Disponible sur le site du Monde, Louisette est un court-métrage aussi important que bouleversant. Il donne la parole à Louisette Ighilahriz, une ancienne combattante indépendantiste algérienne ayant subi les tortures et les viols commis par les soldats français.
En ce début d’octobre, mois funèbre dans la mémoire des Algériens, Le Monde et La Revue dessinée ont dévoilé un court-métrage d’animation éclairant un pan encore tabou de l’Histoire française.
Le viol comme instrument de torture
Louisette Ighilahriz est algérienne. Elle est âgée de 86 ans.
À la veille de l’indépendance de l’Alégérie en 1962, elle avait rejoint le maquis, participant à la lutte armée afin de résister aux soldats français. Capturée par ces derniers, Louisette Ighilahriz a enduré leur violence, et notamment des viols récurrents.
En mettant en lumière le témoignage de cette ancienne combattanteindépendantiste,le film éclaire un pan de l’histoire française passé sous silence. Le court-métrage le dit bien : dans le rapport Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie rédigé en 2020 et remis à Emmanuel Macron, les viols commis par l’armée française ne sont évoqués qu’une seule fois.
Ainsi, à travers l’histoire de madame Ighilahriz,le film fait état des crimes silenciés de nombreuses victimes et montre que les viols étaient employés comme moyens de torture.
Un témoignage historique majeur
En juin 2000, un article publié en Une du Monde ranimait la mémoirede la guerre d’Algérie. L’article était signé par la journaliste Florence Beaugé et mettait en lumière le témoignage de Louisette Ighilahriz. Cette dernière révélait avoir été torturée et violée à maintes reprises à Alger quarante ans plus tôt, dans les locaux de la 10e division parachutiste du général Massu.
L’article avait provoqué un effet retentissant en France, incitant certains responsables à prendre la parole. Le général Massu avait même exprimé des regrets. Une première dans un contexte où le silence règne. Il avait alors déclaré : « Quand je repense à l’Algérie, cela me désole. La torture, on pourrait très bien s’en passer. Elle faisait partie d’une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment. »
Vingt-deux ans plus tard, Le Monde et La Revue dessinée se sont associés pour replacer au centre des mémoires ce témoignage majeur à travers un film d’animation. Écrit par la journaliste Florence Beaugé, réalisé et dessiné par Aurel et incarné par Françoise Fabian et Bruno Solo, Louisette est disponible sur le site du Monde.
Le chanteur de 79 ans annonce l'arrêt de sa carrière. Son ultime album, Aimer, est sorti hier 7 octobre.
"Il y a un moment où les choses s'arrêtent. Il faut savoir qu'on vieillit."
A 79 ans, Serge Lama confie ne plus avoir la force : "Mon corps me fait beaucoup souffrir. J'ai beaucoup de problèmes inhérents au temps qui passe. Il y a un moment, il faut savoir s'arrêter plutôt que d'être arrêté par les choses. Alors j'ai décidé que c'était fini, que j'ai une très belle vie avec ma compagne Luana."
"Tous les jours, je souffre"
Le chanteur, qui souffre de problèmes de santé depuis quelques années, ne se sent pas de remonter sur scène. "J'ai des problèmes physiques. Ils sont très importants, ils sont devenus incontournables. C'est-à-dire que tous les jours, j'ai mal. Tous les jours, je souffre, je dors mal et c'est incompatible avec une tournée."
Et le chanteur refuse de monter sur scène "dans des conditions qui ne seraient pas optimales" : "J'ai eu la chance de pouvoir chanter cet album déjà, ce qui ne serait pas du tout le cas de tout le monde à près de 80 ans, puisque moi, j'étais quand même un homme de voix. Donc c'est compliqué d'être à la hauteur de ce qu'on a été."
Serge Lama espère malgré tout faire ses adieux à son public à la télévision : "Ce serait chouette. Renaud l'a fait, il n'y a pas longtemps. Il a été très content. Il faut appeler un peu les copains à la rescousse. Et puis chanter des chansons avec des gens. C'est-à-dire faire vibrer le cœur, mais à plusieurs, en groupe, en s'appuyant sur l'épaule."
Aujourd’hui 8 octobre 2022
c’est une confirmation :
Terrible nouvelle : Serge Lama doit mettre fin à sa carrière, son corps le fait trop souffrir
Un grand merci Serge, c’est un pincement au cœur d'apprendre la fin de ta carrière, moi qui a participé à la sale guerre d’Algérie comme plus de 1 million 500000 jeunes Français de 20 ans ; nous n’oublierons jamais ta chanson « L’Algérie ». Saches que nous avons tous plus de 80 ans et que pour beaucoup d'entre nous notre corps nous fait souffrir comme toi... Cela veut dire que nous sommes arrivés à l'automne de notre vie dont voici un poème :
Poème « L’automne de la vie »
Pourquoi est-on si laid quand on devient très vieux ? L’automne des humains n’est pas bien beau à voir ! Le temps qui se consume est comme un éteignoir Qui souffle la beauté ! Oh, tous ces pauvres yeux
Devenus trop petits, auréolés de rides, Et cette peau striée, grise et ratatinée… Le temps en s’écoulant amenuise et défait : Il est impitoyable et tellement avide
D’user et de flétrir au monde toutes choses ! Seule dame Nature devient bien plus belle Au temps roux de l’automne ardent qui étincelle De splendides couleurs en son apothéose.
L’automne des humains les éteint peu à peu, Tels de vieilles bougies consumées par les ans. Ils fanent lentement, car l’usure du temps Ronge leurs corps fripés ; et tout précautionneux,
Ils marchent doucement à petits pas légers, En oubliant qu’ils furent de belles personnes Au temps de leur jeunesse ; et chaque heure qui sonne Les enlaidit encore en saccageant leurs traits.
Patrice Bouveret, Directeur de l’Observatoire des armements
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Merzak Remki, Ex-Commissaire à l'énergie atomique
Alors que les deux gouvernementS doivent se réunir à Alger ce 9 et 10 octobre, Jean-Marie Collin d'ICAN France, Patrice Bouveret de l'Observatoire des armements et l'ex-commissaire à l'énergie atomique Merzak Remki soulignent l'urgence de reconnaître et indemniser les victimes des essais nucléaires français en Algérie.
Voici leur tribune. « Les présidents Ab
delmadjid Tebboune et Emmanuel Macron ont relancé, le 27 août dernier, le partenariat entre la France et l’Algérie pour « appréhender l’avenir dans l’apaisement et le respect mutuel ». Cette volonté devrait se traduire par de nouvelles annonces avec la tenue du Comité intergouvernemental de haut niveau, à Alger ces 9 et 10 octobre, qui réunira les gouvernements des deux États. N’ayant pas été abordée lors de la rencontre entre les deux Présidents, ce nouveau rendez-vous doit marquer un tournant décisif pour résoudre la question des conséquences des essais nucléaires que la France a réalisés en Algérie et qui impactent jusqu’à aujourd’hui encore la population locale.
La France a réalisé entre 1960 et 1966, dans le sud algérien, sur les sites de Reggane et d’In Ekker, un total de 17 essais nucléaires atmosphériques et souterrains. Parmi les 13 essais nucléaires souterrains effectués à In-Ekker, deux incidents importants (Béryl et Améthyste) ont provoqué un très grand rejet de lave en dehors de la montagne, qui reste localement fortement contaminée. En plus des essais nucléaires, une quarantaine d’explosions ont également été réalisées à Reggane (Adrar) et à Tan Ataram (Tamanrasset), utilisant de faibles quantités de plutonium, mais ne provoquant pas de dégagement d’énergie nucléaire.
Force est de constater qu’à ce jour, la situation sanitaire et environnementale dans ces régions du Sahara demeure toujours autant préoccupante.
Suite à une importante mobilisation, la France a reconnu, avec la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, qu’ils n’avaient pas été « propres », tant ceux effectués en Algérie qu’ensuite en Polynésie. Il a ainsi été admis que des personnes (populations civiles, ouvriers, militaires, scientifiques…), présentes lors de ces essais dans le Sud Algérien, avaient été atteintes par des maladies radio-induites.
La loi française impose au demandeur de l’indemnisation de satisfaire à des critères très difficiles à remplir, pour faire reconnaître son statut de victime. Il doit notamment démontrer sa présence dans une zone géographique de retombées des essais, lors d’une période pendant laquelle elles ont eu lieu et souffrir d’une des 23 maladies listées par décret.
Malheureusement, depuis 2010, un seul ressortissant algérien a été indemnisé sur les 723 personnes reconnues comme victimes par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Cette situation démontre un grave problème. Par ailleurs, cette loi n’a toujours pas été retranscrite en arabe (alors qu’elle est disponible depuis 2018 en langue polynésienne), restreignant aussi son accès à une large population.
Depuis 2010, un seul ressortissant algérien
a été indemnisé sur les 723 personnes
De plus, nous savons que les générations actuelles — et futures si aucune mesure de réhabilitation n’est mise en œuvre — continuent d’être impactées par les conséquences de ces essais. En effet, suite à nombreux témoignages et recherches (cf. notamment l’étude de ICAN France et de l’Observatoire des armements « Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie : analyse au regard du traité sur l’interdiction des armes nucléaires », publiée par la Fondation Heinrich Böll, 2020), il est reconnu que la France a volontairement enterré divers déchets contaminés par la radioactivité sur les sites d’essais. À ces déchets, il doit être ajouté les matières radioactives (sables vitrifiés, roches contaminées) issues des explosions nucléaires atmosphériques présentes sur les sites de tirs « Gerboise » et sur une large partie d’un flanc de la montagne Taourirt Tan Afella à In Ekker.
L’Algérie, de son côté, a engagé une autre étape dans le cadre du processus de prise en charge au niveau national de cette question, en créant le 31 mai 2021, l’Agence nationale de réhabilitation des anciens sites d’essais et d’explosions nucléaires français dans le Sud algérien.
Mais si les deux États ont bien conscience de l’existence de cet « héritage radioactif » depuis de nombreuses années, nous observons malheureusement une absence de progrès tangibles dans l’avancement de cet important dossier.
Le temps est venu d’agir vite, en pleine coopération et sans tabou, comme l’ont souligné les présidents Tebboune et Macron.
La cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN), qui va se réunir ces 9 et 10 octobre, sera-t-elle l’occasion d’annonces concrètes ? En effet, ce comité, lancée en 2013, comporte depuis le début un volet lié aux essais nucléaires, mais la lenteur est une nouvelle fois à souligner. La première réunion le 3 février 2016 du groupe de travail mixte sur l’indemnisation des victimes algériennes des essais nucléaires français, n’a affiché comme seule perspective que « de créer un dialogue spécifique dans les meilleurs délais ».
Il doit ainsi être dressé, lors de ce CIHN, un plan d’action, rendu public, comportant notamment pour la France, un accès facilité aux Algériens à la loi Morin et la remise aux autorités algériennes de toutes les archives sur les conséquences des essais et sur les déchets enfouis sur place. L’Algérie peut matérialiser sa volonté d’action via son ministère de la santé en établissant un registre des cancers pour les habitants du sud algérien et via son Agence de réhabilitation en lançant officiellement des études pour assainir les zones radioactives.
Le temps est venu d’agir vite
Il reste à l’Algérie, qui a été parmi les premiers pays à avoir signé en 2017 le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), à entamer son processus de ratification du Traité. Cela lui permettra de disposer d’une coopération internationale pour la remise en état de l’environnement des zones contaminées.
Les parlementaires des deux pays ont aussi un rôle à jouer en établissant un groupe de travail mixte pour suivre au plus près du terrain et des populations le calendrier et les travaux réalisés. Les ONG, universitaires, journalistes et acteurs locaux doivent aussi être associés à ce plan global d’action, pour permettre sa mise en œuvre au bénéfice des populations impactées. »
La liste des signataires
Jean-Marie Collin,coporte-parole de ICAN France
Patrice Bouveret, Directeur de l’Observatoire des armements
Merzak Remki, Ex-Commissaire à l'énergie atomique
Mais, hélas, ce n'est pas à l'ordre du jour de la visite Elisabeth Borne et presque tout son gouvernement à partir d'aujourd'hui en Algérie.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et son homologue français Emmanuel Macron après leur conférence de presse, le 16 juin 2022, à Kiev. Ludovic MARIN / POOL / AFP
Au fil des classements d'aide à l'Ukraine, le même constat, étonnant : la France se classe loin des premiers contributeurs, que ce soit pour l'aide humanitaire, financière et surtout militaire. Les États-Unis restent aux avant-postes, souvent suivis par les Baltes et les Polonais. A titre d'exemple, dans le Ukraine Support Tracker, un outil créé par les Allemands du Kiel Institute, Paris se trouve à la septième place pour l'aide financière et à la onzième pour l'aide militaire.
Depuis le début de la guerre, la faiblesse de ces chiffres intrigue les experts militaires français. Pour en avoir le coeur net, François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche stratégique, a fait le déplacement à Kiev et dans un centre polonais où transitent les armes occidentales fournies à l'Ukraine. Il a ainsi constaté que seul 1,4% du matériel militaire provient de France...
L'Express : Depuis sept mois, les classements sur l'aide militaire apportée à l'Ukraine placent la France très loin des premiers contributeurs. Qu'en est-il réellement ?
François Heisbourg : J'étais sceptique face à ces statistiques. Comme le dit la formule anglaise, il existe trois sortes de mensonges : le mensonge, le gros mensonge et les statistiques. Certaines de ces données comptaient les promesses, d'autres les engagements financiers et certaines étaient clairement réalisées pour minorer le rôle de la France. Mais j'avais des retours, y compris du côté ukrainien, qui m'indiquaient que nous n'en faisions pas énormément dans la livraison de matériel.
En septembre, je me suis rendu à Kiev, en passant par le principal hub de matériel militaire occidental en Pologne, l'endroit où passent l'essentiel des armes et des munitions pour l'Ukraine depuis le 27 février. Là, le responsable du site m'a indiqué la part de la France : exactement 1,4%. Aïe... Car il s'agit de livraisons réelles : des obus, des canons, des blindés... Tout l'impedimentum nécessaire pour faire la guerre et qui se trouve effectivement dans les mains des Ukrainiens. Pas uniquement des promesses.
Où se situe la France par rapport aux autres pays occidentaux ?
Paris se trouve à la neuvième position. Les Américains sont en tête avec 49% des livraisons, ce qui est un chiffre presque rassurant pour les Européens : l'Europe contribue pour la moitié de l'aide militaire à l'Ukraine, soit un rôle un peu plus important que celui qu'on lui attribue parfois.
Je n'ai pas eu accès à toute la liste, mais il était clair que les Allemands étaient largement devant nous, à près de 9%. L'Allemagne se fait constamment houspiller pour la lenteur de ses livraisons, avec ses procédés extrêmement bureaucratiques et ses problèmes politiques, mais à la sortie, elle livre. Et beaucoup ! Une donnée particulièrement désagréable est que les Italiens sont juste devant nous. Non pas que l'Italie soit négligeable, mais ça fait mauvaise impression...
Vous êtes ensuite allé à Kiev, où vous avez notamment rencontré le président Zelensky. Comment réagissent les Ukrainiens à cette faible aide militaire française ?
En Ukraine, les pays dont on parle ne sont pas ceux qui posent des problèmes de livraison insuffisante, mais ceux dont les Ukrainiens attendent des livraisons. Les Ukrainiens sont passés de la case "je me plains, je ne suis pas content et je le dis", à la case "on concentre nos efforts sur les relations avec les gens qui sont réellement susceptibles de nous aider". Eh bien, la France était zappée... C'est ce qui m'a le plus choqué.
Quand vous allez en Pologne ou dans les pays Baltes, tout le monde dit du mal des Français. C'est désagréable, c'est parfois détestable, et ils ont hélas souvent de bonnes raisons de se plaindre, mais la France existe. En Ukraine, on n'existe plus. Pour employer un mot macronien, c'est un peu humiliant.
Pour se défendre, le gouvernement français rétorque que l'important c'est la qualité, et non la quantité...
Oui, bien sûr, les autres sont mauvais comme des teignes et livrent de la camelote... Il faut quand même s'arrêter un peu ! Les Ukrainiens savent très bien ce qu'ils veulent. Ils savent se servir de ce qu'ils obtiennent et s'ils avaient des raisons de se plaindre du matériel de Pierre, Paul ou Jacques, je pense qu'ils le diraient.
Oui, les canons Caesar sont remarquables et la France les a livrés tôt, dès le mois de juin, à un moment très difficile pour les Ukrainiens, quand l'offensive du Donbass par les Russes était à son apogée. Du fait de leur portée et de leur agilité, les Caesar ont vraiment aidé les Ukrainiens à retomber sur leurs pieds, à un moment où ils perdaient des centaines de soldats par jour.
Désormais, on annonce la livraison d'une dizaine de Caesar supplémentaires à l'Ukraine, prélevée sur une livraison au Danemark - ce qui signifie qu'en réalité, ce sont les Danois qui les donnent à l'Ukraine. Cela reste très positif et je comprends la fierté de nos autorités. Mais les Polonais ont livré 98 Krabs, qui sont des canons automoteurs blindés, un peu différents du Caesar, mais dans la même gamme. De la grosse artillerie, très mobile. 98, ce n'est pas 18. Dans la Grande Guerre - et la guerre d'Ukraine est une grande guerre -, il faut aussi de la masse !
Au bout de huit mois de guerre, la France pèse à peu près 4 % du total européen des livraisons d'armes, et à peu près 2 % du grand total occidental. Quand on pèse 2% de l'Occident collectif, pour reprendre une expression russe, il devient difficile de faire des discours sur l'autonomie stratégique des Européens...
Depuis le début de la guerre, les autorités françaises restent très discrètes sur les livraisons d'armes à l'Ukraine, laissant entendre que certaines sont secrètes. C'était donc faux ?
La première raison invoquée pour justifier la non-communication, c'était la sécurité opérationnelle. Un argument parfaitement recevable à condition d'être justifié. Dire que l'on a livré des véhicules blindés n'est en soi pas un secret opérationnel : ce qui peut être un secret opérationnel c'est le jour, l'endroit ou l'unité à laquelle il est fourni. Cet argument était brandi au début, lorsque l'on était encore à la charnière de la paix et de la guerre. Les Français avaient choisi la discrétion, contrairement aux Américains et aux Britanniques qui annonçaient leurs livraisons avant la guerre dans un espoir de dissuasion, afin que les Russes sachent que leurs opérations seraient plus compliquées que ce qu'ils imaginaient.
Ensuite, le deuxième discours français, qui continue plus fort que jamais, consiste à dire que les autres parlent et que nous, nous faisons. Cet argument n'a pas toujours été bien reçu par nos alliés et on peut les comprendre... Pendant plusieurs mois, Emmanuel Macron a voulu faire du "en même temps" : nous soutenons l'Ukraine et, en même temps, nous voulons jouer un rôle de "médiation". Je reprends ce mot du président, qui me paraît invraisemblable : on ne peut pas être un médiateur lorsque l'on soutient une des deux parties. Un médiateur, c'est quelqu'un entre les deux. Cela nous a vraisemblablement amenés à modérer les livraisons que nous pouvions faire : jusqu'à l'annonce de l'envoi de Caesar, quelques jours avant le premier tour de l'élection présidentielle, il ne s'était pas passé grand-chose du côté français. En juin, les Français ont fini par se rendre compte que leur discours était devenu totalement inaudible pour la moitié de l'Europe et ils ont laissé tomber la prétendue médiation.
Une explication à cette faible livraison serait que l'armée française dispose de peu de réserves stratégiques...
C'est exact, nous avons peu de matériel. Mais l'argument a des limites. Les Britanniques dépensent à peu près autant que nous en matière de défense et ils mettent à peu près autant de soldats et de matériel sur le terrain dans des opérations extérieures. Les Britanniques ne sont pas des Allemands, si je puis dire. Ils se trouvaient en Afghanistan, jusqu'en août de l'année dernière. Les Français livrent peut-être le quart ou le cinquième de ce que livrent les Britanniques à l'Ukraine, quelle que soit l'unité de compte.
Donc l'argument de l'engagement français au Sahel ne tient pas, selon vous ?
Les Britanniques ont quitté l'Afghanistan, nous sommes en train de démonter Barkhane. Le choix des opérations extérieures n'est pas forcément le même, mais dire que nous sommes hors-norme est faux. Nous avons le même type de dépenses, nous avons le même type de profils pour l'action de nos forces armées, mais nous suivons des politiques très différentes vis-à-vis de l'Ukraine.
Une dernière raison avancée par les Français est liée à cette question : le risque de nouveaux conflits. On cite, non sans raison, le risque d'une guerre entre la Turquie et la Grèce. De fait, la Turquie menace la Grèce, et nous avons un accord spécifique de défense avec la Grèce. Mais le résultat reste que nous faisons des arbitrages très différents de ceux de nos partenaires, qui se trouvent dans la même situation de pénurie relative.
Qu'est-ce que cela dit de l'armée française?
Cela signifie que nous ne dépensons pas suffisamment pour l'armée française. L'Europe et la Méditerranée d'aujourd'hui ne sont pas celles d'il y a cinq ans. Encore une fois, on ne peut pas décemment tenir des discours sur l'autonomie stratégique européenne si nous ne sommes pas prêts à peser plus de 2% des livraisons d'armes à un allié en guerre. On ne peut pas. Personne ne nous entend.
Les Italiens contribuent à peu près autant que nous, mais eux ne font pas de discours sur l'autonomie stratégique européenne. Les Allemands, qui font largement plus que nous, accompagnent nos discours sur l'autonomie stratégique et se montrent bons camarades, mais personne ne se tourne vers l'Allemagne pour les désigner comme chefs de file de l'autonomie stratégique européenne. Cette politique, ce sont les Français. Le décalage entre ce que l'on fait et ce que l'on dit devient insupportable.
La France sera-t-elle en mesure d'encourager la mise en place d'une défense européenne, qui inclura l'Ukraine ?
Quand la guerre s'arrêtera, à des conditions voisines de celles d'avant-guerre, l'Ukraine sera la puissance militaire la plus forte en Europe. Ils auront l'armée la plus importante, la mieux aguerrie, à certains égards la mieux équipée de tout le continent. Il n'y aura guère que la Pologne, la France et le Royaume-Uni qui boxeront à peu près dans la même catégorie.
La politique du "en même temps" nous a ralenti au début de la guerre d'Ukraine, elle nous a handicapés et nous place dans une situation où il va être beaucoup plus difficile d'opérer sur le thème de l'autonomie stratégique européenne. La France donne de la voix, mais ne montre pas l'exemple.
La priorité absolue des Ukrainiens, c'est la défense antiaérienne et antimissile. Les Russes ont été battus sur le champ de bataille, pour le moment en tout cas, et l'offensive du Donbass a fini par être stoppée. Le problème le plus grave reste la vulnérabilité des villes et des infrastructures civiles aux frappes à longue portée russes : les Russes se font étriller sur le terrain, donc ils se mettent à détruire les réseaux électriques, les réseaux d'adduction d'eau, les centres-villes... C'est militairement peu important, mais humainement insupportable. La deuxième des priorités ukrainiennes, ce sont des armes de précision pour tirer dans la profondeur du dispositif ennemi. Ensuite, on trouve les véhicules blindés, puis les chars d'assaut.
Les Ukrainiens en ont plus appris dans le domaine militaire en l'espace de huit mois que nous depuis la fin de la guerre d'Algérie. Lorsque je vois l'Union européenne ou les Britanniques qui se proposent pour entraîner des soldats ukrainiens et leur apprendre des techniques de combat modernes... Au début, c'était sympathique, mais cela devient une farce. Ce serait plutôt aux Ukrainiens de nous apprendre les techniques de combat modernes !
Des personnes en deuil assistent aux funérailles d’un jeune palestinien de 17 ans, tué par les forces israéliennes près de Ramallah en Cisjordanie occupée par Israël (Reuters)
Les troupes israéliennes ont tué deux Palestiniens à Jénine samedi, quelques heures après que deux adolescents aient été tués par balles lors d’incidents distincts en Cisjordanie occupée.
Mahmoud Assos, 18 ans, et Ahmed Daragma, 16 ans, ont été tués par des tirs israéliens lors d’un important raid de l’armée dans le camp de réfugiés de Jénine samedi matin, selon le ministère palestinien de la Santé.
Des véhicules blindés, des bulldozers, des hélicoptères militaires et des drones de combat auraient été déployés lors du raid.
Les combattants palestiniens ont riposté par des tirs à balles réelles, tandis que des habitants non armés ont également affronté des soldats israéliens avec des pierres.
Mahmoud Assos a reçu une balle dans le cou et Ahmed Daragma a été touché à la tête, selon le ministère palestinien de la Santé.
Au moins onze autres Palestiniens ont été blessés, dont trois sont toujours dans un état critique.
La montée en puissance des hommes armés de Jénine
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L’armée israélienne a déclaré qu’elle menait une opération d’arrestation lorsque « des engins explosifs, des cocktails Molotov et des coups de feu », ont été tirés sur des soldats qui ont riposté.
Un Palestinien a été arrêté, a ajouté l’armée. Des sources palestiniennes l’ont identifié comme étant Saleh Abu Zeneh.
Les médias locaux ont rapporté que les journalistes et les médecins palestiniens se sont vu refuser l’accès pendant le raid. L’agence de presse palestinienne Wafa a déclaré que les troupes israéliennes avaient tiré en direction d’un groupe de journalistes qui se cachaient dans les environs.
Deux autres mineurs ont été tués par les forces israéliennes vendredi soir.
Adel Ibrahim Daoud, 14 ans, a reçu une balle dans la tête près de la barrière de séparation israélienne à Qalqilya tandis que Mahdi Ladadweh, 17 ans, a été touché à la poitrine par des tirs de soldats au nord-ouest de Ramallah.
L’armée israélienne a déclaré avoir ouvert le feu après qu’une personne ait lancé des cocktails Molotov, en réponse à la mort de Daoud, selon le journal israélien Haaretz.
Plus de 50 Palestiniens ont été blessés par les forces israéliennes vendredi lors de diverses répressions de manifestations anti-occupation à travers la Cisjordanie, selon le Croissant-Rouge palestinien.
« Cela conduira à une explosion »
Ces derniers mois, les Palestiniens de Cisjordanie ont été confrontés à une violence croissante de la part des forces israéliennes, sans précédent depuis des années.
Les opérations quasi quotidiennes de raids et d’arrestations se sont multipliées dans tout le territoire palestinien occupé, qui, selon l’armée israélienne, visent à éradiquer une résurgence de la résistance armée palestinienne, en particulier dans les villes du nord de Naplouse et de Jénine.
« La poursuite de cette politique conduira à une explosion et à davantage de tensions et d’instabilité »
- Porte-parole de la présidence de l’Autorité palestinienne
Plus de 165 Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens cette année, dont 51 dans la bande de Gaza et au moins 110 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le taux de mortalité suite à des attaques israéliennes est le plus élevé enregistré en Cisjordanie en une seule année depuis 2015.
Au moins deux soldats israéliens ont été tués par des tirs palestiniens depuis mai.
Le mouvement palestinien Hamas a déclaré que le raid de Jénine a démontré la faiblesse de l’armée israélienne face à « la résistance en Cisjordanie ».
« Il recourt donc à la mobilisation de machines militaires et d’hélicoptères pour arrêter une personne », a déclaré le Hamas, qui dirige la bande de Gaza, dans un communiqué.
Le porte-parole de la présidence de l’Autorité palestinienne, Nabil Abu Rudeineh, a condamné vendredi Israël pour ce qu’il a appelé des « exécutions sur le terrain ».
« La poursuite de cette politique conduira à une explosion et à davantage de tensions et d’instabilité », a averti Abu Rudeineh dans un communiqué.
Nous étions dans la même compagnie et la même section d'EOR à Cmerchell...
Christian Massot, président de l’UNC (Union nationale des combattants) locale, répondra aux questions des visiteurs. Photo LBP /G. D.1 /1
À l’occasion du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, l’Union nationale des combattants (UNC) de Nuits-Saint-Georges a voulu rendre hommage aux soldats ayant participé à ce conflit. Conflit qui a marqué leur jeunesse,...
Annie Ernaux a reçu le prix Nobel 2022 de littérature ce jeudi 6 octobre, pour « le courage et l'acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ». À cette occasion, Politis vous propose de relire l'interview que l'autrice, très engagée à gauche, nous accordait en mai dernier.
CET ARTICLE EST EN ACCÈS LIBRE. Pour rester fidèle à ses valeurs, votre journal a fait le choix de ne pas se financer avec la publicité.
Annie Ernaux est sur le devant de la scène littéraire et cinématographique. Et elle manifeste plus que jamais son implication dans la vie de la cité, notamment en faveur de Jean-Luc Mélenchon. Autant de raisons pour une rencontre.
La publication d’un court récit, Le Jeune Homme, celle d’un « Cahier de l’Herne » qui lui est consacré, et bientôt, à Cannes, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, la projection d’un film qu’elle a réalisé avec son fils, David Ernaux-Briot (1) : Annie Ernaux est sur le devant de la scène.
L’autrice des Années (2) a accepté de nous recevoir chez elle, à Cergy. D’abord pour évoquer son actualité éditoriale. En particulier ce bref texte, une novella, écrit à la fin des années 1990 et repris en 2020, dans lequel elle relate la relation qu’elle a eue avec un étudiant, à Rouen, alors qu’elle avait passé le cap de la cinquantaine. Ensuite pour échanger sur ses prises de position, son engagement en faveur de Jean-Luc Mélenchon, les espoirs soulevés par l’union de la gauche, le féminisme ou la vieillesse. Comme elle l’explique ici, la notion du temps est centrale dans Le Jeune Homme, où la narratrice se retrouve dans un « trou temporel ». Dans une autre perspective et toutes proportions gardées, cette rencontre avec Annie Ernaux, on ne peut plus disponible, s’est aussi déroulée comme si les horloges s’étaient momentanément arrêtées. Ces deux heures et demie d’entretien ont filé comme par enchantement.
Est-ce que Le Jeune homme raconte une histoire d’amour ?
Annie Ernaux : Tout ce que j’ai vécu avec lui était une deuxième fois. Je me suis laissé séduire par la perspective d’une histoire insolite, avec ce côté « reviviscence ». Il y avait de l’amour des deux côtés, mais sans doute moins du mien. Parce qu’on ne revit pas les choses deux fois avec la même intensité. Ce n’est pas Passion simple du tout ! Il n’y a pas la violence de Passion simple. Sinon une autre violence, mais pas celle de l’amour. Une violence où la société est présente.
Je m’interroge sur ce qui reste de nous quand on est absent.
Toute histoire d’amour est particulière. Celle-ci avait dès le départ un coefficient d’étrangeté puissant. Pas seulement à cause de la différence d’âge. Aussi en raison de la proximité de l’origine sociale, sauf qu’étant transfuge de classe j’étais passée de l’autre côté. À travers lui, c’est ma classe sociale qui me revient, mais dans les années 1990. Et il y a Rouen. Ville qui appartient à ma vie, dès mon enfance. J’y ai fait mes études. Tous les lieux que j’avais fréquentés y étaient encore, même si leur usage, parfois, n’était plus le même. Un autre signe incroyable : son appartement donnait sur l’ancien Hôtel-Dieu, qui était en train d’être transformé en préfecture, hôpital où je me suis retrouvée après mon avortement clandestin, en 1964. Ce serait bientôt le sujet d’un texte à venir, L’Événement.
Vous écrivez à ce propos : « Il y avait dans cette coïncidence surprenante, quasi inouïe, le signe d’une rencontre mystérieuse et d’une histoire qu’il fallait vivre. »
Peut-être est-ce l’influence du surréalisme, qui a marqué ma jeunesse. J’ai fait mon diplôme d’études supérieures, comme on disait à l’époque, sur la femme et l’amour dans le surréalisme. C’est pourquoi une histoire d’amour, pour moi, c’est toujours un peu Nadja – ça finit mal, hein ! – ou L’Amour fou.
« Notre relation pouvait s’envisager sous l’angle du profit », dites-vous. L’expression est troublante, à propos d’une histoire d’amour…
Oui, j’ai l’habitude de regarder les choses en face [rires] ! Il existe une expression équivalente aujourd’hui : « Y trouver son compte ». Ne fût-ce que de penser ainsi montre que j’étais moins engagée dans la relation. Ce qui est extraordinaire, c’est que j’ai commencé la rédaction de ce texte en 1998, alors que j’étais encore avec lui. Or j’écris déjà au passé. Tout de même, ce que l’on voit dans le texte, c’est que nous sommes unis face à la société quand elle nous regarde.
La représentation, encore subversive aujourd’hui, d’un couple où la femme est plus âgée que l’homme est-elle la principale motivation de la publication de ce livre ?
Pas vraiment, même si cela compte. Je voulais avant tout montrer le trou temporel dans lequel j’étais. Une phrase dit cela : « Je n’avais plus d’âge et je dérivais d’un temps à un autre dans une semi-conscience. » J’ai été arrachée à ma génération en étant avec lui. Mais je n’étais pas dans la sienne pour autant. J’avais connu la même précarité quand j’étais étudiante, vivant dans un même petit appartement glacial, etc. Mais, quand je suis avec le « jeune homme », il y a toute ma vie entre les deux.
Une nouvelle forme ne préexiste pas. Je la découvre en travaillant.
Le texte contient peu de réflexions sur votre transformation en trente ans, sur ce qui fait que vous n’êtes plus la même…
Cela reste implicite. Je vois surtout la différence entre lui et moi. Comme je voyais la différence entre mon mari et moi quand j’avais 25 ans, mais dans l’autre sens, puisque là j’étais la dominée par rapport à sa famille bourgeoise. Si, dans un cas, je le vivais comme une humiliation, dans Le Jeune Homme, je procède juste à un constat. Je suis dans une situation de domination matérielle, sociale et culturelle.
Votre travail s’apparente à celui d’une archéologue : vous révélez les traces du passé, vous les « ressuscitez ». Vous vous souciez aussi de l’empreinte que nous laissons chez les autres. Il y a cette phrase dans Mémoire de fille : « Comment sommes-nous présents dans l’existence des autres ? » Et dans votre journal : « Pensé à ceci : ma mère est en moi et je suis dans les autres par l’écriture. » Cette préoccupation des traces laissées ne relève-t-elle pas d’une lutte contre la mort ?
C’est possible. Ce que disent les deux phrases que vous venez de citer, c’est qu’il y a plein de personnes en nous, des personnes qui ont fait partie de notre vie ou que nous avons seulement croisées. Pour Mémoire de fille, la question était cruciale : comment est-on présent dans la mémoire de son agresseur sexuel ? Pas du tout, peut-être. Je n’en sais rien. Quand j’ai appris la mort l’an dernier de celui qui apparaît dans Mémoire de fille, cela a été un choc pour moi et la question a été renouvelée : avait-il lu ce texte ? Mais plus globalement, en effet, je m’interroge sur ce qui reste de nous quand on est absent.
Êtes-vous rassurée de savoir que votre œuvre va rester ?
Je ne me le formule pas, parce que je n’ai pas envie de mourir ! Mais, effectivement, des personnes de mon âge me disent : toi, tu laisses quelque chose. En un sens, je pense, oui, que c’est une idée importante. Mais peut-être que ce que j’ai écrit ne franchira pas les années.
Je suis révoltée par l’inégalité des conditions, des espérances.
Vos textes plongent dans votre passé, sont nourris par votre mémoire, et en même temps vous vivez pleinement le présent avec vos prises de position et votre regard sur la société. Nous sommes frappés chez vous par ce frottement entre le passé et le présent.
Cela peut paraître étrange, mais il y a une forme de vide en moi. Au sens où ce vide est rempli par ce qui survient dans le monde. Par exemple, cela paraît stupéfiant à beaucoup de gens que je n’aie pas utilisé Internet pour écrire Les Années. Parce que mon être est rempli par les événements de l’extérieur. Un de mes livres s’appelle Journal du dehors.
Dans son beau texte du « Cahier de l’Herne », Nicolas Mathieu dit que ce qui l’émeut le plus dans votre écriture, c’est l’« effet de densité ». Le Jeune Homme correspond tout à fait à cette vision. C’est comme si votre écriture s’y condensait.
Oui, d’ailleurs on ne voit pas de différence entre ce qui a été écrit à l’époque et les parties écrites récemment. Je mets beaucoup de temps à écrire, parce que je cherche le mot juste. Et cette justesse ne se détermine que d’une façon totalement subjective.
Un des contributeurs du « Cahier de l’Herne » dit que vous seriez soucieuse « d’être lisible par le plus grand nombre »…
Non. Je n’ai pas cette préoccupation.
En revanche, il y a une exigence qui revient en permanence dans vos réflexions, c’est celle de trouver une forme nouvelle. Même si le fond et la forme, comme on le sait, ne sont pas dissociables, diriez-vous que la forme en littérature est ce qui est le plus politique ?
Oui. La forme organise le regard du lecteur. Non la thématique. Par exemple, je me suis demandé comment écrire la passion. C’est passé par la recherche des signes, par l’énumération. Plus ardue encore à trouver – cela m’a demandé énormément de temps : la forme des Années. Une nouvelle forme ne préexiste pas. Je la découvre en travaillant.
C’est aussi pour cette raison que je n’écris pas de romans, parce que j’ai le sentiment que le roman impose une forme, alors qu’avec la non-fiction tout est possible. De la même manière, je ne parle pas d’autobiographie à mon sujet, car l’auto-biographie a une forme canonique.
Estimez-vous que la dimension politique de vos textes a été sous-estimée ?
Au contraire, je pense qu’elle n’a jamais été sous-estimée et que c’est justement cela qui a provoqué de violentes attaques de la part de certains journalistes dans les années 1980-1990. Ils niaient volontairement cet aspect politique de mes livres en disant que c’était populiste, ou bien un livre de midinette, un texte impudique.
Cela, dès mon premier roman, Les Armoires vides. Passion simple a été particulièrement visé. Une chercheuse, qui a fait une thèse sur moi, a montré de manière assez claire qu’à travers les critiques acerbes de Passion simple (1993), des journalistes s’étaient vengés du succès de La Place (1984) et de ce que disait ce livre !
À 22 ans, vous disiez : « J’écrirai pour venger ma race. » Assumez-vous toujours cet objectif ?
J’ai utilisé le mot race en référence à Rimbaud : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » La phrase que vous citez, très violente, a été écrite dans des carnets intimes quand j’étais à la cité universitaire de Rouen, car je voyais bien que la plupart des autres étudiantes n’étaient pas du tout de ma race.
Je ressentais cela profondément, je voulais montrer à quel point je me sentais complètement étrangère à ces filles. C’était une sensation très forte, et c’est devenu un moteur pour écrire. Je l’assume encore car c’est finalement ce qu’il y a toujours au fond de mon écriture. Dans Le Jeune Homme, c’est très indirect. Mais je situe quand même cet aspect de différence de classe au centre du récit. D’une certaine manière, je sais que ce texte-là, je suis seule à l’avoir écrit, à pouvoir l’écrire ainsi, et cela participe aussi au fait de « venger ma race ».
Le quinquennat de Macron et sa réélection me donnent l’impression que nous vivons dans une société quasiment irrespirable.
De quand datez-vous votre éveil politique ?
Il naît en classe de philosophie, au lycée Jeanne-d’Arc de Rouen, lycée du centre-ville, très bourgeois. Pourtant, ma prof de philosophie, Jeanine Berthier, était marxiste-catholique et nous faisait prendre conscience des classes sociales dans ses cours. En 1958-1959, en pleine guerre d’Algérie, elle nous a fait rencontrer une famille algérienne qui vivait dans des baraquements de la ville et nous avons nettoyé leurmaison.
Nous nous occupions collectivement de cette famille le samedi matin, au lieu d’aller en cours. Je me souviens que cette prof avait dit qu’ils cotisaient sûrement au FLN, et cela lui paraissait normal. À ce moment-là, j’ai basculé. Avant, j’étais pour l’Algérie française, car je venais d’une école catholique, le pensionnat Saint-Michel d’Yvetot, et dans le café de mes parents on comptabilisait les Français morts en Algérie, on parlait de fellaghas.
Avez-vous toujours eu conscience d’être de gauche ?
Je n’ai jamais milité politiquement, mais j’étais engagée à gauche. J’ai voté pour la première fois en 1962, lors du référendum sur l’élection au suffrage universel direct du président de la République proposé par le général de Gaulle. J’étais absolument contre, comme Pierre Mendès-France et les communistes. Le non a obtenu un score ridicule. Je me souviens très bien que, la veille, j’ai rêvé que de Gaulle se promenait dans un carrosse d’or ! L’image du monarque, de la Ve République, prenait forme dans mon rêve [rires]. En 1968, on n’en pouvait déjà plus de ce régime, on criait : « Dix ans, ça suffit ! », c’était insupportable.
La révolte a-t-elle toujours été un moteur dans votre vie pour vous engager, pour écrire ?
Bien sûr ! Tant de choses me révoltent encore, notamment le régime présidentiel actuel. Il faut changer de constitution. Je suis aussi révoltée par l’inégalité des modes de vie, des conditions, des espérances que chaque enfant peut avoir à la naissance. Tout cela s’est accru d’une façon effroyable depuis trente ans. Le quinquennat de Macron et sa réélection me donnent l’impression que nous vivons dans une société quasiment irrespirable.
D’où votre soutien affiché à Jean-Luc Mélenchon depuis dix ans…
En 2012, les socialistes me sortaient déjà par les yeux. J’ai voté à la primaire PS, pour Aubry. J’ai quand même voté pour Hollande au second tour face à Sarkozy. Le discours de Mélenchon m’intéressait vraiment, c’était mon candidat. Depuis 2017, on sait que je suis plus que sympathisante avec La France insoumise.
Cette année, j’ai officialisé ma position en participant au parlement de l’Union populaire. Je sentais que c’était avec Jean-Luc Mélenchon qu’il fallait être car il avait le projet le plus construit. J’aimerais qu’on parle enfin de ce qui compte dans la vie quotidienne : l’éducation, l’école, le travail, le féminisme, la culture, l’égalité, l’écologie, et pas seulement la laïcité ! Une société qui ne soit pas polarisée par des différences de religion, par le racisme.
La récente union des gauches avec la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) pour les élections législatives vous donne-t-elle de l’espoir ?
Je n’aime pas le terme Nupes, qui me fait trop penser à « dupes ». Il leur a manqué un écrivain pour réfléchir au nom [rires]. Mais cette union me réjouit. Il y a eu des moments forts, comme les gilets jaunes, mais c’était sans débouché politique. Cette fois, des politiques s’unissent pour accéder au pouvoir. Le peuple de gauche y aspirait, et peut-être même celui qui n’est pas forcément de gauche, celui de l’abstention.
Que des « socialistes » comme François Hollande ou Bernard Cazeneuve ne sentent pas qu’une grande partie du pays attend ça montre un manque de compréhension incroyable ! J’ai rompu depuis longtemps avec cette « gauche » d’hier, notamment parce qu’elle a une grande part de responsabilité dans la montée du Rassemblement national.
Vous avez milité au sein d’associations féministes, vous signez des appels, vous prenez position dans les médias… Quel regard portez-vous sur les jeunes qui poussent plus loin la radicalité des modes d’intervention, comme les actions de désobéissance civile ou le black bloc ?
J’estime ces actions normales. Je me suis même demandé si je ne ferais pas la même chose si j’avais leur âge. Je me suis vraiment rendu compte de tout cela au moment des mobilisations contre la loi travail et avec Nuit debout. Je me souviens notamment de cette manifestation où les gens étaient obligés de marcher autour du bassin de l’Arsenal à Paris… C’était insoutenable de voir cette remise en question du droit de manifester. Les politiques ne donnent pas beaucoup d’espérance aux jeunes.
Vous êtes-vous toujours définie comme féministe ? Que signifie ce mot pour vous ?
Ce mot me renvoie d’abord à des figures réelles, et en premier lieu à Simone de Beauvoir, car la lecture du Deuxième Sexe à 18 ans m’a beaucoup influencée. Puis je me suis aperçue que ma mère était féministe, même si elle n’utilisait pas ce mot et qu’il n’était pas question de liberté sexuelle.
Dans le monde dans lequel j’ai grandi et vécu jusqu’à 35 ans, la liberté sexuelle n’était pas praticable car nous n’étions pas maîtresses de la reproduction. Je n’ai pas eu un déclic féministe précis, mais mes choix montrent que cela me hantait. Dans les années 1970, j’ai lutté pour les libertés des femmes à Choisir, au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception.
Le consentement, l’avortement, les violences gynécologiques, la charge mentale… Toutes ces questions au cœur de l’actualité et des luttes féministes étaient déjà dans vos textes. Vous semblez vous sentir davantage en adéquation avec la génération des féministes actuelles…
On me fait toujours remarquer que Mémoire de fille a été publié en 2016, juste avant #MeToo. Dans La Femme gelée, j’aborde le sujet de la charge mentale quarante ans avant qu’on en parle, mais ça n’a pas remué les foules à l’époque. La nouvelle génération est un peu celle de mon cœur et de ma mémoire ! Je lis les livres de Mona Chollet ou de la philo-sophe Camille Froidevaux-Metterie.
Je me reconnais dans le féminisme qui parle du quotidien, et dans le féminisme intersectionnel, car il est évident que ce ne sont pas les mêmes problèmes qui se posent aux femmes racisées.
Je me reconnais dans le féminisme qui parle du quotidien, et dans le féminisme intersectionnel, car il est évident que ce ne sont pas les mêmes problèmes qui se posent aux femmes racisées. Je me suis toujours inscrite contre ce féminisme blanc, bourgeois, islamophobe. Je ne me sentais pas forcément représentée par les féministes des années 1970 parce que la charge mentale ne les intéressait pas, le combat se situait surtout au niveau du corps. Il y avait un mouvement qui tendait à mettre en avant des valeurs féminines jusqu’à essentialiser les femmes. Certaines parlaient d’écriture féminine et ça me sortait par les yeux.
Le corps d’une femme de 80 ans est-il toujours aussi sous surveillance ?
Toujours, mais avec des différences. On dira plutôt : « Elle ne fait pas son âge ! » C’est un peu dérangeant, comme si, pour la femme, la jeunesse restait le critère idéal. J’ai envie de dire : je suis vieille et je le revendique ! La jeunesse ne doit pas être survalorisée. Je fais partie du Conseil national autoproclamé de la vieillesse, créé par Ariane Mnouchkine.
L’idée est d’imposer l’idée que devenir vieux est une chance et qu’il faut donc se préoccuper de la vieillesse. Nous réfléchissons par exemple aux difficultés du quotidien, comme se déplacer. Dans le RER, il y a l’escalier roulant, mais dans le métro, c’est l’enfer. Quand vous n’avez pas l’argent pour prendre un taxi, vous ne sortez plus de chez vous et vous renoncez à vous rendre dans certains lieux. Là encore, ce sont des inégalités sociales criantes.
L'Algérie, où le français reste très ancré soixante ans après la fin de la colonisation, vient d'introduire l'anglais à l'école primaire, une démarche saluée par les détracteurs de l'emprise de la langue de Molière, mais décriée par d'autres pour sa mise en oeuvre précipitée.
En Algérie, la question linguistique fait régulièrement l'objet de débats. Si le statut officiel de l'arabe fait consensus, la place du tamazight (berbère), devenu langue officielle en 2016, et du français, langue de l'enseignement scientifique et des affaires, héritée de l'ancienne puissance coloniale, soulève des polémiques sans fin.
Les enfants, qui ont repris le chemin de l'école le 21 septembre, démarrent désormais l'apprentissage de l'anglais dès la 3ème année de primaire, comme c'est déjà le cas pour le français, alors que jusqu'à présent ils ne le commençaient qu'au collège.
"Cette décision constitue une évolution, mais il aurait fallu bien préparer son introduction dans l'enseignement", réagit auprès de l'AFP Farouk Lazizi, père de deux élèves d'une école primaire à Alger.
C'est le président Abdelmadjid Tebboune qui a pris cette décision en Conseil des ministres le 19 juin. "Le français est un butin de guerre mais l'anglais est la langue internationale", a-t-il expliqué fin juillet.
Pendant l'été, le ministère de l'Éducation s'est engagé dans une course contre la montre pour mettre en oeuvre les instructions présidentielles.
En moins de deux mois, 5.000 enseignants contractuels ont été recrutés et ont reçu une formation express. Un manuel scolaire a été élaboré et distribué aux écoles en un temps record.
- Précipitation -
"Quand on se précipite sans réunir les conditions nécessaires, il y a lieu de s'interroger sur la réussite de cette mise en oeuvre", regrette Messaoud Boudiba, porte-parole du Cnapeste, un important syndicat du secteur.
Le linguiste Abderzak Dourari déplore le recours à des traducteurs pour combler le manque de professeurs.
"Faire appel à eux n'est pas le meilleur moyen d'enseigner la langue puisque le traducteur n'est pas formé pour enseigner", remarque-t-il avant d'ajouter: "si on n'a pas suffisamment d'enseignants compétents, il vaut mieux ne pas se lancer tout de suite".
Quelque 60.000 personnes ont postulé pour rejoindre le corps enseignant. Le ministère a exigé qu'elles produisent une licence en anglais ou en traduction.
"Enseigner quatre langues (arabe, berbère, français et anglais) dès le primaire va créer une confusion dans l'esprit" des enfants, estime le pédagogue et ex-enseignant d'anglais Ahmed Tessa.
En revanche, ceux qui souhaitent la fin de l'enseignement en français sont comblés.
"Nous nous félicitons de cette décision qui a tardé à venir", se réjouit Sadek Dziri, président de l'Unpef, un autre syndicat influent, arguant que "l'anglais est la langue des sciences et de la technologie".
Professeur d'anglais dans un collège algérois, Abdelahamid Abed salue lui aussi la décision de M. Tebboune, estimant que le "français a fait son temps".
"Il faut suivre le développement technologique. Il ne faut pas voir cette question sous l'angle de la rivalité entre le français et l'anglais mais d'un point de vue pragmatique", estime-t-il.
L'Algérie va pouvoir "renoncer au français qui est la langue du colonisateur et dont l'enseignement n'a pas donné de bons résultats", ajoute un parent d'élève.
- "Pris au dépourvu" -
Depuis des décennies, milieux conservateurs et laïcs se livrent une bataille acharnée autour de la place du français dans l'enseignement en Algérie.
L'introduction de l'anglais en primaire a relancé le débat, certains y voyant une volonté des autorités de remplacer le français par la langue de Shakespeare.
"Le président de la République a été clair. Il l'a qualifié de +butin de guerre+. Ce qui signifie que l'Algérie bénéficie de cette langue dans sa vie institutionnelle et socio-économique", rétorque M. Tessa.
"Les cercles hostiles au français ont été pris au dépourvu par cette affirmation. Ils croyaient que le français allait être supprimé du primaire. Ils rêvent de le voir disparaître", analyse-t-il.
Pour le linguiste Dourari, "il serait vain et très difficile de substituer une langue à une autre dans le cas de l'Algérie", en raison du contexte "culturel, linguistique, historique mais aussi géographique".
"Nous avons plus de 8 millions d'Algériens qui vivent en France, des familles mixtes qui viennent, qui repartent. L'essentiel des contacts touristiques se font d'abord avec la France et pas avec l'Angleterre", a-t-il souligné.
Avec « Les Harkis » (au cinéma le 12 octobre), Philippe Faucon revient en Algérie une quinzaine d'années après « La Trahison ». Un nouveau film qui imprime une page importante dans la longue, complexe et secrète filmographie française sur la guerre d'indépendance algérienne.
Philippe Faucon avait 4 ans en 1962. À cet âge-là, que retient notre mémoire ? En évoquant son enfance algérienne et la guerre qui n'avait pas de nom, le cinéaste a cette belle expression : « J'ai l'impression de me souvenir. » Souvenir obscur d'une nuit de peur. Son père, militaire, n'est pas là. Des ombres tambourinent aux portes du village, on tente de forcer les maisons barricadées. Dans un réflexe désespéré, la mère de Philippe cache son enfant dans un placard : « Cet épisode a eu lieu, ma mère me l'a raconté. Je me suis demandé par la suite si j'en avais réellement le souvenir ou si ce souvenir était celui d'un récit préalable qu'en aurait fait ma mère. »
Flash-back
Au Bowdoin College de Brunswick, dans le Maine, Meryem Belkaïd dirige un séminaire intitulé « Représentations de la guerre d'indépendance algérienne ». Selon la chercheuse, le cinéma français relate volontiers ce conflit en flash-back. C'est par exemple le cas dans Des hommes , de Lucas Belvaux (2021) ou encore Mon colonel , de Laurent Herbiet (2006). Autant qu'à la guerre, ces projets s'intéressent au traumatisme, à ces cicatrices françaises. Philippe Faucon, lui, conjugue ce passé au présent. Dans ses films, il n'est plus question d'« impressions de souvenirs » : le spectateur regarde la guerre en face. En 2005, La Trahison marque une date importante dans la représentation du conflit. Ce sera sans doute aussi le cas des Harkis qui sort le 12 octobre.
Dans La Trahison , le lieutenant Roque (Vincent Martinez), commande aussi bien des appelés français que des soldats algériens. Sa patrouille paraît soudée… jusqu'à ce que sa hiérarchie lui apprenne que certains de ses hommes ont pour projet de l'assassiner. Récit plus ample, Les Harkis parcourt plusieurs années avant d'atteindre le carrefour de 1962. A la veille des accords d'Evian, la France s'engage à protéger tous ses soldats. Or, lors de la démobilisation, il s'avère que la nation compte abandonner les Algériens engagés à ses côtés. Les harkis vont découvrir qu'ils ont cru servir un pays qui s'est servi d'eux.
Selon Meryem Belkaïd, La Trahison montrait à quel point la société coloniale était « fondamentalement ségréguée et Philippe Faucon tentait de dépasser ce que l'on croyait savoir du conflit ». L'enseignante observe aussi la façon dont la politique française et cinéma se répondent. La Trahison, comme L'Ennemi intime (2007) de Florian-Emilio Siri, appartient à une série de titres sortis après 1999, lorsque l'Assemblée nationale adopte une loi qui efface des documents de la République le terme d'« opération de maintien de l'ordre en Afrique du Nord » pour imposer celui de guerre d'Algérie. La même année, Abdelaziz Bouteflika accède au pouvoir à Alger et affiche sa volonté de réhabiliter des figures du nationalisme algérien comme Ferhat Abbas et Messali Hadj. « Ces deux événements concomitants, même s'ils ne sont pas révolutionnaires, permettaient de dépasser des silences. Et ils ont eu une résonance dans le cinéma. »
Les ciseaux de la censure
Pourtant, plus de quinze ans après La Trahison, Philippe Faucon aura bien du mal à monter Les Harkis. Le sujet autrefois réputé « compliqué » est désormais « lointain ». À vrai dire, la production d'un film sur la guerre d'Algérie aura toujours représenté une ascension longue et incertaine. À tel point que le cinéma français donne le sentiment de fuir son propre passé. Dans son discours célébrant l'anniversaire des accords d'Evian, Emmanuel Macron lui-même évoquait plus largement « le silence » de la France : « Il ne fallait pas en parler. Quelques-unes de ces mémoires étaient reconnues, mais elles étaient irréconciliables, le travail ne pouvait être fait. Et donc, le caractère irréconciliable a d'abord triomphé par le déni, par les silences… »
La France n'a jamais produit son grand film emblématique: pas de 'Full Metal Jacket' ou 'Apocalypse Now' sur l'Algérie.
Meryem Belkaïd, Bowdoin College de Brunswick (Maine)
On dénombre pourtant plus de 50 films de fiction tournés sur le sujet entre les années 1960 et le début 2000. À cela s'ajoute une bonne centaine de documentaires. D'où vient alors cette étrange et tenace impression de béance dans le patrimoine ? Si les films sont nombreux, aucun n'a su s'élever en un monument : « La France n'a jamais produit son grand film emblématique. Il n'y a pas d''Apocalypse Now ' ou de 'Full Metal Jacket' sur l'Algérie », constate Meryem Belkaïd. Ce n'est pas faute d'avoir tardé. Plusieurs films sur la guerre voient le jour pendant la guerre même. En 1962, Alain Cavalier tourne Le Combat dans l'île et Jacques Rozier Adieu Philippine . L'année suivante, Alain Resnais réalise Muriel, ou le temps retour et Jean-Luc Godard Le Petit Soldat. Puis Cavalier récidive en 1964 avec L'Insoumis.
Si le cinéma n'est pas silencieux, la censure se charge volontiers de le faire taire. Au couperet étatique viendra s'ajouter celui, parfois tout aussi arbitraire, de la postérité : « On cite souvent les films de Godard ou Resnais. On revoit beaucoup moins 'Avoir 20 ans dans les Aurès ' (1961) qui est un film capital, car René Vautier est un cinéaste plus oublié », déplore Meryem Belkaïd. Enfin, s'étend l'autocensure du monde du cinéma lui-même et d'un public qui ne veut pas toujours voir ces films, même s'ils existent.
En 1966, lorsque le cinéaste italien Gillo Pontecorvo présente La Bataille d'Alger à la biennale de Venise, la délégation française claque la porte du festival avant la projection. « Parmi eux, il y avait des officiels mais aussi des professionnels du cinéma », rappelle Meryem Belkaïd. Le film n'en remporte pas moins le Lion d'or. Il ne sortira en France qu'en 1971, furtivement, avant d'être retiré de l'affiche à la suite de des menaces de bombes. La Bataille d'Alger ne connaît une véritable exploitation qu'à partir de 2004.
La gégène et le chalumeau
En filmant sans détour la gégène et le chalumeau, Pontecorvo touche un point crucial dans le refoulé français. Dès 1957, le préfet Paul Teitgen présente sa démission en révélant les exactions des troupes françaises. L'année suivante, les Editions de Minuit publient La Question d'Henri Alleg, livre rapidement interdit qui continuera à circuler sous le manteau. Il est adapté au cinéma par Laurent Heynemann avec Jacques Denis, Nicole Garcia et Jean Benguigui et le film sort en 1977, assorti d'une interdiction aux moins de 18 ans. Le livre d'Alleg apparaît dans Le Petit Soldat et c'est encore autour de la torture que les ciseaux de la censure s'agitent au-dessus de Godard, tandis que le député Jean-Marie Le Pen réclame son expulsion vers la Suisse. Le Petit Soldat ne sortira qu'après la guerre, en 1963.
Dans La Trahison, la torture n'est présente que sous forme d'allusion dans un dialogue. Avec Les Harkis, Philippe Faucon attaque le sujet de front : des Français torturent des Algériens ; des Algériens torturent d'autres Algériens… et si ce n'est pas le sujet de son film, Faucon ajoute que « la torture a été pratiquée aussi par certains éléments du FLN ». Autant de scènes, puissantes et pudiques, tournées à juste distance, à tel point que la barbarie devient une évidence. « Ces séquences posent des questions de sens, précise le cinéaste. Que s'agit-il de dire ? Et comment le dire ou le montrer ? Il ne s'agit pas d'occulter ou de minimiser les violences générées par la guerre d'Algérie, elles y ont été très présentes. Mais il s'agit encore moins de faire de ces violences un spectacle, une démonstration d'effets spéciaux, quelque chose de l'ordre de l'hypnose consumériste ou de la fascination trouble. Il s'agit au contraire d'évoquer des comportements générés par le fait d'une guerre contemporaine qui fut particulièrement révélatrice de multiples parts sombres de l'humain. »
L'Algérie, en effet, ne représente en rien une exception. D'Abou Ghraib en Irak à Izioum en Ukraine, aucune armée ne trimballe pas dans la postérité le boulet de ses crimes… Or la torture aura constitué un élément particulièrement central dans la mise en récit de la guerre d'Algérie : « L'Algérie a révélé que nous pouvions nous aussi avoir des pratiques que jusque-là on associait plutôt à d'autres, à la Gestapo ou à un vieux fond de brutalité propre aux Allemands, poursuit Philippe Faucon. Ces pratiques, nous en avions nous-mêmes été les victimes peu de temps auparavant et il n'était pas imaginable que nous puissions les reproduire. » La torture révèle aussi la nature de cette filmographie : vaste et secrète ; indispensable et dérangeante. Ces films ressemblent à cette guerre. Ils sont nos miroirs. Ni flatteurs, ni sévères, leurs reflets renvoient les Français vers un épisode de leur passé, mais aussi vers une facette de leur identité.
Entre La Trahison et Les Harkis, Philippe Faucon a tourné plusieurs films contemporains. Parmi eux, La Désintégration retraçait le parcours d'un jeune français d'origine maghrébine vers le djihadisme. Dans Fatima, il suivait une femme émigrée qui peine à apprendre le français tandis que ses deux filles parlent difficilement l'arabe. Le cinéaste ne sépare pas ces travaux-là de ses reconstitutions historiques : « Des questions qui traversent des films comme 'La Trahison' ou 'La Désintégration sont, à travers les deux époques, tout à fait en miroir. Dans 'La Trahison', l'un des jeunes Algériens impliqué côté français dit qu'il veut être considéré comme un « Français total ». Une question qui est aussi à l'oeuvre dans 'La Désintégration'. »
Cependant, si les images des films restent à jamais figées, le regard que nous posons sur elles évolue : « Au moment de la sortie de 'La Trahison', la génération qui a vécu la guerre est encore présente dans les salles, se souvient Faucon. Aujourd'hui, elle l'est moins. Les générations nées après la guerre ont pris la suite, mêlées à un public plus général. Les positions très sectaires ou très rigides sont moins nombreuses. Á l'époque de « La Trahison, il y a eu quelques échanges en forme de dialogues de sourds, où on refaisait la guerre ou le film de manière complètement fermée à la parole opposée. Aujourd'hui, des blessures ou des clivages demeurent, bien évidemment, mais il me semble que quelque chose a quand même un peu évolué. Hier, un spectateur dont les parents ont été engagés dans un soutien au FLN a dit ne plus considérer l'histoire des harkis de la même façon. »
Ainsi, sans se presser, s'éloigne le XXe siècle. Dans la Méditerranée, un sillon se referme. Un jour, de cette guerre qu'on nomme enfin, ne restera que des « impressions de souvenirs ». Puis des films de cinéma qui, pour les meilleurs, témoigneront de la douleur mais aussi de la complexité d'un lointain passé.
Vues d'Algérie
Selon Meryem Belkaïd, les spectateurs Algériens abordent ces films avec la conscience qu'ils s'adressent avant tout à un public français. « C'est la France qui fait son travail de mémoire. Or les traumatismes de la société française ne sont pas ceux de la société algérienne. » Le cinéma algérien, lui, nous offre une perspective tout autre. Après La Bataille d'Alger, il va plus volontiers représenter le peuple ordinaire, notamment dans les classiques Mohammed Lakkhdar-Hamina : Le Vent des Aurès (1967) et Chronique des années de braise, sa Palme d'or de 1975.
À partir des années 2010, l'Etat encourage la production de biopics autour de grandes figures comme Zabana ! (2012) de Saïd Ould Khelifa ou Krim Belkacem (2014) d'Ahmed Rached.
Parallèlement, de façon plus discrète mais plus intéressante, un cinéma indépendant s'empare du sujet. Des documentaires comme La Chine est encore loin (2010) de Malek Bensmaïl ou Fidaï de Damien Ounouri interrogent la mémoire du pays et les témoins d'aujourd'hui. L'étonnant Loubia Hamra (2013) de Marimane Mari fait rejouer la guerre à des enfants. Autant de films qui « posent des questions plus qu'ils ne déroulent des discours ».
Par Adrien Gombeaud
Publié le 7 oct. 2022 à 6:03Mis à jour le 7 oct. 2022 à 17:02
C'est l'histoire d'une "obsession": avec "Les harkis", en salles mercredi, le réalisateur Philippe Faucon plonge dans les blessures de la guerre d'Algérie à travers les destins de ces supplétifs de l'armée française.
"Je pense qu'on peut dire que la guerre d'Algérie m'obsède", avait confié le réalisateur de "Fatima" (2015) à l'AFP lors du Festival de Cannes en mai dernier.
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, une des principales section du festival, le film avait été ovationné par le public.
Seize ans après "Trahison", son long-métrage sur la guerre d'Algérie (1954-1962) qui évoquait déjà les harkis, Philippe Faucon revient avec un film qui leur est dédié.
Le spectateur plonge à l'intérieur d'une unité de l'armée française placée sous le commandement du lieutenant Pascal (Théo Cholbi). Parmi sa dizaine de membres: Salah (Mohamed Mouffok) et Kaddour (Amine Zorgane).
Tous sont Algériens, ont quitté leur village et leur famille pour combattre aux côtés de la France. Pourtant, alors que le film avance, et que l'indépendance paraît inéluctable, l'avenir de ces hommes, lui, semble ne tenir qu'à un fil.
Non-dits, mensonges... Le film pointe frontalement la responsabilité de l'État français et du général de Gaulle dans leur "abandon criminel" en Algérie. Car, si certains ont pu être rapatriés en France, la grande majorité a été laissée à son sort, sciemment.
Considérés par le camp algérien comme des "traîtres", beaucoup ont été assassinés.
Porté par des acteurs non professionnels et par une mise en scène qui n'élude rien -- dont les scènes de torture, longtemps niées par le camp français -- le film est d'une grande sobriété.
Soixante ans après les accords d'Evian, "il y a une nécessité à rappeler cette histoire et à regarder la vérité dans les yeux", avait assuré à l'AFP le réalisateur, lui-même né en Algérie.
Mais attention, avait-il pris le soin d'ajouter: ces histoires doivent se raconter "dans leur complexité". "Si la vérité est complexe, il ne faut pas accepter qu'elle soit étouffée et, dans le cas des harkis, c'est important de la dire".
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