Le football et, de façon plus générale, le jeu sont chez Nabil Ayouch, comme ici dans cette scène des Chevaux de Dieu, des vecteurs d’affirmation de soi dans une société de la marge où seuls la violence et les larcins semblent être la solution pour ne pas se faire marcher dessus (Stone Angels)
Le football est très populaire au Maroc ainsi que dans la plupart des pays du Maghreb, d’Afrique et du monde arabe. Les origines sociales souvent modestes des joueurs professionnels participent de la popularité de ce sport et des rêves que cela engendre.
Les premiers films marocains post-indépendance le montrent bien, tant ils regorgent de scènes où des personnages du « petit peuple » s’adonnent à ce sport dans la rue ou visionnent un match à la télévision ou dans un stade.
Le Stade d’Honneur ou stade Marcel Cerdan (aujourd’hui stade Mohammed V) de Casablanca, érigé par Achille Dangleterre en 1953, apparaît dans le court métrage expérimental Six et douze (Mohammed Abderrahman Tazi, Majid Rechich et Ahmed Bouanani, 1968).
Le symbole de modernité que constitue ce stade est souligné par de très beaux plans sur les lignes et courbes des gradins et de la tribune en béton, de style brutaliste.
Dans Le Facteur (Hakim Noury, 1980), les inégalités de classes sont au centre du récit et les décors participent de cette intention.
Ainsi, toujours au Stade d’Honneur, le héros Ali assiste à un match de foot (dont les images sont celles, réelles, d’un match de la Coupe du Trône 1978-79). Mais ce plaisir, trop rare dans sa morne vie, lui est gâché par les molestations d’un supporter mécontent.
Le même Stade d’Honneur est au centre d’un court métrage de commande réalisé en 1984 par Ahmed Bouanani, Complexe sportif Mohammed V de Casablanca, malheureusement introuvable.
Lorsqu’il n’apparaît pas dans leurs films, le football est évoqué dans les photographies de certains cinéastes-photographes marocains, tels Daoud Alouad-Syad ou Ilias El Faris, souvent par l’intermédiaire de prises de vue d’enfants ou de jeunes adultes s’exerçant à ce sport dans des espaces publics, urbains comme ruraux.
La nostalgie, chez Aoulad-Syad, et la fougue d’une certaine jeunesse contemporaine, chez El Faris, teintent ces photographies aussi superbes que touchantes.
Les jeunes joueurs marginaux de Nabil Ayouch
Les personnages d’enfants des films de Nabil Ayouch sont très souvent, d’une manière ou d’une autre, des marginaux et s’adonnent régulièrement à diverses activités ludiques qui leur permettent, notamment, une reconfiguration du monde réel dont ils se tiennent à l’écart mais qu’ils ne cessent jamais d’observer de loin.
À ce titre, au début d’Ali Zaoua, prince de la rue (2000), la caméra saisit des enfants en situation de rue en train de jouer au foot, avec un ballon crevé, sur un terrain vague situé dans la périphérie de Casablanca. Entre la grande ville et eux se dresse un grillage qui évoque les barreaux d’une prison.
Il n’est pas anodin que le football, plus que tout autre sport, soit largement représenté dans le cinéma d’Ayouch, et ce, des tout premiers plans de son court métrage Les Pierres bleues du désert (1992) jusqu’aux Chevaux de Dieu (2012), en passant notamment par Ali Zaoua.
Les jeunes personnages de ces films semblent préférer les sports collectifs aux sports individuels.
Intégrer une équipe de football, pour eux, semble ne pas revenir à se liquéfier dans une masse, mais au contraire à consolider une existence qui ne peut s’affirmer qu’à travers les connexions entre cette existence et les autres (comme cela est également le cas avec les réseaux sociaux ou les téléphones portables).
À ce titre, la séquence d’ouverture des Chevaux de Dieu, où l’on voit une bande d’enfants jouer au football sur un terrain vague jouxtant Sidi Moumen, montre ensuite l’un de ces enfants menacer les autres de les frapper avec une chaîne s’ils ne cessent de malmener son petit frère.
Le football et, de façon plus générale, le jeu deviennent ainsi, chez Ayouch, des vecteurs d’affirmation de soi dans une société de la marge où seuls la violence et les larcins semblent être la solution pour ne pas se faire marcher dessus.
Il convient néanmoins de revenir sur le jeune héros des Pierres bleues du désert qui, se désintéressant totalement des autres enfants de son village ainsi que de leurs matchs de foot auxquels il ne participe pas, parvient à imposer son désir propre et à s’extraire de ce groupe pour, enfin, acquérir une liberté et une émancipation qui lui permettent d’exaucer son rêve.
Les outsiders de Faouzi Bensaïdi
Le film collectif Short Plays (2014) a été conçu dans le cadre de la Coupe du monde 2014 et réunit 32 courts métrages venant du monde entier. Faouzi Bensaïdi réalise l’un de ces courts métrages, intitulé Outsiders.
Bensaïdi avait envie de retrouver ses trois acteurs de Mort à vendre mais aussi ses trois personnages. Ce qui l’intéressait également était de proposer un petit fragment de leur vie d’avant les événements du film. Outsiders se déroule donc avant Mort à vendre.
Chaque cinéaste participant avait pour consigne de s’emparer de l’une des règles du football – le corner, le tir au but, le coup franc... – et d’imaginer une petite histoire autour de cette règle.
Quand Bensaïdi a été contacté, certains cinéastes déjà engagés sur le projet avaient choisi quelques-unes de ces règles. Parmi les restantes, il a retenu celle du hors-jeu.
Ses personnages, au lieu de jouer au foot, volent des ballons et en font un petit commerce. Ils sont dans la marge du foot tout autant que de la société, comme dans Mort à vendre : quand ils veulent entrer dans le « grand jeu » du banditisme, ils finissent par rester dans le hors-jeu.
Bensaïdi reprend ainsi cette idée dans le cadre du football, ce qui lui permet de faire davantage d’humour. D’une façon plus générale, ses films mettent souvent en scène des personnages de marginaux, hors du système, jamais dedans et toujours dehors.
Les losers et les gamins espiègles de Hicham Lasri
Lors de la rencontre Maroc-Portugal à la Coupe du monde de football du 11 juin 1986, le policier Daoud est envoyé surveiller un pont sous lequel le roi Hassan II pourrait passer dans la journée.
L’histoire de HEAdbANG LULLABY (2017) tient beaucoup à cœur à Hicham Lasri car elle raconte aussi une partie de son enfance. En 1986, il y avait en effet cette Coupe du monde où le Maroc était parvenu à aller jusqu’en huitième de finale, ce qui constituait un événement très positif dans le pays, d’autant que pour une fois il n’y avait rien de politique ; c’était seulement du sport.
Cela a fait rêver les Marocains dans un espace où il n’y a généralement pas beaucoup de place pour le rêve.
Dans ce climat d’euphorie, Lasri essaie ainsi de tisser une espèce de huis clos tragicomique à ciel ouvert, avec ce flic, bêtement posé sur son pont, qui va croiser des gens qui vont lui apprendre deux ou trois choses sur la vie.
Les enfants de Lasri se montrent frondeurs vis-à-vis des adultes violents. Ainsi, le petit garçon de Jahilya (2018) fait tourner en bourrique son père qui le malmène en le punissant par des procédés aussi drolatiques que perfides : il urine dans ses bottes, lui brûle la plante des pieds durant sa sieste ou l’incite à frapper dans un ballon avec lequel il a dissimulé un piquet, enfoncé dans la terre, qui tord le pied de l’adulte.
Cette scène venge symboliquement le gamin de HEAdbANG LULLABY : joué par le même jeune comédien que dans Jahilya, l’enfant se faisait injustement crever son ballon de foot par Daoud. Par l’intermédiaire du foot, ces enfants rebelles et espiègles semblent ainsi incarner l’espoir de lendemains plus sereins.
Réalités et fictions
Depuis les années 2000 et surtout 2010, de nombreux films documentaires pour la télévision sont produits autour de personnalités et d’équipes de football marocaines, masculines comme féminines.
Certaines fictions pour le grand écran proposent également d’évoquer différents pans de l’histoire du football au Maroc.
Ainsi, en 2011, Driss Mrini consacre un biopic à la « Perle noire » Larbi Ben Barek, considéré comme l’un des meilleurs footballeurs du Maroc et du monde.
Intitulé Larbi ou le Destin d’un grand footballeur, ce biopic au titre programmatique cède malheureusement à toutes les facilités de scénario et de mise en scène.
Académique, il tombe dans l’hagiographie et prouve une fois de plus que les grands sujets n’aboutissent pas toujours à de grands films.
Retenons davantage l’audacieuse proposition de Narjiss Nejjar avec son deuxième long métrage, Wake Up Morocco (2006) ; justement dédicacé à Larbi Ben Barek.
L’histoire est celle d’un vieux footballeur qui, isolé sur son îlot, vit avec sa petite-fille et rêve de cette finale qu’il aurait pu gagner s’il n’avait pas passé la nuit avec une femme.
Devenue vieille et habitant le même îlot, cette dernière rêve toujours de lui.
L’idée de Wake Up Morocco vient à Narjiss Nejjar au moment de l’annonce par le président de la FIFA, en 2004, de l’Afrique du Sud en tant que pays organisateur de la Coupe du monde 2010. La réalisatrice rêve d’une victoire du Maroc en finale de cette édition et nous entraîne dans ses fantasmes.
Plusieurs plans de matchs de foot, avec de véritables joueurs de l’équipe nationale (dont Walid Regragui, aujourd’hui sélectionneur) se situent au stade Mohammed V qui, en dehors du film institutionnel d’Ahmed Bouanani, n’a jamais été autant mis à l’honneur que dans ce long métrage.
Le scénario, la mise en scène et le montage sont pensés de telle sorte à faire progressivement et subtilement passer de l’évocation d’un rêve à son exaucement, spectaculaire et épique : le Maroc en finale ! Un vrai film de cinéma, art du rêve et de la foi par lequel tout s’avère possible, non sans poésie ni émotion.
Wake Up Morocco relève officiellement de l’uchronie. Au regard de ce qui s’est joué pour le Maroc à la Coupe du monde 2022, il semblerait cependant que la réalité ait – presque – fini par prendre le pas sur la fiction…
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