les essais, on y cultivait des céréales et des dattes. On y trouvait des cheptels et des animaux. Tout cela a disparu.
L'affaire des "150 prisonniers"
Le fil de l'histoire allait rencontrer ce drame écologique majeur. On commence à évoquer désormais le témoignage d'un légionnaire qui aurait participé au regroupement de 150 prisonniers en mars 1960 — ce que reprend très vite la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme — fait rapporté par un héros de l'anticolonialisme : le cinéaste René Vautier. Inattaquable. En fait, René Vautier, qui montait alors son film "Algérie en flammes", aurait été informé de cette histoire par un autre réalisateur : Karl Gass. Un témoignage de seconde main, jamais recoupé. Mais, pour beaucoup, on tiendrait là une preuve irréfutable.
Puis des photos sont publiées dans un dossier du "Canard enchaîné". Des médecins légistes valident ces photographies. On commence à parler de beaucoup d'autres photographies, mais on ne les voit jamais. On parle de nombreux témoignages qui prouvent que les prisons auraient été vidées de 150 prisonniers par l'armée française, amenés sur le site de Reggane. Désormais, tout le monde ne voit plus des mannequins mais bien des corps humains enveloppés de vêtements. Il faut que cette photographie soit la preuve, qui manque, pour sensibiliser les opinions. En fait, on s'égare et l'enquête piétine.
Le 29 décembre 1960 à l'aéroport du Bourget, un militaire réceptionne, en provenance de Reggane, des cages de cochons d'Inde, exposés aux radiations du tr
oisième essai nucléaire français en vue d'analyser les effets biologiques du rayonnement. (AFP)
Les témoins mélangent les dates et les preuves. Qu'importe que l'affaire des "150 prisonniers" soit datée de mars-avril 1960 et que cette photographie date de décembre 1960, elle est devenue une icône, une preuve en image. Des témoins confirment les faits, comme Mostefa Khiati, médecin à l'hôpital d'El-Harrach. Certains commencent à dénoncer les articles secrets des accords d'Évian autour de ces essais, les négociations qui ont duré du 20 mai 1961 au 19 mars 1962, ne pouvant en aucun cas mettre en cause la responsabilité française. Le FLN a accepté alors que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires. Il ne pouvait y avoir de mise en accusation des Français, hier comme aujourd'hui.
En Algérie, l'avocate Fatima Ben Braham déclare :
"L'étude iconographique, de certaines de ces photos, nous a permis de constater que la position des soi-disant mannequins ressemblait étrangement à des corps humains enveloppés de vêtements. A côté de cela, nombre d'Algériens détenus dans l'ouest du pays et condamnés à mort par les tribunaux spéciaux des forces armées [français] nous ont apporté des témoignages édifiants.
Certains condamnés à mort n'ont pas été exécutés dans les prisons, mais ils avaient été transférés pour ne plus réapparaître. Ils avaient, selon eux, été livrés à l'armée. Après consultation des registres des exécutions judiciaires, il n'apparaît aucune trace de leur exécution et encore moins de leur libération. Le même sort a été réservé à d'autres personnes ayant été internées dans des camps de concentration."
Confusion des faits, des preuves et des dates
Mais ces témoignages ne sont pas publiés, ni vérifiables. L'avocate aurait retrouvé une scène des informations télévisées montrant un combattant mort sur une civière entièrement brûlé. Mais là aussi, impossible de voir cette archive. De même, le documentariste Saïd Eulmi va dans le même sens. Le médecin Mostefa Khiati témoigne de nouveau :
"Les corps de ces martyrs (...) ont été retrouvés durcis comme du plastique."
Tout semble aller dans le même sens. Et pourtant il y a confusion des faits, des preuves et des dates. Le mélange est sur plusieurs strates désormais : il y a les faits — que s'est-il passé à Reggane en pleine guerre d'Algérie, au cœur d'une violence alors sans limite ? —, il y a les témoignages et les preuves — impossibles d'en mesurer la pertinence —, et il y a cette photographie devenue "la preuve" d'une exaction. Bien sûr, cela ne veut pas dire que ce crime supposé n'a pas de fondement... mais cela veut dire qu'une photographie a une histoire et qu'elle ne peut servir de preuve sans être questionnée.
Cette image raconte en fait une autre histoire, celle de la France qui en Algérie pendant la guerre, et après la guerre — avec au total onze essais qui se sont déroulés après l'indépendance, jusqu'en février 1966 — a testé sa bombe, en contaminant sans aucun doute des soldats français, des scientifiques, des milliers de civils. Un gouvernement qui a sans doute fait des tests sur des corps — vivants ou morts, comme le reconnaît de manière imprudente Jean-François Bureau, en 2007, alors porte-parole du ministère de la Défense. Mais l'enquête ne fait que commencer.
Tout cela mérite donc une étude en profondeur désormais. La mauvaise utilisation de l'image impliquée peut nous empêcher de connaître la vérité. Une erreur devenue celle de notre temps, qui prétend sans preuve, qui affirme sans enquête, qui privilégie des fake news à un travail de fond. C'est le rôle des historiens et des journalistes de questionner les faits et les images pour traverser les apparences et de chercher à comprendre ce qui s'est vraiment passé à Reggane. En 1960. En pleine guerre froide. En pleine course atomique. Les images nous parlent d'histoire, elles peuvent faire l'histoire, mais comme les faits elles doivent être contextualisées, analysées et validées.
Farid Abdelouahab, Pierre Haski et Pascal Blanchard
[1] Entre autres l'ancien ministre des Moudjahidine, Mohamed Cherif Abbas et plusieurs historiens et scientifiques comme M. Amar Mansouri, chercheur à l'Institut d'études nucléaires d'Alger, ou Abdelmadjid Chikhi, directeur des archives nationales.
[2] Rapport n° 18 (2009-2010), Marcel-Pierre Cléach, fait au nom de la commission des Affaires étrangères, déposé le 7 octobre 2009.
[3] Fabienne Le Moing, "Tribunal administratif : les conséquences des essais nucléaires en Algérie" [archive], France 3, 4 septembre 2014.
[4] Brunot Barillot, "le Document choc sur la bombe A en Algérie", "le Parisien", 14 février 2014.
[5] Pierre Billaud (direction), "la Grande Aventure du nucléaire militaire français. Des acteurs témoignent", Paris, L'Harmattan, 2016.
[6] Journal d'actualité Gaumont de décembre 1960 (Référence 6101GJ 00006) .
[7] Comme ce cliché des archives de l'Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (Réf. : F 60-20 R651).
[8] "Essais nucléaires : 'Gerboise verte', la bombe et le scoop qui font plouf..." (actualisé-3), blog du journaliste Jean-Dominique Merchet , 16 février 2010 (mise à jour : 28 janvier 2015), "Libération, secret défense".
Malika Rahal : Il est difficile d’expliquer comment se décide un métier de vocation… C’est d’ailleurs en rencontrant des témoins dans le cadre de mes recherches que j’ai réalisé qu’il y avait toujours, dans les familles, une personne qui se sentait responsable de l’histoire familiale – et qui n’était ni toujours l’aîné, ni toujours le garçon. Dans ma famille, cette responsabilité par rapport au passé, c’est à moi qu’elle est échue.
Pourtant, le choix de la discipline historique n’allait pas de soi : j’avais commencé des études pluridisciplinaires, mêlant économie, sociologie, histoire, géographie – pour laquelle j’avais d’ailleurs un goût prononcé. Les historiens étaient à mes yeux, à Bordeaux où je faisais mes études, trop conservateurs, plus que les sociologues en tout cas. Étonnamment, je me suis accrochée à l’histoire – peut-être pour lui donner un caractère plus social, plus critique et non fatalement réactionnaire.
Et vous avez fait le choix de l’« histoire du temps présent »… Comment se définit ce champ historique ?
Il s’agit, comme première définition, de l’histoire d’un temps dont les témoins sont encore vivants : l’historien peut les rencontrer, les interviewer, et en retour, ces témoins peuvent le lire, lui répondre, l’appeler au beau milieu de la nuit, voire comme me l’a dit justement Henry Rousso, le poursuivre en justice pour diffamation !
Cette dimension d’histoire orale fait la spécificité de notre discipline au sein de la recherche historique ; elle la rapproche à la fois de la sociologie, de l’anthropologie et du slow journalism. À ceci près que nous sommes encore plus lents que les slow journalists et que nous traitons les témoignages oraux, les tweets et les posts d’une page Facebook avec la même distance critique que nos collègues antiquisants le font pour une inscription romaine ou un tesson de poterie. La particularité de notre travail est que nous sommes co-auteurs des entretiens : la distance critique est moins évidente, mais elle s’apprend. À la différence des journalistes, nos sources aussi, une fois collectées, devraient être intégralement conservées pour constituer un corpus consultable par d'autres.
Avez-vous personnellement été confrontée à des échanges difficiles avec les témoins ?
J’ai eu quelques coups de fil délicats, comme celui passé à la veuve d’Ali Boumendjel avant la publication de la biographie que j’avais écrite sur son mari. J’évoquais ce qui a été présenté par l’armée comme deux tentatives de suicide et dont la deuxième, qui a conduit à sa mort est, en toute certitude, non pas un suicide mais bien un assassinat. En revanche, à l’issue de mes recherches, et au vu de la torture psychologique à laquelle Ali Boumendjel avait été soumis, je ne pouvais exclure que le premier épisode avait été bel et bien une tentative de suicide. Mme Boumendjel, quand je lui en ai fait part au téléphone, m’avait répondu : « Alors, les parachutistes ont gagné ». Pour la famille, la thèse du suicide était exclue et mon hypothèse restait, à ses yeux, difficile à accepter.
Ces témoins attendent-ils donc de l’Histoire une réparation ?
L’Histoire n’est pas la justice, mais il est indéniable que les objectifs des familles ne sont pas ceux des chercheurs et qu’elles nourrissent des attentes qui peuvent être déçues. À nous historiens de prendre toutes les précautions nécessaires pour bien les informer et ne pas leur donner de faux espoirs.
C’est ce que nous avons essayé de faire pour le site 1000autres, consacré aux disparus de ce qui a été bien mal nommé « la bataille d’Alger ». Plutôt que de chercher la preuve des disparitions forcées du côté de l’armée, et en tirant parti de l’expérience des historiens de l’Amérique latine où les listes de disparus n'ont pas attendu les archives militaires pour être constituées, nous avons souhaité nous tourner vers les témoins pour aborder la bataille d’Alger par le vécu des Algérois et la replacer dans une histoire longue des familles.
Le site conçu comme un appel à témoignages est devenu, pour les familles, une sorte de mémorial en ligne, consultable partout et notamment en France, ce qui lui donne à leurs yeux une valeur symbolique forte : le déni est désormais impossible. Cette fonction de monument est un bénéfice involontaire, pour les familles, de notre travail d’historiens.
Au-delà des témoignages, avez-vous accès aux archives pour cette histoire récente ?
Il est très fréquent que les entretiens conduisent les témoins à sortir leurs propres archives : on a ainsi accès à des journaux, des tracts, des documents internes aux groupes de militants, des photos de familles, des lettres – par exemple, pour les disparus de la bataille d'Alger, des réponses de l’administration. On peut alors tirer le fil, rechercher dans les archives de l’administration le courrier initial et croiser les deux types de sources, en profitant de cette complémentarité entre archives privées et archives publiques – quand ces dernières sont accessibles.
Car depuis plusieurs années, malgré les grandes annonces récurrentes sur une meilleure accessibilité des archives en France, nous ne faisons pas de grands progrès. Les recherches des particuliers se heurtent souvent à la très grande technicité du classement en France. Nous sommes ralentis par le manque d’archivistes pour inventorier le contenu de cartons laissés en attente et nous permettre de savoir ce qu'ils contiennent. Certaines archives restent inexplorées : celles de la DST qui concernent l'Algérie – la direction a participé activement aux disparitions forcées – seraient très précieuses, mais à ce jour, elles ne sont pas accessibles. Nous sommes mobilisés en tant qu’historiens pour que la culture des archives se transforme et que des initiatives de guichets citoyens soient relancées pour aider les particuliers à enquêter sur leurs histoires familiales, même lorsqu’elles concernant l’ancien empire colonial.
En Algérie, où est restée une partie des fonds coloniaux, l’accès aux archives est très variable. En ce moment, aux archives nationales, la complexité des démarches les rend presque inaccessibles. Là aussi, les historiens sont mobilisés pour améliorer l’accès.
Même quand les archives sont accessibles, la presse reste l’une des premières sources de l’histoire du temps présent. Celle de 1962, par exemple, aura été une caisse de résonance des émotions qui ont entouré l’indépendance. Après six années d’interdiction de la presse nationaliste, les journaux sont à nouveau autorisés et c’est Alger Républicain, de tendance communiste, qui est le premier à paraître à nouveau.
Son retour en kiosque suscite une très grande émotion, dont le journal lui-même se fait l’écho deux ou trois numéros après : certains Algérois ont pleuré, embrassé le journal, d’autres l’ont placardé au mur pour en faire une lecture collective, témoignant non seulement de l’attachement à ce titre du parti communiste mais aussi de la portée symbolique forte d’une parution qui incarne véritablement la fin de la guerre.
Très vite, à partir de juillet 1962, les journaux voient leur rubrique de petites annonces croître avec d'innombrables recherches de personnes disparues. Ils deviennent alors un outil essentiel de la quête des morts, déroulant le fil macabre de la Guerre d’Indépendance algérienne – des lycéens partis au maquis en vague en 1956 à la répression de la bataille d’Alger ou aux enlèvements d’Européens et d'Algériens en 1962.
Cette histoire du temps présent peut aller jusqu’à l’actualité immédiate, que vous vous employez parfois à décrypter, notamment sur Textures du temps, carnet de recherche en ligne dans lequel vous vous êtes lancée en 2010….
La création de ce carnet de recherche répondait à un objectif de restitution aux témoins, dans une forme plus accessible que les revues savantes, sans barrière payante et en leur offrant la possibilité de réagir. Puis le blog est devenu également un outil de recherche, permettant de toucher de nouveaux témoins, et un espace où, en tant qu’historienne, je peux expliciter certaines résonances historiques, par exemple, lors du mouvement de manifestations du hirak de 2019 : le parallélisme avec les festivités de 1962 était évident, non seulement pour moi, mais également pour tous ceux qui étaient dans la rue. La joie collective, impressionnante, de 2019 semblait réveiller un pays quelque peu endormi et venait réparer le corps collectif des Algériens. Les manifestants faisaient d’ailleurs explicitement allusion à 1962. Au fil des semaines, certains conflits des années 1990 ont été réactivés, notamment lors de la mort d’Abassi Madani, fondateur du Front islamique du Salut : il était indispensable de décoder les références historiques souvent implicites pour aider à saisir ce qui se jouait là.
En donnant une place importante aux témoins, cette histoire récente évolue avec le passage des générations. Quelle est l’histoire qui s’écrit avec les témoins d’aujourd’hui ?
Ceux qui peuvent témoigner désormais de la guerre d’Algérie étaient trop jeunes au moment des faits pour avoir participé aux combats. On assiste donc à l’émergence d’histoires plus intimes, plus familiales, plus locales, notamment des histoires d’enfances. On s’aperçoit aussi que les familles se sont fabriquées leurs propres récits de la guerre, en accumulant ici et là des bribes de savoir. Ce processus narratif sert de sous-bassement à la vie familiale.
La Guerre d'Indépendance algérienne n’a pas l’apanage de ces récits, qui se retrouvent aussi à la suite d’autres guerres qui ont décimé les populations dans des proportions comparables, comme la Première Guerre mondiale ou la Guerre de Sécession. Ces guerres plus anciennes, déjà beaucoup mieux connues, doivent aider à se poser les bonnes questions pour écrire ces pans méconnus de l’histoire de l’Algérie.
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Spécialiste de l’Algérie contemporaine, Malika Rahal est chargée de recherche HDR au CNRS, et directrice de l'Institut d'Histoire du Temps Présent. Auteure d’une biographie d’Ali Boumendjel, militant assassiné durant la Bataille d’Alger, en 1957, elle s’est vu décerner en octobre 2022 le Grand prix des Rendez-vous de l'Histoire de Blois pour son dernier ouvrage, Algérie 1962 – Une histoire populaire (éditions La Découverte)
le 16/12/2022 par Malika Rahal , Alice Tillier-Chevallier
La surprise est totale face aux attentats du 1er novembre 1954. Pourtant, les services de sécurité étaient, eux, bien informés.
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, une série d'attentats est déclenchée en Algérie, revendiquée par une organisation clandestine jusqu'alors inconnue de la police : le Front de libération nationale (FLN). La surprise est totale ; la police coloniale est accusée de défaillance. On sait pourtant aujourd'hui, grâce à des sources nouvelles (cf. p. 27), que les services de sécurité en savaient long sur la crise qui couvait à la veille de la « Toussaint rouge ».
En Algérie, le gouvernement français peut disposer de trois principales agences de renseignements. La première est la police des Renseignements généraux (PRG) chargées sur tout le territoire, de collecter les renseignements politiques. La deuxième est le Service des liaisons nord-africaines (SLNA) du colonel Schoen, spécialisé dans le renseignement arabo-musulman. Ces deux agences sont, pour le gouverneur général d'Algérie, les plus importantes sources de renseignement politique.
Il faut y ajouter la délégation algérienne de la Direction de la surveillance du territoire (DST), mais qui ne répond de ses actes que devant le directeur de la DST, à Paris, Roger Wybot. Chacun de ces services conserve jalousement ses sources comme ses analyses : le renseignement algérien se caractérise ainsi par son fort cloisonnement.
En 1953, le préfet Jean Vaujour est nommé directeur de la police algérienne, et lance une vaste enquête sur les forces nationalistes à l'oeuvre en Algérie. Terminée en mars 1954, elle conclut que, s'il existe un risque insurrectionnel, il vient de l'Organisation spéciale (OS). Fondée en 1947 et démantelée par la police en 1950, l'OS avait pour vocation de préparer l'action directe (armes, finances, commandos). Dans son rapport, Vaujour insiste sur l'organisation terroriste : des filières sont identifiées au Maghreb (Tunisie et Libye). Des renseignements affluent aussi sur les connexions politiques et les soutiens dont les nationalistes algériens peuvent bénéficier au sein du tout jeune gouvernement de Nasser en Égypte. En ce même mois de mars 1954, le SLNA découvre encore la création d'un mystérieux Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA), sans parvenir à en définir avec précision le projet politique.
D'août à octobre 1954, Vaujour n'arrive pas, malgré ses efforts, à attirer l'attention du ministre de l'Intérieur, François Mitterrand, sur la situation brûlante de l'Algérie. Le commissaire Carcenac, chef de la PRG pour l'Algérois, rédige pourtant le 23 octobre 1954 un rapport alarmiste sur un « groupe autonome d'action directe en Algérie », immédiatement adressé à Mitterrand : « Ces irrédentistes [...] sont tous des hommes de la clandestinité, anciens dirigeants de l'OS » ; les responsables ont demandé de « "pousser" l'activité du groupe pour "allumer la mèche" en Algérie ». Dans ses Mémoires, Vaujour affirme avoir présenté l'alternative suivante à son ministre : opérer un coup de filet immédiat - quitte à rater des membres de cellules non identifiées - ou attendre que tous soient identifiés pour lancer l'opération. Le cabinet du ministre ne s'inquiète pas outre mesure. Un ordre d'arrestation générale est finalement donné le 2 novembre - soit vingt-quatre heures trop tard.
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, entre minuit et 3 heures du matin pour l'essentiel, quelque 30 attentats sont en effet perpétrés à Alger, dans le département d'Oran, en Kabylie ou encore dans le massif des Aurès. L'insurrection se solde par neuf morts, quatre blessés et d'importants dégâts matériels. Son déclenchement coïncide avec la diffusion d'un Manifeste qui, sous forme de tracts ronéotypés, annonce la naissance d'un « Front de libération nationale » (FLN) déterminé à conquérir l'indépendance de l'Algérie par la lutte armée. On découvre vite que les organisateurs de l'insurrection sont tous issus de l'OS. Quant au FLN, c'est en fait le nouveau nom du CRUA.
Les services de sécurité français étaient donc bien informés, à la veille de la Toussaint rouge, de ce qui se préparait en Algérie. C'est qu'ils disposaient d'une bonne source de renseignement : les informateurs. A Alger, la police des Renseignements généraux manipule un artificier du groupe CRUA de la Casbah : « Kobus ». Derrière ce nom de code se cache Abdelkader Belhadj Djillali, qui deviendra célèbre pour avoir constitué, entre 1957 et 1958, avec l'aide de l'armée française, un maquis nationaliste anti-FLN. Militant nationaliste, membre de l'équipe dirigeante de l'OS, Kobus avait été arrêté en 1950. « Retourné » par la police, il accepte de collaborer avec les Français. Après une (légère) peine de prison, il est « traité » par la PRG qui le manipule dans les rangs nationalistes. Kobus intègre le CRUA/FLN en 1954 : même s'il est parfois soupçonné dans les cercles nationalistes, il conserve une certaine aura pour son passé OS et sa formation militaire. Renseigné aux meilleures sources, dès les premiers jours d'octobre 1954, c'est donc lui qui informe la PRG de projets d'attentats. Dans l'attente, on l'a dit, de consignes venues du pouvoir politique, Vaujour prend alors sur lui de faire remplacer la poudre des bombes par du très inoffensif chlorate de potasse. Ceci explique la faible portée de plusieurs bombes artisanales (notamment confectionnées dans de petites boîtes Esso) qui exploseront à Alger lors de la Toussaint rouge. C'est encore une source humaine qui, le 31 octobre, remet au commissaire Lajeunesse, chef PRG du Constantinois, une bombe artisanale : un tuyau de fonte de 15 centimètres de hauteur et 10 centimètres de diamètre.
Décidément, les indices se multiplient. Toujours en attente de consignes depuis Paris, Vaujour convoque à Alger les chefs des RG pour la journée du 1er novembre. Trop tard ! Vers 1 heure du matin, le téléphone du chef de la police sonne : Alger est secoué par plusieurs attentats à la bombe. Au lendemain de la Toussaint rouge, la PRG active tous ses informateurs. Vaujour dispose d'un certain « Ayoud », cadre haut placé des organisations nationalistes, grâce auquel il parvient à évaluer les forces du FLN : il peut ainsi annoncer au gouverneur général qu'aucune action terroriste n'est en mesure de survenir avant l'été 1955 - et, de fait, ce sont les attentats du 20 août 1955 qui relanceront la guerre. Roger Le Doussal, commissaire RG à Bône, reconnaît quant à lui dans ses Mémoires l'importance de sa source « Antoine », cadre nationaliste local, tout au long de sa mission dans ce secteur (1955-1960). Tandis que Roger Wybot affirme dans ses Mémoires avoir manipulé Bellounis et son maquis en wilaya 6 (zone saharienne et pétrolifère). La DST passera maître en matière de « retournement » d'agents algériens.
On comprend la dépendance étroite des services de police vis-à-vis de leurs sources humaines, et les problèmes que cela suppose dans la relation entre le policier et son informateur... Mais encore fallait-il pouvoir et savoir exploiter les renseignements ainsi fournis. Ceci nécessitait, en situation coloniale, d'une part de disposer d'un système de renseignements unifié et efficace, d'autre part que le pouvoir politique l'écoute à bon escient, alors qu'il subissait aussi la pression de certains lobbies coloniaux. Ce ne fut pas le cas lors de la Toussaint rouge.
Publication: La surprise est totale face aux attentats du 1er novembre 1954. Pourtant, les services de sécurité étaient, eux, bien informés. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, une...
1 NOVEMBRE 2014
Rédigé par Patrick Granet et publié depuis Overblog
Plus de quatre années de perdues pour 76 secondes ! Le film sur la vie de Larbi Ben M’Hidi, héros de la révolution algérienne, du réalisateur Bachir Derrais est enfin autorisé après une censure qui aura duré plus de quatre ans. Mardi 14 décembre, le réalisateur ainsi que les ministères de la Culture et celui des Moudjahidine (anciens combattants) ont signé un protocole d’accord qui lève toutes les entraves et les interdictions qui visent ce film biographique.
Joint par téléphone à Alger, Bachir Derrais indique que le film sur la vie de ce chef historique du FLN (Front de libération nationale) devrait être projeté en avant-première dans la capitale le 4 mars 2023. Ce jour coïncide avec la date d’anniversaire de la mort de Ben M’Hidi, étranglé dans la nuit du 4 mars 1957 par le général Paul Aussaresses durant la fameuse bataille d’Alger.
Au printemps de l’année prochaine, le long métrage d’une heure et cinquante-six minutes pourrait être également projeté sur le territoire national. Des négociations sont en cours avec des plateformes de streaming pour sa diffusion à l’international.
Commission de visionnage
La levée de cette censure aura été une longue bataille, aussi bien historique et médiatique que politique pour ce réalisateur né dix ans après l’indépendance à Lakhdaria (ex-Palestro), en Kabylie. Achevé en août 2018, le film a d’abord été soumis à la commission de visionnage du ministère des Moudjahidine, conformément à l’article 5 de la loi sur le cinéma qui conditionne toute production de films sur la guerre de libération nationale à un visa des autorités.
Après visionnage, ladite commission a émis 55 réserves de fonds et de forme, portant sur la moitié de ce long métrage qui aura coûté plus de 4 millions d’euros. Ses dix membres ont demandé au réalisateur de couper, de remonter ou de réécrire 55 scènes du film sur Larbi Ben M’Hidi. « Dans le courrier que cette commission m’a adressé le 2 septembre 2018, il est clairement notifié que la version visionnée est interdite de toute projection ou exploitation », se souvient Bachir Derrais.
Les griefs, les reproches et les interdits sont tellement nombreux qu’il aurait presque fallu au réalisateur refaire un nouveau film. La commission lui reproche de ne pas avoir mis l’accent sur la vie et le parcours de Larbi Ben M’Hidi. Elle estime que la partie consacrée à son enfance est trop courte, que le côté politique de ce biopic prend plus de place que le volet sur la lutte armée. Elle considère aussi que le film n’a pas suffisamment mis l’accent sur les scènes de guerre et sur les atrocités commises par l’armée française.
Plus de quatre ans après, la situation a changé. Soraya Mouloudji remplace Azzedine Mihoubi à la tête du ministère de la Culture, et Laïd Rebigua prend la place de Tayeb Zitouni au ministère des Moudjahidine. Des séances de questions et des rencontres ont été organisées au cours de cette année avec le réalisateur afin de trouver une issue au blocage. De nouveaux visionnages ont lieu, et presque toutes les réserves émises en 2018 sont levées.
« Nous sommes passés de 55 à 5 réserves, affirme Bachir Derrais. En tout et pour tout, ce sont 76 secondes qui ont été coupées pour un film qui dure 1h56 minutes. »Les scènes supprimées sont liées à des dates, aux noms de certains protagonistes ainsi qu’à quelques phrases non conformes à la vérité des faits historiques, précise le réalisateur.
La censure qui a frappé le film sur la vie de ce chef historique, considéré comme le Jean Moulin algérien, souligne surtout le poids que conserve aujourd’hui encore la « famille » révolutionnaire, qui a fait de la sacralisation de la guerre d’indépendance et de la colonisation un dogme. Et qui continue, soixante ans après l’indépendance, à ostraciser les historiens, réalisateurs ou artistes qui se risquent à s’écarter du récit national officiel.
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