Condamné en 1994 à dix-huit ans de réclusion criminelle avant d’être gracié par Jacques Chirac, l’ancien jardinier marocain continue de se battre pour prouver son innocence. Après le rejet de sa deuxième requête en révision, il compte saisir la Cour européenne des droits de l’homm.
Le jardinier d’origine marocaine Omar Raddad, condamné pour le meurtre en 1991 de sa riche patronne, lors d’une demande de nouveau procès, à Paris, le 25 novembre 2021 (AFP/Alain Jocard)
« Il y a 100 ans, on condamnait un jeune officier qui avait le tort d’être juif, aujourd’hui, on condamne un jardinier qui a le tort d’être Maghrébin. »
Coutumier des déclarations choc, le tonitruant avocat Jacques Vergès n’avait pas hésité, en 1994, à comparer le procès de son client Omar Raddad à celui d’Alfred Dreyfus, cet officier français de confession juive victime d’une machination judiciaire à l’origine d’une crise politique majeure de la IIIe République.
Accusé d’avoir assassiné en 1991 Ghislaine Marchal, une riche héritière de la Côte d’Azur qui l’employait comme jardinier, Omar Raddad a été condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. Sans autre preuve matérielle qu’une mystérieuse inscription en lettres de sang sur la scène du crime, célèbre pour sa faute d’orthographe : « Omar m’a tuer ».
Depuis 31 ans, l’homme n’a eu de cesse de clamer son innocence, suscitant une vague de soutiens de tous bords. Gracié partiellement en 1996 par le président Jacques Chirac après l’intervention du roi Hassan II, le jardinier originaire de Nador (dans le Nord-Est du Maroc) continue depuis de se battre pour obtenir une révision de son procès afin d’être définitivement blanchi par la justice.
En vain. Sa dernière requête en révision, déposée le 24 juin 2021, 30 ans jour pour jour après la découverte du corps de Ghislaine Marchal, a été rejetée en octobre par la commission d’instruction de la Cour de révision.
La piste oubliée
Au grand dam de son avocate Sylvie Noachovitch, qui se bat depuis plusieurs années aux côtés d’Omar Raddad.
« On n’est pas dans un procès équitable », a-t-elle déclaré après le rejet de la requête de son client. « On ne veut pas la vérité dans cette affaire », a-t-elle poursuivi, estimant qu’il s’agit de « l’une des plus grandes erreurs du XXIe siècle ».
Sylvie Noachovitch fondait tous ses espoirs sur de « nouveaux éléments » provenant d’une « enquête secrète » menée par la gendarmerie entre 2002 et 2004. Celle-ci révèle que des cambrioleurs avaient été soupçonnés d’être impliqués dans le meurtre de la richissime héritière.
Demeurées à l’abri des radars des médias, l’enquête et ses révélations ont été divulgués dans le livre Ministère de l’Injustice de Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon (Grasset, 2022).
« L’affaire Omar Raddad était jusque-là la seule affaire criminelle dans laquelle on a trouvé des ADN mélangés à la scène de crime qui ne seront pas vérifiés »
- Roger-Marc Moreau, détective et criminaliste
Voie de recours « extraordinaire », la révision peut être demandée « dans des cas très limités » pour permettre le réexamen d’une décision définitive « en raison de nouveaux éléments ».
La piste du cambriolage, fondée sur des éléments contenus dans des procès-verbaux de la gendarmerie qui n’ont jamais été vérifiés par la justice, a ainsi permis de rouvrir le dossier d’Omar Raddad par la commission d’instruction de la Cour de cassation.
Cette enquête « secrète » met en cause deux frères qui tenaient un restaurant à Cagnes-sur-Mer dans les Alpes-Maritimes (La Bolognèse). Fichés par la justice – l’un pour viol aggravé sur mineure, l’autre pour coups et blessures dans une affaire de meurtre –, les deux hommes connaissaient Ghislaine Marchal.
« On a les noms des personnes impliquées, c’est-à-dire des deux frères qui tenaient le restaurant, mais aussi des autres voyous qui gravitaient autour d’eux, notamment un homme de main d’origine yougoslave. Mais au lieu de vérifier rapidement leur ADN, la justice a joué la montre. Le temps que la requête en révision soit étudiée, les deux frères étaient morts, le dernier frère étant décédé l’été dernier », déplore auprès de Middle East Eye Roger-Marc Moreau, qui travaille sur l’affaire depuis près de 30 ans en tant que détective et criminaliste spécialiste des erreurs judiciaires.
« D’autres pistes que la justice n’a jamais véritablement étudiées »
Il s’agit de la deuxième requête en révision rejetée en 20 ans.
« Au début des années 2000, on a découvert deux ADN mélangés au sang de Mme Marchal. Omar Raddad a demandé immédiatement à ce que son sang soit prélevé. À l’époque, on prélevait non pas de la salive mais du sang. Résultat : aucun des deux ADN découverts sur la scène du crime n’était celui d’Omar Raddad », reconstitue Roger-Marc Moreau.
« Tout particulièrement, la commission de révision avait refusé la requête en s’alignant sur la position de la partie civile qui disait qu’il n’était pas utile de vérifier à qui appartenait l’ADN. Car cela pouvait être un ADN de contamination [ADN antérieur ou postérieur au meurtre] », se remémore celui qui a longtemps enquêté sur l’affaire aux côtés de Jacques Vergès, depuis décédé.
Et de s’exclamer : « L’affaire Omar Raddad était jusque-là la seule affaire criminelle dans laquelle on a trouvé des ADN mélangés à la scène de crime qui ne seront pas vérifiés. Il n’existe pas d’autres cas à ma connaissance. »
Après le rejet de la requête en révision, Omar Raddad n’entend pas baisser les bras. Son avocate a promis en octobre de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.
Pour Roger-Marc Moreau, il est possible également de déposer une nouvelle requête en révision à l’aide de nouveaux éléments. « Il existe d’autres pistes que la justice n’a jamais véritablement étudiées », estime le criminaliste, évoquant notamment celle de la femme de ménage de Ghislaine Marchal et de son amant.
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