AAprès quatre ans de délibérations et d’échanges entre les parties, le Comité contre la torture des Nations unies a condamné le Maroc pour la séquestration du Germano-Marocain Mohamed Hajib et pour les graves sévices qu’il lui a fait subir durant plusieurs années.
u moment où le Maroc et l’Allemagne élargissent leur coopération antiterroriste, c’est une affaire dont ils se seraient largement passés. Une information qui implique les deux États et qui va soulever les ciments de l’État profond marocain. Un coup de tonnerre dans un ciel encombré de fake news et de manipulations en tout genre.
L’ancien détenu politique Mohamed Hajib, l’ennemi public numéro 1 des services de renseignement marocains, a bel et bien été séquestré, torturé par des agents de l’État et condamné arbitrairement à dix ans de prison (une peine ramenée à cinq, puis à sept) à une époque, en 2010, où le régime marocain se prévalait de vivre sous une « ère nouvelle », une époque débarrassée, disait-on, des années de plomb de Hassan II.
L’ONG Alkarama, basée en Suisse, et qui s’est chargée de la défense de ce Germano-Marocain, vient de rendre publique par voie de communiqué une décision du Comité contre la torture des Nations unies concluant que Mohamed Hajib a été condamné en 2010 à dix ans de prison pour de « prétendus actes terroristes » sur la « seule base d’aveux extorqués sous la torture ».
Cette décision onusienne dont Middle East Eye a obtenu une copie, rendue le 12 juillet 2022 mais connue seulement il y a quelques jours, était très attendue par les deux parties opposées : l’État marocain et Mohamed Hajib.
Depuis qu’il a été arrêté en 2010, jusqu’à sa libération en 2017, Mohamed Hajib n’a cessé de clamer qu’il a été embarqué dans une invraisemblable histoire à la suite d’une expulsion déguisée d’Allemagne.
Il a toujours accusé Berlin et Rabat d’avoir conclu un pacte secret, et manifestement illégal, afin de le priver de sa nationalité allemande pour avoir seulement visité le Pakistan.
Or Hajib n’a jamais été jugé et encore moins condamné. Ni au Pakistan, où il était parti pour devenir prédicateur dans la mouvance tablighie, ni, encore moins, en Allemagne.
Jusqu’à aujourd’hui, il n’a jamais existé de preuve l’impliquant dans un quelconque acte terroriste.
Séquestration et torture
D’où le caractère arbitraire de la décision de la police allemande de le faire voler vers le Maroc en 2010, en dépit de sa nationalité germanique, prévenant dans la foulée son homologue marocaine de son arrivée.
Hajib a été séquestré à l’aéroport de Casablanca, où il est admis aujourd’hui qu’il a été torturé par des agents de la Direction générale de la sûreté du territoire (DGST, plus connue sous son ténébreux acronyme de DST), puis par des agents de la Brigade nationale de police judiciaire (BNPJ), dans leur siège du quartier de Maarif à Casablanca, dirigée alors par le défunt Abdelhak Khiam.
L’affaire Hajib est sensible et symptomatique d’un état d’esprit parce qu’elle implique les services secrets de deux États qui se seraient mis d’accord pour accabler un innocent
Selon l’ONU, Hajib a été également et constamment brutalisé par les fonctionnaires des différentes prisons où il a séjourné.
L’État marocain, au contraire, a toujours nié les faits. Il a affirmé dans ses réponses au Comité qu’il n’avait jamais soumis à la torture cet ex-activiste tablighi, que tous ses droits avaient été respectés et qu’en réalité, il était un membre du « salafisme jihadiste ».
Le Comité contre la torture de l’ONU avait donc à trancher entre ces deux versions. Il a fini par admettre que Hajib, qui a constitué un volumineux dossier truffé de témoignages, certains, écrits, provenant de l’ambassade d’Allemagne à Rabat, d’attestations médicales et de divers autres documents, a été torturé par les services de sécurité marocains et par les gardiens de prison.
Il est probable, mais pas certain, que les experts onusiens aient eu accès à des documents confidentiels des services de renseignement allemands datant de 2010 et dans lesquels il est question de la « disparition » de Hajib après son retour au Maroc. Après s’être rendu compte de leur méprise, les Allemands auraient essayé de s’enquérir du sort de Hajib, mais la machine de répression de l’État marocain était déjà en marche.
Manipulations, fake news et faux témoignages
L’affaire Hajib est sensible et symptomatique d’un état d’esprit parce qu’elle implique les services secrets de deux États qui se seraient mis d’accord pour accabler un innocent.
Elle est explosive parce que le Maroc s’est embarqué dans cette galère pour simplement rendre service à un pays ami, l’Allemagne, soucieux de se débarrasser d’un tablighi à une époque où ses coreligionnaires étaient mal vus parce que confondus avec les salafistes jihadistes. Jamais la mouvance tablighie n’a été impliquée dans un quelconque acte terroriste.
Depuis 2018, date du dépôt de la plainte de Hajib auprès du Comité contre la torture, l’État marocain s’est rendu compte qu’il allait payer seul les pots cassés de cette incroyable histoire. Il a donc mis tout son poids, policier, judiciaire et diplomatique, dans la balance pour éviter d’être condamné pour torture par l’ONU.
Le parquet général du royaume, la BNPJ et les deux plus importants services de renseignement marocains, la DST et la DGED (contre-espionnage), ont collaboré étroitement pour essayer de convaincre les opinions publiques, marocaine et internationale, de la dangerosité de Hajib.
Comme Mohamed Hajib anime une très visitée chaîne YouTube, le prétexte a vite été trouvé pour l’acculer avec de fausses informations et le présenter auprès de l’ONU comme un dangereux terroriste.
Au Maroc, des dizaines d’articles, voire des centaines, tous à charge, ont été écrits ces dernières années contre lui. Des vidéos maladroitement manipulées pour lui faire dire ce qu’en réalité il ne disait pas ont essaimé sur les différents sites.
À l’étranger, des médias complaisants et connus pour leur proximité avec Rabat ont été sollicités pour présenter le Germano-Marocain comme un danger public. Un obscur procureur général d’un petit État américain, l’Utah, un certain Sean Reyes, a été mis à contribution pour partager sur son compte Twitter un article d’un média financé par le Maroc qui taxait Hajib de « terroriste ».
Pour appuyer leurs accusations, les services de renseignement marocains ont fourni au Comité contre la torture les témoignages de deux anciens détenus, Bouchta Charef et Hassan Khattab, qui, dans des interviews diffusées dans des médias proches des services secrets, se sont réclamés ouvertement du salafisme jihadiste et ont reconnu leur culpabilité dans des affaires de terrorisme. Pour mieux impliquer Hajib.
Ils ont ainsi assuré avoir fomenté des complots avec lui alors qu’ils se trouvaient incarcérés dans différentes prisons. Des vérifications faites par MEE montrent que si les deux reclus salafistes et le tablighi ont bien été incarcérés, pour de très courtes périodes, dans les mêmes établissements pénitentiaires, ils étaient logés dans différentes ailes et ils ne se sont que rarement croisés.
D’ailleurs, devant une si grosse et grossière ficelle, le Comité n’a pas retenu ces deux témoignages dans ses attendus.
Signe que les autorités marocaines étaient inquiètes de la décision finale du Comité contre la torture, la DST a payé de sa personne pour aller au charbon.
Elle a déposé, en son nom et sans passer par les canaux diplomatiques, et à trois reprises, des plaintes pénales contre Mohamed Hajib auprès du parquet de Duisbourg, la ville allemande où il réside. Du jamais vu ! Des plaintes allant de l’antisémitisme supposément proféré dans les vidéos diffusées sur sa chaîne YouTube au terrorisme.
Persécution politique
Mais c’était compter sans la sérieuse et méthodique justice allemande. Étonné devant une telle sollicitude marocaine, le parquet de Duisbourg a fait appel à des experts, des linguistes, des islamologues et des orientalistes, pour traduire et déchiffrer les vidéos de Hajib objets de l’ire des autorités sécuritaires marocaines.
Or tout le monde est arrivé à la même conclusion : le jeune tablighi a fait usage de sa liberté d’expression et les faits reprochés par la DST étaient manipulés. Toutes les plaintes de la DST ont été rejetées.
Une grosse déconvenue pour son directeur, Abdellatif Hammouchi, l’homme qui, avec le conseiller royal Fouad Ali El Himma, et en l’absence du roi, gouverne le Maroc à coups de trique et de procès qui se terminent systématiquement par l’incarcération des prévenus, qu’ils soient journalistes, activistes des droits humains, youtubers ou simples commentateurs sur les réseaux sociaux.
Une grosse déconvenue pour le directeur de la DST, Abdellatif Hammouchi, l’homme qui, avec le conseiller royal Fouad Ali El Himma, et en l’absence du roi, gouverne le Maroc à coups de trique et de procès qui se terminent systématiquement par l’incarcération des prévenus, qu’ils soient journalistes, activistes des droits humains, youtubers ou simples commentateurs sur les réseaux sociaux
Même Interpol a fini par retirer de sa base de données la notice rouge visant Hajib après s’être convaincu qu’il s’agissait d’une persécution politique. Une autre gifle pour le patron de la BNPJ, Mohamed Dkhissi, qui est en parallèle le chef du Bureau central national (BCN) Interpol, la représentation de cette organisation internationale de police criminelle au Maroc.
Pour comprendre la folle obsession des autorités marocaines envers Hajib, il faut se rappeler que dans les trois griefs reprochés à l’Allemagne dans un communiqué daté de mai 2021 et annonçant le rappel de l’ambassadrice du royaume – qui avait marqué une crise profonde entre Rabat et berlin –, figure Mohamed Hajib.
Même s’il n’est pas cité explicitement, il est fait clairement allusion à son cas quand le ministère marocain des affaires étrangères accuse Berlin de « complicité à l’égard d’un ex-condamné pour des actes terroristes, notamment en lui divulguant des renseignements sensibles communiqués par les services de sécurité marocains ».
Finalement, tout ce tintamarre a été inutile. Le Comité contre la torture de l’ONU a fini par condamner l’État marocain. Dans sa décision, longue de quinze pages, il lui demande d’identifier et de juger les tortionnaires coupables des sévices subis par Hajib, lui enjoint de l’informer des suites de cette affaire « dans un délai de 90 jours » et l’exhorte à « veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas ».
Le Comité contre la torture des Nations unies a soumis au Maroc, pour commentaire, la longue enquête, citée dans son rapport final, publiée par MEE en mai 2021 sur Mohamed Hajib.
Rabat n’a pas souhaité répondre.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
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