Les habitants de la ville côtière de Zarzis, dans le sud-est de la Tunisie, se rassemblent dans le centre-ville le 18 octobre 2022 pour une manifestation lors d'une grève générale (Photo, AFP).
De 4 000 à 5 000 manifestants se sont rassemblés sur l'avenue principale de Zarzis
Huit corps, dont plusieurs de Tunisiens, ont été retrouvés le 10 octobre par des pêcheurs
ZARZIS, Tunisie: Des milliers de personnes ont manifesté mardi à Zarzis, ville du sud-est de la Tunisie, paralysée par une grève générale pour réclamer l'intensification des recherches des corps de migrants tunisiens disparus en mer il y a un mois, selon un correspondant de l'AFP.
Les fonctionnaires et commerçants de cette ville côtière d'environ 75.000 habitants ont observé une grève générale à l'appel du puissant syndicat UGTT, demandant une enquête sur ce naufrage et sur les procédures de recherche et d'inhumation des dépouilles retrouvées.
De 4.000 à 5.000 manifestants parmi lesquels les familles de 12 migrants portés disparus se sont rassemblés sur l'avenue principale de Zarzis, selon des médias locaux et un militant associatif ayant participé à la manifestation.
Certains brandissaient des photos des disparus et des banderoles dénonçant un "crime d'Etat", appelant à dévoiler "la vérité".
"Aujourd'hui nous voulons connaître la vérité. C'est un crime d'Etat perpétré contre les habitants de Zarzis", indique à l'AFP Ezzedine Msalem, le militant associatif.
Une embarcation de fortune partie de Zarzis avec à son bord 18 migrants tunisiens, cherchant à rejoindre les côtes européennes, a disparu dans la nuit du 20 au 21 septembre. Par la suite, huit corps, dont plusieurs de Tunisiens, ont été retrouvés le 10 octobre par des pêcheurs.
Les autorités locales ont inhumé par erreur quatre migrants tunisiens dans un cimetière privé, "Le Jardin d'Afrique", réservé habituellement aux corps des migrants subsahariens repêchés dans la région, ce qui a provoqué la colère des familles.
Après leurs protestations, le président Kais Saied a ordonné lundi au ministère de la Justice d'ouvrir une enquête "afin que les Tunisiens connaissent toute la vérité et que les responsables de ces drames affrontent les conséquences de leur négligence".
Du printemps à l'automne, en raison de la météo favorable, le rythme des départs de migrants depuis la Tunisie et la Libye voisine vers l'Italie s'accélère, se soldant parfois par des noyades.
Face à la pression migratoire, les autorités tunisiennes peinent à intercepter ou à secourir les migrants en raison, disent-elles, d'un manque de moyens.
La Ligue tunisienne des droits de l'homme a dénoncé "l'incapacité des autorités à mobiliser les moyens nécessaires pour mener les opérations de sauvetage et de recherche avec célérité".
La Tunisie traverse une grave crise politico-économique et compte désormais quatre millions de pauvres, sur une population de près de 12 millions d'habitants.
Plus de 22.500 migrants – des Tunisiens, des Subsahariens et d'autres nationalités – ont été interceptés au large des côtes tunisiennes depuis le début de l'année, selon des données officielles.
Ces derniers jours, le ministère de l'Intérieur a annoncé l'arrestation de plus de 1 300 passeurs, Tunisiens et étrangers. (Photo, AFP)
L'ensemble de la famille -le père, la mère, la fillette de 3 ans et son frère de 7 ans- avait prévu d'embarquer depuis la ville côtière de Sayada (est de la Tunisie) pour rejoindre illégalement les côtes italiennes
Au cours de l'opération, «le père a remis sa fille au passeur sur l'embarcation pour aider son épouse et son fils restés loin derrière. Entretemps, la bateau avait pris le départ pour Lampedusa», en Sicile
TUNIS: Sans ses parents, une fillette tunisienne de trois ans a rejoint les côtes italiennes à bord d'une embarcation de fortune transportant des migrants, ont indiqué les autorités à Tunis qui ont placé son père et sa mère en garde à vue.
L'ensemble de la famille -le père, la mère, la fillette de 3 ans et son frère de 7 ans- avait prévu d'embarquer depuis la ville côtière de Sayada (est de la Tunisie) pour rejoindre illégalement les côtes italiennes.
Sauf qu'au cours de l'opération, « le père a remis sa fille au passeur sur l'embarcation pour aider son épouse et son fils restés loin derrière. Entretemps, la bateau avait pris le départ pour Lampedusa », en Sicile, a indiqué un responsable du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), organisation qui suit les questions migratoires.
Les parents de la fillette, des vendeurs ambulants, ont déboursé près de 24 000 dinars (environ 7 500 d'euros) pour tenter la traversée.
« Le parquet a ouvert une enquête et les parents de l'enfant ont été placés en garde à vue pour des soupçons d'affiliation à une bande organisée en vue de franchir illégalement les frontières maritimes », a indiqué le porte-parole de la garde nationale tunisienne Houcem Eddine Jebabli à la presse locale.
Ces derniers jours, le ministère de l'Intérieur a annoncé l'arrestation de plus de 1 300 passeurs, Tunisiens et étrangers.
Plus de 2 600 mineurs tunisiens, dont plus des deux tiers n'étaient pas accompagnés de leurs parents, sont parvenus à atteindre les côtes italiennes entre janvier et août 2022 sur un total de plus de 13 000 migrants tunisiens, selon le FTDES.
Les autorités tunisiennes qui ont annoncé récemment plus de 22 500 interceptions de migrants au large du pays, disent manquer de moyens face à une forte pression migratoire.
La Tunisie, située à certains points de son littoral à seulement 130 km de l'archipel italien de Sicile, traverse une grave crise politico-économique avec désormais quatre millions de pauvres sur près de 12 millions d'habitants.
Elle est aussi le point de départ chaque année de milliers de Sub-sahariens ou ressortissants d'autres pays pauvres ou en guerre, pour beaucoup déjà refoulés une première fois vers la Tunisie après leur départ clandestin depuis la Libye voisine.
« Dans notre village, ceux qui sont partis vivre en France sont plus nombreux que ceux qui sont restés », dit d’emblée Ramtane Benzema, 68 ans. Ce village, c’est Tighzert Ath Jlil – littéralement « le ravin des Ath Jlil » –, une jolie petite bourgade nichée au fond d’une étroite vallée. Le village fait partie de la commune d’Ath Jelil, de son nom berbère, ou Beni Djelil, comme on l’appelle officiellement. Située dans une zone montagneuse enclavée dans l’arrière-pays du département de Béjaia, en basse Kabylie, cette commune rurale compte une quinzaine de villages éparpillés au milieu des oliveraies, des figueraies et des forêts.
Il fait excessivement chaud pour une journée d’automne en ce mardi 18 octobre 2022. Autour d’un café et d’une limonade, Ramtane Benzema accepte volontiers de raconter sa famille et son village, lui qui savoure aujourd’hui une retraite amplement méritée. Peintre, chauffeur, maçon, paysan, ouvrier sur divers chantiers, l’homme a exercé une foule de petits métiers qui lui ont permis de faire vivre décemment sa famille. La veille au soir, bien entendu, tous les hommes attablés dans l’unique café du village ont suivi avec grand intérêt la cérémonie de remise du Ballon d’or à l’enfant du pays, Karim Benzema. Ici, la moitié des habitants s’appellent Zema, Benzema ou Benzemma. La famille du champion vit à Tighzert Ath Jlil depuis sa fondation, il y a près de trois siècles.
Karim, la star mondiale, on ne le connaît ici que par ses exploits sur les terrains de foot. Mais on n’est pas avare d’anecdotes sur Hafid, le papa du footballeur, et surtout sur Leghel, son grand-père. « Mon cousin Leghel, le grand-père de Karim, connu aussi sous le prénom de Mohand, est parti en France fin 1962. En 1963, il est revenu prendre sa femme et ses enfants pour s’installer là-bas mais il revenait chaque année au village », raconte Ramtane. Les liens avec le pays d’origine ont changé au fil du temps et des générations. Si Leghel rentrait régulièrement au pays, son fils Hafid, le papa de Karim, qui a épousé une Oranaise, le faisait beaucoup moins. Et personne ne se souvient avoir vu Karim mettre les pieds à Tighzert. « Peut-être qu’il viendra un jour en pèlerinage au pays de ses ancêtres, quand ses responsabilités professionnelles lui laisseront un peu plus de temps. En tout cas, il est le bienvenu ici, chez lui », dit l’un des villageois.
Une terre d’exil
Ramtane se rappelle que c’est à partir de 1958, en pleine guerre d’Algérie, que les premiers hommes, des mineurs pour la plupart, ont commencé à emmener leurs familles pour s’installer en France. Avant, la grande source du village, aujourd’hui presque tarie, permettait aux hommes d’entretenir de beaux et luxuriants jardins qui les faisaient vivre. Après l’indépendance, la population a grandi et la terre n’a plus suffi à nourrir tout son monde. Les hommes jeunes et valides ont dû prendre leurs baluchons et s’exiler sous des cieux plus cléments.
En Kabylie, pays de montagnes hérissées de villages, la terre nourrit chichement hommes et bêtes. On y cultive l’olivier et le figuier, on entretient un petit jardin potager et on élève quelques têtes de bétail. Quand la famille s’agrandit, l’aîné doit s’inventer un avenir ailleurs, en France ou dans une grande ville du pays, comme Alger, Oran ou Constantine. Quand un Kabyle s’installe en France, il commence par faire venir femme, enfants, frères et cousins. En faisant jouer les liens de solidarité, bientôt une communauté se crée. L’été à Tighzert, ils sont encore très nombreux à revenir de Lyon, Paris, Marseille ou d’ailleurs. Certains ont construit ici de belles demeures, d’opulentes villas que le visiteur aperçoit au bord de la route.
Fidèle à chaque grand rendez-vous footballistique, Tighzert chavire à chaque but inscrit, chaque titre, coupe ou championnat remporté par le capitaine du Real Madrid et buteur de l’équipe de France. Et des titres, Karim en a gagné beaucoup avant cette soirée du lundi 17 octobre 2022 qui l’a vu, lui, le petit cousin de la famille, soulever le fameux ballon d’or. Les Tighzertois étaient doublement heureux. À la fierté légitime de voir un Benzema soulever ce prestigieux trophée, s’ajoutait le bonheur de voir l’autre icône du football, Zinedine Zidane, le lui remettre et le serrer contre son cœur comme un frère.
Zidane, l’autre enfant du pays
Ici, on considère Zinedine comme un autre authentique enfant du pays. Aguemoune, son village d’origine, c’est juste de l’autre côté de la montagne, à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau. En fait, à travers la trajectoire de ces deux footballeurs qui brillent au firmament du football mondial, ce sont deux destins d’émigrés kabyles qui se croisent. Deux histoires qui ont commencé à s’écrire sur les chemins escarpés de la Kabylie, alors même que l’Algérie et la France étaient comme un couple en instance de divorce qui se déchire après un mariage forcé.
Comme Leghel Benzema, Smail Zidane, un paysan kabyle qui gardait les chèvres de l’autre côté de la montagne, est parti en France en 1953. Installé à Marseille, il y a travaillé toute sa vie comme ouvrier et fondé une famille avec Malika, la femme de sa vie. Zizou, le plus jeune de ses cinq enfants, est devenu, bien avant Karim, une star planétaire. Leghel et Smail, les deux paysans kabyles devenus ouvriers en France, ne se sont jamais rencontrés. Mais leurs fils et petit-fils ont prolongé ces chemins amorcés dans des petits villages de Kabylie. Comme Smail Zidane, Leghel revenait régulièrement au pays, pratiquement deux fois par an. Décédé le 25 janvier 2021, il a fait son dernier voyage à bord du jet privé de son petit-fils pour être inhumé au cimetière familial, sur la terre qui l’a vu naître.
Nassim Benzema se propose de nous faire visiter Tighzert, petit village propret, à l’heure où les enfants sortent de l’école primaire. Dernièrement, les villageois, y compris les émigrés installés en France, ont cotisé pour rénover le petit dispensaire de santé de Tighzert. Nassim est maçon itinérant. « Je vais partout où il y a du travail pour moi », dit-il, et son rêve est que le village construise un jour un stade de football pour tous les enfants qui rêvent de suivre les traces de Karim. « Nous avons l’assiette de terrain qu’il faut pour ça mais pas l’argent nécessaire », déplore-t-il.
Ce que les jeunes qui nous accompagnent lors de la visite ne nous disent pas, c’est qu’ils espèrent qu’un jour Karim viendra visiter le petit village où sont enterrés ses ancêtres. Ce sera un grand honneur pour tous ces villageois qui portent pour la plupart le même nom que lui. En fait, Karim l’avait même solennellement promis dans une émission de la chaîne Canal+, fin 2018 : « Je n’ai pas encore eu la chance d’y aller pour des questions de timing, mais dans pas longtemps je vais y aller et ce sera une belle surprise pour le peuple car je sais que là-bas je suis aimé… », a-t-il promis.
En fait, les jeunes de Tighzert espèrent qu’il suivra un jour l’exemple de son « grand frère » et idole, Zinedine Zidane, venu en pèlerinage à Aguemoune. Zizou a aussi créé une fondation portant son nom pour soutenir des projets caritatifs en Kabylie et dans toute l’Algérie.
Dernière halte dans l’abribus qui jouxte la place principale du village. Là, le portrait de Karim, qui a été peint il y a quelques années, est presque effacé. Il se devine à peine.
L'Homme des Accords déviants. Roman de Salah Guemriche. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 256 pages, 1000 dinars
L'Homme des Accords déviants. Roman de Salah Guemriche. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 256 pages, 1000 dinars
Homme de théâtre, Larbi est un Algérien réfugié en France. Il avait fui le pays suite à une fetwa lancée contre ses adaptations en arabe de Tartuffe et des Femmes savantes.
Le récit nous présente un personnage intermittent courant d'emploi en contre-emploi, au gré des offres de l'Agence Rôle-Emploi chargée des Intermittents de la Fiction , il se retrouve enfermé dans la peau d'un personnage obnubilé par la défense de la langue française qui l'engage dans une croisade surréaliste contre ce qu'il appelle les Accords déviants. Dans une défense éperdue (il s'y perdra en fin de parcours) dans les usages de la langue française.
Une langue dont il domine tous les aspects, aussi bien grammaticaux qu'historiques, ce qui ne plaît guère aux intellectuels et éditeurs français de «souche» qui chercheront à l'écarter de toutes les scènes et toutes les applications. La presse le surnommera «Le Fou de Molière», «Mejnoun Molière», devenu chasseur-vengeur, en solitaire masqué, armé d'un révolver tirant des cartouches à blanc... mortelles lorsqu'elles sont proches de la cible, de toutes les erreurs écrites ou dites en français et de leurs auteurs. Il ne supportait plus que sa lecture des pages des journaux et magazines fût altérée par des coquilles à la pelle... cause, estime-t-il, d'une culture rétrograde. Il se suicidera.
Dans un improbable jeu de rôles, Larbi - devenu François - va traverser ce «roman qui ne veut pas en être un» (sorte de «nouvelles emboîtées»... une «autre façon de dépasser la linéarité»), et s'incarner là où le lecteur ne l'attend pas, avant de se désincarner littéralement.
L'Auteur : Né en mai 1946 à Guelma. Etudes secondaires à Annaba. Université de Constantine. Diplômé en ethnologie et en Sciences de la communication et de l'information de l'université Jussieu Paris 7. Ancien journaliste, essayiste, romancier, vit en France depuis 1976, auteur de plusieurs ouvrages (essais et romans) dont «L'homme de la première phrase» (2000), le «Dictionnaire des mots français d'origine arabe» (2007), «Abd er-Rahman contre Charles Martel» (2011), «Alger-la-Blanche, biographies d'une ville» (2012),), «L'amour en bataille» (2013. Deux prix : Une belle et tragique histoire d'amour entre un chef berbère, Munuz, gouverneur de Narbonne et une princesse chrétienne, Numérance-Ménine dite Lampégie, la fille d'Eudes, duc d'Aquitaine, maître de Toulouse.), «Aujourd'hui, Meursault est mort...» (2016), «Un été sans juillet...» (2017)...
Table des matières : Note/ Prologue/Parties (4)/ Coda
Extraits : «Pour la littérature, comme pour notre présence au monde, les temps changent :la linéarité romanesque a trouvé ses limites, et ne répond plus à la complexité du monde, ni à celle de la pensée contemporaine, non-linéaire, qui ne se contente plus d'être postmoderne mais se réclame, osons la référence, de la déconstruction chère à Jacques Dérida» (p 37), «Mine de rien, les youyous sont en voie de détrôner l'applaudimètre. Les youyous comme facteurs d'intégration, pourquoi pas ?... Pour mesurer l'adhésion d'un public à son artiste, je propose donc que l'on parle désormais, dans les dictionnaires, de youyoumètre» (p 116), «Kateb Yacine qualifia la langue française de «butin de guerre». Eh bien, pour d'autres écrivains francophones, ce serait plutôt une conquête, la langue française : leur colonie, avec droit d'usufruit (...) avec cet avantage inestimable : c'est qu'il n'y a pas d'Accords d'Evian possible !» (p 228)
Avis : Une histoire déroutante où sont mêlés histoire, littérature, médias, politique, folie... et une extraordinaire envie de réinventer l'art littéraire et la liberté de créer... Aussi, la dénonciation du monde actuel de l'édition française. Lecture un peu difficile car écriture originale, mais ne pas se décourager et aller jusqu'au bout !
Citations : «Dans le processus purement romanesque, il arrive un moment où l'auteur devient lui-même l'otage de ses propres créatures» (p 49), «Qui, de l'auteur et du personnage, serait l'ombre portée et qui serait l'ombre propre ? Oui, pour tout romancier, et je pense encore à Albert Camus et forcément à Meursault : qui de l'auteur et du personnage est l'ombre portée et qui est l'ombre propre ?» (pp 50-51), «La maison, ce n'est pas seulement un endroit. C'est un sentiment. Celui de se trouver à l'endroit le plus confortable de l'univers» (p 135), «Si pour le poète Lamartine, les «objets inanimés» ont une âme, les mots, en plus d'une âme, ont une mémoire» (p 182), «Il y a trois catégories d'auteurs : ceux qui font d'un personnage un larbin, ceux qui l'emploient comme faire-valoir ; et ceux qui en font une incarnation. L'incarnation d'une volonté ou d'un destin, qu'importe, car ceux-là seuls aiment leurs personnages» (p 190)
Aujourd'hui, Meursault est mort. Dialogue avec Albert Camus. Essai-fiction de Salah Guemriche, Editions Frantz Fanon, Tizi-Ouzou, 2016, 700 dinars, 208 pages
On pensait qu'avec l'ouvrage de Kamel Daoud, Camus, l'enfant de Mondovi (Dréan), le garçon et le jeune homme de Belcourt (Belouizdad) et le (bon) gardien de but du Rua... et le philosophe de Paris, était bel et bien mort... et enterré.
Non, pas du tout, le 40ème jour est organisé, et de fort belle manière, par Salah Guemriche qui nous offre un essai-fiction, en fait une analyse de contenu quantitative et qualitative assez originale de haut niveau mais que chacun peut lire, apprécier et comprendre sans difficultés. D'autant qu'elle est émaillée de piques humoristiques d'apparence vengeresses mais bien justes.
La plupart des étapes essentielles de la vie et des œuvres d'Albert Camus, tout particulièrement celles qui nous concernent directement (Alger, l'Algérie, la guerre de libération...) sont abordées sous forme de dialogues, de citations et d'extraits.
On comprend donc mieux les refus de publication de l'ouvrage (déjà publié en juin 2013 en e-book) par les éditeurs français (en 2013) qui avaient trouvé le texte «trop algéro-algérien» mais qui, en fait, n'avaient (et n'ont) nullement l'intention de participer à une «descente en flammes» qui n'arrangeait pas et leurs «affaires» et la Culture franco-algérianiste. Un marché commercial et culturel important, car, malgré toutes les critiques, Albert Camus, cet homme «ni vraiment solitaire ni pleinement solidaire», ce «colonisateur de bonne volonté», déjà «non-aligné du temps de la guerre froide», «la politique n'étant pas sa tasse de thé», ne pouvant choisir entre deux camps, reste et restera encore bien longtemps une icône, mais aussi un grand inconnu (un incompris qui ne se connaissait pas assez ?), tout particulièrement lorsqu'on ignore «son» contexte...
N'a-t-on pas surpris G. W. Bush avec «l'Etranger» entre les mains. Et l'Algérie indépendante, «dans sa grande mansuétude» - envers quelqu'un qui a, peut-être, «vu juste» mais, hélas, «a compris faux» (K. Daoud, Chronique, juillet 2010) - a apposé une plaque commémorative sur le mur de la maison natale...
L'Auteur : Voir plus haut
Extraits : «Les Algérois sont persuadés que leur accent est l'accent des origines du monde, et que le soleil tourne non pas autour de la terre mais autour de leur quartier. Ils sont même capables de vous jurer qu'Adam et Eve s'étaient connus au Jardin d'Essai, au pied de l'arbre de Tarzan» (p 30), «Nous (les Algériens) «serions les plus grands, les plus beaux, les plus forts» ! Les plus fragiles aussi, mais ça, c'est à mettre sur le compte de la pudeur» (p 55), «Ils sont nombreux de nos jours, ces intellectuels de France qui sont prêts à tout pour placer ne serait-ce que leur strapontin dans le sens de l'Histoire» (p 89), «Les nationalistes ont eu le dernier mot, Albert. Quant à ce qu'ils en ont fait, de l'indépendance, c'est une autre histoire !» (p 102)
Avis : L'œuvre de Camus disséquée par un spécialiste qui a tout lu... et tout compris. Se lit comme un roman, l'humour de l'auteur facilitant la lecture. «Un véritable régal d'humour, d'intelligence et d'érudition» selon la préfacière Emmanuelle Caminade.
Citations : «Au pays de Voltaire, toute littérature de blédard ne mérite lauriers qu'en fonction de son degré d'adhésion, voire d'allégeance, à l'air du temps» (p 78), «Durant plus d'un siècle, la parole ne fut qu'entre deux, le Français d'Algérie et le Français de Métropole, et le troisième, l'Indigène, eh bien, il n'avait point d'oreille, en encore moins de bouche ! Absent, l'Arabe ne pouvait qu'avoir tort.» (p 166)
Je me confie à toi, Camus, à Lourmarin, dans ce minuscule village de Méditerranée suspendu entre les champs de lavande et le cri incessant des grillons ; ici où le sel de mer et le miel du raisin et des cerises continuent, malgré le cœur froid des hommes, de répandre leur ivresse sur ta tombe et sur cette terre qu’auraient aimée Nietzsche, Dionysos et Ulysse.
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En apparence, nous ne sommes pas faits de la même laine, mais quand je consulte les pages de ton histoire, j’y trouve d’amples ressemblances entre nos blessures et nos frissons. Le mutisme de ta mère, tes origines sociales, tes déchirements, tes doutes et ta plume plantée dans les plaies des peuples résonnent en moi comme autant de cantiques à écouter quand je suis en proie au doute et au découragement.
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Je suis né, un peu comme toi, sur l’autre versant de l’Histoire, sous un ciel heureux et un soleil plus grand que les flammes de l’enfer, presque vingt ans après ton accident qui a mis fin à ta quête de justice. J’ai goûté à la misère de la Kabylie et mes ancêtres, sous le joug français et d’autres colons, ont vécu demi-vêtus, ne mangeant jamais à leur faim que des glands et des racines. Je suis tombé dans une Algérie paradoxalement libre, arabe au détriment de la berbère, islamique dans ses fondations et stalinienne de façade. Elle a chassé les pieds-noirs et accueilli à bras déployés le Che et Mandela, les porteurs de valises et les pieds-rouges ; laquelle, au bout du compte, a désenchanté le peuple et trahi le serment des maquis. La « Mecque des révolutionnaires » s’est transformée en sanctuaire de corrompus. « Vos ennemis de demain, écrit dans son journal ton ami Feraoun, seront pires que ceux d’hier. » Le dictateur au regard glacial, Boumédiène, est mort quelques semaines après ma naissance et les ayatollahs ont pris le pouvoir en Iran, diffusant, avec leurs concurrents les Frères musulmans, l’obscurantisme. Les ruses de l’Histoire ont déréglé alors la boussole du monde et le destin de l’humanité a chaviré dans un chaos de petits récits et de dangereuses aventures. L’Amérique, après avoir libéré l’Europe, est devenue le flic du monde. Ses billets verts, ses armes, sa technologie et sa culture impriment désormais nos gestes, nos habitudes et nos pensées. L’anglais est devenu la langue dominante, l’économique a supplanté le politique, les États sont remplacés par les start-up, le citoyen par un homme-machine.
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Si je me confie à toi, Camus, c’est pour te livrer mes déceptions et mes angoisses. Je suis certain qu’avec ton cœur nord-africain et ta tête latine, tu comprendras le sens de ma quête, même si je ne m’identifie aucunement à l’Arabe qu’a tué Meursault dans l’une de tes œuvres. Tu symbolises, cependant, beaucoup de choses aux yeux des damnés de la terre. Tu inspires les proscrits d’hier et de demain, les enfants chassés par les chiens, les pigeons fauchés pour rien, les sans-nation, les nomades du désert et les gitans. Tu incarnes tout : la dépossession des peuples, les malentendus entre les rives d’une même mer, le complexe du colonisé comme celui du colonisateur, la morale et la probité, l’esprit des lois, la chaleur de l’âme qui manque tant aux penseurs du Nord, le quartier de Belcourt et l’amour du football, les ruines de Tipaza et le Panthéon, de Gaulle et le FLN, Jean Moulin et le colonel Amirouche, Mauriac et Amrouche, le combat contre la peine de mort et pour la liberté.
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Comment utiliser ton legs, si pénétrant de vérité et de révolte, pour empêcher le monde de se défaire? Les hurleurs des pupitres dorés, les derviches des rédactions et autres petits marquis poudrés participent à la marche boiteuse du monde. Il y a dans leurs analyses le réflexe de la meute et la paresse du loir. Ils ne se revendiquent du camp du bien que pour y asseoir le temple de leur Raison. Ils n’aiment ouvrir la bouche que sous les feux des projecteurs. Ils ne prennent position qu’après avoir sondé l’auditoire. Ils ne défendent un simulacre de justice qu’en chuchotant. Ils ne veulent pas perturber la mer qui dort car toute vague qu’ils soulèvent risque d’emporter leurs intérêts. Ils évitent de heurter et ils cherchent à plaire car le masque protège mieux que la peau. Ils n’observent pas le monde comme il est, mais ils le regardent avec des lunettes déformantes. Je le dis avec gravité : ils ne pensent pas bien, mais de travers. Ils ont le don de taire le vrai et de propager le mensonge.
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La gauche de Jaurès et de Proudhon agonise sur les quais de la Seine. Les prolétaires sont oubliés dans les usines et les paysans se suicident dans les campagnes. Sartre, dur avec toi, était aveuglé par Staline. Les vaches soviétiques, a-t-il pensé un jour, donneraient plus de lait que les américaines. Quand l’idéologie remplace la raison, l’intellectuel se ferme au doute et plonge dans un océan de boue et de certitudes.
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Le monde tourne mal et il y a partout des guerres et des haines. Ici comme ailleurs prospère la violence, avec la bénédiction d’une certaine élite. Mais la gauche ferme les yeux et danse sur le cadavre du communisme. Mai 68 a été une étrange révolution, le capitalisme l’a irriguée à l’eau de rose. En libérant les mœurs, il a asservi dans le même temps la femme et l’ouvrier. Il a fait tomber la barrière qui séparait la gauche de la droite et créé un bazar nommé « No limit, no border ». La nuit de noces entre le libéral et le libertaire a été célébrée à Paris, à Berlin, à Londres, à Tokyo et partout ailleurs. Le sociétal a ensorcelé le social, le « libertisme » a tué l’égalité, le prolétaire a disparu de la scène publique, remplacé par des communautaristes de tout acabit. Mitterrand a fabriqué dans son laboratoire SOS Racisme. Des beurs, des Noirs et des juifs jouaient alors un triste folklore : ils brandissaient des petites mains jaunes, calquées sans doute sur l’étoile de David des camps nazis.
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Je suis comme toi déchiré entre ma mère et la justice, entre l’exil et le royaume, entre la foi et la méfiance. Je suis comme toi aussi un homme déçu des grandes causes, toujours placé du côté du cœur malgré lui et malgré moi, témoin d’une époque agitée, violente et sans saveur. Avec mes petits moyens, mes longs délires et mes mots mis en musique, je brandis tant mal que bien l’« éthique de conviction », je doute des vérités révélées et des axiomes révélant l’unique destin tragique des êtres. Mon ennemi, c’est l’homme froid, la haine qu’il engendre et qu’il sème sur les routes. Je me révolte chaque fois qu’il abandonne les vieux et les malades dans les asiles, les enfants et les femmes sur les quais de l’Histoire.
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L’homme de notre temps n’a ni apesanteur ni ancrage, il flotte au gré des orages et suit la danse des drapeaux et des loups. Où sont donc ses racines? Où est sa terre? Où est sa mission ? Comme une plante arrachée au sol, il vivote, il est pâle, il n’a plus de jus, il se fane et se meurt de solitude. Si l’Africain, comme on l’a orgueilleusement déclaré à Dakar, n’est pas entré dans l’Histoire, l’humain en sortira la queue basse. L’homme nouveau, le synthétique, le tactile, le désaffilié, le sans-partie-ni-origines, le remplacera. Il effacera les cultures, les arts, les nuances et les accents.
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Le monde est devenu fou, l’avenir n’est pas sûr, aide-nous, Camus, à fuir avant que n’arrive la grande catastrophe. La religion de l’économie, cette prédatrice à la mâchoire acérée, ne lâchera pas l’homme. La fin de la géographie est imminente. Nous sommes déjà coincés entre le capitalisme sauvage et l’islamisme. Demain aura lieu le choc des barbaries. Les nouveaux vandales auront notre place : ils se ligueront contre nous et nous serons éjectés du cours des événements. Nous ne serons plus des citoyens, nous serons remplacés par des croyants-consommateurs. Nous n’aurons ni droits ni services, nous n’aurons que des devoirs. Nous consommerons et nous nous agenouillerons. Les corvées seront nos loisirs. Le jour sera la nuit. La paix sera la guerre.
L’ancienne journaliste du Monde estime que les viols de l’armée coloniale constituent une réalité trop gênante encore aujourd’hui pour les responsables politiques et militaires français.
Louisette Ighilahriz, ex-militante pour l’indépendance de l’Algérie, qui affirme avoir été violée par un officier de l’armée française à Alger en 1957, arrive à la salle d’audience, le 8 septembre 2005 au palais de justice de Paris, au premier jour du procès en appel du général Maurice Schmitt, ancien chef d’état-major des armées qui avait mis en cause son témoignage (AFP/Joël Robine)
Le journal Le Monde et La Revue dessinée, un trimestriel d’actualité en bande dessinée, se sont associés pour produire une BD et un court métrage d’animation retraçant le témoignage de Louisette Ighilahriz, combattante de la guerre d’indépendance de l’Algérie (1954-1962), torturée et violée par des militaires français, après sa capture dans une embuscade en 1957, alors qu’elle avait 20 ans.
La BD, intitulée Un trop long silence, est parue dans l’édition d’automne (numéro 37) de La Revue dessinée alors que le film, appelé tout simplement, Louisette, est disponible sur le site du Monde depuis le 7 octobre.
Les dessins sont réalisés par Aurel, de son vrai nom Aurélien Froment, un dessinateur de presse qui a reçu en 2020 le Prix du cinéma européen pour le meilleur film d’animation avec Josep, alors que les textes sont écrits par Florence Beaugé, ancienne journaliste du Monde qui a levé le voile sur les viols pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie en obtenant le témoignage exclusif de Louisette Ighilahriz en 2000.
La rencontre entre les deux femmes avait donné lieu à une quinzaine d’heures d’entretiens résumés dans un article bouleversant qui commençait ainsi : « J’étais nue, toujours nue. Ils pouvaient venir, une, deux, trois fois par jour. Dès que j’entendais le bruit de leurs bottes dans le couloir, je me mettais à trembler. Ensuite, le temps devenait interminable. Les minutes me paraissaient des heures et les heures, des jours. Le plus dur, c’est de tenir les premiers jours, de s’habituer à la douleur. Après, on se détache mentalement, un peu comme si le corps se mettait à flotter. »
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L’actrice Françoise Fabian, qui interprète Louisette Ighilahriz dans le film, rend compte de sa souffrance innommable.
L’ancienne combattante est restée hantée par les visages de ses tortionnaires, ses violeurs, notamment Jean Graziani, un capitaine de la dixième division de parachutistes qui prenait ses ordres du général Jacques Massu et du général Marcel Bigeard (qui dirigeait le troisième régiment des parachutistes coloniaux).
C’est à travers Massu qu’elle apprendra, après l’article de Florence Beaugé, la mort du commandant Francis Richaud, un médecin militaire qui lui avait sauvé la vie en la transférant à l’hôpital et qu’elle rêvait de retrouver pour le remercier.
Dans une déclaration au Monde, Massu avait reconnu l’utilisation de la torture et l’avait regrettée en affirmant que l’armée « aurait pu s’en passer ».
De son côté, Bigeard, qui avait menacé le journal de poursuites, avait qualifié les révélations de Louisette Ighilahriz de « tissu de mensonges ».
Or d’autres témoignages recueillis par Florence Beaugé ont montré que le viol, considéré d’après elle comme « un dommage collatéral » de la torture, était en fait une pratique massive de l’armée française.
Middle East Eye : Comment l’idée d’une BD et d’un film d’animation sur le viol de Louisette Ighilahriz et des Algériennes pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie s’est-elle construite ?
Florence Beaugé : Tout au long de l’année dernière, le président Emmanuel Macron a accompli des gestes mémoriels sur la guerre pour l’indépendance de l’Algérie, sur la question des disparus notamment [des milliers d’Algériens emmenés par l’armée française n’ont jamais réapparu], mais il n’a rien dit sur les viols.
Pourtant, cette question est essentielle car les viols étaient une pratique très courante, qui concernait aussi bien les femmes que les hommes.
Le viol des hommes a commencé dès le début de la conquête de l’Algérie en 1830. C’était une méthode d’interrogatoire comme une autre dans les commissariats et les postes de gendarmerie.
Les hommes étaient sodomisés avec des bouteilles mais se taisaient sur ce qu’ils avaient subi.
Quant au viol des femmes, il est devenu systématique au début de la guerre d’indépendance en 1954. Il se pratiquait très souvent dans les mechtas (hameaux) et s’est intensifié pendant la bataille de l’Ouarsenis [Nord-Ouest] à partir de 1956 et la « bataille d’Alger » en 1957.
Que le président n’en parle pas m’a semblé injuste, c’est pour cela que j’ai alerté Le Monde, que j’avais quitté six ans auparavant, qui m’a demandé de réécrire sur le sujet. C’est ce que j’ai fait, dans une double page publiée en mars 2021. Ensuite, a germé l’idée de la bande dessinée pour remonter le fil du témoignage de Louisette Ighilahriz.
MEE : Vous regrettez que le viol ne soit évoqué, par exemple, qu’une seule fois dans le rapport de l’historien Benjamin Stora sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Est-ce parce que cette pratique est encore très peu documentée ?
FB : Le viol est considéré comme un dommage collatéral de la torture alors qu’il s’agit d’une torture spécifique qui, à cause du silence qui l’entoure, transmet les traumatismes de génération en génération.
Le viol reste encore aujourd’hui un non-dit de la guerre d’Algérie. D’ailleurs, il constitue, avec la question des disparus, un des obstacles de la réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie.
Contrairement à ce que pensent les politiques français, les Algériens n’ont jamais réclamé d’excuses et, surtout, pas de repentance, un mot épouvantable avec une connotation religieuse que l’ancien président Nicolas Sarkozy a inventé. Ils demandent la reconnaissance de ce qui a été fait, dont les viols massifs.
MEE : Mais très souvent, les victimes elles-mêmes refusent de révéler les viols qu’elles ont subis…
FB : Tout à fait. L’avocate Gisèle Halimi, qui a défendu des combattantes algériennes, m’a révélé que neuf fois sur dix, les interrogatoires montraient des faits de viols. Mais les victimes refusaient toujours qu’ils soient utilisés pour les défendre devant la justice française.
Je l’ai constaté personnellement avec les survivantes que j’ai rencontrées à l’époque où je travaillais sur la région du Maghreb entre 2000 et 2011 pour Le Monde. J’ai toujours été frappée par le nombre de femmes qui m’avouaient, en off ou de manière indirecte, les viols qu’elles avaient subis, mais qui ne voulaient pas en parler publiquement.
Le reconnaître était honteux. C’est une infamie pour ces femmes qui ont subi la double peine, le viol et le silence.
En témoignant dans Le Monde en 2000, Louisette Ighilahriz a eu un courage exemplaire. C’était le cas aussi d’une autre militante de l’indépendance, Baya Laribi.
MEE : La reconnaissance du viol que ces femmes ont subi pouvait aussi écorner leur image d’héroïnes…
FB : Effectivement, c’était sociétal. Il n’était pas possible d’entacher l’image d’une héroïne et d’une femme. Le reconnaître, c’était aussi supporter le regard des autres. La plus jeune victime que j’ai rencontrée avait 9 ans au moment des faits. Encore aujourd’hui, elle ne se résout pas à le dire à ses proches et vit avec sa souffrance.
Louisette, par exemple, m’a dit avoir souffert du regard des autres, après le témoignage qu’elle a livré. Elle n’est plus vue comme celle qui a contribué largement à la révolution mais comme celle qui a été violée
Louisette, par exemple, m’a dit avoir souffert du regard des autres, après le témoignage qu’elle a livré. Elle n’est plus vue comme celle qui a contribué largement à la révolution mais comme celle qui a été violée.
MEE : Étiez-vous surprise par les réactions qu’ont suscitées vos révélations en 2000 sur le viol des militantes algériennes ?
FB : Entièrement, surtout par les réactions des anciens hauts gradés de l’armée française en Algérie. Le coup de fil du général Bigeard à la direction du Monde au lendemain de l’article a donné une dimension folle aux révélations sur les viols.
Il avait nié les faits et menacé de poursuivre le journal en justice. De son côté, le général Massu, sans valider les viols, a confirmé l’identité de Richaud, le médecin qui avait sauvé Louisette Ighilahriz de ses tortionnaires et qu’elle recherchait ardemment.
Ensuite, entre 2000 et 2005, toute une succession de témoignages que j’ai pu obtenir, notamment du côté des acteurs, a montré l’ampleur de la torture pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie.
J’ai pu par exemple obtenir les aveux du général Aussaresses (ex-coordinateur des services de renseignement à Alger).
J’ai ensuite bravé les lois d’amnistie [votées en 1966 en France pour empêcher la poursuite des militaires qui se sont rendus coupables d’infractions au titre de l’insurrection algérienne] pendant la présidentielle de 2001 pour relater le passé peu glorieux de tortionnaire de l’ancien président du Front national [parti d’extrême-droite] Jean-Marie Le Pen [arrivé au second tour de l’élection], lorsqu’il était engagé volontaire en Algérie en 1957 dans le premier régiment étranger de parachutistes.
MEE : Aussaresses, qui admettait volontiers avoir pratiqué la torture en Algérie, ou Massu, qui avait regretté son usage, n’ont jamais évoqué les viols. Pourquoi ?
FB : Il y a une différence entre les tortures qu’on peut admettre du bout des lèvres ou de manière presque fanfaronne comme Aussaresses et le viol.
Aucun violeur ne se vantera de son acte. J’ai rencontré des anciens appelés et presque tous ont nié la pratique du viol. Certains ont admis avoir été des témoins impuissants et ont développé des mémoires traumatiques.
À l’âge de la retraite, certains sont devenus malades, avec des syndromes de stress post-traumatique, ou alcooliques. Mais autrement, les viols de l’armée française pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie restent méconnus en France, quelques fois sous-estimés ou représentent une réalité trop gênante pour les militaires et les politiques.
MEE : Comment Louisette Ighilahriz a-t-elle réagi en découvrant la BD et le film d’animation ?
FB : Elle a pleuré d’émotion et de gratitude. Ce qui est extraordinaire dans l’attitude de Louisette est que son témoignage ne visait pas seulement à dénoncer les viols qu’elle a subis de la part des militaires français mais, également, à remercier l’un d’eux de l’avoir sauvée. Elle n’était pas animée par la haine.
Par
Samia Lokmane
Published date: Mercredi 19 octobre 2022 - 07:27 | Last update:4 hours 1 min ago
Le 18 octobre, un hommage aux anciens combattants de la guerre d’Algérie a été rendu par le président de la République lors d’une prise d’armes dans la cour des Invalides. Une ultime commémoration en cette année du 60e anniversaire.
Pas de discours mais un communiqué sur le site de l’Élysée. Ce 18 octobre, hommage a été rendu aux anciens combattants de la guerre d’Algérie, « engagés, appelés ou supplétifs » qui « ont vécu ce conflit en première ligne, dans leur chair et leur conscience ». Cette date marque l’anniversaire de la loi de 1999, qui reconnaît enfin une « guerre » longtemps laissée sans nom. Et pour laquelle, entre 1954 et 1962, la France envoya près d’un million et demi d’hommes et de femmes se battre pour elle.
Reconnaître toutes les mémoires
C’était l’une des préconisations du rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie remis par l’historien Benjamin Stora à Emmanuel Macron, en janvier 2021. « On ne pouvait pas terminer cette année du 60e anniversaire sans un geste particulier pour les appelés et à toutes ces familles qui attendaient leur retour », insiste l’historien présent aux Invalides. Pour lui, seule la commémoration des principaux groupes de mémoire – harkis, Français d’Algérie, indépendantistes, anciens combattants – peut permettre « des compromis mémoriels ».
De fait, Emmanuel Macron s’est attaché à rendre hommage, par des discours et des gestes symboliques, à tous ces porteurs de mémoire. Reconnaissant les « manquements » de la République française envers les harkis, comme la responsabilité de l’État dans l’assassinat des indépendantistes Maurice Audin et Ali Boumendjel. Ou encore dans la fusillade de la rue d’Isly à Alger, où tombèrent des partisans de l’Algérie française.
Cette cérémonie aux Invalides a été ainsi précédée d’un message présidentiel, la veille, dénonçant les « crimes inexcusables pour la République », à propos du massacre des manifestants algériens par la police à Paris, le 17 octobre 1961. Et le communiqué du 18 octobre veillait aussi à rappeler la condamnation de ceux, qui parmi les combattants, « se sont placés hors la République ». « Cette minorité a répandu la terreur, perpétré la torture, envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »
Concomitance ou marque d’un non-choix
Dans cette multiplication de gestes et de paroles de reconnaissance, certains saluent une « concomitance des mémoires », à l’instar de l’historienne Naïma Yahi, qui a fait partie de la commission Stora. « La célébration des mémoires combattantes n’empêche en rien celle du 17 octobre, souligne-t-elle, l’important est que ces deux mémoires soient considérées et reconnues avec la même force, qu’elles ne soient pas hiérarchisées et que se tisse ainsi la reconnaissance de la République. » Tout comme Benjamin Stora, elle défend aujourd’hui la panthéonisation de Gisèle Halimi, en hommage à « tous ceux qui ont porté les valeurs de la République en soutenant la lutte des indépendantistes contre un système colonial injuste ».
D’autres voient cependant dans cette pluralité de commémorations « la marque d’un non-choix », selon les mots de Sylvie Thénault, spécialiste de la guerre d’indépendance algérienne. « Cette politique mémorielle se veut équilibrée mais elle porte sur une situation historique fondée sur un déséquilibre majeur, où certains ont connu le viol, la torture. C’est la question de l’impunité que l’on ne questionne pas. Quant à la “réconciliation des mémoires”, elle ne s’impose pas. La mémoire des individus se respecte, c’est tout. »
Partisane de la mise en place d’une justice transitionnelle sur la guerre d’Algérie, l’historienne appelle surtout à « traiter les séquelles de ce passé dans la société française ». Un travail qui passe, selon elle, par l’enseignement de cette période aux générations qui ne l’ont pas connue, comme par la lutte contre le racisme et les discriminations. Une autre préconisation du rapport Stora vise à développer aussi les bourses de recherche entre les deux rives et à faire dialoguer des jeunes issus des différents groupes mémoriels. Pour, à défaut de les réconcilier, « décloisonner les mémoires de la guerre d’Algérie ».
Alain Giorgetti, qui vient de participer au Week-end des talents dans sa commune de naissance, Hussigny-Godbrange, a présenté lors de cet événement son dernier livre. Un essai aussi court que percutant qui imagine le discours d’un président de la République française pas comme les autres.
« Avant de demander aux Algériens de réécrire leur histoire, écrivons d’abord la nôtre avec justesse et dignité », demande Alain Giorgetti. Photo DR /José Cañavate COMELLAS
Le Hussingeois de naissance Alain Giorgetti a sorti un essai, Ce que la France n’a jamais dit à l’Algérie , qui imagine le discours d’un président de la République française évoquant « haut et fort la guerre d’Algérie, ses horreurs, son scandale, ses mensonges, etc. »
D’où est venue l’idée de ce livre ?
Alain GIORGETTI : « D’une déception suite à la lecture du rapport remis par l’historien Benjamin Stora au Président Macron, en janvier 2021. Comme beaucoup, des deux côtés de la Méditerranée, j’attendais pas mal d’un texte fièrement titré Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Or, dès la préface, j’ai senti que j’allais être déçu. Rien de bien nouveau sous le soleil. Un digest pour étudiant en première année d’Histoire. Pas de dénonciation radicale mais une volonté « d’apaisement ». Pas d’engagements fermes et définitifs mais des « préconisations ». À l’issue de cette lecture, toujours le même biais historiographique. Toujours la même tare idéologique. Toujours le même problème éthique : cette nauséeuse impression d’assister à un jugement ex cathedra dont le verdict serait : 5 minutes pour les victimes, 5 minutes pour les bourreaux. Personnellement (quelque chose me dit que je ne dois pas être le seul), je n’en peux plus de cette histoire-là. Le passé colonial français en Algérie traîne l’un des pires bilans de la nomenclature des crimes contre l’Humanité et des crimes de guerre. »
La colonisation de l’Algérie par la France, « violente », ayant « vidé le pays de ses ressources », « s’est couplée avec des préjugés ethnocentristes » et « l’impression d’être supérieurs et de devoir civiliser », « nous, des lumières, eux, les ignorants » ?
« Je crois qu’on ne mesure pas la violence ni l’horreur des crimes commis par l’État français durant la colonisation en Algérie. D’une part via la politique de terreur puis de torture institutionnalisées par l’armée et la police françaises. On trouve sans effort nombre de travaux historiques sur le sujet désormais. D’autre part, via une série de spoliations, de prévarications, d’expropriations de terres et de pillage en règle des ressources dont la première de toutes fut la ressource humaine des Algériens. La question des chiffres est aussi importante que négligée. Même si le débat n’est pas clos, ceux avancés pour le seul conflit par Charles-Robert Ageron sont estimés entre 250 000 et 290 000. Bien avant Vichy, l’État français aura donc été un état raciste, avec une administration et un corpus de lois racistes. Tout ce qui s’est passé là-bas demeure au-delà de l’imagination ».
Vous parlez d’appauvrissement de la culture autochtone dans le fait colonial. Quelle aurait été l’histoire de l’Algérie et son développement sans la France ?
« L’empire colonial français peut aussi se voir comme un modèle avarié du capitalisme. Un système autocratique pour les colonisés, et ultralibéral pour les colons qui s’approprièrent des terres qui n’étaient pas les leurs. La société coloniale est une machine qui pille et qui exploite, qui use et abuse, qui tape dans les richesses vivrières, terrestres ou souterraines comme d’autres tapent dans la caisse. Un tel appauvrissement généralisé passait évidemment par les hommes, les femmes et les enfants, par une forme d’apartheid larvé et un statut d’autochtone réduisant l’autonomie individuelle à la portion congrue. De même, par un effet de dystopie positive, on ne peut pas ne pas imaginer un avenir différent pour les Algériens, ainsi qu’une autre nation algérienne, riche et responsable de sa seule histoire. Sans la colonisation, un autre futur était possible. Pire ou meilleur, nul ne sait. Mais plus autonome. »
«Un cadeau», c’est ainsi que Manuel Rabaté, directeur du Louvre Abu Dhabi, décrit l’arrivée des 150 oeuvres d’art toutes inscrites dans le courant impressionniste
De Manet à Degas, en passant par Cézanne, Monet, Renoir, Sisley, Caillebotte, Morisot… des trésors sortis de la collection du musée parisien d’Orsay, partenaire de l’exposition aux cotés de France Museums
ABU DHABI: A la veille de son cinquième anniversaire en novembre, le Louvre Abu Dhabi offre aux amoureux de peinture une exposition unique « Impressionnisme : la modernité en mouvements ». Une première dans la région.
«Un cadeau», c’est ainsi que Manuel Rabaté, directeur du Louvre Abu Dhabi, décrit l’arrivée des 150 oeuvres d’art toutes inscrites dans le courant impressionniste.
De Manet à Degas, en passant par Cézanne, Monet, Renoir, Sisley, Caillebotte, Morisot… des trésors sortis de la collection du musée parisien d’Orsay, partenaire de l’exposition aux cotés de France Museums. Au total plus de 100 peintures sont exposées sous la majestueuse coupole de Jean Nouvel, ainsi que des arts graphiques et des photographies, des extraits des films, des costumes et une installation contemporaine.
Pour arriver à ce résultat, il a fallu « une relation forte avec le Musée d’Orsay », confie Manuel Rabaté, dans un entretien accordé à Arab News en français.
« Femmes au jardin » de Claude Monet, « Le Balcon » d'Edouard Manet, « Les Raboteurs » de Caillebotte, ou encore « Les jeunes filles au piano" de Renoir sont des œuvres reproduites dans tous les livres d’histoire de la peinture occidentale du XIXe siècle. « Les plus belles œuvres impressionnistes qui n’ont jamais voyagé», affirme pour sa part Christophe Leribault, président du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie. « Jamais on n’a prêté autant de chefs-d’œuvre en même temps », confie à Arab News en français l’homme qui détient les clés de l’une des plus importantes collections impressionnistes au monde. Elles dialoguent jusqu’au 5 février 2023 avec celles du musée abu dhabien, dont une récente acquisition: « La Tasse de chocolat » de Pierre-Auguste Renoir, qui est dévoilée pour la première fois aux yeux des visiteurs.
Mais au-delà d’une exposition des chefs-d’œuvre, « il était important ici d’avoir une approche scientifique et pédagogique », ajoute Christophe Leribault. « C’est la mission du Louvre Abu Dhabi ».
Allant du milieu des années 1850 jusqu’à la fin du 19e siècle, le mouvement impressionniste accompagne et met en lumière l’émergence d’un nouveau monde et les bouleversements sociaux-économiques et technologiques dont il est le témoin. « Il était important pour nous avec les commissaires, de montrer comment les artistes ont introduit cette grande modernité dans la peinture et de proposer un regard renouvelé sur les impressionnistes, en montrant aussi quelques œuvres d’artistes qui les ont précédés, comme Courbet, et qui forment une sorte de contrepoint», ajoute Christophe Leribault.
« Les impressionnistes ont changé drastiquement notre approche à la nature, à la ville. Ils ont vu l’industrialisation et le développement des métropoles, les transformations du marché de l’art », explique Sylvie Patry, conservatrice générale du musée parisien.
Pour Manuel Rabaté, cette émergence de modernité trouve écho dans la région du Golfe, elle aussi, en pleine transformation. De plus, « il y a une sorte de résonance entre une scène artistique locale en plein épanouissement et le cheminement des impressionnistes qui ont voulu changer de méthodologie, de sortir des ateliers, d’expérimenter. C’est intéressant de comprendre comment s’est déroulée l’aventure d’un mouvement aussi important ».
Un big-bang conceptuel
Inauguré il y a cinq ans par le président français Emmanuel Macron, le Louvre Abu Dhabi est né d'un accord inter-gouvernemental signé en 2007 entre la France et les Emirats. Cet accord a été d’ailleurs prolongé de dix ans (jusqu'à 2047), lors de la visite du président français en décembre 2021 aux Emirats.
Imaginé comme une sorte de laboratoire pour la matière muséale, c’est aussi le premier musée universel dans la région. « Nous avons mis en orbite un musée exceptionnel et nous avons inventé une nouvelle manière de raconter le musée universel au cœur du monde arabe, au carrefour de l’Asie et de l’Ouest, nous avons reconnecté l’histoire. C’était très fort et je pense qu’il y a eu une sorte de big-bang conceptuel », affirme Manuel Rabaté.
Or « raconter ce qu’est l’universel dans la péninsule arabique au XXIe siècle était un vrai défi », selon Hervé Barbaret, directeur général de France Museums. « Et le dialogue entre les Emiratis et les Français a permis de construire cette nouvelle approche ». La difficulté venait du fait que le modèle universel au XXIe siècle n’est pas celui qui a été construit en France à l’époque de la philosophie des lumières au 18e siècle. « Avec, soyons honnêtes, une dimension assez occidentalo-centrée ».
Pour construire le projet du Louvre Abu Dhabi il a fallu donc « renverser la table et se dire que le dialogue des cultures est un dialogue d’égal a égal. », constate Hervé Barbaret.
Bilan et perspectives
Cette nouvelle façon de raconter l’Histoire partagée de l’humanité à travers l’histoire de l’art se traduit par le partage des œuvres à travers les collaborations avec les établissements étrangers et locaux à l’instar de ceux de la Jordanie, de l’Arabie saoudite, d’Oman ou encore des autres émirats. Et un besoin de construire une collection qui reflète le caractère unique du musée. Le Louvre Abou Dhabi possède aujourd’hui environ mille objets dans sa collection propre.
Bien que l’accord franco-émirati prévoit les prêts des musées français, ils vont décroître aux fur et à mesure des années. Dans huit ans, « le Louvre Abou Dhabi doit être capable de voler de ses propres ailes », affirme Hervé Barbaret.
En cinq ans d’existence, le musée a enregistré 3 millions de visiteurs, malgré les trois années de Covid. Pour Manuel Rabaté, le premier bilan est positif, même s’il est écorné par la pandémie.
« Nous avons réussi à être résilients. On a fermé le musée pendant cent jours seulement et nous avons réussi à maintenir notre exigence de qualité pour les expositions et les galeries permanentes, et dans les programmations pour le public », se félicite le directeur. « Nous avons joué notre rôle dans les stratégies touristiques et éducatives, nous avons participé au côté « vivre ensemble » des communautés. Maintenant nous sommes en train de reconquérir notre jeune public, celui des écoles. Cela nous manquait et c’était très frustrant car nous avons une mission de transmission. »
Recherche sur la matérialité des œuvres
La Covid-19 a mis en pause plusieurs projets du musée, dont celui de l’Académie Louvre Abu Dhabi avec une offre des formations en histoire de l’art a destination du grand public. Maintenant que la pandémie s’estampe, « nous souhaitons labelliser le fait que l’on est un lieu de formation et d’excellence », affirme le directeur. Ainsi, sous les pieds du visiteur, se sont construits un laboratoire de recherche et un centre de documentation. « Nous menons des projets de recherche sur la matérialité des œuvres et sur les histoires inter-connectées », ajoute Manuel Rabaté. « Nous avons signé plusieurs accords avec les universités pour justement s’interfacer avec le système académique ». Enfin, dans le cadre du transfert des compétences, des jeunes Emiraties et Emiratis sont formés aux métiers de musée tels que conservateur, collection manager ou en médiation.
Situé sur l'île de Saadiyat, le futur quartier culturel de la capitale des Emirats, le Louvre Abou Dhabi est le premier déjà réalisé, des cinq méga projets culturels, actuellement en construction. Ce nouveau paysage culturel représente un nouveau défi : il va rebattre les cartes et obligera à se ré-inventer. « Nous serons entourés par des lieux impressionnants tels que Zayed National Museum, Guggenheim Abou Dhabi, Musée de l’histoire naturelle, et même la maison Abrahamique. On va devoir être original à l’intérieur d’une scène qui se développe. », ajoute Manuel Rabaté. Ainsi, la stratégie doit s’articuler à l’intérieur de cet écosystème culturel et autour d’un accroissement de l’offre. « On va avoir besoin de penser à la programmation et de trouver des synergies avec les autres musées. Le but, c’est de ne pas se cannibaliser, mais bien sûr de grandir ensemble ».
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