L i v r e
Les totems de Y'Oudaïène. Récit (Romancé ?) historique de Aziz Mouats, El Qobia Editions, Alger 2022, 339 pages, 1200 dinars
Durant plus ou près de 5 années (souvent entrecoupées de relâchement), l'auteur, universitaire mais aussi journaliste de terrain - éternel «mordu» de l'Histoire de la guerre de libération nationale et, grâce à lui, les «enfumades» coloniales du Dahra sont mieux connues du grand public... ainsi que les massacres du 20 août 55 à Skikda - a mené son enquête (par l'intermédiaire de son pseudo, Alim) afin de présenter, à travers le résistance armée dans la région de Cherchell, le parcours d'une héroïne -hélas jusqu'ici peu connue par le reste du pays-qui a pourtant fait l'objet de plusieurs ouvrages (Voir plus bas) : Zoulikha Oudaï... Lalla Zoulikha !
Une femme étonnante, native de Hadjout - comme Annie Steiner l'autre moudjahida- fille de propriétaires terriens, épouse d'un maquignon aisé, connue dans la ville (de Cherchell) pour sa classe et ses tenues élégantes, qui fut nommée, par le Fln, responsable de réseau dans la région. L'unique femme responsable politico-militaire durant la guerre ! Un poste imposant très exposé. Après la mort, au combat, de son mari, Larbi Oudaï, et le démantèlement de l'un de ses réseaux, elle fut conduite à prendre à son tour le maquis.
Capturée par l'armée française en octobre 1957, elle est exposée, attachée à un véhicule blindé et elle se serait adressée à la foule... Elle aurait été exécutée le 25 octobre à 15 h à Sidi Semiane sans que la date soit certaine... et son corps manque... Ses restes (?) «ont beaucoup voyagé» : D'abord un coin perdu du Dahra oriental, son corps en lambeaux et sans vie alors éjecté sans aucun égard, et enterrée par des habitants dans une fosse commune. Puis, au cimetière des Martyrs de la région de Boukerdane et, enfin, en juin 1984, au cimetière de Menaceur. «Une femme sans sépulture» (si l'on emprunte au titre de l'ouvrage de Assia Djebar, publié en 2002). Mais, une femme encore bien vivante dans l'imaginaire populaire de la région et sur les totems nationaux de la résistance populaire. A noter que si Lalla Zoulikha est le personnage central du récit, d'autres personnages, héros de la lutte de libération nationale sont présentés, certains (rares) encore en vie, et ils enrichiront le récit grâce à leurs témoignages (comme Ahmed Ghebalou, comme les propres enfants de Zoulikha...) et bien d'autres (dont le fils aîné de Zoulika, mort au combat).
L'Auteur : Aziz Mouats, né en 1950 à Skikda, est de formation agronome. Installé à Mostaganem, après ses études à l'Ita (dont il fut aussi le directeur), il a été, fort longtemps, journaliste (dont El Watan) et enseignant universitaire (il est docteur en physiologie animale) et... surtout, un infatigable militant de la mémoire (A cinq ans, il a été témoin de l'insurrection du 20 août 55 et à la destruction de la mechta de sa famille, à Beni Melek : 23 hommes de sa famille sont enlevés par l'armée coloniale et assassinés). Déjà auteur de plusieurs ouvrages... dont, en 2021, «Les galets de Sidi Ahmed» (Editions El Qobia).
Table des matières : Remerciements/ Préface de Malika Rahal/ 34 chapitres
Extraits : «Comme elle le fait depuis le début de la guerre de conquête, l'armée française n'allait pas faire dans le détail.Le principe est très simple ; pour chaque soldat français tué, on éliminait entre cinq et dix indigènes» (p 101), «Chez les Oudaï, les U'lhandi, les Mokaddem, les Imalhaïene, on naît rebelle, on ne le devient pas» (p 167), «Le Mouloudia de Cherchell est sans doute le club de football qui compte le plus de martyrs de l'Algérie» (p 186).
Avis : Des infos'. Beaucoup d'infos'. Un style (assez journalistique relevant du reportage et de l'enquête de terrain), une méthode (qui relève tant de la science que de l'expérience), un engagement (qui apporte plus d'éclairages sur le déroulement de la guerre). Roman historique ? De l'Histoire romancée ? Se lit d'un seul trait. Attention, quelques coquilles (dont celle p 234, en italiques)
Citations : «Ce pays (l'Algérie) possède une histoire, et l'Histoire possède ce pays qui a peut-être plié mais jamais rompu devant les Phéniciens, les Romains, les Turcs et les Français, qui sont tous repartis pitoyables, l'illusion sous le bras et le rêve en berne» (Hosni Kitouni, 2017. Cité p 133), «Un bon témoignage est un témoignage sans témoins. Combien de fois, la présence d'une tierce personne a été à l'origine d'une complète déconfiture de l'interviewé» (p 170), «Le problème n'est pas le rêve en soi, mais son explication» (p245)
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 22 decembre 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5317614
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