Dans un débat animé sur le réseau social Meta, l’écrivain Yasmina Khadra répond à une interpellation d’un internaute en déclarant : « La longévité du système repose exclusivement sur ce patriotisme de pacotille qui dresse les néo-héros contre les vraies consciences de la nation ». La réponse de l’auteur est tranchante. Courageuse.
« Yasmina Khadra, aucun mot sur ce qui se passe actuellement en Algérie ? Presse muselée, militants emprisonnés, droits de l’homme bafoués… et la liste est longue. Un peu de courage Monsieur l’écrivain touriste », écrit un internaute qui incitait l’auteur de Les Vertueux à faire de sa plume une arme et de son talent un instrument au service de la cause du peuple.
La salve est rude. Elle est adressée presque en « live » et en temps réel à l’écrivain qui s’attendait à un échange matinal plutôt tranquille avec ses lecteurs sur sa page Facebook. Il ne put donc se dérober à son devoir de réagir à ce qui est une assignation à quitter sa tour d’ivoire, à se départir de « la posture superbe du purisme esthétique » à descendre dans l’arène. A s’indigner.
Il faut dire que depuis un certain temps, Yasmina Khadra est soumis, à chacune de ses sorties publiques (virtuelles ou réelles), à une salve ininterrompue d’injonctions venant des milieux intellectuels et politiquement orientés. On reprochera au célèbre écrivain son engagement « tiède », ses silences « confortables » et son retrait « coupable » des affaires d’un pays qui s’enfonce dans la répression, la démagogie et la manipulation des opinions. L’interpellation adressée au célèbre écrivain a fait mouche, l’obligeant à sortir du bois.
Et sa réplique fût incisive. Tranchante. Une véritable philippique. Bien ciselée.
S’il fait preuve d’indulgence à l’égard de son contradicteur du jour, c’est pour le prendre à témoin. Un prétexte pour dire ce qu’il pense avec les mots qui sont les siens sur ce qu’il nomme « le désarroi algérien ».
Avec un lyrisme toujours vibrant, la métaphore à fleurs de mots, Yasmina Khadra sort l’arme de la polémique. Ses mots sont un véritable jaillissement de colère saine qui filent droit pour débusquer « les vauriens (qui) sont splendides de zèle et de médiocrité ».
C’est sa plume rageuse, sa conscience chevillée à la terre Algérie que l’auteur convoque pour répondre à son contradicteur pour lui ouvrir les yeux.
Explication de texte dans ce qui suit :
« Ce qui se passe aujourd’hui en Algérie, dit-il à celui qui a osé lui apporter la contradiction sur Facebook, est tellement écœurant que le simple fait d’y penser donne envie de vomir jusqu’à ses tripes. Jamais, au grand jamais, l’Algérie n’est allée aussi profondément dans les abysses de ses infortunes. La corruption a atteint son paroxysme, la bêtise et le manque de discernement aveuglent jusqu’aux astronomes, la discorde a trouvé son meilleur vivier, et les vauriens sont splendides de zèle et de médiocrité. Ce que j’avais à dire sur le désarroi algérien, je l’ai écrit à maintes reprises, dit sur tous les plateaux, condamné dans toutes mes prières. Si vous ne l’avez pas aperçu quelque part, c’est parce que vous êtes totalement étranger à ce que vous déplorez.
Aujourd’hui, on me reproche de ne pas faire trop de vagues, de ne pas parler des abus, des injustices, de la hogra tentaculaire, des détenus que l’on enferme arbitrairement pour avoir crié leur douleur, du Hirak torpillé par les inconscients. Pourtant, je n’ai fait que cela depuis des décennies. Je m’étais même présenté aux élections présidentielles en 2014 pour appeler les Algériens à sortir la tête du sable. On m’a ri au nez, traité de lièvre et de guignol. J’ai appris une chose, cependant. La longévité du Système repose exclusivement sur ce patriotisme de pacotille qui dresse les néo-héros contre les vraies consciences de la nation.
Pourtant, il suffit de consulter Haj Google pour s’instruire et s’empêcher de dire des effronteries. L’Algérie, mon cher frère, a perdu une part de son âme dès lors que ceux qui militent sur le Net accusent ceux qui se battent sur le terrain de désertion. À l’usure, le sage comprend que la fausse donne est une réalité que la Vérité négocie à perte pour ne pas renoncer à l’ensemble de ses valeurs.
La cacophonie n’est pas seulement un chahut, elle est surtout le chant vaillant des vaincus. Le jour on l’on apprendra à ne pas se tromper d’ennemi, tous les mirages se transformeront en oasis. Ceux qui ne savent pas se tairont et on n’entendra que la parole juste et l’hymne des rédemptions. Bien à vous, mon frère de terre et non de lait. »
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