Une nouvelle orientation s'est dégagée en Algérie durant le mandat du président Abdelmadjid Tebboune qui consiste à rompre tout lien du pays avec l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), alors que son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika a se dirigeait progressivement à y adhérer pour briser ce qui était assimilé à une sorte de « boycott diplomatique » imposé à l'Algérie, sur instigation de la France, au cours de la décennie des années 90.
Cette nouvelle orientation s'illustre à travers la non-participation de l'Algérie au Sommet de la Francophonie qui s'est tenu dans l'île tunisienne de Djerba, les 19 et 20 novembre courant, quand bien même par un degré de représentation peu élevé, après une participation depuis l'année 2002 en qualité d'invité spécial ou de pays observateur à l’époque du président Bouteflika (1999-2019).
Le Sommet de Djerba est le premier de l'OIF depuis l’accès du président Tebboune au pouvoir à la fin de l’année 2019. Ce Sommet était prévu en 2020 avant d'être reporté à deux reprises en raison de la pandémie de la Covid-19.
En 2002, Bouteflika était assez enthousiaste pour l’adhésion de l'Algérie à l'OIF, indiquant à l'époque que son pays se dirigeait calmement mais sûrement sur la voie de l’adhésion à cette organisation.
Toutefois, Bouteflika n'a pas atteint son objectif malgré sa longévité au pouvoir (20 ans), en raison d'un rejet populaire ainsi que de plusieurs partis politiques d'obédience nationaliste et islamiste, voire certains lobbys et ailes au sein même du régime.
L'ensemble de ces composantes avaient rejeté l'adhésion de l'Algérie à l'OIF, qu'elles considèrent comme étant un outil français pour dominer ses anciennes colonies, et pour éviter la marginalisation de la langue arabe en Algérie.
En plus, l’une des principales revendications du Hirak populaire qui avait mis fin au pouvoir de Bouteflika, était le rejet de la domination de la langue française dans les artères de l'Etat et de l'administration.
L’ancien chef d'état-major, le général-major Ahmed Gaïed Salah, était l'une des personnalités les plus influentes qui s'étaient opposées à l'influence de la France en Algérie, tout particulièrement après la chute du pouvoir de Bouteflika, le 2 avril 2019.
- Absence du Sommet arabe
Malgré les liens forts tissés entre l'Algérie et la Tunisie et la participation du président tunisien, Kaïs Saïed, au Sommet arabe, et auparavant à un défilé militaire à Alger, il n'en demeure pas moins que cela n'a pas été suffisant pour assurer une participation du président Tebboune au Sommet de la Francophonie en Tunisie, même d'un point de vue protocolaire et de courtoisie, ce qui confirme la prévalence d'une position officielle et décisive à l'égard de cette organisation internationale dirigée par la France.
L'absence de Tebboune du Sommet de la Francophonie était prévisible, bien que le Parlement français ait classé l'Algérie comme étant le troisième pays au monde en termes de locuteurs francophones avec le tiers de ses habitants. Selon des chiffres officiels algériens, ces estimations sont exagérées.
Cela explique la détermination de la France à faire adhérer l'Algérie à l'Organisation de la Francophonie, dans le but de renforcer son influence dans le monde et confirmer qu'elle dispose toujours du statut d'une puissance, en dépit de la chute depuis plusieurs décennies de son Empire colonial.
L'un des indicateurs de l'absence de Tebboune du Sommet de Djerba se dégage de la Déclaration finale du Sommet arabe d'Alger, tenu les 1er et 2 novembre courant, qui n’a comporté aucune mention de soutien à la Tunisie pour l'accueil du Sommet de la Francophonie, contrairement à l’appui affiché à plusieurs sommets et manifestations internationales dans plusieurs autres pays arabes, tels que l'Égypte, le Maroc, le Qatar, les Émirats et l'Arabie Saoudite.
Bien que l'OIF comporte plusieurs pays arabes en son sein, à l'instar de la Tunisie, de la Mauritanie, du Maroc, de l'Égypte, du Liban voire des Émirats, il n'en demeure pas moins que cela ne lui a pas permis d'obtenir un soutien au Sommet arabe.
Cela rend probable que l'Algérie et plusieurs pays arabes ont joué un rôle dans l'absence de soutien par le Sommet arabe au Sommet de la Francophonie en Tunisie.
De plus, les relations tendues entre le Maroc et la Tunisie au cours de la récente période ainsi qu'entre Rabat et Paris ont fait que le royaume chérifien a évité de soutenir la tenue du Sommet en Tunisie, tout en s'absentant de cette rencontre.
- Changement de l'atmosphère diplomatique
Entre 2002 et 2022, beaucoup de choses ont changé en Algérie, ce qui explique le souci de Bouteflika de participer au Sommet de la Francophonie en contrepartie de la nonchalance de Tebboune, qui a préféré aller au Qatar pour prendre part à l'ouverture du Mondial de football au lieu de se diriger à Djerba pour assister au Sommet de la Francophonie.
En effet, en 2002 l'Algérie sortait à peine d’une crise sécuritaire et d’un isolement diplomatique européen, en plus d'une mise en doute insistante par la France de la légitimité de l'élection présidentielle de 1999, sanctionnée par l'arrivée de Bouteflika au pouvoir après le retrait de l'ensemble de ses six rivaux de la course, arguant de l'existence de falsifications.
La situation de l'Algérie à l'époque était mauvaise et sa dette avait atteint les 26 milliards de dollars. Par conséquent, sa participation à l'OIF avait pour but de briser le boycott diplomatique qui lui était imposé par les pays européens.
La situation en 2022 a changé, dès lors que la dette algérienne est presque inexistante et le pays est devenu une destination privilégiée des hauts responsables et des dirigeants européens, qui ont besoin du gaz algérien pour remplacer les pertes du gaz russe.
La balance commerciale a enregistré depuis 2021 un chiffre positif et il est attendu que ce chiffre atteigne, à la fin de 2022, les quelque 17 milliards de dollars, ce qui a contribué à augmenter les réserves de change, qui sont passées de 42 milliards de dollars en 2000 à plus de 54 milliards de dollars d'ici la fin de l'année présente, selon des estimations récentes.
De plus, la stabilisation de la situation politique et sécuritaire après le parachèvement de l'amendement de la Constitution et l'organisation d'élections présidentielle, législatives et locales, ont renforcé la position diplomatique de l'Algérie face à la France et lui a permis de traiter Paris avec plus de fermeté.
La participation de l'Algérie au Sommet de la Francophonie ne lui aurait pas apporté un quelconque intérêt politique, mais aurait en revanche porté atteinte à l'image du gouvernement au plan populaire et contredirait l'orientation générale dans le pays visant à se débarrasser de l'influence de la langue française.
Le gouvernement algérien actuel s’emploie à se débarrasser progressivement de la domination de la langue française à travers le renforcement de l'enseignement de l'anglais dans les écoles publiques.
De même, certains ministères ont pris l'initiative d'envoyer leurs correspondances officielles en langue arabe au lieu du français, ce qui consacre l'orientation visant à se débarrasser progressivement de l'usage du français dans les cercles gouvernementaux.
- La visite de Macron n'a pas résolu les problèmes en suspens
Le voyage de Tebboune au Qatar, le même jour du début des travaux du Sommet de la Francophonie en Tunisie, a coïncide également avec des informations rapportées par des médias évoquant le gel par l'Algérie de ses négociations avec la France au sujet de l'augmentation, de 50%, de ses exportations de gaz.
La question concerne le durcissement par Paris de sa politique d'octroi de visas aux Algériens, en contrepartie des pressions exercées sur Alger pour pouvoir refouler les migrants irréguliers sur le sol français.
En marge du Sommet de la Francophonie en Tunisie, Macron a souligné que la décision française portant réduction, de moitié, du nombre de visas accordés à l'Algérie et au Maroc a commencé à porter ses fruits.
L'Algérie a, de son côté, refusé de lier le dossier des visas à celui des migrants irréguliers.
Les deux dossiers avaient été débattus au cours de la visite de Macron en Algérie ainsi que lors du déplacement de la Première ministre française Élisabeth Borne et sa rencontre avec son homologue algérien, Aimen Abderrahmen, en octobre dernier.
Le fait de ne pas résoudre le dossier des visas ainsi que le statu quo dans le dossier relatif à la mémoire et à la guerre de libération avec leurs différentes déclinaisons et complexités, sont deux autres facteurs qui ont entravé la participation de l'Algérie au Sommet de la Francophonie, diminuant ainsi l’influence française dans la région.
Cette réalité a été avouée par Macron lorsqu'il a indiqué que l'usage de la langue française en Afrique du Nord a régressé au cours des dernières décennies.
*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou
Mustapha Dalaa |24.11.2022
https://www.aa.com.tr/fr/afrique/quid-de-l-absence-de-lalg%C3%A9rie-du-sommet-de-la-francophonie-en-tunisie-analyse/2746834
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