Dans « Oublier la nuit », finaliste du Renaudot essai, le grand reporter revisite sa vie à la lumière de la nuit où son père a été tué en Algérie, il y a 60 ans.
La mort et la guerre, Jean-Paul Mari les a connues très tôt. Il n'a pas douze ans quand on lui présente à la morgue d'Alger le corps de son père abattu d'une balle de Colt.45 dans le dos. « Mon père était grand et fort. Là, il était grand et mort », écrit le journaliste dans son dernier ouvrage Oublier la nuit.
Son grand-père agonise dans une chambre de l'hôpital, mortellement blessé lui aussi. On est en février 1962, le jour de la Saint-Valentin, les rues de la ville blanche grouillent d'assassins de l'OAS et du FLN, ce sont des membres de ce dernier qui ont descendu son père dont la famille penche un peu de l'autre côté, l'OAS. La morgue, que le gamin quitte à l'aube, déborde de cadavres. « Je ne pouvais pas croire que cet instantané […] allait déterminer ma vie. »
Sauvé par la « dame en bleu »
Trois mois plus tard, pupille de la Nation et rapatrié d'Algérie, Jean-Paul Mari débarque à Toulon. Avant de devenir le grand reporter vedette du Nouvel Observateur et de couvrir pendant plusieurs décennies les ravages de la guerre partout dans le monde, l'auteur vit d'abord une adolescence difficile qu'il raconte dans ces pages. L'été, pour soulager sa mère qui élève avec peine ses trois garçons, il vend des glaces sur les plages, travaille aux abattoirs, est aide tripier avant de reprendre l'école où, meurtri à jamais, il peine à trouver les mots et préfère se servir de ses poings. Il sera sauvé par « la dame en bleu », sa professeure de philosophie de terminale, qui lui apprend « à ne plus boxer dans le vide. »
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Jean-Paul Mari devient kinésithérapeute. Il aime l'hôpital, le soin, ce contact avec les humains. Mais c'est la mort qui l'emporte. Il bifurque vers le journalisme, direction Beyrouth plongée dans le chaos en 1982, où il part explorer « la violence du monde, la chose ». À partir de là, on le suit sur l'interminable sentier des guerres, plus d'une quarantaine en trois décennies, sautant d'un avion à un autre : « Paris-Alger-Paris-Sarajevo-Paris-Kigali-Paris-Bagdad… je tournais comme une boule folle aux quatre coins du billard. » Obsédé par son sujet, jamais satisfait de revenir à l'immeuble du journal place de la Bourse à Paris, toujours sur le départ, c'est l'engrenage infernal.
Dans son livre, Jean-Paul Mari ne cache rien de ses névroses, de ses cauchemars, de son instabilité que ses collègues de travail supportent de moins en moins. Impossible de retrouver le jour, la vie, la chose le ronge. Sa famille explose : « La guerre détruisait, je détruisais. » Le stress post-traumatique, sur lequel Jean-Paul Mari écrit de belles pages, a fait son œuvre. Il s'en remet doucement en allant sauver des migrants sur un navire qui les recueille au large de l'île de Lampedusa, évoque la responsabilité d'écrire, retourne à l'hôpital couvrir l'épidémie de Covid. L'auteur a terminé l'ouvrage le 14 février 2022, fête de la Saint-Valentin, soixante ans jour pour jour après l'assassinat de son père. Le livre lui est dédié.
Oublier la nuit de Jean-Paul Mari Buchet-Chastel, 2022, 18 euros.
Par François Malye
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