« Les rats sont entrés dans Paris » : un livre qui grignote les clichés
Dans son essai, le journaliste Olivier Thomas remet en cause trois idées reçues sur le rongeur, dont sa supposée prolifération dans la capitale.
Livre. Des rats dans la ville ! Pas des gentilles petites souris. Non, de vrais rats, ces animaux mal aimés, associés dans l’imaginaire à la dévastation, la maladie, la saleté, aux ténèbres où ils pulluleraient. A Paris, il n’est guère de conseil municipal où le sujet ne soit abordé, et où la maire, Anne Hidalgo, ne se retrouve accusée de laisser proliférer cette effrayante espèce. Le journaliste Olivier Thomas, du magazine L’Histoire, a voulu sortir des clichés et des invectives. Son livre, appuyé sur une documentation solide, replace les débats actuels dans leur contexte historique, et remet en cause trois idées reçues.
A commencer par la prolifération supposée des rats à Paris. Combien y en a-t-il dans la capitale : 1 million, 5 millions, 10 millions ? A vrai dire, nul n’en sait rien. Aucun comptage fiable n’est disponible. « Le développement de la végétalisation urbaine leur offre des cachettes idéales et les travaux incessants, qui les dérangent, les rendent plus visibles », note l’auteur. Sont-ils pour autant plus nombreux aujourd’hui qu’hier, ou sortent-ils simplement davantage à l’air libre ? Une étude scientifique en cours pourrait clarifier la situation en 2023.
Plutôt des surmulots
Deuxième sujet de polémique, le nom de ces animaux. En juillet, une élue animaliste parisienne, Douchka Markovic, avait préféré parler plutôt de « surmulots » que de « rats », pour éviter un mot « connoté négativement ». Une intervention jugée « lunaire » par les élus de droite. Elle n’avait pourtant pas tort. Le rat noir, celui associé à la Grande Peste de 1347-1352 en Europe, a dominé des siècles durant à Paris.
Mais un autre rongeur, une espèce au pelage marron arrivée dans la capitale en 1753, l’a supplanté de longue date. « Comme il diffère autant du rat que le mulot ou la souris, qui ont des noms propres, il doit avoir aussi un nom particulier », écrit Buffon dans son Histoire naturelle. Il le baptise alors « surmulot », « comme qui dirait gros, grand mulot ». Rattus norvegicus pour les scientifiques, « rat d’égout » pour beaucoup. Bonne nouvelle : c’est la puce du rat noir, et non celle du surmulot, qui transmet principalement la peste à l’homme.
Dernier poncif auquel s’attaque Les rats sont entrés dans Paris : le classement immédiat de ce mammifère parmi les nuisibles épouvantables. En réalité, le regard sur les rats a évolué au fil du temps. Dans le Paris de la seconde moitié du XVIIIe siècle, « le rat est un animal familier que les habitants côtoient sans en avoir particulièrement peur, sauf quand il est en horde », assure Olivier Thomas.
Au XIXe, les Parisiens misent encore sur des combats de ces rongeurs contre des chiens, applaudissent les dresseurs de rats, et cuisinent même l’animal en 1870, dans la cité affamée par les Prussiens. L’hygiénisme haussmannien puis le retour de la peste en 1917 changent la donne. Un mot d’ordre : mort au rat ! Il reste valable aujourd’hui. Même si le succès du film Ratatouille (2007) a commencé à redresser l’image du rat des villes…
« Les rats sont entrés dans Paris », d’Olivier Thomas, Vendémiaire, 228 p., 22 €.
Denis Cosnard
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/20/les-rats-sont-entres-dans-paris-un-livre-qui-grignote-les-cliches_6146674_3232.html
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