Les crises énergétiques de 1973 et de 2022 ont de commun qu’elles dévoilent le diktat de l’Occident sur le marché de l’énergie, imposant aux pays tiers le rôle strictement extractif, sans égard pour les intérêts des pays producteurs.
Les pays arabes producteurs de pétrole ont imposé des restrictions sur le prix et les approvisionnement de l’or noir à l’Occident qui soutenait Israël pendant la guerre d’octobre 1973 (AFP/Gabriel Duval)
Tous « les discours sur les Arabes qui utilisent leur pétrole comme arme politique sont vides de sens selon la vision des États-Unis […] Il n’y a absolument aucune place pour que les États-Unis soient pris en otage ».
On pourrait aisément penser qu’il s’agit d’une réaction de colère de l’administration Biden datant de la semaine passée à la suite à la décision de l’OPEP+ (groupe de 24 pays producteurs de pétrole : 14 pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et 10 autres producteurs dont la Russie) de réduire ses quotas de production.
Pour rappel, réagissant à la décision de ce que les médias occidentaux appellent le « cartel de l’OPEP », le 5 octobre, le président américain s’est dit « déçu de cette décision à courte vue ».
La porte-parole de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, a même déclaré qu’« il est clair qu’avec sa décision », l’OPEP+ « s’aligne sur la Russie », martelant que c’était une « erreur ».
Face à ces accusations américaines, le ministre saoudien de l’Énergie, le prince Abdel Aziz ben Salmane, a invoqué les « incertitudes » planant sur l’économie mondiale et la nécessité d’anticiper pour pouvoir « stabiliser le marché ».
Selon plusieurs sources, la Maison-Blanche a exercé une forte pression pour empêcher la réduction de la production de l’OPEP. « M. Biden espère empêcher les prix de l’essence aux États-Unis de remonter en flèche à l’approche des élections de mi-mandat [le 8 novembre] au cours desquelles son parti démocrate lutte pour conserver le contrôle du Congrès américain. Washington veut également limiter les revenus énergétiques de la Russie pendant la guerre en Ukraine », analyse un site spécialisé.
Colère américaine
Cette nouvelle tension entre Occident et producteurs de pétrole coïncide avec le 49e anniversaire de la guerre israélo-arabe d’octobre 1973 et la citation rapportée au début de cet article date en fait de cette période-là : le tout premier blocus pétrolier arabe visant à dénoncer l’appui de l’Occident – et surtout des États-Unis – à Israël.
Cette crise énergétique et diplomatique a été considérée comme l’une des pires récessions boursières de l’histoire récente et allait bouleverser les paradigmes en matière d’économie en Occident durant les décennies à venir. C’est le fameux premier choc pétrolier.
L’auteur de la citation, qui date de juin 1973, n’est autre que William Rogers, secrétaire d’État américain de l’administration Nixon.
Washington a envisagé « de s’emparer des champs pétrolifères » dans le Golfe après l’imposition de l’embargo de 1973
Elle a été rapportée dans un câble diplomatique secret – dont la BBC vient de révéler le contenu – par Anthony Parsons, l’agent permanent du ministère britannique des Affaires étrangères, alors que les deux diplomates participaient à une réunion du Conseil des ministres de l’Organisation du Traité sur le Moyen-Orient (Pacte de Bagdad).
Ce qui ressort de cet échange – la colère américaine face à un possible blocus pétrolier opéré par les producteurs arabes – est la manifestation de la vision de Washington par rapport à ses « partenaires » au Moyen-Orient et en Afrique du Nord quand il s’agit de politique énergétique : imposer son intérêt ou déclencher des hostilités.
Quand les États-Unis ont permis à Israël de faire basculer le rapport de forces face aux armées arabes, avec notamment le pont aérien d’armement lancé dès le 14 octobre 1973, les pays arabes membres de l’OPEP ont décidé, deux jours plus tard, d’augmenter de 70 % le prix du brut, avec réduction mensuelle de 5 % de la production pétrolière jusqu’à évacuation des territoires occupés et reconnaissance des droits des Palestiniens.
L’Arabie saoudite finira même par imposer un embargo total des livraisons à son allié traditionnel américain… Ce boycott n’a été levé qu’en mars 1974.
Face à ce défi, Washington n’a pas retenu sa colère et a envisagé, selon des documents publiés par le gouvernement britannique en 2004, « de s’emparer des champs pétrolifères » dans le Golfe après l’imposition de l’embargo.
Alger refuse le plafonnement des prix du gaz
Mais le parallèle historique a ses limites : l’embargo d’octobre 1973, mené par des personnalités arabes très attachées à la cause palestinienne, comme le roi Fayçal d’Arabie saoudite ou le président algérien Houari Boumédiène, a très peu de ressemblances – en dehors de l’attitude ombrageuse de Washington – avec le coup d’éclat de l’OPEP+ d’octobre 2022.
Les crises énergétiques de 1973 et de 2022 ont toutefois de commun qu’elles dévoilent le diktat de l’Occident sur le marché de l’énergie, imposant aux pays tiers le rôle strictement extractif, sans égard pour les intérêts des pays producteurs.
Un autre exemple nous vient cette fois-ci de l’Europe, qui planche sur un consensus interne afin d’imposer à ses fournisseurs un plafonnement des prix du gaz.
Bien que certains pays européens, comme l’Allemagne, redoutent que ces plafonnements imposés par l’Union européenne (UE) ne poussent les fournisseurs à suspendre leurs livraisons au vu des prix trop bas, le consensus semble se réaliser peu à peu parmi les 27.
Face à cette nouvelle politique, l’Algérie, fournisseur important de gaz pour l’Europe, a exprimé ses réserves. Le PDG de Sonatrach, la major algérienne des hydrocarbures, Toufik Hakkar, a déclaré il y a quelques jours que « le plafonnement des prix [du gaz] n’a aucun lien avec les mécanismes du marché libre dont les Européens sont les plus fervents défenseurs ».
« Le plafonnement des prix ne sert positivement ni le marché, ni les consommateurs, ni les producteurs à moyens et à long terme. Au cours des dernières années, l’Europe a cassé la demande, sans engager aucun investissement dans l’exploration et la production. Nous sommes donc arrivés à une offre limitée et à un déséquilibre entre l’offre et la demande. »
Pas sûr que ce genre d’analyse trouve écho dans les couloirs de Bruxelles – ou de Washington – au moment même où la pandémie aurait dû pousser les États les plus puissants à davantage de solidarité énergétique et économique sur la base du gagnant-gagnant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
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