Des fermiers des collines attaqués par les colons au sud de Hébron aux groupes armés du camp de Jénine faisant face aux raids nocturnes de l’armée israélienne, une nouvelle vague de la résistance cisjordanienne se forme.
Un manifestant palestinien affronte les forces de sécurité israéliennes lors d’une manifestation contre l’expropriation de terres palestiniennes par Israël dans le village de Kfar Qaddum en Cisjordanie occupée près de la colonie juive de Kedumim, le 7 octobre 2022 (AFP/Jaafar Ashtiyeh)
Le village de Letwani est au bout de la route. Littéralement. Derrière se trouve une route pour les colons, qui commence à Jérusalem et se termine dans les collines au sud de Hébron.
Devant se trouve Masafer Yatta, 30 km² décrétés zone de tir militaire par Israël dans les années 1980.
Les 2 500 habitants de Masafer Yatta sont impliqués dans des batailles rangées quotidiennes avec les colons et les soldats.
Le matin de mon arrivée à Letwani, j’aperçois Asharaf Mahmoud Amour (40 ans) regarder calmement une pile de parpaings. Il s’agit des restes de sa maison. Un bulldozer l’a rasée quelques heures plus tôt. À sa grande surprise, les soldats ont laissé la cabane sur la gauche et le poulailler sur la droite, tous deux faisant l’objet d’ordres de démolition.
« Je vais vous dire où on va dormir ce soir : avec les poules et les chèvres », dit-il.
« Tout ce qu’ils veulent, c’est nous faire partir. Détruire nos maisons, nous empêcher d’accéder aux champs, nous terrifier constamment avec les soldats et les colons tout autour, pénétrer chez nous, nous arrêter. Et nous savons ce qu’ils cherchent à faire ainsi, c’est nous chasser. C’est le défi que nous relevons », poursuit ce père de cinq enfants.
« Ils essaient de nous faire passer pour des terroristes face au monde. Qui sont les terroristes ? Nous essayons de rester chez nous. Ce sont eux qui nous terrorisent. Je resterai ici même si je dois dormir sous une pierre. »
Deux affiches se situent à quelques mètres de là sur le chemin de terre. Un premier panneau proclame « Soutien humanitaire aux Palestiniens menacés de transfert forcé en Cisjordanie » avec les logos de onze organismes d’aide humanitaire de l’Union européenne.
Cette expression de soutien international n’a pas dissuadé les colons, car dessus est affiché un portrait de Harum Abu Aram.
Le jeune homme de 26 ans est aujourd’hui paralysé dans un lit d’hôpital après avoir essayé de défendre sa parcelle rocailleuse.
Un autre agriculteur, Hafez Huraini, a eu la chance de s’en sortir avec les deux bras cassés.
Cinq colons masqués, armés de tuyaux en métal et accompagnés d’un soldat en repos qui tirait en l’air, ont attaqué Huraini alors qu’il s’occupait de sa terre. Ce dernier s’est défendu avec une houe.
Son fils Sami raconte : « Ils étaient cinq contre un quinquagénaire. Lorsque je suis arrivé à côté de mon père, son bras droit saignait et il tenait son bras gauche. D’autres villageois sont arrivés derrière moi, et d’autres colons et policiers sont arrivés. »
Les policiers ont alors annoncé qu’ils allaient arrêter le blessé.
« À ce moment-là, on s’est vraiment mis en colère. Les colons se tenaient devant l’ambulance. Nous avons mis mon père dedans. Les colons ont donné des coups de couteau dans les pneus de l’ambulance du Croissant-Rouge pour l’empêcher de partir », se rappelle Sami.
« L’armée a durci le ton et nous a chargés. Ils nous ont chassés des lieux. Puis ils ont transféré mon père dans une ambulance militaire. »
C’est ainsi qu’ont commencé dix jours de détention pour Hafez Huraini, la victime de l’attaque des colons.
Soupçonné d’avoir occasionné de graves blessures au colon qui l’a agressé, il a été transféré à la prison d’Ofer. Un tribunal militaire était prêt à le condamner à plus de douze ans de prison. Par miracle, l’affaire n’a pas tenu.
Une vidéo montrant l’intégralité de l’incident a été produite devant le tribunal. Le juge a critiqué la police pour avoir attendu plus d’une semaine pour interroger les colons.
« Les Israéliens transforment littéralement la Cisjordanie en réseau de réserves indigènes. Ils façonnent la géographie et la démographie de la Cisjordanie pour s’assurer d’établir une domination durable »
- Jamal Juma’a, activiste politique palestinien
L’avocat de Huraini, Riham Nasra, sous-entend que la manœuvre avait pour objectif de rendre les preuves inutilisables devant le tribunal. « Le complot fomenté contre Hafez Huraini a été discrédité à la minute même où une vidéo documentant son agression par des colons masqués et armés a été communiquée à la police et au public », a-t-il déclaré.
« Les dix jours de sa détention avaient pour unique but de dissimuler la vérité et de préserver la fable inventée par ses accusateurs. C’est pourquoi la police s’est abstenue d’enquêter sur ses agresseurs avec un avertissement pendant neuf jours, contaminant ainsi l’enquête dont elle est responsable. »
Néanmoins, la justice militaire n’en avait pas fini avec lui. En relâchant Huraini, le tribunal lui a ordonné de payer une caution de 10 000 shekels (2 800 dollars) et de rester loin de sa terre pendant 30 jours, dans l’attente de nouvelles investigations sur cet incident. Les colons qui ont perpétré cette attaque et le soldat en repos qui a tiré six balles en l’air sont ressortis libres.
Sami fait partie de cette nouvelle génération d’agriculteurs et activistes déterminés à résister aux prédations de l’État israélien sous toutes ses formes – colons, soldats, policiers et tribunaux.
Il a lancé le groupe Youth of Sumud. « Sumud » est un mot qui revient souvent dans les collines au sud de Hébron. Il signifie ténacité.
« Nous vivions dans une grotte lorsqu’ils nous ont chassés de notre village. Nous avions aménagé notre grotte, créé des murs, l’avions reliée à l’eau de notre village. L’occupant nous a fait payer le prix fort. J’ai eu les os brisés. La violence des colons est au plus haut », confie Sami.
Cette génération est différente : elle est assurée, déterminée, connectée à internet et elle parle couramment anglais.
« Israël s’attend à ce que les vieux meurent et que la jeunesse se résigne, mais c’est le contraire qui se produit », assure Sami.
« Nous n’attendons aucun ordre pour commencer la lutte. Nous n’avons aucun leader et nous n’appartenons à aucune faction. Nous commençons la lutte de notre propre chef. »
Sami est optimiste : « Quiconque dans cette situation envisagerait de partir, mais nous continuons à exister, à sourire, à montrer que nous sommes vivants, à montrer que nous n’abandonnons pas. Voilà ce qui rend notre peuple spécial, montrer que nous sommes incroyables. »
Jamal Juma’a, activiste palestinien de longue date, est plus pessimiste : « Les Israéliens transforment littéralement la Cisjordanie en réseau de réserves indigènes. Ils façonnent la géographie et la démographie de la Cisjordanie pour s’assurer d’établir une domination durable et la contrôler. »
Les colons ont aujourd’hui une emprise ferme sur la topographie de la Cisjordanie. Avant les accords d’Oslo, les colons devaient franchir la Ligne verte pour rejoindre Israël dans ses frontières de 1948 afin d’aller travailler. Aujourd’hui, ils disposent de dix-neuf zones industrielles (d’autres sont en construction) ainsi que de zones agricoles.
Avec des noms charmants tels que Porte du désert et Plantation de cerisiers, ils produisent de tout, du raisin au bétail.
Pour les fermiers indigènes sur cette terre, la vie est très différente. Les chemins de terre sont impraticables à cause des patrouilles militaires israéliennes.
Juma’a conclut : « On en revient aux grottes et aux ânes. »
Paralysie à Ramallah
Hani al-Masri est l’un des principaux journalistes et commentateurs politiques palestiniens.
Directeur général de Masarat, le centre palestinien de recherche politique et d’études stratégiques, Masri se considérait autrefois lui-même comme faisant partie du sérail du Fatah et confident du président Mahmoud Abbas.
Plus maintenant. « La dernière fois qu’il m’a vu, il s’est mis en colère avant même que j’aie eu une chance de parler », rapporte-t-il.
La cause de sa disgrâce est claire. Masri est devenu l’un des critiques les plus acerbes, mais également les mieux informés, d’Abbas.
« Il n’y a plus de leadership à Ramallah depuis longtemps. Au début, Abou Mazen [Abbas] s’est vanté d’obtenir plus d’Israël que Yasser Arafat parce qu’[Abbas] était modéré, contre la violence. Mais en réalité, son échec est encore plus grand que celui d’Arafat », estime Masri.
« Sa réponse à chaque échec a été “plus de négociations” mais le problème, c’est que les négociations n’intéressent pas Israël. Sans négociation, sa légitimité s’effondre, non seulement parce qu’il n’a pas de programme national mais parce que toutes les sources de sa légitimité se sont taries. »
Près de 30 ans après la signature des accords d’Oslo, le responsable de 87 ans préside au naufrage du proto-État palestinien.
« Israël s’attend à ce que les vieux meurent et que la jeunesse se résigne, mais c’est le contraire qui se produit »
- Sami Huraini, fondateur de Youth of Sumud
« Il n’y a pas de Fatah, pas d’OLP [Organisation de libération de la Palestine], pas d’élections, pas d’autorité, pas de société civile et pas de médias indépendants », énumère Masri.
Il n’est pas non plus surpris qu’Abbas ait désigné Hussein al-Sheikh comme son successeur. Celui-ci a été catapulté au poste clé de secrétaire général du comité exécutif de l’OLP au mois de mai.
Masri révèle pourquoi Abbas a choisi Sheikh. « On lui a demandé pourquoi il a choisi Sheikh et [Abbas] a répondu : “Parce qu’il est intelligent. J’ai demandé au comité central de choisir et ils n’ont pas su se mettre d’accord. Donc j’ai choisi parmi eux celui qui était intelligent.” »
Mais, lui a-t-on répondu, Sheikh n’est pas du tout populaire. « Je n’ai aucune popularité », aurait répliqué Abbas selon Masri.
Ce dernier est d’accord avec cette remarque franche. Selon les sondages d’opinion réalisés depuis plusieurs années, entre 60 % et 80 % des répondants veulent qu’Abbas démissionne.
Abbas n’a pas tout à fait tort à propos du comité central. Les poids lourds du Fatah – Nasser al-Qudwa (en exil), Jibril Rajoub, Mahmoud al-Aloul, Mohammed Dahlan (en exil) – mènent leurs propres combats.
Le Hamas, dont les dirigeants en Cisjordanie ont été décimés par les arrestations nocturnes, refuse de prendre part à la lutte de succession, comme les autres factions palestiniennes. Ils considèrent que cela relève exclusivement du Fatah.
Masri poursuit : « Je leur ai conseillé de travailler ensemble. Mais ils ne le font pas. Il y a une chose pour laquelle Abou Mazen est particulièrement doué. Il sait comment les diviser. Il a dit à un membre du comité central, “tu es mon successeur”. Chacun d’eux pense qu’il peut le faire. Il y a une expression en arabe : “lorsque tu n’as pas de cheval, selle un âne.” »
Reste à savoir si Sheikh correspond à la définition de l’âne. Sheikh pense mériter sa place au soleil, ayant fait son temps dans une geôle israélienne lui-même. Les autres n’en sont pas aussi convaincus.
Responsable des relations entre l’Autorité palestinienne (AP) et Israël, Hussein al-Sheikh s’est déjà vu décerner le titre suspect de « porte-parole de l’occupation ». La collaboration est un autre mot de plus en plus accolé à la coopération en matière de sécurité entre l’AP et les forces de sécurité israéliennes.
Il y a un accord non écrit entre lui et le chef de la sécurité de l’AP Majed Faraj, le seul autre responsable palestinien susceptible d’être considéré comme acceptable par Israël et Washington.
Malgré tout son pouvoir en tant que chef du service de sécurité préventive de l’AP, Faraj n’est pas parvenu à se faire élire au comité central de l’OLP.
Une enquête d’opinion menée en juin par le Centre palestinien pour la politique et les sondages a estimé la popularité de Sheikh à 3 % – avec une marge d’erreur de plus ou moins 3 %.
Masri poursuit : « Ils ont besoin l’un de l’autre. L’un est un canal pour Israël, l’autre un canal pour les États-Unis. Israël n’est pas encore prêt à mettre tous ses œufs dans le même panier. »
Toutefois, Sheikh est désireux d’apparaître sur le radar de Washington. Déjà, il agite le spectre de la dissolution de l’AP et la possibilité d’affrontement entre les clans armés rivaux du Fatah comme argument pour la persistance de l’AP.
« Si je devais démanteler l’AP, quelle serait l’alternative ? », déclarait-il au New York Times au mois de juillet.
« L’alternative est la violence, le chaos et les bains de sang », ajoutait-il. « Je sais les conséquences de cette décision. Je sais que les Palestiniens en paieraient le prix. »
Mais si Oslo est mort et l’AP moribonde, assurément la pratique consistant à élire uniquement des candidats dont la fonction première est de faciliter autant que possible l’occupation d’Israël est enterrée elle aussi.
Moustafa Barghouthi, leader et fondateur de l’Initiative nationale palestinienne et second derrière Abbas en 2005, le pense également.
« C’est une période très dangereuse et ceux qui pensent pouvoir imposer certaines personnes aux Palestiniens devront se montrer très prudents parce que ce qui reste de légitimité et de respect disparaîtra si nous n’avons pas de processus démocratique et de consensus parmi les Palestiniens », explique-t-il.
L’Autorité palestinienne est handicapée par trois crises : l’échec de son programme de construction d’un État ; une incapacité à présenter une stratégie alternative ; la création de divisions internes et la mort des élections.
« Ils ont tué le peu de processus démocratique que nous avions en annulant les élections », estime Barghouthi. « Ce faisant, ils ont fait disparaître le processus de participation, ils ont fait disparaître le droit du peuple à choisir ses dirigeants et ils ont totalement obstrué la voie pour la jeune génération. Comment un jeune en Palestine peut-il être influent en politique ? Comment ? »
La veille du jour où nous avons rencontré Masri, Naplouse était en flammes. Des affrontements armés avaient éclaté entre manifestants – beaucoup du Fatah – et les forces de sécurité de l’AP après l’arrestation d’un cadre du Hamas, Musab Shtayyeh, recherché par Israël.
Dans la fusillade, un quinquagénaire palestinien, Firas Yaish, a été tué et un autre homme grièvement blessé.
Des hommes armés ont visé le siège de l’AP pour manifester contre les politiques de l’autorité. Pour apaiser la ville, cette dernière a indiqué détenir Shtayyeh pour sa propre sécurité. Il est depuis en grève de la faim et l’AP lui a refusé par deux fois l’accès à son avocat.
« Sans le soutien d’Israël, l’AP s’effondrerait en quelques mois. Vous voyez ce qui s’est passé à Naplouse, tous les quartiers de Naplouse étaient en flammes, pas seulement la vieille ville mais tous les quartiers », insiste Masri.
Cela signifie que la majorité soutient les combattants qui sont contre l’Autorité palestinienne. Si l’AP revient sur sa promesse de libérer Shtayyeh et de le traiter comme une cause nationale, non comme un criminel, je pense que ce mouvement sera plus grand. »
Masri ajoute : « Notre problème est le suivant. Il nous faut changer, mais les conditions du changement ne sont pas réunies. Je redoute le scénario du chaos, pas le scénario du changement. »
Résistance dans le camp de Jénine
Les descentes nocturnes israéliennes se multiplient en Cisjordanie et tous les indicateurs de l’occupation sont à la hausse sous le gouvernement de coalition de Naftali Bennett et Yaïr Lapid.
Peace Now, le groupe de pression israélien qui plaide pour la solution à deux États, a comparé l’occupation sous cette coalition à celle de l’administration de Benyamin Netanyahou en matière de projets de colonies, d’appels d’offre, de début de construction, de nouveaux avant-postes, de démolitions, d’attaques de colons et de décès de Palestiniens.
Chacune de ces catégories est à la hausse. On constate une augmentation de 35 % des démolitions de maisons, une envolée de 62 % dans les lancements de construction, une hausse de 26 % des projets de nouveaux logements. La violence des colons a quant à elle bondi de 45 %.
Selon les données de l’ONU, au moins 85 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie entre le début de l’année et le 11 septembre, contre une moyenne annuelle de 41 décès sous Netanyahou – et, en l’espace d’un mois, ce chiffre a franchi le cap de la centaine, plaçant 2022 sur la voie de l’année la plus meurtrière des violences en Cisjordanie en plus de dix ans.
L’image de modéré de Lapid sur la scène internationale dissimule une vague implacable de violence étatique contre les civils palestiniens.
Beaucoup meurent dans des fusillades, dont les circonstances exactes ne sont pas claires et qui ne font pas l’objet d’enquêtes indépendantes.
Récemment, deux jeunes Palestiniens ont été abattus et un autre blessé quand les forces israéliennes ont ouvert le feu sur un véhicule près du camp de réfugiés de Jalazone, au nord de Ramallah.
L’armée israélienne a dit avoir « neutralisé » deux « suspects », affirmant que ceux-ci avaient « tenté de mener une attaque à la voiture-bélier contre des soldats ». L’armée a précisé en avoir tué deux et en avoir blessé un troisième.
Les victimes étaient Basel Basbous et Khaled al-Dabbas, tous deux originaires du camp de Jalazone. Mais le comité des prisonniers de l’Autorité palestinienne a indiqué avoir visité un hôpital de Jérusalem où ses membres ont vu Basel Basbous, qui a été blessé et y est soigné.
Les autorités israéliennes ont depuis longtemps cessé de confirmer l’identité des victimes et des survivants, sans parler de rendre les corps des défunts à leur famille pour qu’ils soient inhumés.
Yehia Zubaidi a appris que son frère Daoud était mort de ses blessures à l’hôpital de Haïfa dans les médias israéliens. Mais l’hôpital a refusé de rendre le corps.
Yehia Zubaidi a combattu lors de la seconde Intifada qui a commencé en l’an 2000 et a passé seize ans en prison entre 2002 et 2018. Son frère Zakaria était l’un des six prisonniers qui se sont évadés de la prison de Gilboa en septembre 2021, avant d’être tous repris.
Yehia l’assure : « Mes années en prison ne m’ont pas changé, mais je comprends bien mon ennemi. La prison ne nous a jamais stoppés. J’ai prénommé mon fils Osama, c’était le nom d’un de mes amis qui a été assassiné. Mon deuxième fils s’appelle Mohammed et le troisième Daoud comme mon frère. »
En effet, la résistance se transmet de génération en génération.
Shtayyeh, le cadre du Hamas arrêté à Naplouse, était proche d’Ibrahim Nabulsi, membre de l’aile armée du Fatah – les Brigades des martyrs d’al-Aqsa –, assassiné par les forces israéliennes en août.
Nabulsi, qui était encore adolescent, était le fils d’un officier des renseignements au sein de l’Autorité palestinienne.
« Ibrahim pourchassait [les soldats israéliens], ce n’était pas l’inverse. Dès qu’il entendait parler d’un raid de l’armée israélienne, il était le premier à y aller et à les affronter. C’était son destin. Loué soit Dieu », a-t-il déclaré.
Son fils de 18 ans a laissé un mot indiquant qu’il voulait que son corps soit couvert du drapeau palestinien, plutôt que du drapeau de sa faction.
Barghouthi estime que « c’est en soit un indicateur très important d’une nouvelle conscience qui se développe parmi les jeunes Palestiniens ».
Lubna al-Amouri a transformé sa maison en sanctuaire pour son défunt fils Jamil, jeune commandant du Jihad islamique dans le camp qui a été pris dans une embuscade alors qu’il se rendait au mariage d’un ami il y a un an.
En tentant de s’échapper, il a été abattu d’une balle dans le dos. Deux officiers de sécurité palestiniens ont été tués dans la fusillade. Elle ressent à la fois de la fierté vis-à-vis de son fils, salué comme un héros local, et le chagrin d’une mère.
« À l’école, Jamil avait hâte de faire partie de la résistance, mais je ne l’ai pas laissé faire. Je lui ai acheté une voiture et je l’ai fait travailler. Je voulais qu’il devienne chauffeur de taxi, mais il a vendu la voiture pour acheter une arme et a commencé seul, sans groupe derrière lui. Cela ne faisait pas six mois qu’il appartenait au Jihad quand il est mort », raconte-t-elle, les larmes aux yeux.
« C’était un bon garçon. Il donnait ce qu’il avait d’argent ou de nourriture à des familles plus pauvres. Il était en colère à cause des événements à Jérusalem, les incursions à al-Aqsa. Il a vu ce qui se passait en Cisjordanie et il ne pouvait pas s’empêcher de s’impliquer.
« Nous ne nous reposons jamais dans le camp. Nous nous entraidons les uns les autres. Personne dans le camp ne pense à l’avenir. J’ai deux autres garçons et ils ont vu ce qui est arrivé à leur frère, j’ai peur pour eux. Lorsque j’entends des tirs, tout le monde sort », poursuit-elle.
J’ai demandé à Zubaidi s’il pensait voir la fin de l’occupation de son vivant.
« Oui », a-t-il répliqué sans la moindre hésitation.
« L’occupation s’effondre. Année après année, c’est un échec. Nous sommes des combattants légitimes. Ils tentent de changer le pays parce que nous comprenons que nous avons des droits sur ce pays et que nous le possédons. »
Zubaidi désigne les bâtiments du camp de Jénine qui sont peints en jaune. Ils ont été reconstruits à partir des ruines de la bataille de Jénine en 2002, au cours de laquelle les forces israéliennes ont tracé leur chemin à travers le camp à coups de bulldozer. Entre 52 et 54 Palestiniens ainsi que 23 soldats israéliens ont été tués dans les combats.
Pendant notre entretien, nous sommes rejoints par un homme prénommé Mohammed qui se présente comme un survivant de la bataille.
Mohammed était un jeune garçon à l’époque et se trouvait ce jour-là chez lui avec sa mère et son père. Sa mère préparait du pain pour les combattants dans les rues dehors, se remémore-t-il. Il se rappelle une explosion puis un « brouillard » dans la pièce. Sa mère s’était effondrée par-dessus le pain, elle saignait. Elle oscillait entre conscience et inconscience.
Mohammed poursuit : « Je me suis endormi à côté d’elle. Nous avions appelé une ambulance mais les Israéliens l’avaient empêchée de passer. Au matin, j’ai vu mon père mettre un voile sur ma mère quand je me suis réveillé. Il m’a dit : “Elle dort et tu es désormais avec moi”. »
Mohammed confie avoir prénommé sa fille Maryam en l’honneur de sa mère.
Le camp de Jénine est à la fois libéré de l’AP, qui n’ose pas entrer, et de l’occupation israélienne. Il n’y a pas de colonie autour de Jénine, donc les factions palestiniennes armées font la loi.
Abu Ayman (pseudonyme) est le commandant du Jihad islamique dans le camp.
Il assure : « Toutes les factions à Jénine sont les mêmes. Aucune n’accepte ce qu’Abbas fait, mais nous n’accepterons pas un homme tel que Sheikh. Nous ne reconnaissons pas les élections ou le Parlement. »
« Nous sommes unis. Si nous sommes face à un problème, nous n’en parlons pas à l’AP pour qu’elle vienne nous aider. Nous avons tout ce dont nous avons besoin, même de l’argent.
« À l’intérieur du camp, on se respecte les uns les autres, même entre partis différents. Les gens ne peuvent pas vivre [sous l’occupation] pour toujours. La résistance perdurera. Nous vivons librement ici. C’est ce que désire chacun en Palestine. »
Néanmoins, le camp de Jénine paie le prix fort pour cette liberté relative. Chaque mois, il y a des raids sanglants. Quelques jours après notre rencontre, Abu Ayman a échappé de peu à une embuscade des forces de sécurité israéliennes dans une petite forêt près du camp.
« Je figure désormais sur la liste des personnes les plus recherchées par Israël », indique-t-il.
Zubaidi affirme : « Croire en notre dignité, c’est comme croire en Dieu. De quoi ai-je besoin dans la vie ? Je veux que mon fils se sente en sécurité. Qu’attendez-vous de ces gens ? Nous sommes face à l’oppression et ils veulent qu’on reste calmement dans nos maisons. À quoi vous attendez-vous ? »
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